L’agence européenne de garde-côtes et garde-frontières a 20 ans ce 26 octobre 2024 [1]. Un bien triste anniversaire que celui d’une agence largement mise en cause depuis des décennies dans des violations des droits directes ou indirectes des personnes en migration [2]. Une agence qui a pour objectif de « protéger » les frontières européennes au mépris de la vie et de la sécurité des personnes qui tentent de les franchir. Une agence qui est le symbole d’un régime frontalier mortifère et l’étendard de politiques migratoires répressives et ultrasécuritaires, qui ont largement démontré leurs conséquences dramatiques.
Puissante, intouchable et indéboulonnable, Frontex est non seulement toujours là 20 ans après, mais son activité s’est massivement étendue [3]. Malgré des violations des droits démontrées, avérées et filmées [4], malgré des collaborations pernicieuses avec des régimes faillis [5] ou autoritaires [6], malgré des dysfonctionnements internes [7], malgré un travail acharné de la société civile pour faire la lumière sur ses agissements coupables et ses dérives [8], et malgré – plus récemment – une vigilance accrue des institutions européennes [9].
20 ans après, malgré des preuves accablantes et innombrables de sa compromission, complicité ou complaisance dans de nombreux abus au nom de la lutte contre l’immigration, malgré le départ en 2022 de son controversé Directeur démissionnaire [10] – qui a depuis rejoint les rangs de l’extrême droite française en tant qu’eurodéputé [11] – rien n’a changé. Car rien n’arrête Frontex, qui ne peut être contrôlée ou mise en responsabilité, et dont l’impunité structurelle est, de fait, largement organisée [12].
Frontex est non réformable, inattaquable et inamovible. Son mandat est incompatible avec le respect des droits [13], mais elle a été créée pour ne pas en rendre compte. L’idéologie populiste aux fondements des politiques migratoires s’est renforcée en 20 ans, et l’a emporté sur le respect des droits au sein d’une Europe qui assume désormais de les bafouer ouvertement. Non plus seulement en contournant le droit européen, mais en s’en affranchissant en vue de le transformer pour codifier les violations des droits [14], et « légaliser l’illégal » [15]. Le socle des valeurs et principes sur lequel s’appuyait l’Europe à sa création, et qu’elle prétendait défendre, s’effrite chaque jour davantage se réduisant désormais à peau de chagrin.
Combien de temps encore devrons-nous être les observatrices et observateurs impuissant·e·s d’un système européen qui se félicite des performances macabres en matière de gestion des frontières extérieures de l’Union au mépris du droit, et qui s’auto-congratule en dépit du bon sens et des preuves d’abus accumulées [16] ?
N’attendons plus. Il est plus que temps de supprimer Frontex.
Notes
[1] Règlement (CE) No 2007/2004 du Conseil du 26 octobre 2004 portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne
[2] « Frontex, 15 ans d’impunité : l’agence hors-la-loi doit disparaître ! », Communiqué Migreurop, 8 décembre 2020
[3] Règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant les règlements (UE) n° 1052/2013 et (UE) 2016/1624
[4] Frontex at Fault : European Border Force Complicit in ‘Illegal’ Pushbacks”, Bellingcat, 23 octobre 2020 ; « Enquête vidéo : au large de la Grèce, comment Frontex a maquillé des renvois illégaux de migrants », le Monde, 3 mai 2022
[5] « UE : Frontex complice d’abus en Libye – La surveillance aérienne permet l’interception en Méditerranée de migrants et leur renvoi vers des situations de danger », Rapport Human Rights Watch, 2022
[6] « Frontex suspend ses opérations en Hongrie », Euronews, 28 janvier 2021 ; “Frontex suspends operations in Hungary”, Statewatch, 1 February 2021
[8] Voir les campagnes Frontexit, Frontexplode, Abolish Frontex et les enquêtes médiatiques ; Frontex dans la tempête : Chronologie des accusations ciblant l’agence Frontex d’octobre 2020 à mai 2022, Migreurop
[9] « La Médiatrice européenne enquête sur le rôle de Frontex dans la recherche et le sauvetage en mer », Euractiv, 26 juillet 2023 ; European Parliament scrutiny of Frontex, November 2023
[10] « Poussé à la démission, l’ex-patron de Frontex s’explique sur les raisons de son départ », Revue parlementaire, 2022
[11] « Elections européennes : Fabrice Leggeri, ex-directeur de Frontex, rejoint la liste du Rassemblement national », Le Monde, 18 février 2024
[12] « La sous-traitance de la politique migratoire européenne est-elle justiciable ? », Note juridique Migreurop, 2019
[13] ‘L’incompatibilité du mandat de Frontex avec le respect des droits fondamentaux’, bilan après un an de campagne Frontexit, Juin 2014 ; ; « There is obvious tension between Frontex’s fundamental rights obligations and its duty to support Member States in border management control”, Ombudsman calls for changes to EU search and rescue rules and a public inquiry into deaths in Mediterranean, Press release no. 1/2024, 28 February 2024
[14] « Unis pour laisser crever les migrants », Politis, octobre 2024
[15] « Des dispositifs mortels, dont l’effet est de tuer pour dissuader », émission « À l’air libre » de Médiapart, 10 avril 2024
[16] “First evaluation of the Frontex Regulation delivers overall positive assessment despite challenges”, Commission européenne, février 2024