Énoncer l’universel. Qu’est-ce à dire au regard de la condition noire? Notes sur Des Universels d’Étienne Balibar

Par Norman Ajari (l’auteur est professeur de philosophie à l’Université d’Édimbourg)

Dans les débats politiques et sociaux contemporains, il est malaisé de distinguer la question de l’universalisme de celle des rapports de race, de genre et de classe – entre autres. C’est l’un des grands mérites du philosophe français Étienne Balibar, nous dit Norman Ajari, que d’avoir pris toute la mesure de la transformation contemporaine du contenu théorique du concept d’universel. L’objectif de ce bref texte sera de souligner les apports, l’originalité et la force de la théorie de l’universel que le philosophe déploie depuis plusieurs années et dont l’ouvrage Des Universels[1] propose la formulation la plus aboutie. En conclusion, l’auteur s’emploie, sur une note plus personnelle, à souligner l’importance des réflexions de cet ouvrage pour une réflexion philosophique sur le racisme et l’antiracisme. Il explique ainsi pourquoi il juge nécessaire d’emprunter une route différente dans la réflexion sur la condition noire qu’il mène depuis quelques années.

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P. Gelderloos – Comment la non-violence protège l’État – Chapitre 2 (traduction française)

CHAPITRE 2 : LA NON-VIOLENCE EST RACISTE

Je ne cherche pas à faire assaut d’insultes, et ce n’est qu’après mûre réflexion que j’utilise l’épithète « raciste ». Dans le contexte contemporain, la non-violence est en soi une posture de privilégiés. Outre que le pacifiste lambda est assez clairement un Blanc de la classe moyenne, le pacifisme comme idéologie émane d’un contexte privilégié. Il ignore que la violence est déjà là ; que la violence est inévitable, car elle fait structurellement partie intégrante de la hiérarchie sociale actuelle ; et que ce sont les personnes de couleur qui sont les plus touchées par cette violence. Le pacifisme présuppose que les Blancs qui ont grandi dans des banlieues pavillonnaires, et en obtenant satisfaction de tous leurs besoins de base, peuvent conseiller aux personnes opprimées, dont un grand nombre sont des personnes de couleur, de subir patiemment une violence indiciblement plus grande que celle qu’ils ont connue eux-mêmes, jusqu’au jour où le Grand Père Blanc (2) se laissera émouvoir par les exigences du mouvement, à moins que ce ne soit celui où les non-violents parviendront à la légendaire « masse critique ».

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L’UE craint d’offenser Israël – Un document interne

Depuis plus d’une décennie, je soupçonne l’Union européenne  (UE) d’avoir une politique tendant à éviter de heurter Israël. Aujourd’hui, j’ai enfin la preuve que cette politique existe bel et bien.

David Cronin, 17 juillet 2023

Alors que la bureaucratie bruxelloise a célébré « le succès des dialogues contreterroristes » qu’elle entretient avec Israël depuis 2015, très peu de détails de ces échanges ont été rendus accessibles au public.

En janvier dernier, j’ai introduit une plainte auprès de l’ombudsman de l’UE – nominalement, un contrôleur au service des citoyens – à propos de ce manque de transparence. La plainte a été introduite après que les services diplomatiques de l’UE avaient refusé de divulguer les noms des institutions israéliennes qui avaient participé à ces « dialogues ».

Via une requête au nom de la liberté d’information, j’ai obtenu un document qui résumait les discussions concernant ma plainte entre l’équipe de l’ombudsman et les diplomates de l’UE.

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Féministes musulmanes. La révolution qui vient

Les féministes musulmanes contestent depuis des années à la fois un discours islamique qui infériorise les femmes et une pensée occidentale qui les infantilise. On s’en tient le plus souvent à une rhétorique qui débouche pourtant de plus en plus sur des stratégies et des formes d’action concrètes méconnues, dont le dernier livre de Malika Hamidi brosse un tableau passionnant.

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Réflexions sur le hip-hop

A propos de : Michael Eric Dyson, Know What I Mean? Réflexions sur le Hip-Hop, éditions BPM, Paris, 2022.

Les jeunes éditions BPM ont publié, en 2022, la première traduction française d’un classique de la littérature sur le rap américain : Know What I Mean ? Réflexions sur le hip-hop de l’immense Michael Eric Dyson. Initialement publié en 2007, préfacé par Jay-Z et postfacé par Nas, il est certain que cet ouvrage mériterait d’être réactualisé en prenant en compte les évolutions récentes du rap outre-Atlantique. Pour avoir une meilleure idée du paysage rapophonique de 2007, c’est l’année ou sont sortis des albums comme The Offering de Killah Priest (à écouter d’urgence pour ceux qui ne connaissent pas), Graduation de Kanye West ou encore 8 Diagrams du Wu-Tang Clan (pas leur meilleur album, mais ça se laisse écouter). En France sortaient Autopsie. Vol. 2 de Booba et Jusqu’à la mort de la Mafia K’1 Fry. La parution étatsunienne de ce livre remonte donc à une autre époque du hip-hop, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Toutefois, la traduction de cet ouvrage n’est pas sans intérêt, loin de là. Dyson part de la non-légitimité du hip-hop dans la sphère artistique :

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Ethnocentrisme, impérialisme sexuel et homonationalisme

L’ethnocentrisme constitue un élément central de la manière dont l’occident à découvert, considéré et raconté les orientations, identités et pratiques sexuelles subalternes. Il est toujours présent et influant dans les rapports que les communautés, les militants, les professionnels et les institutions entretiennent avec celles et ceux perçues comme LGBTQIA+. Pour envisager une prise compte véritablement inclusive de la diversité des identités et des pratiques il convient de regarder les approches LGBTQIA+ occidentales comme des constructions anthropologiques exportées, soumises au risque de la récupération politique, et appelant les professionnel a une vigilance méthodologique.

Par Guilhem Lautrec, travailleur social, militant.

Ce texte est extrait des actes d’un colloques de la ligue bruxelloise de santé mentale de novembre 2022 sur la prise charge en santé mentale des publics LGBTQIA+

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Je me suis relevé dans l’orage de Jonathan Nguyen

“Je me suis relevé dans l’orage” est un poème issu du témoignage d’un étudiant congolais qui vivait en Ukraine lorsque la guerre a éclaté (travail avec l’organisation Change Asbl). Le poème relate la discrimination dont il a fait preuve en Ukraine, et continue de faire preuve en Belgique. A l’heure où l’on voit une discrimination de traitement des réfugiés sur la base de l’origine, ce texte a pour vocation d’être connu et diffusé.

Jonathan Nguyen

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PENSÉES DÉCOLONIALES EN AMÉRIQUE LATINE : ANALYSE CRITIQUE

Frédéric Thomas

Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d’Amérique latine offre l’une des premières présentations synthétiques en français de ce courant intellectuel. Il permet de la sorte de mieux connaître et comprendre ce « collectif d’interprétation », et d’en faire une analyse critique.

La maison d’édition Zones vient de publier Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d’Amérique latine, qui offre une présentation synthétique en français de ce courant intellectuel, dont nombre de concepts se sont diffusés en Europe et ailleurs [1]. Cet essai permet de se dégager quelque peu de la confusion, des imprécisions et des effets de mode pour appréhender cet ensemble d’analyses.

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Rap de Bruxelles, racisme & dépendance

Par Aliocha Jousselin

La ville et le hip-hop sont profondément liés. La culture hip-hop a transformé la ville tant physiquement que dans nos imaginaires. Bientôt cinquantenaire, elle puise ses origines dans les quartiers pauvres des grandes agglomérations. Par les tags et les graffitis qui recouvrent les murs de Bruxelles ou par la musique rap, très reconnaissable et que l’on entend partout [1]. Chaque quartier de la ville a fait naître des rappeur·euses.

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