“Marxisme noir” de Cedric Robinson, ou la généalogie de la conscience révolutionnaire africaine

Marxisme Noir, du théoricien politique africain-américain Cedric Robinson, est disponible en français. Paru pour la première fois il y a une quarantaine d’années, ce livre-somme est un classique de la théorie critique de la fin du siècle. Démesurément ambitieux, il offre à la fois une histoire longue de l’éveil du racisme européen moderne et, comme en vis-à-vis, une genèse de l’activisme et de la pensée révolutionnaires noires.
Si l’ouvrage, épais et dense, au style allusif et labyrinthique, fascine depuis longtemps étudiants et jeunes chercheurs aux États-Unis ou en Grande Bretagne, c’est en partie du fait des malentendus et des querelles d’interprétation qu’il rend possible. Son titre lui-même n’est pas sans embarras. Le marxisme noir dont il sera question n’est en effet pas à proprement parler l’objet du livre, mais plutôt l’annonce d’un paradoxe.

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« Marxisme noir »

Avec l’aimable autorisation des éditions Entremonde, nous publions ci-dessous un extrait de l’introduction de l’ouvrage classique de Cedric Robinson, Marxisme noir. La genèse de la tradition radicale noire (https://entremonde.net/marxisme-noir). Bien que certains aspects de cet ouvrage soit discutables (et à discuter), sa traduction vient combler un manque important dans le monde francophone. S’intéressant à la genèse de la tradition radicale noire ainsi qu’à ce qu’il nomme le capitalisme racial, l’enquête de Robinson permet de discuter avec sérieux et rigueur de nombre d’aspects qui animent régulièrement les débats au sein de la gauche et de l’antiracisme. Cette traduction est accompagnée de la traduction de l’avant-propos de Robin Kelley – sans doute l’un des plus éminents intellectuels noirs étatsunien vivant – ainsi que d’une longue introduction de Selim Nadi, permettant de restituer l’importance (et les limites) de cette œuvre dans les discussions plus larges autour du capitalisme et de la race. Nous rajoutons également la table des matières de l’ouvrage, plus bas, afin que le lecteur puisse avoir une idée de la structuration de l’ouvrage.

 

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LUTTES ANTICOLONIALES : HIER ET AUJOURD’HUI

Objet d’instrumentalisations, soumis à une mémoire désaccordée, l’anticolonialisme connut son point d’incandescence au mitan du siècle dernier. S’il croise les théories décoloniales et anti-impérialistes, c’est à partir d’un autre ancrage dans l’histoire et dans l’espace social, qui invite à se décentrer de l’État-nation et du narratif identitaire. Son actualité tient à l’inachèvement de la décolonisation et à la pertinence des espoirs qu’il nourrit.

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FRANTZ FANON ET AMILCAR CABRAL : ANTICOLONIALISME ET RECODIFICATION DÉCOLONIALE

Frédéric Thomas

« Tout le reste est littérature et mystification »

Les théories décoloniales prétendent dépasser l’anticolonialisme. Mais, plutôt que d’un dépassement, il s’agit d’un recodage de pensées – dont celles de Frantz Fanon et d’Amilcar Cabral – autrement plus complexes, radicales et actuelles.

Les pensées décoloniales ont le vent en poupe en Europe ces dernières années. Il n’est pas toujours aisé d’en discuter les enjeux, tant ces pensées sont plurielles, parfois divergentes, et participent d’un champ intellectuel très large. Mais nous voudrions interroger ici, de façon ponctuelle, la question de leur filiation avec l’anticolonialisme, autour plus précisément de la question de la culture. Et le faire en confrontant certaines affirmations du rapport Décoloniser la coopération au développement par les marges, commandé par la coopération belge [1], avec les écrits d’Amilcar Cabral (1924-1973) et de Frantz Fanon (1925-1961).

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Où commence… et où finit le racisme ? Par Étienne Balibar

Étienne Balibar

Figure incontournable du débat philosophique sur le racisme, Étienne Balibar, entre autres co-auteur de Race, nation, classe (La Découverte, 2018) et de Cosmopolitique. Des frontières à l’espèce humaine (La Découverte, 2022), a lu avec passion notre livre de dialogue entre Marylin Maeso et Norman Ajari Où commence le racisme, qui vient de paraître chez Philosophie magazine Éditeur. Dans ces lignes, il relève les tensions entre universalisme et essentialisme. Et se demande comment l’antiracisme peut continuer de se référer à la notion de race, de manière critique.

 

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DEBORA SILVERMAN : THE ART OF DARKNESS OU LES TÉNÈBRES COMME ESTHÉTIQUE

 par Véronique Clette-Gakuba

En mobilisant Debora Silverman et d’autres travaux de la littérature anglo-saxonne, cet article nous aide à comprendre comment nous sommes profondément affectés par une « esthétique de la Noirceur » produisant un amalgame fantasmagorique entre les corps noirs et les régions supposées sauvages du monde. Une esthétique qui influença profondément l’Art nouveau, mais également le rapport racialisé aux populations noires.

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DE L’ART NOUVEAU AU MODERNISME TROPICAL : PROBLÉMATISER LA NOTION DE PATRIMOINE ARCHITECTURAL COLONIAL

par Toma Muteba Luntumbue

Existe-t-il des réalisations architecturales de l’époque coloniale qui ne soient pas imprégnées de l’idéologie coloniale ? L’intérêt récent porté sur les vestiges architecturaux du Congo des Belges nous pousse à questionner le processus de leur « patrimonialisation », entendu comme construction d’un rapport aux objets du passé. Quels sont les enjeux symboliques de la qualification de « patrimoine » attribué aux reliquats de la présence belge pour ceux qui y sont confrontés quotidiennement ? Ces vestiges peuvent-ils ouvrir aux Congolais les portes d’une compréhension de leur passé ?

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Houria Bouteldja : « Revenir à l’Etat-nation pour mieux combattre l’Etat-nation »

Entretien paru dans le Courrier de l’Atlas, avril 2023

Propos recueillis par Emmanuel Riondé

Qui sont les « beaufs », qui sont les « barbares » et quel est ce « nous » que vous entendez constituer en les réunissant ?

Tout d’abord, une précision : les mots « beaufs » et « barbares » ne sont pas les miens, ce sont ceux du mépris de classe et du mépris de race. Les beaufs, ce sont les classes populaires blanches et les barbares, ce sont les populations issues de l’immigration postcoloniale, ceux que j’appelle les Indigènes. Ils ont en commun d’être deux composantes du prolétariat français mais séparés par la longue histoire de l’Etat racial intégral. Le « nous » est donc un nous politique, celui de la convergence de ces classes prolétaires qui auront dépassé la division raciale. Parce qu’on ne peut pas former un « nous » si on est divisé par le racisme.

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Henri Curiel, citoyen du tiers-monde

Quand l’internationalisme soutenait les mouvements de libération nationale

Il y a vingt ans, le 4 mai 1978, deux hommes abattaient Henri Curiel à son domicile parisien. Aujourd’hui, les assassins courent toujours et le dossier est officiellement classé. Né en Egypte en 1914, fondateur du mouvement communiste dans ce pays, Henri Curiel fut exilé par le roi Farouk en 1950. Il s’installa alors en France où il consacra ses efforts à l’aide aux mouvements de libération du tiers-monde ainsi qu’à la paix entre Israël, les pays arabes et les Palestiniens. Dénoncé comme « le patron des réseaux d’aide aux terroristes », il avait, en réalité, inventé une forme d’internationalisme qui correspondait aux formidables luttes anticoloniales qui ont marqué la seconde moitié du siècle.

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