Black marxism : pour une politique de l’inimaginable

Par Minkah Makalani

La politique a été communément définie comme un « art du possible ». Or il se trouve que c’est principalement notre imaginaire qui est à même de circonscrire le champ du possible. Dès lors, comment surmonter l’épuisement et l’écrasement de nos imaginations, à l’heure où il est plus facile de se figurer la fin de l’humanité que la fin du capitalisme ? Dans ce texte éclairant, Minkah Makalani propose un repérage des idées majeures du Black marxism en remarquant que cette tradition a ceci d’unique qu’elle a pour horizon un avenir « inimaginable ». En prenant pour témoin Frantz Fanon, C.L.R. James et Amilcar Cabral, Makalani montre qu’il est possible d’intervenir en conjoncture en repoussant les limites de l’imaginaire politique. En d’autres termes, Makalani esquisse un tableau de la tradition noire radicale comme une invention de l’inconnu, comme un art de l’impossible.

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Répétition et révolution : Marx chez les Jacobins noirs

La formule de Marx selon laquelle l’histoire se répète toujours deux fois : la première comme tragédie, la deuxième comme farce, est bien connue. Issue du 18 Brumaire de Louis Bonaparte, elle interroge les décalages entre les intentions et la compréhension des acteurs historiques, tournées vers le passé, et la réalité des processus dans lesquels ils se trouvent embarqués. Si ce décalage revêt souvent un caractère tragique, les subalternes étant les victimes d’une épreuve de force rencontrée dans leur lutte face à laquelle ils se trouvent désarmés, cette distorsion temporelle n’est pas non plus sans avoir ses effets comiques en ce qu’elle révèle aussi l’impréparation des dominants. Dans ce texte lumineux, Matthieu Renault ajoute à ces analyses célèbres une distorsion géopolitique : l’impact inaperçu des décalages entre la métropole et les colonies dans ces pages du 18 Brumaire. Ce faisant, Renault propose un réexamen inédit d’enjeux propres à Marx, qu’on croyait largement balisés, autour de Napoléon III, Bolivar et l’un des monarques régnant sur la jeune nation haïtienne, Soulouque. Reprenant des thèmes rencontrés dans CLR James et ses Jacobins noirs, il démontre une centralité des luttes anticoloniales dans l’émergence de la modernité européenne.

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La négrophobie arabe et la question du pouvoir

De nombreux activistes ou membres d’ONG connaissaient de longue date l’existence d’un trafic d’esclaves subsahariens dans la Libye actuelle. Ce qui a changé avec la diffusion d’un reportage par CNN le 13 novembre 2017, c’est que personne n’a plus la possibilité de faire semblant de l’ignorer. L’éthique commande de prendre en compte cette situation et de tenter d’en comprendre les ressorts, en évitant les facilités de l’antiracisme moral. Pour ce faire, il importe de prêter attention à deux niveaux. Premièrement, rappeler que ce qui répond aujourd’hui au nom de « Libye » n’est plus un État. Depuis l’intervention impérialiste que l’on sait, elle a perdu toute souveraineté ; elle est devenu un pays fantomatique ou zombie, incapable d’assurer le monopole de la violence légitime sur son propre territoire. Pire, elle s’est muée en un vulgaire prestataire de service pour l’Union Européenne. En février 2017, à la faveur du Plan d’action de la Valette, 200 millions d’euros sont débloqués en vue de financer le contrôle de ses frontières. En juillet s’y ajoutent 43 millions de plus. Aux yeux des institutions européennes, peu importe que la Libye soit un État, une nation. Elle doit être une frontière, et la plus infranchissable possible. Que leur importe si, au-delà, règnent l’esclavage, le meurtre, le viol, la destruction et l’abaissement de tout ce qui fonde l’humain. L’histoire récente du continent Africain et du Moyen-Orient nous le rappellent inlassablement : la dissolution des États laisse souvent le champ libre à la résurgence de formes débridées et sidérantes de violence sociale ou politique. L’esclavagisme en est une des déclinaisons.

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C. L. R. James Histoire des des révoltes panafricaines

« Préfacé par l’excellent Selim Nadi
Postface par l’excellent Matthieu Renault
C’est à mettre entre toutes les bonnes mains. »

Ce petit livre de C. L. R. James, dont la première édition est parue en 1938, la même année que Les Jacobins noirs, propose une histoire mondiale de la résistance des Noirs, de Saint-Domingue aux colonies africaines, en passant par les États-Unis et d’autres îles des Antilles.

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Entretien avec Matthieu Renault

Matthieu Renault est Maître de conférences en philosophie à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, membre du Laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie (LLCP). Il est l’auteur de : Frantz Fanon. De l’anticolonialisme à la critique postcoloniale (Éditions Amsterdam, 2011) ; L’Amérique de John Locke : L’expansion coloniale de la philosophie européenne (Paris : Éditions Amsterdam, 2014) ; C .L. R. James : La vie révolutionnaire d’un « Platon noir » (La Découverte, 2016) et de L’Empire de la révolution (Syllepse, 2017).

Selim Nadi : Après t’être intéressé à Frantz Fanon, à l’Amérique de John Locke et, plus récemment, à C.L.R. James, tu publies un ouvrage sur Lénine et les musulmans de Russie, comment en es-tu venu à écrire L’Empire de la révolution (Syllepse, 2017) ?

 

 

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C.L.R. James : vers un matérialisme postcolonial

C.L.R. James : vers un matérialisme postcolonial Matthieu Renault   La critique de l’eurocentrisme est à renouveler. Pour certains, appliquer les concepts du marxisme au-delà des frontières de l’Europe est une condition suffisante pour réviser les attaches européennes de la théorie sociale. Pour d’autres, provincialiser l’Europe nécessite de renoncer à toute conceptualisation unitaire du capitalisme … Lire la suite

Les luttes négro-africaines et le panafricanisme

Hubert Harrison

Le panafricanisme est une histoire ancienne. Pour comprendre l’idée panafricaine et, plus largement, l’idée d’une « question noire », il faut aller contre certaines évidences. Le panafricanisme ne concerne pas seulement « l’Afrique ». Ce n’est pas non plus un projet qui se réfère dans son ensemble à une « race » nègre au sens biologique du terme (même si certains auteurs panafricains ou afrocentristes se sont appuyés sur une telle hypothèse). Le panafricanisme renvoie d’abord à une réalité historique, à une violence fondatrice. Cette violence, c’est la traite transatlantique et ses conséquences dans tous les pays colonisateurs, dans les colonies d’Afrique et partout où une diaspora noire a vu le jour. Le panafricanisme est une tradition intellectuelle qui débute au xixe siècle. Elle plonge ses racines dans les premières résistances à la traite et l’esclavage dans les caraïbes et en particulier la révolution haïtienne, née d’une révolte d’esclaves en 1791 et entraînant l’indépendance de l’île et la naissance de la première république noire libre en 1804.

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