Israël a transformé la bande de Gaza en couloir de la mort

Depuis plus d’un an, l’armée israélienne mène dans la bande de Gaza une lutte sans merci contre le Hamas qui ressemble à une guerre contre les civils. Le misérable territoire a subi des destructions immenses et les morts s’enchaînent au gré des bombardements quotidiens sans que le monde ne réagisse.

Article réservé aux abonnéLa population de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza n’a d’autre choix que de fuir l’opération militaire israélienne actuelle.

La population de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza n’a d’autre choix que de fuir l’opération militaire israélienne actuelle. – AFP.

 

Par Baudouin Loos

Journaliste au pôle International

 

Publié le 13/11/2024 à 18:51 Temps de lecture: 3 min

 

Bande de Gaza, novembre 2024. Les journalistes étrangers y sont toujours interdits par l’occupant israélien, mais les informations sortent du petit territoire. Tous les jours. Grâce aux journalistes gazaouis, pourtant décimés (plus de 130 tués en un an), grâce aux vidéos envoyées par la population, grâce aux agences de l’ONU ou grâce aux quelques ONG présentes sur le terrain. Et ces informations se révèlent effarantes. À la tête du Norwegian Refugee Council, Jan Egeland, ancien ministre et ex-diplomate, a pu se rendre sur place, et tweetait le 6 novembre : « J’ai vu une destruction défiant l’imaginable, de Rafah jusqu’à Gaza-ville. La destruction d’une société entière de plus de 2 millions de personnes, dans un territoire restreint, densément peuplé. Il ne s’agit en aucun cas de légitime défense. »

On peut accumuler indéfiniment les témoignages. Comme celui de Philippa Greer, cheffe du département juridique de l’Unrwa à Gaza, commentant des images terribles qu’elle envoyait sur X ce 9 novembre : « Aujourd’hui, en entrant dans la ville de Gaza. Les ruines de la vie. Un âne gisant mort attaché à une charrette avec les biens de quelqu’un. Des groupes de personnes traversant vers le sud, avec trop de choses vu la longueur du voyage, à marcher sous le soleil. Un homme portant un drapeau blanc devant sa famille. Des femmes sur le point de s’effondrer, traînant des sacs sur le sol, marchant à reculons, s’arrêtant et fermant les yeux. Un homme par terre en sous-vêtements, avec des soldats près du poste de contrôle. Une femme traversant probablement avec lui, désemparée, désespérée. »

Les chiens errants mangent des cadavres

Le journal israélien Haaretz a interrogé Georgios Petropoulos, chef du bureau de Gaza de l’Ocha (coordination des affaires humanitaires à l’ONU). Ses propos sont plus que dérangeants. Extrait : « Petropoulos affirme que l’odeur des cadavres en décomposition imprègne toute la bande de Gaza. Elle émane des décombres, sous lesquels des personnes ont été enterrées, et des chiens courent avec des restes humains dans la gueule. “Les chiens sauvages sont partout. Lorsque vous voyez une meute de chiens, il y a de fortes chances qu’ils se tiennent autour d’un cadavre. Un de mes collègues a poursuivi un chien qui tenait dans sa gueule le pied d’un enfant mort. Parfois, lorsque nous passons devant des postes de contrôle militaires, nous ramassons les corps des personnes qui y ont été abattues et nous les remettons à la Croix-Rouge”. »

Le Grec a accumulé les expériences traumatisantes. « Il y a six mois, M. Petropoulos a assisté à une frappe contre un haut responsable du Hamas à Khan Yunès. “Cela ressemblait à Nagasaki”, se souvient-il. “Ils ont compté les corps et 70 personnes se sont évaporées. Lorsqu’ils ont bombardé Mawasi le 10 septembre, je suis tombé de mon lit et les dix ou vingt personnes qui se trouvaient dans des tentes avant l’attaque ont disparu. J’étais aussi à l’hôpital après le bombardement, et cela ressemblait à un abattoir. Il y avait du sang partout”. »

Sur le réseau X le 7 novembre, Jonathan Witthall, chef ad interim de l’Ocha pour les territoires occupés, fait ce constat lugubre : « Tous les habitants de Gaza ont l’impression d’être dans le couloir de la mort. S’ils ne sont pas tués par des bombes ou des balles, ils suffoquent lentement par manque de moyens de survie. La seule différence est la vitesse à laquelle on meurt. Le monde a échoué à Gaza. »

« Notre travail consiste à aplatir Gaza »

Le gouvernement israélien souligne qu’il ne fait que se défendre, qu’il combat et veut annihiler le Hamas à Gaza, l’organisation palestinienne islamiste qui avait commis les atroces attaques terroristes en Israël le 7 octobre 2023. Mais l’ampleur des pertes civiles (évaluées à plus de 43.000 et sans doute bien plus encore) et des destructions dans la bande de Gaza donne à penser que d’autres desseins se cachent derrière les buts officiels.

En atteste entre autres le comportement de l’armée israélienne à Gaza. Car, en dépit des affirmations de l’armée qui dit traquer les éventuels excès des soldats, ces derniers envoient toujours fièrement – et cela depuis un an – des vidéos de leurs « exploits » à Gaza. Le site dropsitenews.com a collecté les histoires diffusées sur Instagram et les messages quotidiens partagés par les soldats d’une unité, le bataillon de génie de combat israélien 749. Cet extrait en dit long : « notre travail consiste à aplatir Gaza », lit-on dans la légende d’une vidéo publiée par un soldat de la compagnie D9 en septembre. « Dans la vidéo, l’unité est en train de raser plusieurs maisons du quartier de Zaitoun (à Gaza). Le commentaire de la compagnie sur le billet dit : “Personne ne nous arrêtera.” »

La volonté d’oblitération de la bande de Gaza exprimée par nombre de soldats ne semble pas aller à l’encontre des ordres donnés. Dès début janvier, l’historien français Vincent Lemire faisait ce constat dans Le Monde : « Ce n’est plus une guerre pour “éradiquer” le Hamas, c’est une dévastation volontaire, systématique et délibérée, pour extirper les civils de la bande de Gaza, par la mort ou par l’exode, par la famine ou par l’épidémie. » Tout se passe comme si l’armée israélienne s’était acharnée à lui donner raison.

Les plus enthousiastes pour cette solution radicale en Israël vont plus loin. Ce que constatait récemment pour le dénoncer l’ancien ministre et ex-membre du cabinet de guerre Gadi Eizenkot à la chaîne 12 israélienne : « Une partie centrale de la coalition [gouvernementale] travaille à la réalisation des objectifs cachés, à savoir l’arrivée d’un gouvernement militaire dans la bande de Gaza et le retour des colonies à Gaza. »

« Nettoyage ethnique » dans le Nord

Le gouvernement a en tout cas décidé qu’un nettoyage ethnique – l’expression est sur bien des lèvres et figure d’ailleurs dans le dernier rapport de l’ONG américaine Human Rights Watch consacré aux déplacements forcés qui concernent 90 % de la population du territoire de Gaza – serait mené dans le Nord, où les agglomérations Jabalia, Beit Hanoun et Beit Lahia sont soumises à un traitement de choc pour en chasser toute la population qui y réside encore.

Les trois derniers hôpitaux qui fonctionnaient encore tant bien que mal dans le Nord ont subi des assauts en règle. L’agence de presse américaine Associated Press (AP) a récemment publié une enquête à ce propos. « Certains patients craignent maintenant les hôpitaux, refusant d’y aller ou partant avant que le traitement ne soit terminé », conclut l’article. «“Ce sont des lieux de mort”, a déclaré Ahmed al-Qamar, un économiste de 35 ans du camp de réfugiés de Jabalia, au sujet de sa peur d’emmener ses enfants à l’hôpital. » L’AP évoque « une guerre dans laquelle les hôpitaux ont été ciblés avec une intensité et une transparence rarement vues dans les conflits modernes ».

L’enquête contredit les assertions israéliennes selon lesquelles les hôpitaux servent de bases opérationnelles au Hamas, fondées sur « peu ou pas de preuves ». Il relaie aussi des témoignages glaçants, comme à propos de l’hôpital El-Awda : « Les survivants et les administrateurs de l’hôpital racontent qu’au moins quatre fois, des drones israéliens ou des snipers ont tué ou grièvement blessé des Palestiniens essayant d’entrer. Deux femmes sur le point d’accoucher ont été abattues et sont mortes en saignant dans la rue, selon le personnel. Salha, l’administrateur, a vu des tirs tuer sa cousine, Souma, et son fils de 6 ans alors qu’elle amenait le garçon pour traiter ses blessures. »

Haaretz : « Une tache morale pour le pays »

Malgré une approbation assez générale des actions de leur armée à Gaza au sein de la population israélienne, des voix s’élèvent contre ce consensus. Ainsi en est-il du journal Haaretz, dans son éditorial du 6 novembre : « La guerre est menée sans considération pour le droit international. C’est comme s’il n’y avait pas de civils à Gaza, pas d’enfants et pas de conséquences pour nos actions. Le désir de se venger de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 s’est transformé en une guerre brutale et débridée constituant une violation flagrante des lois de la guerre et, pire encore, qui sera retenue comme une tache morale pour le pays. »

Le mot génocide est encore quasi tabou en Israël. Pas à Gaza ni à l’ONU. En tout cas pour Francesca Albanese, rapporteure spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés, par exemple dans son constat le 5 novembre : « Israël détruit les Palestiniens de Gaza de bien des manières. La plus complexe et la plus cruelle est de créer des conditions de vie intenables et inhumaines. Il ne faut pas appeler cela une “guerre”. C’est un génocide. Les motifs n’ont aucune importance. L’intention (c’est-à-dire la détermination) de détruire est évidente et sans équivoque. La complicité d’autres Etats est tout aussi évidente. »

En effet, face à l’accumulation des crimes de guerre et contre l’humanité, les Etats-Unis et les Européens restent comme tétanisés, incapables de dire les choses. A une rarissime exception près, unique par sa franchise et qui ne sera sans doute pas répétée, celle d’Emmanuel Macron, qui évoquait l’action d’Israël au Liban, mais a fortiori aussi dans la bande de Gaza puisqu’elle y est encore plus dramatique : « On parle beaucoup, ces derniers jours, de guerre, de civilisation ou de civilisation qu’il faut défendre », a dit le président français le 24 octobre, avant d’ajouter : « Je ne suis pas sûr qu’on défende une civilisation en semant soi-même la barbarie. »

Source

Les massacres de Gaza en novembre 1956

Par Zach – AFPS Nord Pas-de-Calais

C’était il y a 68 ans, presque jour pour jour…

Pour la première fois, l’armée israélienne occupe la Bande de Gaza qui est alors sous le contrôle de l’Egypte. Le contexte en est la guerre de Suez (du 29 octobre au 7 novembre 1956) menée par une alliance secrète formée par les puissances coloniales française et britannique, associées à l’Etat sioniste expansionniste. Leur ennemi commun est le dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser qui remet en cause la situation géopolitique du Moyen Orient.

 

L’occupation de Gaza s’accompagne de crimes de guerre qui font écho au génocide en cours.

Le matin du 2 novembre, la 1ère brigade d’infanterie de l’armée israélienne commandée par Moshe Dayan encercle, attaque et envahit la Bande en quelques heures, sans rencontrer de résistance. Très vite, la consigne laissée aux troupes sur place apparaît clairement : traquer les soldats égyptiens restés sur place et surtout les Fedayins, résistants palestiniens qui lancent des raids depuis Gaza dans le Sud d’Israël. Car l’une des conséquences de la Nakba de 1948 a été la déportation de 200.000 Palestiniens à Gaza, triplant sa population, multipliant les camps de réfugiés mais stimulant la Résistance chez les habitants…

Les opérations de « ratissage » commencent dès le 3 novembre à Khan Younis, par la fouille des maisons, accompagnée ponctuellement d’exécutions sommaires. Puis, des dizaines de civils masculins sont raflés et fusillés, en particulier le long du « Château médiéval » au centre de la ville, où des mitrailleuses ont été installées. Le nombre total de victimes est inconnu, car la plupart ont été enterrées dans des tombes familiales.

Tôt le matin du 12 novembre, l’armée israélienne lance une nouvelle opération à Rafah : alors qu’un couvre-feu est déjà imposé et que le calme règne, des véhicules équipés de haut-parleurs diffusent des messages demandant à tous les hommes de 15 à 60 ans de se rendre immédiatement à « l’école El-Ameeriah », principale école de la ville, en empruntant la « grande rue de la Mer ». Les habitants obéissent mais, sur le chemin, ils font face à des violences systématiques : battus à coups de matraques ou parfois tués par hasard, dans le but d’accélérer le mouvement. Arrivés le long du mur de l’école, ils découvrent avec terreur les exécutions sommaires et les coups. Le pire est à venir : ils sont forcés d’entrer dans la cour de l’école par une petite porte où sont postés deux soldats israéliens armés de gourdins qui s’abattent sur les têtes et les épaules des victimes… en même temps qu’ils cherchent à se protéger, ils doivent sauter par-dessus un fossé et une ligne de barbelés. Une fois entrés dans la grande cour de l’école, ils sont obligés de s’accroupir et de baisser la tête. Les soldats israéliens frappent les détenus et tirent au -dessus des centaines d’hommes rassemblés, en hurlant « Tata rosh » (Baissez la tête). Puis, sur la base de listes établies en encourageant les dénonciations, les soldats israéliens emmènent les militaires et les Fedayins présumés dans le bâtiment principal, les interrogent violemment et en exécutent certains. En fin d’après-midi, des dizaines de prisonniers sont transférés par bus dans la prison d’Atlit au nord d’Israël. Les autres sont libérés dans des conditions chaotiques. En début de soirée, des dizaines de cadavres ensanglantés transportés par camion sont abandonnés à Tal Zorob, une étendue déserte à l’Ouest de Rafah… Comme à Khan Younis, le nombre total de victimes est inconnu.

 

Ces évènements exceptionnels par la violence déployée présentent des caractéristiques qui font écho au génocide en cours.

Il y a tout d’abord la cruauté des bourreaux israéliens et la déshumanisation des victimes palestiniennes, qui culminent à l’école de Rafah. Quel esprit pervers et sadique a-t-il pu concevoir ce piège tendu à ces hommes à l’entrée de l’établissement : un fossé et une ligne de barbelés à franchir, pendant que des soldats armés de gourdins se comportent comme des bouchers dans un abattoir ?

Depuis plus d’un an, combien de fois a-t-on découvert des traquenards mortels dans la Bande de Gaza? Par exemple : ces corridors, soi-disant sécurisés, désignés aux déplacés qui deviennent ainsi des cibles pour les snipers, les artilleurs et les pilotes de « l’armée la plus morale du monde » ? Et que penser de ce que subissent les victimes humiliées, tourmentées, traitées comme des « animaux humains » dans les cours des écoles où les familles se sont réfugiées? On revoit évidemment ces images insoutenables du stade de Gaza transformé en centre de triage : ces hommes en sous-vêtements, agenouillés les yeux bandés, poings liés… qui finissent dans des camions, entassés « comme du bétail ».

 

Il y a ensuite le déni des crimes commis en 1956 et que les autorités israéliennes ont transformés en émeutes contre leurs troupes d’occupation qui ont été forcées de tirer, « un malheureux concours de circonstances » car les « Arabes se sont montrés hostiles » (selon Moshe Dayan, devant une commission de la Knesset, le 23 novembre).Comme aujourd’hui, on voit à l’œuvre la stratégie exceptionnellement cynique consistant à attribuer la responsabilité des ses propres crimes aux victimes. Et à mettre en doute le bilan humain, « des centaines de personnes méthodiquement exécutées » devenant « quelques dizaines tuées accidentellement »…

Nous sommes en 2024, les civils assassinés se comptent par dizaines de milliers, et le concept vicieux de « Pallywood » a été inventé pour répandre le doute et masquer la réalité du génocide, sans aucun scrupule.

 

Enfin, il faut dire un mot des acteurs extérieurs : en 1956, les médias occidentaux reprennent la version israélienne évoquant des « incidents regrettables », des « rumeurs », « des milliers d’Arabes apparemment déchaînés », « méditant probablement un mauvais coup », face à des « soldats israéliens [qui] se sont bien comportés dans l’ensemble » (article du quotidien anglais Times, 18 novembre). Il n’y a aucune trace des « incidents » dans les archives du journal Le Monde, et un article écrit le 30 octobre 1976 pour commémorer les 20 ans de « L’expédition de Suez » ne mentionne Gaza que pour la décrire comme un « repaire de fedayin » [sic] …

Cette couverture biaisée aux accents coloniaux, rappelle la complicité des médias occidentaux actuels, qui considèrent leurs sources israéliennes comme systématiquement fiables, reprenant en cœur des mensonges éhontés, et dépréciant toute information en provenance des Palestiniens par le fameux « Selon… ».

 

Un autre acteur est l’UNWRA, office de l’ONU de soutien aux réfugiés palestiniens, créé fin 1949. Dès l’occupation militaire de Gaza et pendant plusieurs semaines, le personnel de l’office de l’ONU est confiné de force et certains de ses membres palestiniens auraient « disparu des camps de réfugiés » après avoir été détenus par les Israéliens…

Nul besoin de mentionner ici la guerre impitoyable, invraisemblable que subit aujourd’hui l’UNWRA, dont toutes les institutions sont attaquées, spécialement les écoles, sous prétexte d’être des « nids terroristes »…

 

Pour conclure : ce texte doit énormément au livre magistral intitulé « Gaza 1956. En marge de l’Histoire » (2010), écrit et dessiné par le célèbre journaliste graphique américain Joe Sacco, auquel il a consacré des années et où il montre comment la guerre d’anéantissement actuelle trouve ses racines en 1956.

Gaza 1956 - Joe Sacco
« Gaza 1956. En marge de l’Histoire » (2010) – Joe Sacco

https://www.futuropolis.fr/9782754802529/gaza-1956.html

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