Des formules telles que « pensée décoloniale » ou « antiracisme politique » sont d’un usage relativement récent dans l’espace public français, puisqu’elles sont aujourd’hui âgées d’environ une décennie. Toutefois, ce à quoi elles font référence, l’attitude politique et intellectuelle qu’elles désignent, sont beaucoup plus anciennes. Je ne crois pas que l’ancienneté, ni même l’ancestralité, suffisent à légitimer une politique. Il ne suffit pas de revendiquer une appartenance ou des références âgées de plusieurs siècles pour dire la vérité. Mais bien pire est le manque d’accès au passé, la privation d’histoire, car elle interdit toute possibilité d’atteindre cette vérité. Certains sociologues et théoriciens politiques ont pris l’habitude, à partir des « années 68 », de désigner un ensemble de revendications politiques par la formule « nouveaux mouvements sociaux ». Je crois que, pour l’antiracisme politique et le mouvement décolonial, cette formule est non seulement fautive mais désastreuse. En suggérant que le mouvement contre le racisme et pour les droits civiques serait quelque chose de « nouveau », elle coupe les activistes contemporains de l’épaisseur de leur histoire et les empêche du même coup de considérer leur adversaire, la suprématie blanche, dans toute sa portée, son épaisseur et son étendue. Les résistances africaines à la traite négrière, la révolution haïtienne, les batailles contre les conquêtes coloniales du XIXe siècle ne sont que quelques exemples de réponses politiques conséquentes à la déshumanisation recherchée et produite par la suprématie blanche. « Décolonial » n’est qu’un mot, qui désigne un faisceau de réponses politiques à la violence génocidaire et au capitalisme racial qui sont aussi anciennes que la conquête du nouveau monde et l’invention de l’État moderne. Autant dire que l’antiracisme politique n’a strictement rien d’un « nouveau mouvement social », puisqu’il est en réalité aussi vieux, sinon plus vieux, que le mouvement ouvrier lui-même !
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