Gâcher la fête : pour une archive minoritaire ingouvernable
Confrontée au mot d’ordre de la « visibilisation institutionnelle » des mémoires historiquement opprimées, cette table ronde s’est donnée pour but de questionner le devenir des archives des communautés noires et queers. Contre ce mot d’ordre et ses captures, elle pose la question capitale de leur réinscription dans une continuité de résistance aux systèmes coloniaux, racistes et sexistes. « Comment non seulement conserver les archives, mais aussi les réactualiser et les honorer à travers des actions concrètes ? Comment échapper à sa patrimonialisation et la maintenir dans le trouble et les contradictions ? » Il s’agit de reconnaître le rôle clé joué par les communautés noires dans le travail de transmission et de régénération des archives, afin de nourrir les résistances actuelles et de réfléchir aux liens et différences avec les archives et mémoires queer d’aujourd’hui. S’impose alors la nécessité d’identifier certaines conditions pour des alliances attentives qui ne soient plus synonymes de nouvelles formes de pacification.
Trou Noir remercie Véronique Clette-Gakuba, Cy Lecerf Maulpoix et Olivier Marboeuf.
TROU NOIR
Voyage dans la dissidence sexuelle

Photo : Gia Abrassart (Café Congo)
Ce texte est la version revue de la transcription d’une table ronde qui a eu lieu le 17 mai 2025 dans le cadre du festival Académie des mutantes au CAPC.
TN : Et donc, peut-être avant de commencer cette table ronde, vous vouliez prendre la parole.
Olivier Marboeuf : Nous avons une heure et demie pour balayer des questions qui sont assez vastes. Je pense qu’on aura l’occasion, en tout cas je l’espère, avec certains d’entre vous et certaines d’entre vous, de se retrouver dans d’autres espaces. Aujourd’hui, nous allons simplement essayer de pointer certains enjeux dans l’espoir de se revoir ailleurs, parce que c’est à cela que nous travaillons, à entretenir les conditions d’autres espaces pour travailler ensemble. Nous avons eu avec Véronique la volonté d’introduire notre présence et plus particulièrement les conditions de notre présence : pourquoi sommes-nous là et à quelles conditions le sommes-nous ? Je vais commencer à lire le début d’un texte que nous avons écrit ensemble avec Véronique et je la laisserai lire la suite. Puis on pourra discuter tous ensemble et commencer à croiser des questions propres aux archives minoritaires noires avec celles que soulèvent les archives queer. Puis on essayera d’observer des singularités, de nommer des points de friction et des lieux de connivence, de convergence peut-être, d’en tirer des leçons et peut-être le début d’une méthode. Nous allons commencer justement par un point sur la méthode. Afin d’introduire cette table ronde où nous allons parler d’archives minoritaires, de visibilité institutionnelle et de régénération des luttes, nous aimerions – et là, c’est Véronique et moi qui écrivons – évoquer les conditions de notre présence ici, en tant que personnes noires investies dans les luttes décoloniales et antiracistes dans les marges des mondes de la culture et de l’université. Nous sommes bien conscient.es que lorsqu’une institution nous invite, loin de chez nous, c’est bien souvent à la place d’autres figures minoritaires locales. Et donc que la mise en avant de notre parole et de notre présence s’inscrit dans un geste qui en même temps invisibilise et pacifie certaines conflictualités et débats locaux. Avant donc de prendre la décision de venir parler ici, nous avons fait l’effort de comprendre où nous venions, quels étaient les enjeux de ce lieu pour les communautés noires, quelles étaient les histoires courtes et les histoires longues qui le traversaient. Et par conséquent quels sont les fantômes qui nous obligent aujourd’hui, comme toute véritable archive nous oblige, et nous imposent ses conditions d’accueil, de reprise et de circulation ? Aussi, nous parlons aujourd’hui au CAPC de Bordeaux, en pleine conscience que nous sommes dans les anciens entrepôts Lainé, qui sont liés à l’économie de l’esclavage et du commerce triangulaire plus particulièrement. Il nous semble nécessaire d’être précis sur les faits et sur les violences organisées, ici à Bordeaux et dans la colonie de Saint-Domingue, car aujourd’hui, Haïti paie encore cette violence. Ici comme ailleurs, dans d’autres lieux culturels et institutions, nous savons que nous ne sommes jamais les premiers à parler. Et nous parlons notamment aujourd’hui, à la suite de l’association bordelaise Mémoires et Partages, qui a fait la demande qu’une plaque mémorielle permanente soit posée au CAPC afin que tout visiteur y entrant, tout artiste et toute personne y travaillant prennent intimement connaissance et conscience de l’histoire du lieu, des fantômes qui le hantent, des ancêtres qui y parlent. Car les ancêtres ne sont pas de vulgaires marchandises, des fétiches inertes que l’on jette sur un marché de l’art, toujours avide de nouveaux produits. Ce ne sont pas des monnaies d’échange, car iels ne nous appartiennent pas, et iels pourraient bien nous demander au contraire des comptes, car ce sont des existences en relation avec les nôtres, sous certaines conditions.
Véronique Clette-Gakuba : Je continue donc la lecture de notre texte qui se poursuit sur la relation à ces ancêtres…. Les ancêtres nous obligent, comme les archives obligent, de manière discrète, intime et parfois violente. Et il.elles nous obligent à poursuivre leur histoire, à maintenir leur puissance. Et en l’occurrence, en tant que Noir.es héritier.es d’une longue histoire de disqualification, mais aussi d’effacement et de mise à mort lente, nous avons l’habitude, dans le contexte des villes européennes, de faire face à l’absence de ceux et celles qui nous précèdent. Cette absence, ce serait, dans ce contexte-ci, celle de Mémoires et Partages mais aussi celle des ancêtres, victimes du commerce esclavagiste, non pas leur absence réelle, mais leur absence fabriquée au sein des institutions. Nous savons que les scènes dans lesquelles nous nous retrouvons, comme aujourd’hui, leurs compositions, sont toujours plus larges et plus étendues et sont plus peuplées que ce qu’on croit. Outre les présences physiques, les nôtres, elles comptent aussi les voix disqualifiées, en tout cas nous les entendons, nous les sentons, nous ne comptons pas faire sans elles. Elles comptent aussi les scènes, les voix disqualifiées qui sont passées avant nous et elles comptent aussi les âmes errantes de nos ancêtres qui nous demandent des choses. Notons d’ailleurs que si les morts nous obligent, parce qu’on est venu plusieurs fois sur cette notion de mort.es qui nous obligent, c’est parce que le plus souvent, ce sont des mort.es laissé.es sans sépulture dont il s’agit. Et ces morts-là, en particulier, agissent avec une présence insistante dans le monde comme le souligne Nathalie Etoké. Donc, tenant compte de ce rapport à ceux et celles qui nous précèdent, nous sommes venus à la condition de porter à votre connaissance une attente à laquelle nous nous associons. Nous sommes venus pour honorer les nôtres, leur donner de la force et parler à la suite de ceux et celles qui ont parlé et continuent d’essayer de se faire entendre ici. C’est dans ce lieu que nous parlons et que, donc, nous sommes parlés.
Cy Lecerf Maulpoix : En écho à ces réflexions vis-à-vis desquelles je me sens autant en solidarité que camarade, travaillé par cette même question des voix et absences qui nous obligent et qui nous empêchent de taire les mémoires de la violence comme le rôle de l’institution dans sa reproduction, j’aimerais faire résonner autrement cette demande de plaque avec d’autres plaques et objets mémoriels LGBTQI qui sont apparus récemment. Aujourd’hui [le 17 mai 2025, journée désignée officiellement comme la journée de lutte contre les LGBTQIphobies], à Paris, a été dévoilé par la mairie de Paris, le monument réalisé par l’artiste Jean-Luc Verna à la mémoire des victimes homosexuelles de la déportation dans les jardins de l’arsenal à Bastille. Depuis un certain nombre d’années, on voit apparaître dans les espaces publics français différents objets dont des plaques à la mémoire de personnes LGBTQI nommant des jardins, des passages, des rues ou des impasses et plus récemment ce monument. J’avais assisté à la cérémonie assez houleuse du dévoilement de la plaque en mémoire de l’ex-président d’Act Up, Cleews Vellay, par la mairie de Paris il y a quelques années [1]. Plus récemment, à Marseille où je vis, il y a à peine un mois, un passage vers le Cours Julien a été nommé Laurence Chanfreau, pour reconnaitre et visibiliser la mémoire d’une militante lesbienne qui a marqué la ville, ancienne présidente d’Act-Up Marseille et co-fondatrice du bar lesbien désormais fermé, les 3G.
Aussi signifiantes puissent-elles être sur le moment, ces formes d’incarnations plus récentes doivent aussi être questionnées comme des dispositifs en soi. À la fois dans leur forme et sur ce qui motive leur raison d’exister. La présence de ces objets mémoriels dans l’espace public répond très clairement à une absence structurelle, révélatrice de la longue histoire d’invisibilisation des vies et des histoires queers – dans le cas du monument dévoilé le 17 mai, la mémoire de la déportation homosexuelle est quelque chose de demandé de longue date par des militant.es –. Mais elle raconte toujours plus que cela. Concernant la plaque marseillaise, j’ajouterai qu’elle se trouve exactement sur un passage vers le cours Julien où a été effacé un autre geste symbolique et mémoriel dès janvier 2024. Un drapeau palestinien avait été peint sur les marches par des militant.es du collectif Thawra 13 alors que la Ville s’était justement distinguée par son silence depuis des mois. Le drapeau avait été repeint à la hâte sur demande de la mairie prétextant “préserver la vocation artistique des marches” ( un mois plus tard, elle suspendait d’ailleurs son aide à l’UNRWA pour les réfugié.es palestinien.nes avant de la rétablir). Au regard de cet effacement symbolique dans un moment où il s’agissait justement de rendre perceptible un rapport de force avec l’Etat, de s’attaquer au silence politique et médiatique vis-à-vis des mort palestiniens, il est permis d’interroger cette tectonique des plaques et des mémoires, celles qui ont droit de cité et visibilité et celles qui doivent au contraire être subsumées sous les premières. Lorsque toute plaque ou objet mémoriel devient un outil de représentation au service d’un jeu politique institutionnel et culturel, on peut inévitablement se demander : qui pose la plaque, qui la revendique, quels conflits ou conflictualités mémorielles sont orchestrées alors ? Qui peut véritablement se targuer de bénéficier de sa symbolique ? Est-il possible d’éviter que son sens comme ses modes d’existences soient définis et circonscrits par les pouvoirs en place ? J’ajouterai même, comment, dans un contexte comme le nôtre, ce type de support mémoriel pourrait-il faire sens autrement ?
O.M. Personnellement, je ne suis pas vraiment quelqu’un qui inscrit sa pensée et son engagement politiques dans cette question de pose de plaques. Des luttes aboutissent quand elles sont le fait de reprises, de répétitions et d’échos, quand on sort donc de ce qui nous est offert comme régime de visibilité, “la première fois qu’un Noir a fait ceci, la première fois qu’une Noire a fait cela”, quand on sort du désir de la première fois et de l’économie capitaliste de la première fois et que l’on décide de donner une plus grande valeur encore au fait que justement ce n’est pas la première fois. Et donc qu’on exprime un désir de s’inscrire dans une généalogie, dans des filiations que parfois on connaît mal, des filiations troubles peut-être, pas forcément héroïques. Il est toujours nécessaire de travailler plus pour savoir pourquoi ce n’est pas la première fois. Et donc mon intérêt pour l’affaire de la plaque se situe plutôt à l’endroit d’un geste de répétition, dans cette manière d’insister, de ne pas lâcher. Des personnes de nos communautés ont demandé quelque chose sans succès. On le demande donc de nouveau. On s’inscrit dans la suite de leurs luttes. On fait notre part. Mais évidemment, des demandes comme celle-ci peuvent être satisfaites. Si nous nous y associons c’est donc aussi parce que l’on vise en fait autre chose. Une politique d’émancipation, c’est avoir des désirs qu’on ne peut pas facilement satisfaire, parce que c’est ainsi que l’on rompt avec ce que Mark Fisher appelait le “réalisme capitaliste”. C’est-à-dire la fameuse chose qui est raisonnable, qui est faisable à partir du moment où l’on accepte au préalable de participer au maintien des cadres capitalistes de nos vies, de nos désirs. Et pour les communautés noires cela signifie d’accepter de réaliser des désirs blancs en les confondant avec les leurs. Des désirs blancs à l’endroit des vies noires. Ce qui implique notamment d’être reconnaissants vis-à-vis de ceux qui nous reconnaissent. Voilà donc le véritable horizon de cette fameuse politique de reconnaissance, c’est que les Noir·es plutôt que de se reconnaître elleux-mêmes dans des manières particulières, anciennes et nouvelles, renforcent l’idée que seule la reconnaissance de l’oeil blanc à de la valeur, c’est-à-dire qu’ils renforcent un capitalisme pourtant moribond auquel iels offrent un peu de répit, de vie, de chair, de désirabilité. C’est une forme d’inversion où l’on doit remercier le mourant que nous sauvons en réalité. C’est là la parfaite perversion du continuum colonial. La dette est toujours de notre côté. Ceci pour dire que des demandes raisonnables ne peuvent constituer des horizons de lutte réels et profonds, encore moins lorsqu’il s’agit de luttes minoritaires. Donc dans une situation pareille, on ne doit pas demander de petites choses parce qu’on va finir par les avoir, de fait, à la condition d’accepter un récit majoritaire qui dit que la réparation par exemple, c’est d’installer une plaque, que c’est déjà ça, que c’est déjà beaucoup. Pourtant, à un moment donné, il nous faut bien contester le refus de l’institution d’installer cette plaque. Mais une fois que la plaque est là, il nous faut passer au plus vite à autre chose, à la suite de l’agenda, sans jamais faire de la plaque un aboutissement. Juste une chose parmi une constellations de choses nécessaires mais pas suffisantes. Et très vite, il faut se demander ce que l’on va faire à présent à partir de la plaque : un ensemble de rencontres régulières, de répétitions. Maintenant que nous avons ce repère, comment l’activer, le rendre vivant, l’orienter vers des questions présentes, comment composer une situation de dignité, une éthique de ce lieu de l’histoire noire ?
Ce que nous avons également essayé de dire en introduction avec Véronique, c’est que l’intérêt soudain de l’art contemporain pour des discours d’ancestralité noire donne l’impression que les ancêtres en question seraient des ressources disponibles. Puisque toute production culturelle noire est une ressource disponible dans l’économie capitaliste – et jusqu’aux corps noirs considérés comme objets culturels. Et donc tout se passe comme si ces ancêtres-ressources appartiendraient et pourraient être activées par les artistes qui le désirent – à condition d’être noir·e – ce qui est à la fois troublant et un peu ridicule aussi. On n’est évidemment pas propriétaire de nos ancêtres, ils ne sont pas à l’endroit où l’on décide qu’ils soient, parce qu’on ne transplante pas des ancêtres aussi facilement que cela. Ils appartiennent à des mondes, des cosmogonies, un péyi fait d’attachements réciproques. Et enfin, il faut bien dire qu’il y a quand même peu de chances que les dits ancêtres soient d’accord avec tout ce cirque de l’art contemporain. Il me semble au contraire nécessaire d’accepter d’être dans des rapports difficiles et parfois conflictuels avec nos ancêtres. Mais cela ne peut valoir la peine que si l’on se donne le temps, que l’on investit des chemins tortueux, longs, à l’abri des spectacles de l’argent, que l’on s’engage dans des rapports intimes qui impliquent des responsabilités, dans des lieux où ce conflit peut durer et produire quelque chose de nécessaire. Ce n’est pas une aventure pour des gens pressés. L’un des problèmes, et là je parle en particulier des communautés noires, mais je pense qu’on va pouvoir étendre ce problème à d’autres luttes, c’est l’exposition de la parole. Et combien cette exposition, ce désir d’exposition empêche toute conflictualité d’exister. Il y a une espèce de règle non dite – et donc non débattue – dans les communautés noires qui dit que l’on ne doit pas dire du mal d’une autre personne noire en public. Comme si les communautés noires existaient déjà, de manière abstraite, sans véritable projet noir, selon des principes mystérieux alors que je pense que toute communauté se construit, se pratique et s’ajuste, évolue selon des nécessités et un socle éthique commun qui doit permettre à certaines divergences de co-exister. Le résultat de la règle abstraite de cette soi-disant communauté est que les pratiques critiques noires s’en trouvent complètement atrophiées et ce que nous observons alors c’est une communauté sans consistance, sans intériorité, sans engagement et attachement, sans secret et sans confiance, qui n’a d’autre but que de performer son existence et ses affects pour un regard extérieur, pour un marché. Cette condition de l’hypervisibilité noire s’oppose à la condition de la production d’un appareil critique noir solide et d’un débat vivant. La fausse communauté est mesquine, peu sûre et volubile surtout quand il s’agit de nourrir de petites compétitions personnelles. Mais jamais elle n’énonce un projet. La confusion entre visibilité et existence, entre reconnaissance et existence pour soi, produit ce sentiment d’une communauté morbide, toujours vaguement souriante, mais vide. Il est urgent de réapprendre à avoir des rapports plus intimes, plus personnels et à former des espaces pour exprimer nos désaccords et nos différences. Et il faut aussi apprendre à dépersonnaliser les conflits pour leur redonner leur valeur politique en les examinant à l’aune du projet et des règles d’une communauté en devenir.
V.C.-G. : De mon côté, je voudrais prolonger la réflexion des plaques mémorielles, également questionner l’importance et l’efficacité de ces plaques censées à même de réparer quelques chose de nos invisibilisations structurelles comme tu dis Cy et la mettre en lien avec les conditions de nos présences dans certains lieux : à quelles conditions est-ce qu’on accepte d’être présent quelque part, pour y faire quoi, pour parler à qui, pour continuer à travailler quel espace et quelle critique ? Dans notre texte, avec Olivier, nous avons énoncé l’importance de “situer” notre parole ou, pour le dire autrement, de parler au sujet de lieux et à partir des lieux où nous avons des prises. Et donc, le pendant de cette condition, dans mon travail, c’est d’éviter de parler en généralité pour adresser la question décoloniale et antiraciste depuis un contexte où j’ai des prises, tout simplement parce que je le connais. L’enjeu pour moi, c’est d’essayer de rester efficace, bien qu’on puisse l’être aussi d’autres manières évidemment. Et donc la plaque et la ritualité de l’espace dont tu parles Olivier, ça m’évoque à Bruxelles, l’énorme statue équestre de Léopold II, place du Trône à Bruxelles ; Léopold II qui est ce roi génocidaire sous le régime duquel il y a eu plus de 10 millions de victimes congolaises sur une courte période de temps (1884-1908). A cette période, de manière très singulière dans l’histoire mondiale du colonialisme, le Congo était sa propriété privée. Il s’agissait d’un régime extrêmement cruel. C’est étrange de parler de la cruauté comme cela, en donnant l’impression de classer les pays occidentaux selon leur degré de cruauté coloniale. Vu la cruauté globale, un tel classement ne présente aucun intérêt. Mais néanmoins, juste pour situer historiquement le colonialisme belge sous Léopold II, je souligne que le régime de Léopold II au Congo a été pris comme référence par pas mal d’acteurs, notamment afro-américains, pour problématiser la question de la violence inhérente à l’impérialisme occidentale. Autour de cette statue, il y a eu et continue d’y avoir des débats sur “qu’en faire ?” : poser une plaque de contextualisation, la déplacer dans un musée, etc. Par rapport à la plaque commémorative dans un lieu ou une architecture de ville qui incarne l’histoire de l‘esclavage et du colonialisme, il ne faut pas sous-estimer ce que peut-être une archive majoritaire. On pense souvent qu’une archive majoritaire, ce sont les documents et les écrits qui contiennent quelque chose d’un événement passé ; une lecture dominante. Je pense qu’il y a à élargir ce qu’on entend pas archives majoritaires. Voir qu’il s’agit avant tout, au-delà du document, d’un jugement. Une manière de dire l’histoire à partir d’un jugement. Un jugement qui acte de qui furent les bons qui furent les mauvais. Et à ce titre la statue de Léopold II mais aussi le bâtiment du CAPC, tout comme le musée royal d’Afrique centrale à Tervuren (musée d’origine coloniale dans la périphérie verte de Bruxelles dont l’architecture imposante néo-classique détient des dizaine de milliers d’artefacts culturels, de spécimens animaux et végétaux spoliés pendant la colonisation et qui, aujourd’hui continue d’être un acteurs clés du discours institutionnel sur la colonisation), ce sont des archives majoritaires en tant que telles. Le patrimoine volé du Musée royal d’Afrique centrale mais aussi le fait que son exposition permanente reste très fermée sur toute l’histoire des résistances, des insurrections et des révoltes anti-coloniales correspond à un certain ordre archivistique. On peut dire que c’est un ordre archivistique au sein duquel les corps et les sujets noirs apparaissent le plus souvent comme mutilés ou muets pour le dire comme Marisa J.Fuentes, historienne qui travaille sur le mode de production des archives sur l’esclavage. Je pense que ces représentations qui se dégagent de la manière dont ces lieux font archives ont des conséquences sur la manière dont, en tant que personne noire, on se ressent dans ces lieux. En tout cas, il n’est pas attendu que dans ces lieux (c’est la même chose pour les universités), les personnes noires y soient là, pleinement, qu’elles soient là en tant que sujet entier. Je pense que l’ordre archivistique que ces lieux incarnent, en amont donc des politiques internes à ces lieux, nous interdit ou nous refuse une présence pleine. C’est quelque chose qui se manifeste fort lorsqu’ on ressent un malaise à l’intérieur de certains lieux, parfois même avant d’y être arrivé. Je pense qu’il est important de considérer que c’est là l’effet d’une archive majoritaire dont l’esprit s’étend dans les lieux et dans l’espace ; la logique archivistique du jugement de l’histoire, la bonne histoire transpire par les murs. Et donc la question c’est, “comment on se sent en tant que personne noire dans ces lieux ?”. A cet égard, je pense que si je n’étais pas venue ici avec la réflexion que nous avons eue Olivier et moi et Mémoires et Partages, en préparation d’aujourd’hui, j’aurais senti un extrême malaise en venant ici en me disant, tiens mais il y a quelque chose ici qui ne m’attend pas, il y a quelque chose qui n’est pas reliée aux puissances avec lesquelles je peux faire quelque chose. Il y a beaucoup de témoignages de personnes noires qui évoquent des phénomènes de malaise dans les lieux blancs d’archivage, et les travaux d’Ashley D. Farmer en parlent (à propos des bibliothèques des universités notamment). Ce n’est pas seulement une question intime, en lien avec des interactions et une façon d’être regardé. Il y a une étrangeté qui se dégage de ces lieux dans le rapport aux corps noirs étant donné l’esprit de l’archive qui habite ces lieux. Et donc du coup pour en venir à la plaque je pense que ce dispositif bien qu’intéressant n’est pas nécessairement à même de challenger l’esprit de ces archives spatiales ou disons qu’il s’agit de penser sa disposition en conséquence (sa taille, son contenu, son emplacement exact, etc.). Ce qui est certain, c’est que ces espaces et leur ordre archivistique posent la question de comment habiter ces espaces en convoquant d’autres forces. Et je pense que ça, c’est quelque chose d’extrêmement important.
C.L.M. : Effectivement, ce que tu dis Véronique pousse à rappeler que l’archive institutionnelle, c’est d’abord un espace, une infrastructure logistique qui pèse sur les modalités d’existence et de relations en son sein, sur les corps considérés comme mineurs, les affects de celleux qui les traversent ou manient les archives qui y sont conservées. Rappeler cette charge de violence-là, c’est une manière aussi de refuser la pacification de lieux, d’infrastructures, d’objets qu’on veut nous faire considérer comme neutres ou progressistes. Et cela résonne avec plusieurs expériences et événements récents, notamment cette politique des plaques dans l’espace public. Je voudrais reparler de ce que je mentionnais au tout début, c’est-à-dire de la production d’un certain nombre de symboles mémoriels dans la rue, notamment en France, de la manière dont ils deviennent des instruments politiques, notamment dans le contexte récent et à venir des élections municipales. Comme je le disais, dans le cas de Marseille par exemple, la symbolique des plaques correspond, de la part de la mairie menacée par le retour de la droite aux prochaines élections, à une quête de distinction idéologique de la gauche socialiste. C’est important pour elle parce qu’elle soutient simultanément depuis son arrivée au pouvoir des logiques répressives et sécuritaires très proches des politiques de ses adversaires. Ce récent soutien envers quelques symboles éparses de mémoires queer raconte autant un type de progressisme indexé sur des calculs politiques, qu’un désir émanant des pouvoirs en place de pacifier les formes de violence et de répression hantant l’espace public et mémoriel. Dès lors, on a déjà évoqué cet enjeu, il s’agit de se demander comment on arrive à rendre de nouveau perceptible ces formes de conflictualités au présent, à refuser de lisser la charge trouble de l’usage des symboles mémoriels dans l’espace public comme des lieux institutionnels de l’archive. Quitte à en pirater les usages, comme tu le suggérais Olivier. Preuve que toute plaque n’est pas bonne à défendre à Marseille, il y a quelques années en 2021, je me souviens encore de la pose d’une plaque-stickers collée sur un mur rue des Feuillants près de la Canebière, lors d’une marche d’hommage à Zineb Redouane tuée par la police. Comme les peintures pro-palestiniennes, elle n’a pas fait long feu.
Un autre exemple me semble résider dans les manières dont les infrastructures mémorielles et les centres d’archives fonctionnent aujourd’hui. Lorsque je me suis rendu aux archives départementales à Marseille pour y chercher des histoires de dissidence sexuelle antérieures aux années 50 il y a quelques semaines, c’était la première fois que je me rendais depuis longtemps dans un centre qui n’était pas géré de manière communautaire par des concerné.es ou plutôt, je devrais dire, par des personnes engagées et affectées ayant à coeur de transmettre ces mémoires qui m’engageaient en quelque sorte. Ce qui a été marquant immédiatement, c’était le poids qui pesait à la fois sur la manière d’accéder aux archives, mais aussi d’échanger avec les professionnel.les de l’archive, d’être renvoyé à des interactions rigides, bureaucratiques et dé-passionnées, passablement désaffectées vis-à-vis des rares traces conservées des présences queers. Ce genre de rapport et de contact répond exactement à l’idéologie politique traditionnelle de l’archive, circonscrivant le type d’affect mobilisé dans les échanges, rigidifiant les protocoles d’accès aux traces de vies “fauchées”, comme le dirait Arlette Farges, par l’administration policière ou médicale française. L’archive institutionnelle se définit par un apparatus, des mécaniques de sélection et de transmission qui appauvrissent considérablement la richesse d’une relation aux traces des mémoires minoritaires. Et je ne suis pas convaincu par le fait qu’elle puisse être autre chose ou plus que cela, en dépit des volontés les plus récentes de dédier des journées spécifiques aux mémoires minoritaires ou de mettre en avant ses fonds estampillés LGBT+.
Le dernier exemple de la manière dont la violence politique et institutionnelle peut très bien subsister au sein de gestes mémoriels présentés comme réparateur des mémoires queers, c’est en l’occurrence cette loi qui a été discutée au Sénat, sur la question de la réparation de la répression homosexuelle portant sur la période 1945 et 1982. Cette “réparation” est non seulement purement symbolique mais elle refuse évidemment, sur le plan politique, de penser la manière dont ont été réprimé.es les dissident.es de l’ordre sexuel et les homosexuels dans des périodes antérieures et postérieures à ces périodes. Cette compréhension extrêmement restreinte de la manière dont se construit la violence étatique à l’encontre des corps et des sexualités déviantes dans l’espace public, et de ce que l’on considérait comme l’espace public, nous rappelle à ce besoin inhérent du pouvoir de déguiser sa propre violence, de la reconfigurer comme un événement, comme une irruption circonscrite dans le temps, plutôt que de prendre en charge une continuité historique, un continuum répressif.
O.M. : On a aussi eu le vœu en venant toutes et tous ici de proposer quelque chose de “pédagogique”, si l’on peut dire les choses comme cela, offrir des prises, des possibilités, afin que l’on ne ressorte pas de cette rencontre rempli·es de rancœur et de passions tristes, mais avec des choses à faire, à développer, à activer. Ce que tu dis, Cy, met à mal l’idée que dans une infrastructure de violence, la bonne volonté des opérateurs qui y travaillent suffit. C’est comme l’antiracisme néolibéral qui fait reposer le racisme sur les affects des gens. “Il y a des gens racistes et des gens pas racistes”, etc. En fait, moi, ça ne m’intéresse absolument pas de penser en ces termes. Ce qui m’intéresse c’est la production systémique du racisme, comment on vit dans une société raciste qui au demeurant n’a pas toujours besoin que les gens soient racistes, mais en a besoin dans les moments de crise. Quand le système produit des gens ouvertement racistes, paradoxalement, c’est qu’il est en crise. C’est un système raciste qui arrive au bout de quelque chose, qui est en mutation pour passer à une autre forme, un autre moment de son histoire. Lorsqu’il y a besoin d’entraîner ouvertement la population dans le racisme, comme on le voit en ce moment, c’est que le système raciste achève un cycle d’invisibilité. Il entre alors dans un autre cycle, visible et dicible. La parole est libérée, comme on dit, et les actes aussi [même si les affects racistes individuels, les réserves psychiques du racisme sont toujours maintenues à un certain niveau notamment par des productions culturelles et médiatiques, par des récits civilisationnels]. C’est pour cela que paradoxalement les violences policières sont des points de fragilité du racisme parce que ce sont des scènes où l’on voit clairement l’organisation sédimentée du raciste en action. En réalité, il ne faudrait jamais qu’il existe des moments où l’on voit, où l’on peut identifier une manière structurée d’agir qui est, sans aucun doute, raciste. Et donc, qu’est-ce qui se passe à ce moment-là ? On a besoin de la personne raciste. C’est-à-dire qu’on a besoin de singulariser l’événement raciste afin de dissimuler le continuum invisible du racisme sur le temps long. C’est une politique de visibilité maîtrisée. Et donc si l’on revient par ce chemin aux politiques de visibilité institutionnelle, la question est donc de savoir à quoi elles servent vraiment. Pour moi, une politique institutionnelle blanche de visibilité noire, c’est quelque chose qui interrompt le continuum noir, l’histoire qui se raconte au quotidien, qui se raconte de pair à pair, qui se transmet et se transforme. Il y a ici donc à la fois dissimulation d’un continuum mais aussi interruption car il s’agit là d’un continuum minoritaire que l’on ne veut pas protéger. La tradition noire s’en trouve figée, patrimonialisée, réifiée dans cette forme-là et pas dans une autre. C’est ce qui se passe avec les musées qui collectionnent des objets extra-européens pillés. En gros, le message est le suivant : les Noir·es veulent être visibles, ça on va pouvoir le faire et une fois qu’iels auront cela iels vont se tenir tranquilles. Je ne caricature malheureusement pas, car on nous prend quand même un peu pour des imbéciles. Dans ce discours de visibilité qui est littéralement devenu existentiel – on va nous faire exister en nous rendant visible – il y a cependant quelques problèmes. Le premier problème dont je viens de parler, c’est que cette forme de visibilité interrompt le continuum de l’histoire noire ; une dynamique horizontale et continue d’alliances est interrompue par la verticalisation d’un événement sensé être plus désirable et qui créé de fait une partition entre les différentes catégories de Noir·es – reconnu·es ou pas. Elle crée, on a discuté avec Véronique, ce que j’appelle des relations latérales, c’est-à-dire des gens qui passent dans la même pièce que vous, mais ne vous regardent pas dans les yeux, en fait, restent à distance. Ça, c’est l’état de la communauté noire produite par l’institution blanche : on se connaît, mais on a un peu de mal à se regarder dans les yeux, un peu de mal à passer vraiment du temps ensemble. Une distance est installée, et même entretenue, afin de rendre certaines alliances inopérantes et de maintenir en même temps certaines dépendances – notamment aux structures capitalistes blanches. Il faut sans cesse réparer la communauté après chaque séquence dite de visibilité, réparer l’histoire pour refuser qu’elle soit encore et encore remise à zéro en fonction d’un agenda blanc. C’est intéressant de comprendre qu’il y a beaucoup d’autres choses que font les communautés noires au quotidien, qui ne sont pas des choses faciles et visibles, qui demandent de l’attention, qui demandent de se comprendre, qui demandent de se parler, d’explorer et de répéter l’histoire, de former des alliances aussi et qui ne peuvent être extraites et vendues sur un marché même avec toutes les accompagnements poétiques et les métaphores foireuses du monde. L’événement de visibilité dans l’institution blanche ne peut donc être considéré comme événement positif sans réserve. J’y vois souvent, pour ma part, un principe de rupture. Et je trouve donc étrange, quelque part, que la question de cette forme de visibilité noire soit si peu contestée et discutée. Je la conteste pour ma part selon le principe de l’interruption des lieux noirs – physiques et psychiques – et depuis la perspective de celles et ceux qui participent à la lutte pour la conscience noire et le devenir des communautés noires dans le temps long, sans faux semblants et avec tous les risques que cela comporte.
V. C.-G. : Ce regard en latéralité que tu réussi à bien saisir et nommer Olivier, je pense aussi qu’il est tout droit le résultat de ces scènes de visibilisation. Il traduit une forme de malaise dans ce contexte où nos relations sont médiées par l’institution, il pose la question du rôle de chacun de nous là-dedans, des cooptations, des faux-semblants, etc. De nouveau, je voudrais me rattacher à la discussion à partir de la Belgique et à nouveau du Musée royal d’Afrique centrale. Il est intéressant de constater que cette institution qui s’est constituée à la fin du 19ème siècle sur base de donations coloniales (militaires, missionnaires, fonctionnaires, etc.) en tout genre, aujourd’hui cette même institution cherche à récolter le plus possible d’archives privées des familles africaines ou d’événements collectifs des communautés noires de Belgique. Les archives coloniales genre carnet de bord des expéditions punitives ou artefacts pillés au Congo côtoient – pas dans les mêmes salles mais dans le même bâtiment – différentes photos supposées retracer l’histoire des diasporas africaines en Belgique (je parle de la salle Afropea). Il peut y avoir une forme d’attrait à l’idée de disposer d’une histoire d’un seul tenant de la diaspora noire en Belgique. Mais c’est un attrait qui repose sur un fantasme muséal, et colonial même, “vouloir rassembler le tout”, “collectionner”, “patrimonialiser”. Or, sur cette base qui cherche à récolter et à accumuler, l’on voit bien que les archives noires sont appréhendées sans attention précise aux filiations familiales, communautaires ou encore d’événements dans lesquelles elles s’inscrivent, comme si l’on pouvait se passer de ces attachements, lorsqu’elles sont exposées. C’est dans ce type de contexte que je vois très bien le geste d’interruption dont tu parles Olivier. L’institution veut afficher une diversité, affirmer qu’elle serait passée à autre chose (ce ne serait plus un musée colonial, l’institution documente aussi l’histoire des Noirs) mais ce faisant elle délie, divise, en ponctionnant des éléments éparses, dans un milieu aux attaches multiples. Or des attaches ça ne ne peut pas se penser ou se représenter à travers un geste d’accumulation qui cherche à représenter le “tout”. Mais il y a en plus quelque chose de la dépossession qui se manifeste dans ce type d’exposition de photos d’archives noires ; elles apparaissent vides, éteintes, vidées de leur épaisseur.
O.M. : Cy parlait justement tout à l’heure de l’intervention communautaire dans l’archive, et moi, je ne confonds pas ces deux gestes-là. L’entrée active d’une communauté dans une pratique d’archive, ce n’est pas l’extraction des artefacts communautaires qui vont être mis en scène. Là, encore une fois, on est sur des nuances, mais qui vont avoir des conséquences très différentes à la fin sur la continuité d’une histoire.
C.L.M. : Évidemment, ça fait énormément écho à ce que j’évoquais tout à l’heure, à cette distinction entre les traces archivées institutionnellement parlant, c’est-à-dire ces moments où les services de l’Etat fauchent et consignent dans des documents administratifs quelques détails de vies, résultant d’une longue histoire de criminalisation des dissidentes de l’ordre sexuel et racial et le rapport singulier et spécifique qui peut se tisser avec des matériaux et types d’objets conservés par des archives communautaires. Tout le travail historique que j’avais mené pour des livres précédents, je l’ai principalement mené grâce à des médiateur.ices, des passeur.euses de mémoire, des archivacteur.ices pour reprendre un terme employé par Sam Bourcier, c’est à dire des personnes dans la communauté qui glanent, conservent des mémoires et ont pour désir et passion de les transmettre au plus grand nombre. Ce sont ces même personnes qui m’ont raconté des histoires, transmis des enregistrements, des photos, des bouts de carnets, des tapuscrits habité.es par leur mémoire sensible, subjective et collective, ont permis d’animer cette matière, chargée d’affects puissants, parfois difficiles à traiter ou à démêler pour cette même raison. Mais c’est ça aussi la vie d’une archive, une mémoire qui vit et vibre, qui nous attache de multiples manières.
Comme je l’ai déjà dit, il a été plus compliqué de se rendre compte que je n’avais pas du tout le même rapport et le même accès, justement, à l’archive quand j’allais dans des espaces plus institutionnels. Que face à de maigres traces évidées, il s’agissait alors d’accepter de “se retrouver aux prises avec la force et l’autorité de l’archive, et les limites que celle-ci impose à ce qui peut-être connu”comme l’écrit Saidiya Hartman [2]. Il s’agit plus encore de trouver des manières de faire contre-récit, de les ré-animer, d’amplifier des vies à partir d’absences criantes. Lorsque j’étais en visite dans un autre centre d’archives d’Outre-Mer à Aix la semaine dernière, on m’a rétorqué que c’était justement ça la définition de l’archive, une trace laissée au sein de l’administration, pas l’archive vivante, pas la pluralité d’objets randoms, de textes, de publications, de photos, d’artefact et toute trace alternative des vies. Se battre pour transformer notre rapport même à l’archive donc. Tout ce qui émerge et se consolide en France en ce moment est particulièrement intéressant. Tous ces centres d’archives plus ou moins autogérés qui se créent dans différentes villes de France, également hors de Paris, disent quelque chose d’un désir puissant qui n’est pas anodin. L’enjeu est évidemment, on pourra en reparler, de produire autrement de l’archive et de la mémoire vive, de la raconter autrement, de la diffuser autrement, de ritualiser des rencontres, des évènements, des pratiques de lecture et de dévoilement autrement autour des histoires et objets du passé, d’interroger la manière dont on se les raconte et dont on les active, pour reprendre ce terme-là.
TN : Véronique, tu souhaiterais nous montrer un extrait vidéo. Est-ce que tu voudrais dire quelques mots avant qu’on la lance ?
V.C.-G. : C’est une vidéo qui dure cinq minutes qui pour moi est très importante en termes d’archive minoritaire, de mémoire vive comme tu viens de le dire Cy. C’est un film qui selon moi mérite le statut d’archive dans ce sens qu’il ne consigne pas n’importe quel événement du passé (des souvenirs) mais il contient quelque chose, disons des puissances, importantes du point de vue de notre présent. Ce sont des puissances mobilisables dans notre présent et dont le rappel à travers cette vidéo permet d’aller contre les interruptions dont tu parles Olivier, de reprendre doucement possession. Je réfléchis d’ailleurs beaucoup au niveau bruxellois aux moyens possibles de diffuser cette vidéo qui est un film réalisé par Félix Baras qu’il à réalisé pendant ses études à l’ERG, une école d’art à Bruxelles. Vous allez voir c’est un événement d’hommage aux victimes de la colonisation qui a lieu autour de la statue de Léopold II dont j’ai parlé. Il a eu lieu le 17 décembre 2015. Deux semaines avant l’événement que nous allons voir, l’échevin à l’urbanisme de la ville de Bruxelles, qui est la mairie la plus importante de Bruxelles, prévoyait de rendre hommage à Léopold II à l’occasion du 150ème anniversaire de son intronisation. Quelque chose, soit dit en passant, cet hommage serait beaucoup moins facile à envisager pour le pouvoir aujourd’hui depuis l’émergence des contestations décoloniales en Belgique. L’hommage en question prévoyait une cérémonie devant la statue de Léopold II et une conférence sur la marque de Léopold II (dit le visionnaire d’un point de vue urbain) sur Bruxelles. A l’annonce de cet événement, les associations afro-descendantes noires très actives à cette période, notamment le collectif Mémoire Coloniale et Lutte Contre les Discriminations (CMCLD), l’asbl Change, le Binabi, la Nouvelle Voie Anti coloniale, ont d’abord protesté sur les réseaux sociaux. Elles ont ensuite appelé à ce qu’un maximum de personnes s’inscrivent à la conférence. À la suite de ça, voyant ces inscriptions, par dizaines, par vingtaines, les organisateurs ont décidé d’annuler la conférence, de même que la cérémonie dans un second temps sous prétexte d’un risque pour l’ordre public. Cette annulation fut une importante victoire à cette période, en 2015 puisque ça venait dire qu’en termes de narration historique quelque chose ne pouvait plus se faire ni se dire impunément. Les organisateurs ont décidé de ne pas s’arrêter là et d’organiser à la même date que celle prévue pour la cérémonie désormais annulée, autour de la statue de Léopold II, un contre-événement qui fut intitulé : « Pas d’hommage à Léopold II. Il a le sang des peuples du Congo sur les mains ». J’ajoute aussi qu’à cette période, cela faisait dix ans à peu près que nous nous battions pour l’existence d’une place au nom de Patrice Lumumba dont le lieu pressenti se situe à moins d’1 km de l’endroit où trône la statue de Léopold II. Je précise cela pour bien souligner quelque chose qui me semble important au vu de la prégnance de ces luttes urbaines : la rhétorique institutionnelle les réduit la plupart du temps à des luttes contre les monuments coloniaux en tant que, suggérant alors en “réparation” des éléments visuels, comme les plaques, alors que ces luttes portent bien plus fondamentalement sur des questions d’occupation de l’espace, et de la condition de ces occupations. Vous allez voir, c’est quelque chose dont rend compte très manifestement le film.
Vidéo
TN : on voit deux gestes qui pourraient sembler contradictoires, mais qui là vont fonctionner de pair dans cette même production de violence, et à la fois la toute fin de cet effacement qui se fait très rapidement, et un peu avant, comme tu l’as souligné quand on a discuté en amont en regardant cette vidéo, des journalistes qui viennent et qui vont se rapprocher pour prendre une photo juste de cette plaque saccagée, et donc, voilà, une sélection de ce qui va être rendu visible pendant que l’effacement se produit le moment d’après. Et qui évoque du coup aussi, on va vous reprendre ce qui a ouvert un peu la discussion, cette manière de s’inscrire dans une continuité, ce qui permet d’avoir justement, de créer des prises sur l’archive majoritaire, et aussi cette manière de convoquer les morts.
V.C.-G. : Oui, en effet, il y a beaucoup de choses à dire à partir de ce film qui rend très bien compte de l’événement. Et comme tu le soulignes Quentin on voit ou plutôt on ressent la manière dont, lors de cet évenement, les mort.es sont convoqué.es. D’un point de vue occidentalocentré focalisé sur une mémoire cérémoniale, l’on pourrait se contenter de dire que c’est un événement de commémoration aux victimes de la colonisation, une façon de ne pas oublier ce qu’elles ont enduré et de leur rendre hommage. Mais il y a plus ou, plutôt, c’est autre chose. D’une part, par l’intensité qui se dégage de cet événement qui se déroule dans un moment fort de reprise de possession (de braquage de la ville coloniale), il faut bien préciser que les mort.es convoqué.es sont des mort.es dont la mémoire a été souillée, ce sont des morts sans sépultures comme on en parlait dans notre introduction. Il y a fort à parier dès lors que ce sont ces mort.es eux-mêmes qui appellent les vivant.es (et non l’inverse) et, qu’à travers la réponse aux mort.es, une relation aux mort.es s’instaurent. L’on voit aussi qu’il y a une condition à ce que cette relation puisse s’instaurer : cette relation réussit à s’instaurer, à condition, semble-t-il, que le lieu soit réaménagé et instauré totalement différemment d’un point de vue esthétique. C’est le lien entre esthétique et ontologie dont parle Fred Moten. Outre le giclage de peinture rouge sur la statue de Léopold II, les gants en plastique gonflés, les petites bougies au sols, les fleurs, on ne le voit pas dans le film, mais il y a aussi des chants spirituels, il y a une table avec des livres, des poings levés, des discours. Et, précisément, ce qu’il faut noter, c’est que le contenu du discours anti-raciste décolonial se radicalise. Donc, la relation aux mort.es permet d’approfondir la conscience noire, plus que ce n’est le cas dans la quotidienneté des rapports aux institutions qui brandissent toujours des promesses. Ici, il y a comme une conscience dévoilée qui, dans la relation aux mort.es, devient possible.
La deuxième chose qui est intéressante dans ce film, c’est qu’il donne à voir grâce à la persistance du regard de son réalisateur qui est resté suffisamment longtemps sur les lieux, le geste d’interruption qui va s’effectuer, comme tu viens de le dire, dans l’instant immédiat qui suit la fin de ce recueillement. En effet, l’effacement vient immédiatement après et dans le film il se matérialise par les agents de la ville qui en quelques minutes, au karcher, ont “nettoyé” la place. Il se matérialise également par le cadrage des journalistes, que l’on voit dans la vidéo, qui vont prendre des photos de presse se limitant à des images du socle badigeonné de rouge, rien d’autre, pas de visages, pas de bougies, pas de discours. La presse aura d’ailleurs titré le lendemain : “La statue de Léopold II vandalisée”. Il est clair qu’aujourd’hui comme hier, il est quasiment impensable d’organiser un tel événement dans un lieux qui symbolise le pouvoir comme celui-là. Je veux dire, en temps normal, à tous les coups, la police débarque et met un terme au rituel en train de se mettre en place. Il faut bien voir que c’est un lieu hyper central de la ville, il y a le palais du roi et le parc royal derrière, la place est entourée par les grands axes de la ville, on n’est pas dans le “quartier” pour le dire comme ça. C’est le même genre de quartier qu’ici autour du CAPC, assez emblématique de la ville bourgeoise. Ce qui s’est passé d’exceptionnel le 17 décembre 2015, c’est qu’une sorte de fenêtre a été laissé délibérément ouverte le temps de gérer la crise : les collectifs ont été tacitement autorisés, pendant un temps très court, à occuper les lieux, une façon, de fait, de gérer la crise, c’est-à-dire, de pacifier la situation. Jusqu’à ce que très vite toutes les traces de l’événement soient effacées, médiatiquement et physiquement. Il s’agissait que cette occupation reste le plus éphémère possible. Et donc, selon moi, il importe de réfléchir à ce problème bien précis : le fait que dans le régime des villes occidentales, les moments d’ expression des communautés noires, lorsqu accompagnées de leurs puissances, notamment les mort.es, sont toujours des moments extrêmement réduits parce que très vite s’ensuit des gestes de mise à mort, de destruction, de disqualification ou d’effacement. C’est en raison de cette éphémérité contrainte, dont tu as aussi parlé Cy, que l’archive minoritaire est très importante, pour garder une mémoire vive de moments politiques fondateurs comme celui-là, en 2015, autour de la statue de Léopold II.
O.M. : Ce qui me semble aussi important de souligner ici c’est que cet événement-là s’est déroulé à un moment donné. L’institution, elle, le sait très bien. C’est enregistré, consigné, pour mieux le faire disparaître. Alors que des personnes minoritaires qui travaillent dans le champ de la culture ou de l’art notamment ne sauront peut-être pas que cette action autour de la statue de Léopold II s’est déroulée avant le deuxième Black Lives Matter de 2020. Peut-être que cette archive minoritaire pourrait servir à leur faire savoir. Une autre chose intéressante est que cela permet de mesurer combien les déplacements institutionnels qui se produisent par rapport aux enjeux minoritaires sont en fait en relation avec des choses qui se passent à l’extérieur de l’institution. Ce qui va à l’encontre d’une narration qui met systématiquement en avant la générosité de l’institution à accueillir certaines questions, à se décoloniser elle-même, spontanément. La capacité à comprendre que ce qui se passe dans l’institution est la conséquence d’événements qui se passent en dehors de l’institution, est un enjeu central pour nos cercles minoritaires. Car il nous faut savoir à qui on doit quoi. A qui et à quoi doit-on que l’on montre aujourd’hui des personnes noires, racisées et queer dans les lieux d’art contemporain ? Est-ce qu’on le doit à la générosité éclairée des gens qui y travaillent ? C’est exactement la même question qui se pose pour nous, Caribéen·nes français·es, par rapport à l’abolition de l’esclavage. Est-ce que c’est à Schoelcher, l’abolitionniste, que l’on doit la fin de l’esclavage comme nous le disent les manuels d’Histoire ? Ou aux luttes depuis les premiers jours de l’esclavage, lors des rapts en Afrique, sur les bateaux, dans les plantations, partout où des personnes esclavisées ont refusé ce destin-là, jusqu’à produire l’échec du projet de l’esclavage. Parce que l’esclavage ne s’arrête pas pour des questions morales. Alors pourquoi cela s’arrête ? L’argument qui va être débattu au moment de l’abolitionnisme est en fait un argument essentiellement capitaliste. Avec tout ce que cela coûte de protéger les plantations à présent, afin de juguler les révoltes et de récupérer la matière première que l’on ne cesse de perdre – par la fuite des esclavisé·es – on est arrivé quasiment au même niveau de bénéfice que l’indigénat – qui va progressivement devenir la règle dans les colonies à partir de cette période. Créer de différentes manières des sous-citoyens français cela pose beaucoup moins de problèmes et c’est à peu près aussi rentable maintenant. C’est cela la réalité. Mais qui produit donc le fait que l’esclavage devient si peu rentable au cœur du 19ème siècle, si ce ne sont les résistances des esclavisé·es elleux-mêmes ? La logique de cette abolition peut être évidemment aussi lue dans la perspective majoritaire : c’est la bonté de la France qui, après des siècles, se réveille soudain un matin et se dit « l’esclavage, quelle horreur ! ». On a du mal à le croire mais c’est pourtant la ligne narrative de ce qu’on appelle “schoelcherisme’ qui consiste à mettre un peu partout en Martinique et en Guadeloupe des statues de Schoelcher pour qu’on se rappelle de le remercier, chaque année, d’être né et d’avoir mené ce combat difficile depuis l’intérieur de l’institution. C’est un truc assez sadique qui n’a pas fini de se répéter sous des formes diverses. Parce que globalement, qu’il ait été de bonne volonté, ce monsieur, ne fait aucun doute. Et qu’il ait rencontré une forte adversité comme c’est le cas aujourd’hui de professionnel·les dans des institutions totalement fossilisées et racistes, est une fait. Mais cela n’explique pas pourquoi on donne autant de poids à ses choix politiques par rapport à la situation économique produite par les résistances. Je parle de ça aujourd’hui parce que je pense que le changement des régimes de visibilité des personnes minoritaires dans les institutions de l’art répond au même paradoxe narratif. C’est-à-dire que c’est parce que des luttes se sont déroulées, parce que des lieux parfois fragiles ont vu le jour, parce que des recherches ont permi de produire d’autres archives, parce que des revendications ont été portées par des gens qui y ont laissé parfois leur vie, que quelque part, quelque chose s’ouvre. Ce n’est pas par la bonne volonté éclairée de gens qui avaient fermé la porte auparavant. C’est donc le même combat narratif qui se répète. Ce que nous devons absolument savoir dans une perspective d’émancipation noire, c’est qui l’on doit honorer. C’est de nouveau une question d’ancestralité et de filiation. Alors que quand on entend Paris-Noir, on a l’impression que c’est grâce à Paris que les Noir·es ont produit des pensées anticoloniales – et pas contre la capitale d’un Empire justement. C’est quand même dingue. Des personnes noires se sont retrouvées à Paris dans des chambres miséreuses, dans des conditions de vie très difficiles uniquement parce que Paris était la capitale d’un empire, comme Londres, Bruxelles ou Lisbonne. Et qu’iels furent de ce fait obligé·es de rejoindre ces capitales qui avaient accumulé les savoirs et les richesses pillées chez eux et produites avec les corps des leurs pour fabriquer des vies dignes et des moyens de se défendre. Paris est la capitale de la dette en réalité. C’est cela la vérité. Dans le régime d’interruption d’une histoire continue dont je parlais plus tôt, il y a donc un deuxième effet de perturbation : la remise en narration d’à qui on doit quoi. Ce qui fait qu’encore une fois, au sein de nos communautés, on n’arrive pas à se regarder entre celleux qui participent aux célébrations institutionnelles et celleux qui n’y participent pas. Alors que pour moi c’est un non sujet. En fait, j’ai envie de répondre aux gens qui me posent la fameuse : « Mais Olivier, comment on mange alors ? – Et bien tu prends l’argent qu’on te donne et tu ne crois pas les histoires qu’on te raconte. C’est simple. ». Il ne faut pas avaler la boulette magique cachée dans les billets. On te donne de l’argent pour faire un projet, tu fais ton projet, tu payes des factures, et après, tu te mets au travail dans tous les endroits où se racontent réellement l’histoire. Pour moi, il ne doit pas y avoir de confusion entre l’endroit qui a financièrement les moyens de présenter ton travail et l’endroit qui est porteur de la narration de pourquoi ton travail est montré. Et surtout si tu finis par te fâcher avec des gens de ta communauté à propos de qui est dedans et qui est dehors, là cela devient une triple interruption ! Et ça c’est une bêtise car l’institution blanche ne doit absolument pas être un sujet noir. Notre sujet est complètement ailleurs. Tu as besoin de payer des factures ? Paie tes factures comme nous devons toutes et tous le faire. Ce n’est pas un débat. Le vrai débat, c’est comment on raconte nous-mêmes l’histoire du pourquoi et du comment on est encore là à répéter toujours les mêmes conflits, mais surtout la manière dont nous avons survécu à des processus de déshumanisation et d’asservissement pour revenir non pas par la grande porte qu’on nous aurait ouvert généreusement, mais par une fenêtre brisée, de manière inattendue, comme nous le faisons aujourd’hui encore pour hanter les lieux avec des histoires intempestives.
C.L.M. : Ce qui veut dire aussi, parce que le sous-titre de notre intervention implique la notion de régénération des luttes, de produire des formes et pratiques mémorielles qui ne visent ni ne prétendent réparer une violence systémique passée mais qui tendent plutôt à obliger et transformer nos regards et nos modes de relation au présent. J’ai rapidement évoqué les multiples collectifs d’archives LGBTQI. Je pense que l’un des enjeux aujourd’hui, c’est de ménager la manière dont nous entretenons des complicités avec les institutions comme avec les financeurs privés, dont nous parvenons le plus possible à résister à l’institutionnalisation de nos pratiques autogérées, aux formes de management qui les guette, aux imaginaires marchands qui reconduisent ces mêmes logiques de visibilité, de réparation et de patrimonialisation. Ce qui ne veut pas dire que des archives indépendantes ne seraient pas visibles, mais qu’elles le seraient selon leurs propres conditions, dans des modalités d’apparition et d’intensité qui ne répondraient ni aux définitions politiques changeantes des dominants ni aux intérêts du système culturel caractéristique du capitalisme tardif, dont on ne peut saisir aujourd’hui que la vacuité, le caractère utilitariste et changeant.
Ce qui permet aussi de penser autrement la question de la durabilité. Faut-il absolument s’assurer de la pérennité institutionnelle ou patrimoniale de nos archives ? Dans un contexte politique comme le nôtre, je n’en suis pas certain. En revanche, reprendre des principes d’organisation coopératifs, mutualisant les ressources et les savoirs afin de renforcer l’existence d’espaces autonomes politiquement, un maillage et un réseau susceptible de donner moins d’importance aux dépendances étatiques et privées, oui ! Je prends pour exemple l’article de Roméo Isarte dans le numéro 3 de Trou Noir [3], et du réseau Big Tata, une plate-forme numérique qui permet de mettre en partage les catalogues comme les ressources de différents groupes, notamment Mémoires minoritaires de Lyon, Mémoires des sexualités à Marseille, les archives toulousaines, et si je ne dis pas de bêtises, les archives LGBTQI de Paris. Ce qui est intéressant dans ce modèle décrit par Roméo dans son texte, c’est évidemment la mise en application du principe de mutualisation et d’entraide qui est à l’opposé des fonctionnements et des infrastructures des archives institutionnelles. Et ça, je pense que ça aussi, si on pense la régénération, c’est aussi important de se dire : bon, on crée quoi comme infrastructures résistantes, comme clair-obscur qui nous permet autant d’investir l’espace public et institutionnel, d’arbitrer les manières de récupérer l’argent là où il est quand cela s’avère nécessaire , que de conserver et partager nos mémoires comme on le souhaite, de déployer des matières obscures, complexes, critiques qui nous donnent matière à analyser la complexité du réel et de l’élan pour déjouer les jeux politiques et la reproduction de la violence au présent.
V.C.-G. : Par rapport à cette régénération dont tu parles Cy, ça me permet de rebondir en lien avec ce que tu disais Olivier lors de notre préparation, ça m’a fort marquée avec Franco Lollia donc de la Brigade anti-négrophobie, qui a été condamné pour avoir écrit « négrophobie d’État » sur le socle de la statue de Colbert. Et alors, on discutait, on disait, on spéculait, toi tu spéculais, Olivier, en disant « Oui, il est encore probable que d’ici deux ans, on trouve une œuvre d’art sous forme de plaque sur laquelle il serait inscrit « négrophobie d’État » dans une institution artistique ». Ca m’a fait penser à autre chose qui est liée à ces réactions/récupérations institutionnelles à retardement. Avec d’autres, je suis fort active sur les questions de violences policières en Belgique. Il y a ce jeune belgo-guinéen, Lamine Bangoura, qui a été tué extrêmement brutalement par la police, étouffé, à la manière de George Floyd, en mai 2018. Son corps a été maintenu dans la morgue pendant trois ans. Le responsable de la morgue réclamait 30 000 euros à la famille pour récupérer le corps. De son côté, la justice a proclamé un non-lieu quand bien même des images sans appel du crime ont circulé. Ces râles d’agonie ont été interprétés par l’instruction comme des rugissements. Via notre collectif de soutien à la famille, et un réseau élargi qui s’est constitué, notre lutte a permis notamment à ce que le corps soit libéré. Ce qui a été très significatif, c’est de constater que la presse, mais aussi le milieu artistique, le théâtre, a commencé à s’intéresser à l’affaire de Lamine Bangoura et à la relayer, une fois que tout était derrière, qu’il n’y avait plus de combat à mener. Tous les recours avaient déjà été tentés. Avec la presse ce fut très parlant. Tant que nous étions situés à l’endroit de la lutte, c’est-à-dire, pour être exact, situé à l’endroit d’une condition indigne et méprisable d’un corps défunt, noir, traité avec le plus grand des irrespects existants, la presse détournait le regard. En revanche, une fois que le corps a été récupéré, c’est alors qu’elle s’est mise à vouloir documenter ce processus d’une dignité retrouvée. Ça ça l’intéressait.
Cette spéculation qui imagine cette œuvre “Négrophobie d’Etat” dans une institution d’art, alors que Franco Lollia a déjà été condamné, parle de ce même phénomène-là de réaction à retardement. Autrement dit, il y a une création de valeur qui s’effectue sur nos luttes, une fois que celles-ci ne recouvrent plus d’enjeu direct et que la souillure de la condition noire avec laquelle il faut se battre ne risque plus de contaminer les institutions blanches. C’est seulement après qu’une valeur est instituée, une valeur de nouveau qui produit une interruption dans les luttes pour reprendre ton terme, Olivier. Et donc pour rebondir par rapport à la régénération des luttes, quelque chose qui serait intéressant serait d’apprendre à agir, pour ceux et celles qui le souhaitent, dans le bon timing, en temps et en heure. Et donc pourquoi pas reprendre quelque chose d’une puissance, telle le “Négrophobie d’Etat”, mais à un bon moment, pas après que tout soit déjà plié. A un bon moment, amplifier son intensité à travers une production artistique, pourquoi pas sur les murs d’une institution. La penser en grand alors. En tout cas, faire attention à ne pas la réduire ni à s’approprier cette puissance. Montrer une attention très, très précise à comment on reprend quelque chose pour intensifier, sachant que, en fait, que ce sont des puissances mises en condition de vulnérabilité, et qu’il faut être extrêmement attentif à des choses qui ne sont pas des détails. Notamment, le timing, la dimension, etc.
O.M. : Je voulais ajouter quelque chose justement à propos de ces régimes d’intensification qui concernent notamment l’une de ces figures radicales souvent tenues à distance, dans un temps lointain : la figure du marron. Puisqu’une fois que le temps du danger est en quelque sorte passé, vient évidemment le temps de la valeur capitaliste. Alors qu’en fait des marrons, vous en avez encore aujourd’hui qui vivent en campagne dans les colonies d’Outre-Mer parce que l’Etat française n’a eu de cesse de les pourchasser, des gens qui ont été engagés radicalement dans la souveraineté de nos territoires, qui ne peuvent plus prendre la parole publiquement, et qu’on te conseille vivement de ne pas fréquenter. Et puis si toi, tu les fréquentes, tu deviens radioactif à ton tour, il ne faut plus te fréquenter toi, et ainsi de suite. Donc on reproduit des systèmes d’exclusion de certaines vies et en même temps d’extraction des images de ces vies rebelles. On extrait le capital de la radicalité, tout en rejetant le danger sur les autres. Pour moi, participer à un lieu qui produit une archive minoritaire, c’est aussi assumer la responsabilité collective de tenir ce lieu. C’est une responsabilité et une prise de risque également. Il faut savoir se salir les mains, prendre sa part de criminalité. Parce que les vies minoritaires sont souvent criminalisées et que nous devons apprendre à partager la charge qui pèsent sur celles et ceux qui n’ont pas de papier, qui sont traité·es comme des animaux, qui sont jeté·es à la rue ou tué·es par la police, harcelé·es par l’Etat. Être solidaires concrètement est bien plus urgent que d’aller parader dans des institutions avec des espèces de bons mots et des métaphores de ces vies-là. Je crois que c’est quelque chose qu’on doit pouvoir se dire sincèrement. Parce qu’après, on ne peut pas se demander pourquoi cela ne va pas dans la tête ? Les problèmes de santé mentale dans nos communautés ne sont pas seulement le fait de la transmission épigénétique de traumas passés. C’est l’une des réalités, mais pas la seule. Ils sont aussi liés à ce qu’on est en train de faire. Si au quotidien, tu ne fais que des choses qui sont des formes négatives de vie, qui sont des non-vies, qui ne sont pas des vies bonnes, psychiquement, ça ne va pas. Tu n’arrives pas à regarder les gens en face parce que tes actes ne correspondent pas à ce que ton corps te raconte, à ce que tes émotions te racontent. Aujourd’hui, on fait comme si la santé mentale était déconnectée des options politiques que l’on décide de prendre. Mais pourquoi les gens de nos communautés vont mal ? Parce qu’ils vivent dans des environnements toxiques et qu’ils font parfois des choix qui sont des choix destructeurs pour elleux et pour les leurs. Quand tu vis dans une lutte solidaire, tu as beaucoup d’autres problèmes, c’est clair, mais mentalement c’est quelque chose qui te porte et qui est différent. Tu sens que tu vis quelque chose de juste, que tu es dans la réalité, une réalité impure qui n’est pas une esthétique de soi, une manière de se regarder être une belle personne avec les mains propres qui passent son temps à éviter les conflits en remettant toujours la balle au centre, en rendant toutes les positions équivalentes, sous prétexte d’être mesurée. C’est intense, c’est matériellement dur parfois, parce qu’on se fait attaquer, cela peut être épuisant, mais mentalement ce n’est pas du tout la même sensation, le même état de déprime que de choisir des vies cyniques. Partout où je vais, je sens que je parviens à transmettre de l’enthousiasme, de l’énergie vitale et pas cette espèce de morbidité qui envahit nos communautés. Car tu arrives à avoir du vrai amour pour les tiens, tu peux les regarder sans que cela soit une mise en scène pour un autre regard, une posture. On peut recomposer ensemble le cercle où tout le monde voit tout le monde. Faire face. Je te vois. Je ne te dis pas bonjour avec une main molle et un regard qui fuit. Je te regarde et je te dis “ Voilà bonjour, comment vas-tu ? ” Et je veux vraiment savoir comment tu vas, cela m’importe. Je ne passe pas devant toi en regardant mes chaussures. Je ne me tiens pas vaguement à distance. C’est cela que j’appelle le regard latéral qui est la marque directement visible dans le corps du pourrissement qui nous envahit. Et comme tout devient latéral, on finit par confondre politique et ragot, politique et diffamation, politique et call out. Excusez-moi les amis mais la politique ça se fait en regardant les gens dans les yeux, ça ne se fait pas en faisant pschit, pschit, pschit. Et évidemment nous vivons dans des sociétés où le pschit, pschit, pschit marche bien, où certaines personnes mettent volontiers une pièce sur le pschit, pschit, pschit et remettent une autre pièce encore et encore. Et la division avance, tranquillement, sans effort à partir de cette pseudo-politique sans face. Il suffit de dire une bêtise sur quelqu’un que personne ne prend la peine de vérifier avant de la colporter et c’est gagné. Désolé, mais ça, c’est beaucoup d’énergie dépensée. Moi, je vois des gens qui n’ont rien produit de conséquent en termes de possibilités de vie pour les autres, même pas de toutes petites choses en termes de contenu, de lieu d’émancipation, d’efforts collectifs, de texte, d’œuvre. Tu te dis que ce serait quand même possible de ralentir alors un peu sur les ragots et d’écrire un poème parce que c’est quand même plus intéressant de lire un poème que d’entendre des gens répéter de vagues méchancetés gratuitement. Et je parle de cela parce que ce sont des choses sérieuses qui participent à des méthodes lentes mais sûres de destruction de nos communautés. Et évidemment, tu trouveras toujours des personnes et des institutions blanches tout à fait bienveillantes pour proposer une médiation là où il y a des conflits noirs. Et l’on revient par une autre chemin à nos histoires d’interruption narrative. Il me semble indispensable qu’une communauté minoritaire soit en mesure de prendre en charge sa propre médiation car c’est là la condition de son autonomie. Ce que je veux dire par là, c’est que ce n’est pas parce qu’on aura trois petites idoles que nos communautés survivront à cette méthode de destruction à petit feu des choses que nous sommes capables de faire ensemble, des choses qui valent la peine et qui produisent des vies bonnes, qui font que l’on peut se regarder dans les yeux, penser et rêver ensemble, manger ensemble, danser ensemble, sans avoir besoin de se filmer en train de le faire pour le diffuser sur Instagram.
Question du public :
« Bonjour, j’ai une question sur la stratégie politique possible en dehors de la visibilité ? »
O.M. : La visibilité apparaît comme une bonne chose uniquement parce qu’on n’y a pas réfléchi très sérieusement en vérité. Le premier point serait donc de se poser vraiment la question de la valeur même de la visibilité dont nous parlons dans les mondes de l’art ? Je viens d’une culture qui a survécu en devenant invisible. La question du marronnage, c’est justement la possibilité de la disparition du corps dans le morne, de la confusion du corps avec le “décor”, le fond, et l’impossibilité pour l’oeil qui surveille de discerner ce corps en fuite de l’ombre d’un animal ou d’une branche. Ces processus de disparition composent une écologie, la condition d’un certain vivant. Si tu posais la question de la visibilité dans le contexte amazonien, par exemple, il n’est pas sûr que les peuples qui vivent là la comprendraient : « Mais de quoi tu parles quand tu dis “visibilité” ? Tu parles d’une image ou de la vie ? La vie n’est pas une image. Et l’image de la vie n’est pas la vie. » Quelle est la solution alors ? C’est chercher des chemins vers des vies bonnes, en revenant à son propre désir. La visibilité, c’est toujours le désir de l’autre, en fait. Donc comment se donne-t-on le temps, collectivement, d’imaginer de quoi nous avons vraiment envie et besoin ? Qu’est-ce qui nous fait vraiment du bien et qui ne produit pas de souffrance inutiles pour d’autres ? Il faut une part d’ombre pour rechercher cela, je crois, afin d’apprendre à renoncer à certaines choses et à examiner d’autres possibilités que l’économie de la violence dans laquelle nous nous sommes habitué·es à vivre. Mais passer du temps à faire des choses invisibles, ce n’est pas faire semblant évidemment, ce n’est pas simuler et faire des appels du pied à l’institution afin qu’elle nous voit en train de faire des choses vaguement cachées, des petits complots puériles.
C.L.M. : Disons qu’au cours de ces dernières années, notamment lorsque je travaillais sur les luttes d’émancipation sexuelle et de libération gay à la fin des années 60 et début des années 70, la visibilité qui m’a plus intéressée était celle qui se savait imparfaite, qui se pensait autant comme une stratégie d’émancipation relative, socialement déterminée, qu’un trouble à l’ordre sexuel et à tout le château de cartes qu’elle souhaitait venir faire trembler. Si une partie des militant.es que j’ai traduit et lu, ont pour beaucoup fricoté ou habité les rangs de l’extrême-gauche, iels ont posé la visibilité dans l’espace public comme un enjeu et une stratégie non-exclusive de leur lutte et ont dû entendre la critique à son endroit, qui émanait de militant.es, notamment non-blanc.he.s. Cette visibilité chez les plus radicales d’entre elleux, n’était en tous les cas ni une visibilité évidente, pacifiée, ni une visibilité restreinte à des politiques d’égalité, c’était une visibilité confrontationnelle chargée de désirs troubles de transformation sociale dont le but était de rompre non seulement avec le régime du silence imposé à leurs vies minorisées mais aussi avec ce que le capitalisme sexo-racial fait aux corps, aux psychés, aux imaginaires et organisations collectives.. À ce Come out, cet appel à sortir dans la rue, il s’agissait d’adjoindre d’autres perspectives. Il s’agissait de faire résonner l’émancipation sexuelle avec d’autres résistances et luttes pour l’autonomie, contre l’impérialisme américain et la guerre du Vietnam, le système raciste et ségrégationniste, pour la libération et l’indépendance des peuples et corps opprimés. Or, aujourd’hui, on voit bien que led courants idéologiques du capitalisme néolibéral sont tout à fait capables d’appauvrir, re-orienter et marchandiser cette histoire même du concept de visibilité (et de fierté) dans l’histoire des luttes LGBTQI, de segmenter et conditionner les modalités même de nos émancipations.
Au risque de me répéter, il s’agit par ailleurs moins de visibilité que de la manière dont on souhaite apparaître, dont on souhaite habiter ou disparaître d’un espace public de plus en plus menacé, surveillé, conditionné par la possibilité de la répression comme de l’effacement. Donc, ça signifie aussi qu’on ne peut se contenter des politiques de visibilités mémorielles telles qu’elles émergent en coopération avec les opérations et infrastructures politiques actuelles. C’est ce qu’on a évoqué en évoquant le rapport aux différentes plaques et objets mémoriels qui apparaissent et disparaissent au gré des pouvoirs en place. Je dois dire que je suis très marqué par différents textes de philosophie publiés ou traduits récemment comme ceux de Dénétem Touam Bona, de Fred Motten et Stefano Harney qui reviennent sur les histoires de marronnage et modalités de résistance aux systèmes capitalistes coloniaux et post-coloniaux. Iels m’inspirent beaucoup au présent pour envisager des formes de complicités minoritaires stratégiques avec des notions et des gestes comme celles de sous-communs, de mode mineur. Sans prétendre réclamer ces héritages, je pense en revanche que nous avons, à mettre en crise cette notion de visibilité qui est souvent devenu le coeur de nos luttes et préoccupations sans penser ses conditions d’existence, sans penser la manière dont nous souhaitons résister à l’extension des réseaux sociaux, à l’articulation de la visibilité et de la surveillance, sur nos manières d’organiser les luttes ou simplement d’exister. Je ne suis pas dans le purisme de dire : « ah ben la visibilité, non en fait ». Je vois bien qu’en ce moment, un des enjeux face à la montée du fascisme et l’application concrète des idéologiques réactionnaires consiste à maintenir des formes d’apparitions et de présences signifiantes dans l’espace public et collectif, de maintenir les vies et désirs queer comme des forces d’émancipation et de transformations essentielles. De la même manière, l’enjeu là, ce n’est pas de dire « il ne faut pas de forme mémorielle pour les homosexuels déportés », c’est juste de questionner ses modes d’apparition actuels, d’interroger la notion insatisfaisante de réparation et ce que l’on attend d’un rapport générateur avec la mémoire de celleux qui ont vécu avant nous.
O.M. : Je rajoute un point pour rejoindre ce que tu dis techniquement. Le marronnage, c’est aussi la razzia. On n’est jamais caché loin de la plantation et les marrons ont aussi survécu en faisant des razzias dans les plantations. C’est-à-dire en venant régulièrement voler des choses, de l’eau notamment, donc la question de la visibilité, si tu l’assimile à la question de la razzia ; alors on est d’accord. Mais en la pensant sans naïveté, pas comme un complot institutionnel “cool”, comme une série de brèves apparitions ingouvernables.
V. C.-G. : Je voudrais ajouter quelque chose en lien avec ce qui a déjà été dit en arrimant directement la critique de la visibilité à la question raciale. Quand la visibilité est posée comme possibilité ou comme a priori positif, il y a derrière cette idée implicite que les institutions seraient neutres. Alors qu’elles ne le sont pas, neutres. C’est peut-être parce que je viens de Belgique et qu’il y a un tout petit peu plus de liberté sur la question raciale, mais disons qu’on aura moins d’hésitation qu’en France à indexer les institutions du pays d’institutions blanches, à dire que les “institutions sont blanches”. Attention, je ne dis pas que la réflexion sur la question raciale en France est absente, loin de là ! Au contraire, il y a les apports très importants des Indigènes de la République, de Norman Ajari, de Maboula Soumahoro, d’Olivier Marboeuf, de la Brigade Anti-Négrophobie, d’Houria Bouteldja et d’autres. Je veux dire qu’en France, il règne un rapport très moral aux institutions par rapport à ce qu’elles doivent représenter (la République, etc.) qu’on n’a pas vraiment en Belgique. En Belgique, une institution est presque un acteur comme les autres, avec ses colorations et ses nuances qui lui sont propres. Et en l’occurrence, on pourra plus dire dès lors qu’elles sont blanches. Pour ma part je suis habituée à dire et à penser que les institutions culturelles sont des institutions blanches, que les universités sont des institutions blanches. Et donc, chercher une stratégie de visibilité là-bas, ça signifie pouvoir se montrer “blanco-compatible”. Il y aura comme condition que notre manière d’être ne froisse pas la blanchité. Et par rapport à la question de la noirceur, c’est très difficile parce que précisément ce sont des modes d’apparaitre antagoniques. Il y a au principe de la noirceur quelque chose qui fait peur à la blanchité. Et donc être visible à l’intérieur des murs d’institutions blanches, ça va vouloir dire lui céder beaucoup de parts de vérité sur ce que sont toute une série d’émotions et de pensées noires en lien avec ces rapports antagonique (de la fatigue, de la colère, du désabusement, etc.) qui existent bel et bien, étant donnée une histoire passée et contemporaine. Donc on va devoir adopter un langage qui prête attention à cette fragilité blanche, pour reprendre le terme de Robin DiAngelo, qui s’ignore. Répondre à ces critères de blanchité, signifie que forcément c’est une stratégie qui comporte de fortes contraintes et qui doit donc s’accompagner d’une réflexion sérieuse sur ce qu’on perd et ce qu’on gagne là-dedans. D’autant que cette stratégie nous met en concurrence, en établissant des distinctions selon notre blanco-comptabilité.
O.M. : Et de nouveau il nous faut mesurer le coût de certaines actions en termes de santé mentale.
V.C.-G. : : Oui, exactement, le coût en matière de santé mentale. Mais pour moi, ça ne veut pas dire qu’on se retire des institutions, mais on y est autrement, comme tu l’as développé Olivier, on y est pour d’autres raisons qui ne sont peut-être pas ce que l’institution croit “offrir” mais qui pourrait-être par exemple aller y récupérer des archives justement.
O.M. : Peut-être qu’on peut rajouter quelque chose à ta question pour la rendre plus intéressante encore. Moi, je l’inverserais en fait. Je pars du principe que je ne fais pas confiance aux gens que je ne vois que dans les grandes institutions. Les gens que je ne vois jamais dans des petits lieux, dans des moments de luttes, dans des cafés, à des projections associatives, ce ne sont pas pour moi des personnes de confiance, et ça peut évidemment être des personnes noires. Le sujet central pour moi n’est pas et n’a jamais été la grande institution. La question c’est qu’est-ce que l’on fait d’autre ? Où est-ce que l’on s’est déjà vu ? Si on se voit dans d’autres endroits, dans d’autres circonstances, alors notre histoire se tisse autrement. Et l’institution cesse immédiatement d’être une question. En fait, le fait que ça soit une question, c’est parce qu’on a détruit les lieux autonomes. Des directeurs de grandes institutions ont beau jeu de parler de permaculture et donc de diversité à l’intérieur des murs des lieux qu’ils dirigent quand, en même temps, à l’extérieur le divers, la multitude des lieux alternatifs a été dévastée dans la plupart des grandes villes occidentales. Moi je grandis et j’ai travaillé longtemps en région parisienne. Je peux témoigner de la dévastation des lieux minoritaires et non-blancs dans ce contexte. La permaculture dont on nous parle aujourd’hui c’est le jardin emprisonné dans l’institution, l’image même du jardin et du vivant que l’on confondrait avec la vie dans sa complexité réfractaire. J’ai écrit un texte qui s’appelle « La leçon de Bruxelles ». Il prend la forme d’une lettre adressée au directeur du Wiels et évoque cette captation de la diversité qui va de pair avec la destruction du divers. Il est vraiment important de faire la différence et de comprendre les politiques de visibilité et de diversité comme le résultat d’activités mortifères. Donc pour moi, la question, c’est toujours de savoir ce que l’on peut faire d’autre ? Pour certaines personnes, l’institution est une question. Pour moi, ce n’en est pas une. A un moment donné, tu vas passer par là, mais ce n’est pas une question, ça ne m’empêche pas de dormir, je n’ai pas d’enjeu particulier à cet endroit-là. Ni honneur, ni dette. Par contre, je peux être très anxieux si j’ai une rencontre, une lecture dans un lieu que j’aime beaucoup et où je veux vraiment faire quelque chose d’important. Cela mobilise d’autres affects. Donc en résumé, la question pourrait être : est-ce que c’est important d’être visible dans l’institution ? Et la réponse serait : pas toujours et pas pour tout le monde.
Public : Sinon, on est dans une dialectique, dans une conflictualité.
O.M. : Mais s’il y a de la conflictualité, cela veut dire que l’on accorde de l’importance à l’institution. Pour moi, le conflit dans l’institution est moins intéressant que le conflit en dehors de l’institution. Ce n’est pas dans l’institution que se passe le débat qui m’intéresse. L’institution d’art est un endroit qui expose et qui exploite tout un ensemble d’affects et d’images, de mots. C’est sa mission. C’est un job. Et il y en aura toujours qui le feront mieux que d’autres. Très bien. Mais de là à en faire un sujet de nos luttes… je pense que nous n’avons plus vraiment de temps pour cela et que l’on ne doit plus gaspiller nos forces à cet endroit. J’ai l’impression qu’on sait à peu près à quoi s’en tenir à ce sujet, des choses ont été dites et ont été écrites. On n’a plus vraiment d’excuses si l’on continue à jouer les innocent·es, à se poser sans fin des questions dont on connaît la réponse. Par contre, il peut être utile de comprendre de quoi tel geste institutionnel est le nom, de quel récit il est porteur car cela nous permet de mieux nous en protéger et d’économiser notre énergie. Mais ce n’est pas dans les institutions de l’art que se fabriquent les idées et les visions les plus vitales. C’est juste un endroit où elles sont de passage et ce passage est une mise en spectacle qui épuise les visions et les idées. C’est pour cela qu’elles ne peuvent pas grandir dans cette écologie-là.
C.L.M. : Et puis l’institution produit d’abord de l’événement culturel. Et le problème c’est qu’on ne peut pas vraiment construire sur de l’événement, sur une date circonscrite et encadrée, le 17 mai, une pride ou une autre journée de visibilité dont l’institution s’emparerait. Et je pense que ce qu’on s’est dit aussi ici, c’est qu’on a besoin aussi d’une forme de régularité. On a besoin de continuer à se rencontrer. Et l’institution, elle ne produit pas ça. Elle ne cherche pas à faire ça. Ce n’est pas sa logique d’être. Donc en fait, ça aussi, si on pense la lutte, on la pense aussi dans le fait qu’on a besoin de produire des conditions favorables de rencontres et de réitération de celles-ci hors de l’institution. Et même si on entre en conflit, on a besoin de pouvoir continuer à discuter après au sein d’espaces qui permettent des échanges sur le long terme et l’émergence de formes nouvelles…
Question du public : Merci beaucoup, je trouvais ça super intéressant justement la discussion entre la lutte queer et la question coloniale et je trouve que justement c’est un lieu on peut faire du commun, puisque les questions queer, justement, j’ai l’impression que c’est sans couleur. Quand quelqu’un va parler du queer, on ne va pas tout de suite voir un homme blanc qui parle, qui va peut-être avoir moins de légitimité en parlant des questions de domination. Et je voulais revenir sur le terme « noir ». parce que là vous avez beaucoup parlé de lutte noire, de corps noir, et moi en tant qu’Africaine, donc d’Afrique du Nord, je trouve que c’est important de se sentir, enfin moi je me sens adhérer à, que ce soit les luttes queer, qui parlent du corps, ou des luttes, de ce que vous appelez les luttes noires, mais le terme noir me pose problème justement dans le fait de se sentir intégré. Et je trouve que ça crée aussi de l’exclusion par rapport à différentes communautés, comme le fait que dès qu’on parle des Africains, on a une vision de l’Afrique qui est forcément noire. Donc le Paris noir, qui parle des luttes, des questions, des réflexions coloniales à Paris, à ce moment-là, elles vont parler qu’à partir du corps noir, elles vont exclure les corps maghrébins, elles vont exclure les corps vietnamiens, par exemple, qui sont aussi dans cette question coloniale. Ça fait longtemps, étant dans le milieu de l’art, que je me dis, moi, en tant qu’Africaine, je me sens tout le temps exclue. Alors je sais qu’il y a des communautés qui existent, on voit bien à Bruxelles, y a pas que les Noirs qui viennent devant la statue de Léopold. Donc voilà, comment vous voyez ce terme Noir, qu’il n’y aurait pas un autre terme à inventer pour justement intégrer tous les indigènes qui puissent, et pas que les indigènes, mais aussi ces minorités qui ne vont pas se reconnaître derrière une couleur, mais plutôt derrière ce corps qui demande à être libéré.
O.M. : Très rapidement, parce que là, tu ouvres un débat extrêmement vaste. Mais en réalité, dans des contextes différents, Véronique et moi, nous sommes actifs chacun à notre manière à l’intersection de ces communautés. Depuis ma trajectoire d’homme cis, afro-caribéen et transplanté, je suis très investi dans les luttes décoloniales qui sont, en France hexagonal, composées d’un noyau dur arabo-berbère, on va dire, du fait notamment de la centralité de la guerre d’Algérie et ses échos dans les politiques raciales actuelle de l’Etat français. Nous sommes clairement minoritaires en tant que Noir·es, sur cette scène indigène et donc dans une pratique permanente de composition. Je crois que lorsque tu parles de la couleur, tu pars dans une mauvaise direction. La noirceur, justement, c’est plus qu’une couleur. C’est une force qui prend comme point de départ les expériences radicales des Noir·es, mais qui pourrait trouver les ressources d’accueillir jusqu’aux Gilets Jaunes, parce que les Gilets Jaunes peuvent être noircis par leurs actes. Et donc, je suis plutôt dans cette logique d’expansion de la noirceur qui a le potentiel de dépassement de la couleur de peau. Je pense que la noirceur peut aussi nommer l’appartenance à une forme de refus radical. Pour moi, c’est la puissance du refus de la déshumanisation et l’affirmation d’un devenir humain qu’on ne connaît pas encore. C’est une expérience anarchique de composition de trajectoires raciales différentes.
V.C.-G. : Je suis d’accord avec toi Olivier, je te rejoins, mais en même temps je pense aussi que c’est très important de garder “noir” et de saisir ce qu’il y a de spécifique dans les différentes formes de racisme. Fanon le dit dans Peau noire, masques blancs lorsqu’il compare l’antisémitisme au racisme anti-Noirs. Fanon soulève le fait que vis-à-vis des Juifs – et je pense qu’on peut retrouver un mécanisme semblable aujourd’hui vis-à-vis des musulmans ou des dits Arabes – le racisme va s’exprimer à travers le soupçon, l’inclination raciste à vouloir détecter si derrière l’apparence juive ou arable ne se cache pas une pensée séditieuse, le complot. Le racisme vis-à-vis des personnes noires, ce n’est pas celui-là. Le problème avec le racisme anti-Noir, comme soulève Fanon, se situe dans l’immédiateté de la vue, dans l’apparence du corps noir pour elle-même. Fanon dit d’ailleurs, c’est mon “apparaître” qui pose problème. Par-delà ce que les personnes noires peuvent penser ou vouloir fomenter, ce n’est même pas encore ça le problème, le problème, c’est cet “apparaître noir”, cette noirceur en tant que telle.
Il y a un contraste important entre la peur des musulman.es qui représenteraient une opposition à la société occidentale là où la noirceur correspondrait plutôt à l’envers de la civilisation, la noirceur comme envers racialisé et refoulé de la modernité pour reprendre les termes de Simon Gikandi. Tenir compte de ces différences me semble important. Ça permet de saisir des formes de violence différentes. La violence qui s’abat sur les corps noirs, perçus comme source d’une agressivité immaîtrisable, telle une nature sauvage qui se retournerait, ce n’est pas la même que celle qui va s’abattre sur un homme maghrébin perçu en terme d’ennemi des quartiers et de la ville. Ces racismes n’engendrent pas non plus les mêmes peurs sociales. Et d’ailleurs, on ne parle quasiment pas du racisme anti-Noir.es. Parce que ce n’est pas nommable, ce truc-là, tellement c’est archaïque, mais non moins prégnante, comme peur. C’est tu, c’est silencieux. Ça ne fait pas l’objet de débats enflammés et animés pendant des jours et des jours dans les assemblées parlementaires comme cela est le cas s’agissant du soupçon derrière le voile, derrière la burqa, dans les mosquées, etc.
O.M. : On pourrait dire que c’est parce que c’est une continuité raciste par rapport à des événements, des pics racistes. On constate à présent la montée de l’islamophobie, après la montée de l’antisémitisme [même si tous les racismes s’appuient également sur des éléments de continuité]. Alors que le racisme négrophobe reste, de son côté, un continuum assez stable. Il est toujours à peu près au même niveau. Il a peut-être moins, en France, de périodicités. On ne se dit pas soudainement « oh là là, les gens sont négrophobes ». Ils sont toujours globalement négrophobes. Il est essentiel de comprendre les spécificités que vient d’énoncer Véronique et à la fois les politiser et de les articuler avec d’autres formes de racisme pour ne pas tomber – et c’est assez tentant quand on t’a longtemps refusé la dignité humaine – dans l’offre narcissique raciale où chacun parce qu’il a une histoire spécifique la pense exceptionnelle. L’exceptionnalisme juif, par exemple, est quelque chose d’extrêmement dangereux, alors que la spécificité de l’histoire juive est une réalité. Donc tu vois, il y a une différence entre “c’est spécifique, ça a une durée, ça a une inscription dans le temps, une histoire avec des épisodes et des périodes” et “c’est exceptionnel.” C’est de cette tentation que l’on doit s’éloigner. Dans nos communautés noires, je pense que c’est quand même le risque qui pèse actuellement [et ce risque peut prendre un visage violent ou gentiment paternaliste et négrophile dans les mondes de l’art et de la culture notamment]. Nous devons donc œuvrer à des compositions critiques et dynamiques qui ne peuvent se faire qu’en reconnaissant les différences, afin d’associer dans un même projet de noirceur des trajectoires et des affects différents.
V.C.-G. : Et en plus, je fais juste une parenthèse, il y a aussi des expériences communes entre les processus de colonisation de la Belgique, au Congo, au Rwanda, au Burundi, et la colonisation, par exemple, en Algérie, comme des phénomènes de domestication très durs. Donc, ce sont des histoires à plusieurs couches, ce qui fait qu’il y a des endroits effectivement où on se retrouve, mais il ne s’agit pas d’oublier, oui, les singularités de l’histoire.
C.L.M : Juste sur la question du queer sans couleur, c’est une affirmation qu’il faudrait prendre le temps de déplier ensemble et qui mérite très certainement d’autres éclairages que les miens. Une partie des projets que je mène actuellement sur des militants du 19ème a consisté plus récemment à rematérialiser la colonialité à l’oeuvre dans les processus d’émergence des identités et subjectivités sexuelles, c’est-à-dire de comprendre, – à la suite de bien d’autres chercheur.euses comme Kadji Amin, Ruby Faure etc…- la manière dont les politiques d’émancipation sexuelle, de dépathologisation de l’homosexualité, émergent au sein d’un espace et d’un imaginaire travaillé par l’impérialisme et l’imaginaire colonial. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne peut pas habiter d’une manière ou d’une autre ces termes identitaires mais que nous héritons aussi d’une histoire trouble et complexe. Que la science sexuelle, les militant.es et penseur.euses concerné.es qui l’ont en partie façonné, notamment en Europe, ont produit des visions de l’émancipation, marquées ou hantées par leur propre blanchité et des formes d’anthropologie fantasmées. Je pense autant à l’écosocialiste libertaire Edward Carpenter, qu’aux militants gay Harry Hay ou Arthur Evans. Sans chercher à invalider la valeur ou le sens de leur trajectoire, travailler sur eux, sur leur pensée historique, politique et sociale signifie qu’on ne peut parler d’identités et subjectivités sexuelles sans inévitablement poser la question raciale. Du coup, que veut dire le queer si on réhistoricise cette histoire-là ? Quelle redéfinition et incarnation voulons-nous en produire ?
Public : Je voulais juste me présenter. Je fais partie de la Boîte sous le lit. On est le collectif d’Archive Queer local à Bordeaux. Donc, si vous voulez discuter à la fin, n’hésitez pas. On est en plein dans les questions de visibilité et de plaques, donc on aura beaucoup de choses à discuter, je pense.
TN : On va rester sur cette note-là, et terminer sur la discussion. Je vous remercie, et Olivier, merci beaucoup tous les deux pour cette discussion. C’était un vrai plaisir, et puis on se verra, comme l’a dit Olivier, dans d’autres endroits pour poursuivre.
V.C.-G. : Oui, exactement.
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Véronique Clette Gakuba
Véronique Clette-Gakuba est chercheuse en sociologie à l’Université Libre de Bruxelles (centres de recherche CAC et METICES). Elle est titulaire du cours Arts visuels de l’Afrique et de ses diasporas à l’ULB (Université Libre de Bruxelles). Ses recherches portent sur les liens entre négrophobie, art et culture et sur les résistances noires se jouant dans les entremêlements entre recherche, créations artistiques et engagements politiques. En juin 2023, Véronique Clette-Gakuba a soutenu sa thèse de doctorat à l’ULB intitulée : « Epreuves de colonialité dans l’art et la culture. Faire exister un monde noir à Bruxelles » (à paraître aux Éditions Météores en 2025).
Cy Lecerf Maulpoix
Cy Lecerf Maulpoix vit à Marseille. Il est auteur, traducteur et enseignant en théorie critique à l’école des Beaux-Arts de la ville (INSEAMM). Après des études en littérature, sciences humaines et histoire de l’art, il a été membre de collectifs LGBTQI et écologiste en France et journaliste, couvrant les luttes sociales, les migrations, la culture queer et la littérature à travers des entretiens, des enquêtes publiés dans la presse généraliste et LGBTQI française.
Il poursuit actuellement plusieurs projets d’écriture sur les mouvements de libération sexuelle, l’écosocialisme et la technocritique ainsi qu’un doctorat en anthropologie politique à l’EHESS sous la direction de Geneviève Pruvost (CNRS – CEMS) et de Gianfranco Rebucini (CNRS – LAP).
Olivier Marboeuf
Olivier Marboeuf est auteur-conteur, artiste, commissaire d’exposition indépendant, théoricien de la culture et producteur de cinéma, originaire de Guadeloupe. Il a fondé avec l’auteur franco-béninois Yvan Alagbé au début des années 1990 les éditions Amok (devenues Frémok), éditeur de bande dessinée de recherche à l’origine du légendaire café littéraire parisien Autarcic Comix. Il est ensuite devenu directeur artistique de l’Espace Khiasma (2004 à 2018), centre d’art visuel et de littérature vivante basé en proche banlieue de Paris et dédié aux représentations minoritaires, contribuant à introduire les théories postcoloniales sur la scène artistique française à partir de nombreuses expositions et rencontres. De 2013 à 2024, il est également producteur de cinéma au sein de Spectre Productions et produit une soixantaine de films d’artistes et de documentaires de tout format.
Il a publié de nombreux articles et en 2022 l’essai Suites Décoloniales : s’enfuir de la plantation et le recueil de poésie Les Matières de la Nuit, tous deux aux éditions de Commun. En 2025, paraît aux éditions Atlantiques déchaînés, le texte théâtral La Nuit juste avant le feu.
[1] https://www.lesinrocks.com/actu/qui-etait-cleews-vellay-president-emblematique-dact-up-qui-a-bouleverse-la-lutte-contre-le-sida-en-france-191924-29-11-2019/
[2] Saidiya Hartman, Vies Rebelles, Histoires intimes de filles noires en révolte, de radicales queer et de femmes dangereuses, Seuil, trad. Souad Degachi et Maxime Shelledy, 2024