Lumumba et le péché originel du roi Baudouin

LUDO DE WITTE
29 juin, 2010
Ludo De Witte

[Sociologue et historien flamand, Ludo De Witte est né en 1956. Il est spécialiste de l’histoire de la décolonisation du Congo belge. Il est, notamment, l’auteur de L’assassinat de Lumumba (Karthala, Paris, 2000). Cet article est paru sous le forme d’une « carte blanche » dans Le Soir du 23 juin 2010 et est reproduit ici avec l’aimable autorisation de son auteur.]

L’anniversaire des 50 ans de l’indépendance congolaise à Kinshasa promet de laisser un arrière-goût d’amertume. C’est comme si, à des noces d’or, il y avait un terrible secret de famille dont on ne parlera pas, même si tout le monde le connaît, parce que « cela n’a plus d’importance », puisque, entre-temps, l’oncle que ce secret concerne est décédé. Au cours de ces festivités, personne ne dira rien de la camisole de force dans laquelle les Belges, les Américains, les Français ont maintenu le Congo au cours des années qui ont suivi l’indépendance. Il faut donc analyser les données qui restituent le contexte dans lequel se sont produites la déliquescence de l’Etat congolais et les souffrances de sa population : la dislocation du premier gouvernement congolais et l’assassinat de ses principaux leaders ; cinq années de répression de toute résistance, au prix de centaines de milliers de morts ; l’aide fournie à Mobutu pour qu’il s’empare du pouvoir ; et les dizaines d’années de soutien à son régime dictatorial.

Kabila rend hommage à Léopold II

Le gouvernement de Kabila ne commémorera pas ces méfaits. Le régime est affaibli et déstabilisé par des guerres et des incursions de bandes armées. L’Occident a d’énormes responsabilités dans tout cela. Les Français n’ont-ils pas exfiltré les génocidaires hutus avec un demi-million de leurs compatriotes dans l’est du Congo ? L’ONU n’est-elle pas restée au balcon lorsque ces milices hutues terrorisaient le Rwanda ? Elle est restée passive parce que la position de la France était diamétralement opposée à celle des Américains : Paris soutenait les Hutus ; Washington, le Rwanda. Ensuite, les Etats-Unis ont donné le feu vert à l’attaque, par le Rwanda et l’Ouganda, de Kabila et de leurs ennemis dans l’est du Congo, ce qui a provoqué une « guerre mondiale » africaine (1998-2006). Des années durant, les sous-traitants du Rwanda et de l’Ouganda continuèrent à piller tranquillement le Congo et à terroriser la population – « tranquillement », parce que les Etats-Unis et l’Europe maintinrent leur soutien à Kigali et Kampala. A la fin, l’Occident a obligé Kabila d’intégrer à son régime les plus importants seigneurs de la guerre (l’accord « 1 + 4 », 2003-2006), ce qui a permis à un certain nombre de ces bandes armées de poursuivre leurs raids de pillards comme « troupes régulières congolaises ».

Aujourd’hui, grâce aux Chinois venus concurrencer les sociétés occidentales pour l’exploitation des matières premières, Kabila a forcé l’espace d’une certaine marge de manœuvre. Car il lui est possible maintenant – ce qui suscite l’agacement de beaucoup d’Occidentaux qui se plaignent du « colonialisme chinois » – de jouer un peu l’est contre l’ouest. Cependant, le régime reste singulièrement faible. Il continue à dépendre dans une large mesure de l’Occident, et c’est la raison pour laquelle il ne remet pas en cause ses prétentions néocoloniales.

Le 10 février 2004, le président congolais prit la parole au Sénat de Belgique. Ce fut un agenouillement symbolique de dimension. Kabila y salua les pionniers de la colonisation « qui crurent au rêve du Roi Léopold II de bâtir, au centre de l’Afrique, un Etat. » Il ajouta immédiatement qu’il vaut mieux que le passé reste le passé : « A chaque génération le devoir d’assumer ses erreurs. Le passé, même s’il peut, en quelque sorte, influer sur l’avenir, ne le détermine cependant pas. »

En résumé, pour Kabila, au grand soulagement des élites belges, pour ce qui est du passé – le contentieux, dans tous les sens du terme -, la page est tournée.

Baudouin reçoit une lettre

A Laeken, ces déclarations seront bien accueillies. Albert II, fin juin à la tribune d’honneur à Kinshasa, se retrouve sur le théâtre d’une crise dans laquelle il a joué personnellement un bout de rôle il y a 50 ans. Début octobre 1960, le frère de Baudouin Ier résuma brièvement la vision belge dominante, lorsqu’il fit reposer sur le seul Premier ministre congolais la responsabilité de toute la crise. Le Prince, alors âgé de 26 ans, déclarait alors : « La crise du Congo incombe à un seul homme, Patrice Lumumba. » Il y a plus fort : le 30 juin, Albert II est envoyé sur le lieu d’un crime dont son frère porte une part de responsabilité.

Un expert de la commission Lumumba du Parlement belge, qui siégea de 2000 à 2001, a retrouvé en effet dans les archives du Palais un échange de lettres entre le chef de cabinet du roi et le major Guy Weber, un des chefs de la petite armée sécessionniste katangaise. Avec l’aide de la Belgique, le Katanga avait rompu avec le pouvoir central, peu de temps après l’indépendance congolaise. Le but de la Belgique était d’affaiblir le gouvernement Lumumba et, finalement, de provoquer sa chute. Dans l’une de ces lettres qui date du 19 octobre 1960, Weber parle d’un accord entre Mobutu et Tshombé. A l’époque, Lumumba est révoqué et le pouvoir central est entre les mains du tandem Kasa Vubu – Mobutu, mais l’ex-Premier ministre conserve une forte popularité, et ses adversaires redoutent son retour au pouvoir. Dans sa lettre, Weber annonce que Mobutu et Tshombé élimineraient complètement Lumumba, « si possible physiquement ». Derrière Mobutu, il y avait le général onusien Kettani, le chef de l’antenne de la CIA Devlin et le colonel belge Marlière. Derrière Tshombé, il y avait des officiers belges, comme Weber.

Baudouin reçoit la lettre en mains propres le 26 octobre. Il réagit rapidement : le 27, il fait rédiger un projet de réponse ; et le jour suivant, la version définitive de cette lettre est signée et expédiée. La réponse de Baudouin doit être considérée comme une approbation implicite du plan conçu pour tuer Lumumba. Dans sa lettre, Baudouin réagit en fait officiellement à un message de Tshombé datant du 6 octobre ; et le Roi ne traite évidemment pas de l’assassinat de Lumumba. Mais c’est une lettre émue, chaleureuse, où le souverain est tout éloge pour le régime de Tshombé et condamne Lumumba sans la moindre équivoque. Baudouin donne à Tshombé du « Monsieur le Président » comme s’il s’était agi du chef légitime d’un Etat reconnu internationalement. Le Roi se dit « très sensible (…) aux sentiments d’attachement que vous continuez à éprouver pour la Belgique et sa dynastie ». Il avoue à Tshombé à quel point l’imbroglio congolais le fait souffrir : « Le drame qui a endeuillé une grande partie de ce territoire est pour moi une source constante de tristesse ».

« Plausible deniability »

Il est évident que le souverain s’attend à quelque chose de concret venant du Katanga : « Une oasis de paix, une tête de pont à partir de laquelle il sera possible d’arrêter l’expansion du communisme en Afrique. » Ensuite, Baudouin désigne la racine du mal : « une association de quatre-vingts années comme celle qui a uni nos deux peuples crée des liens affectifs trop étroits pour qu’ils puissent être dissous par la politique d’un seul homme. » Dans le brouillon de lettre, il était écrit « par la politique haineuse d’un seul homme », mais ces mots furent finalement biffés. Il était clair ainsi que ces mots désignaient Lumumba. A la suite de quoi, le souverain conclut par une approbation à peine déguisée de l’accord entre Mobutu et Tshombé, y compris l’assassinat de Lumumba, le Premier ministre du gouvernement légal : « C’est ce qui me permet de vous dire ici combien j’apprécie les efforts que vous poursuivez inlassablement en vue d’une politique d’entente entre les divers leaders de l’ancien Congo, telle que vous l’avez définie à plusieurs reprises. » Y a-t-il une façon plus claire de signifier son accord sans que la chose ne puisse vous être formellement imputée ?

La lettre de Baudouin est un cas d’école de ce que la CIA nomme un message délivré avec une « plausible deniability » (un déni plausible, une possibilité de dénégation crédible) : l’usage dissimulateur de formules langagières à propos d’activités condamnables ou illégales, dont la signification réelle n’échappe pas au destinataire, mais qui, si nécessaire, au cas où l’affaire est éventée, peut être démentie de la manière la plus digne de foi.

Il est probable que le major Weber, le 17 janvier 1961, dix semaines plus tard, quand il décida de ne pas faire obstacle à ce que se poursuive le calvaire de l’ex-Premier ministre, a pensé à la lettre de Baudouin Ier, durant les heures interminables au cours desquelles Lumumba et ses compagnons d’infortune, aux mains de personnes sous ses ordres, étaient martyrisés puis assassinés. Devant la Commission Lumumba, Weber déclara qu’il avait informé le chef de cabinet du roi de l’assassinat de Lumumba presque tout de suite après qu’il eut été perpétré. Peu de temps après, le chef de cabinet du roi reçut du ministre d’Aspremont-Lynden le conseil de ne plus correspondre avec Tshombé – il faut comprendre : avec Weber. Nous n’en connaissons pas les raisons. Il est permis de supposer que l’épilogue dramatique de la crise congolaise et l’implication du Palais inquiétèrent le ministre et qu’il voulut éviter que la monarchie n’en soit « contaminée » un peu plus.

Visite au Cardinal

C’est à cette époque que Baudouin parcourt le pays avec sa fiancée Fabiola pour les traditionnelles Joyeuses Entrées. Une période sans audiences officielles : tout est centré sur le mariage royal, qui aura lieu le 15 décembre. La visite des deux fiancés à Malines marque cette période durant laquelle les Belges font la connaissance de leur future reine. Ils y rencontrent le cardinal Van Roey, assisté de son secrétaire Leclef et de l’évêque coadjuteur Suenens. C’était le… 28 octobre, le jour même où Baudouin appose sa signature au bas de la lettre compromettante à Tshombé.

Il est peu probable qu’il ait été question de la lettre durant la visite elle-même et en présence de Fabiola. Cependant, il est très tentant d’imaginer que le Roi n’ait pas seulement évoqué sa visite dans ses contacts avec le palais archiépiscopal et qu’il l’ait entretenu de ce très pénible dilemme sur le plan moral : peut-on pousser à un assassinat si celui-ci, dans la vision éloignée des réalités et alambiquée du Roi et de son entourage, peut libérer un peuple des griffes de Belzébuth ? Aujourd’hui, on sait à quel point l’évêque coadjuteur Suenens était proche de Baudouin : le futur cardinal l’avait aidé à rencontrer son épouse espagnole, ce qui fut le début d’une amitié qui dura toute la vie.

De plus, il est évident que l’entourage de Baudouin s’était fort occupé de cette affaire délicate. La réécriture du brouillon de sa lettre n’est pas de la main du Roi lui-même, ni de son plutôt affable chef de cabinet. Il contient quelques passages raturés comme la référence à « la politique haineuse », ce qui laisse supposer que quelqu’un de plus ultra aurait écrit la version originale. Peut-être est-ce la même main qui, dans le projet de discours royal, le jour de l’indépendance, écrivit le chant de louange au « libérateur Léopold II » – un passage que le Premier ministre Gaston Eyskens fit supprimer du texte du discours.

Il n’est pas absurde de penser que l’auteur de tout ceci doive être cherché dans l’entourage ultraconservateur de son père, le roi Léopold III. Après l’abdication à laquelle Léopold III fut contraint, Baudouin succéda à son père, mais sans jamais vraiment l’accepter. Le Roi – devenu roi à son corps défendant – se cramponna à la Maison de son père, une Cour qui lui inocula sa vision du monde. C’est ce que le journaliste d’investigation et observateur de la monarchie Walter De Bock appela un jour « le péché originel de Baudouin ». Un péché originel qui se concrétisa dans cette camarilla, reçue en héritage, d’exaltés d’un ancien régime, avec des ramifications dans le monde des affaires (la Société Générale) et dans le haut clergé. Ce milieu élitaire et énergique mit facilement le grappin sur le jeune Baudouin à la vision déconnectée du monde et le poussa sur la ligne de front de la bataille livrée au gouvernement Lumumba.

Evasion religieuse

Cela peut expliquer la raison pour laquelle le Roi intervint d’une manière très énergique au plus fort de la crise congolaise. Ne songeons qu’à sa tentative, en août 1960, de forcer le Premier ministre Eyskens à démissionner et d’aider à la constitution d’un cabinet d’affaires qui aurait remis de l’ordre au Congo. Et lorsque Eyskens tint bon et ne consentit pas à s’effacer, Baudouin poussa à la nomination d’un de ses familiers, le comte Harold d’Aspremont-Lynden, au poste de ministre des Affaires africaines. Il y eut en plus quelques initiatives diplomatiques où il n’en faisait qu’à sa tête, comme son souhait de décorer Tshombé, contre la volonté du gouvernement, qui craignait des complications internationales… Finalement, il y a la lettre du 28 octobre qui implique Baudouin dans le complot visant à l’assassinat de Lumumba, le pas de trop d’un Roi à qui, dans cette crise, on fit jouer un rôle autoritaire, bonapartiste. Car, au cours de l’été 1960, alors que la Belgique semblait perdre le Congo, l’appel dans l’opinion à un leader éclairé qui s’entremette avec énergie fut constant et puissant.

On est tenté de penser que le frêle et pâle jeune homme de 30 ans coupé du monde qu’était Baudouin en 1960, n’avait pas les épaules assez larges pour porter le fardeau d’une telle politique. Ces jours-là, Paul-Henri Spaak, alors secrétaire général de l’Otan, observait « le côté pathétique et désemparé du Roi qui voit que tout s’écroule sans pouvoir rien faire. » La lettre de Weber lui donna l’occasion, même si ce n’était que sur papier, de prendre la tête de ses officiers et de les mener au combat. Dans ce trop grand palais dont il était prisonnier, sous la coupe de l’entourage de son père, il outrepassa les bornes du raisonnable.

Cela nous amène à oser une hypothèse. Est-ce que ce faux pas ne jetterait pas quelque lumière sur sa fuite ultérieure dans un mysticisme religieux ? Une évasion qui aurait comme origine les difficiles journées d’octobre et qui se serait renforcée avec l’arrivée au Palais d’une catholique ultra comme Fabiola ? La foi du Roi était celle d’une soumission aveugle – ne se qualifie-t-il pas dans son journal intime d’« insecte » qui voudrait devenir un « beau cheval » et qui, pour cette raison, implore le pardon de Dieu ? Si cette hypothèse est juste, sa soumission fut également toute sa vie une expiation, qui l’enferma dans un pacte du silence avec les complices du crime, des nobles comme d’Aspremont-Lynden et des officiers comme Weber, qui devint plus tard aide de camp de Léopold III.

Références

Traduit du néerlandais par José Fontaine.

Sources : L. J. Cardinal Suenens, Le Roi Baudouin. Une vie qui nous parle, Editions Fiat, Ertvelde, 1995 ; Ludo De Witte, L’assassinat de Lumumba, Karthala, Paris, 2000 ; Jean Stengers, La reconnaissance de jure de l’indépendance du Katanga, in Cahiers d’Histoire du Temps Présent, nº 11, 2003 ; André de Staercke, Mémoires, Lannoo, Tielt, 2003 ; Luc De Vos, et al., Lumumba. De complotten ? De moord, Davidsfonds, Leuven, , 2004 ; les journaux Le SoirLa Libre BelgiqueLe Peuple d’octobre 1960.

SOURCE

L’assassinat de Lumumba

LUC SCHOLLEN
Toudi mensuel n°42-43, décembre-janvier 2001-2002

Retour sur le livre-événement de Ludo De Witte

Qui a tué Patrice Lumumba? Près de quarante ans après la mort du leader congolais, le sociologue Ludo De Witte entreprenait de revisiter les faits à la lumière d’une documentation minutieusement rassemblée et interrogée1. Ses conclusions étaient accablantes pour la Belgique, en particulier pour la monarchie, au point de susciter la mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire. Aujourd’hui, les experts chargés par cette commission de déterminer l’implication éventuelle des autorités politiques belges confirment les hypothèses du chercheur flamand. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, TOUDI fait un retour sur ce livre- événement.Un préalable indispensable: le rappel des sept premiers mois du Congo indépendantLa décolonisation du Congo belge et les mois particulièrement agités qui l’ont suivie jusqu’à la mort de Patrice Lumumba ont, par leur complexité, de quoi décourager le lecteur profane. Aussi n’est-il pas superflu de résumer à son attention les principaux événements qui ont émaillé cette période. Pour faciliter la compréhension, ceux-ci sont regroupés en trois temps forts.Premier temps fort: la fin du régime colonial. Le 30 juin 1960, la Belgique accorde – dans la précipitation – l’indépendance à sa colonie. Ce qui était encore impensable cinq ans auparavant, quand Jef Van Bilsen, professeur à l’Institut universitaire des Territoires d’Outre-mer d’Anvers, rendait public un Plan de Trente Ans pour l’émancipation politique de l’Afrique belge2! Mais les tensions provoquées par les émeutes de 1959 à Léopoldville3 poussent les Belges à réunir une Table Ronde avec des représentants congolais4 (janvier 1960). Sous la pression de ceux-ci, les autorités belges acceptent finalement d’abandonner tous les pouvoirs sur la colonie aux Chambres et au gouvernement congolais. À Léopoldville, le climat n’en est pas redevenu plus serein pour autant. Lors de la cérémonie officielle de transmission de la souveraineté, le jeune Premier Ministre Patrice Lumumba5 répond au discours paternaliste du roi Baudouin par le récit détaillé des souffrances infligées à son peuple par le colonisateur. Se sentant offensé, le roi précipite son retour à Bruxelles.Deuxième temps fort: le début de la question congolaise et le temps des sécessions. Dès le lendemain de l’indépendance, le général Émile Janssens, commandant en chef de la Force Publique6, s’oppose à l’africanisation des cadres de l’armée dans une scène restée célèbre. S’adressant aux hommes du Quartier Général, il leur indique que, pour lui, la seule vérité est celle qu’il a inscrite au tableau noir: «Avant l’indépendance = après l’indépendance.» S’ensuivent des journées de mutinerie à Léopoldville et à Thysville7. La Belgique intervient militairement au Katanga, à Matadi et en d’autres points stratégiques. Pour rétablir le calme, le gouvernement congolais annonce la réforme de l’armée (8 juillet 1960): Lundula devient commandant en chef, alors que Mobutu est nommé colonel et chef d’État-major. Trois jours plus tard, Moïse Tshombe, farouche opposant au gouvernement de Lumumba, proclame la sécession du Katanga8. Il bénéficie du soutien des troupes belges. Le 10 août, c’est Albert Kalonji, lui aussi opposé à Lumumba, qui proclame la création de l’État autonome du Kasaï. Entre-temps, à la demande de Patrice Lumumba, l’ONU a décidé de déployer des Casques bleus sur le territoire congolais. Le régime de Tshombe reçoit cependant la garantie que l’ONU ne touchera pas à la sécession.Troisième temps fort: la mise à l’écart et l’assassinat de Lumumba. Le 5 septembre 1960, le président Kasavubu, soutenu en coulisses par Bruxelles, l’ONU et Washington, démet de leurs fonctions Lumumba ainsi que six autres ministres. Cette décision est rejetée par la Chambre et le Sénat congolais qui, réunis le 13 septembre, accordent les pleins pouvoirs au gouvernement de Lumumba. Le jour d’après, le colonel Mobutu proclame son premier coup d’État: il propose la mise en place d’un collège de commissaires appelés à prêter serment devant le président Kasavubu. Le 10 octobre, Lumumba est mis aux arrêts à domicile à Léopoldville, ce qui n’entame en rien sa grande popularité. Le 27 novembre, il s’enfuit de sa résidence pour tenter de rejoindre Stanleyville9 et les nationalistes d’Antoine Gizenga. En décembre, il est finalement arrêté et détenu, sur ordre de Mobutu, dans le camp militaire de Thysville. Les casques bleus ghanéens ne sont pas intervenus pour le protéger, conformément aux instructions qui leur avaient été données par la direction de l’ONU. Le 17 janvier de l’année suivante, l’ex-Premier Ministre congolais sera emmené au Katanga dans un avion piloté par des Belges. Les dirigeants katangais n’avaient jamais caché que si Lumumba venait à tomber entre leurs mains, il serait un homme mort. Et effectivement, quelques heures après avoir débarqué à Élisabethville10, il est assassiné.La mort de Lumumba réduite officiellement à «une affaire de Congolais»

D’emblée, les événements qui composent cette tragédie seront agencés dans une version officielle que Ludo De Witte dénonce dans son livre comme «un mythe récalcitrant»11 . En effet, d’après cette «légende noire de Lumumba», celui-ci n’aurait été qu’un anticolonialiste déchaîné, sans vision politique claire mais proche de Moscou, dont l’extrémisme aura contribué à renforcer le chaos dont il sera finalement lui-même la victime. Sa mort serait l’aboutissement d’un règlement de comptes entre Congolais – entre «Bantous», au pire sous le patronage de la CIA12, sans que les Belges y aient pris une quelconque part active. Cette version s’étale dès le lendemain des événements dans une certaine presse bruxelloise13, et elle continuera à se renforcer au fil des ans grâce à une historiographie officielle14.Ainsi, elle est une nouvelle fois reprise et étoffée dans la thèse de doctorat soutenue par Jacques Brassinne le 15 février 1991 à la faculté des sciences politiques et sociales de l’ULB. Le jury lui accorde «la plus grande distinction», soulignant «l’absolue rigueur» qui caractérise ce travail doctoral.En réalité, un minimum de sens critique aurait permis de relever l’implication personnelle de cet universitaire dans le tissu d’événements qu’il prétend décrire avec objectivité. Car au moment du meurtre, le lauréat était «chargé de mission du gouvernement belge au Congo. Il était l’un des collaborateurs du Bureau-conseil du Katanga, c’est-à-dire du centre du pouvoir belge au Katanga, dont la Belgique avait planifié et maintenu la sécession»15. Détail plus révélateur: sa thèse de doctorat est dédiée au comte Harold d’Aspremont Lynden, ministre des Affaires africaines en 1961!Manifestement, cette thèse répond à des objectifs non scientifiques mais idéologiques et politiques. Elle intervient comme un plaidoyer à décharge des assassins de Lumumba. Un scandale, pour De Witte, qui se donne pour buts de démonter l’argumentaire de Brassinne et de jeter un éclairage nouveau sur les faits.Lumumba, sacrifié sur l’autel des intérêts économiques de la Belgique et de la Couronne

L’enquête de Ludo De Witte tient en une double thèse: l’assassinat de Patrice Lumumba a été monté politiquement depuis Bruxelles, tandis que son exécution à Élisabethville était entièrement contrôlée par les Belges. Si la CIA16 avait bel et bien tenté de l’éliminer à plusieurs reprises parce qu’elle voyait en lui un possible vecteur du communisme au Congo, les plans américains étaient interrompus dès le début du mois de décembre 1960. La Belgique avait entre-temps décidé de prendre les choses en main.Pour quel mobile? L’anticommunisme, bien sûr, mais surtout les richesses de l’État du cuivre: le Katanga! Son sous-sol était géré par l’Union Minière du Haut-Katanga (UMHK), fondée en 1906 par le Comité spécial du Katanga (où Léopold II avait de gros Intérêts), la Tanganyika Concessions et la Société Générale de Belgique, dont elle deviendra le joyau. Dans les années 50, l’UMHK réalisait des bénéfices nets s’élevant entre 2.5 et 4.5 milliards de francs belges par an, grâce à l’exploitation du cobalt, du cuivre, de l’étain, de l’uranium et du zinc. Inutile de préciser qu’après l’indépendance du Congo, le contrôle de cet Eldorado et la sauvegarde des intérêts économiques qu’il représentait seront l’objectif prioritaire de la Belgique17.Sur le terrain, les choses s’organisent rapidement. N’ayant pas réussi à inféoder comme elle le souhaitait le nouveau pouvoir de Léopoldville, Bruxelles se tourne en juillet 1960 vers le Katanga pour y créer un État stable, future tête de pont de la reconstruction du Congo et dont les dirigeants seront contrôlés par ses soins. Le comte Harold d’Aspremont Lynden y est envoyé pour organiser, avec le major Guy Weber et d’autres officiers belges, la sécession de la province. Celle-ci devient alors une construction centralisée et militarisée entièrement belge: derrière le paravent africain que constituaient le président Tshombe et son gouvernement, le Bureau-conseil – composé de «conseillers»belges – tirait en effet toutes les ficelles du jeu politique. La constitution katangaise était par ailleurs l’oeuvre du professeur Clémens, sur la base d’une note confidentielle d’un professeur de l’université de Gand. Les Belges assuraient également le maintien de l’ordre et la survie de la sécession: via les troupes belges d’occupation, puis grâce à la Gendarmerie katangaise, la police militaire d’Élisabethville, les services de police et les services de renseignement. À l’opposé de cette politique, le programme de Patrice Lumumba faisait figure d’épouvantail. La popularité de ce dernier ainsi que sa volonté explicite de réexaminer toutes les lois de l’époque coloniale, d’africaniser les cadres et de réclamer le transfert des avoirs congolais dans l’ex-métropole le désignaient comme l’homme à abattre18.A Bruxelles, plusieurs acteurs travailleront à l’élaboration d’une stratégie en vue de son élimination. Au premier rang de ces acteurs, il faut bien sûr épingler le gouvernement catholique libéral de Gaston Eyskens. Un comité permanent avait été créé en son sein pour gérer la crise congolaise. Ce «Comité Congo» était composé du Premier Ministre Gaston Eyskens, du Ministre des Affaires étrangères Pierre Wigny et du nouveau Ministre des Affaires africaines Harold d’Aspremont Lynden – rappelé à Bruxelles le 2 septembre 1960. Ce comité restreint, à majorité PSC, était «soustrait au maximum aux regards extérieurs». Sa volonté d’en finir physiquement avec Patrice Lumumba ne fait, pour Ludo De Witte, aucun doute. Car, alors qu’une opération nommée «Barracuda» a été planifiée en vue d’enlever le leader africain, Harold d’Aspremont Lynden télégraphie le 6 octobre 1960 à ses collaborateurs de Brazzaville et d’Élisabethville que «l’objectif principal à poursuivre dans l’intérêt du Congo, du Katanga et de la Belgique est évidemment l’élimination définitive de Lumumba». L’opération Barracuda sera annulée suite à l’arrestation de Lumumba par les troupes de Mobutu, mais les mots du ministre belge – «élimination définitive» – en disent long sur ses intentions homicides!Autre personnage dont l’intervention s’est révélée prépondérante: le jeune roi Baudouin. Celui-ci avait pris comme une gifle l’allocution de Lumumba le 30 juin 1960. Toutefois, Ludo De Witte exclut que le simple ressentiment du roi ait suffi à motiver l’assassinat. Dans le chef du monarque, l’élimination du Congolais répond à un impératif plus important qu’un conflit de personnes. Le palais est en effet «au centre d’un réseau économico-financier»19, qui tisse des liens entre la dynastie et l’élite en Belgique autour de la défense du portefeuille colonial. «Il ne faut pas s’en étonner», écrit De Witte, «car l’histoire de la Belgique, la dynastie, la Société Générale et le Congo sont étroitement imbriqués»20. En d’autres termes: le palais, à l’instar d’une partie du monde politique belge, avait un intérêt matériel direct en jeu dans la crise congolaise. Il n’est donc pas surprenant que la préférence du roi soit allée à Moïse Tshombe plutôt qu’à Lumumba.La tournure prise par les événements du Congo conduit Baudouin à adopter une attitude radicale. Vis-à-vis du gouvernement Eyskens, d’abord, qu’il juge trop faible et responsable de l’échec de la décolonisation. Le roi demande son remplacement par un cabinet d’affaires composé de personnalités plus enclines à une politique africaine «musclée» (Paul Van Zeeland, Ganshof van der Meersch …). Gaston Eyskens refuse de démissionner mais accepte le remplacement du ministre des Affaires africaines De Schrijver par le comte Harold d’Aspremont Lynden, rappelé du Katanga et plus conforme aux attentes royales. Vis-à-vis de Lumumba, ensuite, qu’il condamne dans son discours du 21 juillet 1960 alors qu’il y fait l’éloge de Tshombe. Pour légitimer la sécession katangaise, Baudouin traite en effet la province minière comme n’importe quel Ètat reconnu. Il décerne même à son président – reçu en audience officielle – le grand cordon de l’ordre de la couronne. Cette attitude profite Évidemment au gouvernement Eyskens qui s’assure, grâce à ce patronage, le soutien de l’opinion publique. Quant à «l’élimination définitive» de l’ex-Premier ministre congolais, il ne fait pas de doute, pour Ludo De Witte, qu’elle était cautionnée par le palais. Car, comment comprendre autrement que comme un geste de gratitude les marques de reconnaissance qui seront accordées par Baudouin aux protagonistes belges de l’affaire? Ce ne sont ni plus ni moins que les portes de la noblesse qui leur seront ouvertes après l’assassinat! En effet, «le colonel Paul Perrad, ancien commandant de l’armée secrète, chef d’État-Major de l’armée katangaise et l’un des officiers, qui, le 17 janvier 1961, n’ont pas empêché le meurtre, devient chevalier de l’ordre de l’Étoile africaine. Gaston Eyskens est nommé vicomte, Pierre Wigny est fait baron, Guy Weber devient aide de camp de Léopold III et est toujours, actuellement, secrétaire de la princesse Lilian. Jacques Brassinne, ex-membre du Bureau-conseil au Katanga, est anobli chevalier en 1988»21, soit à l’époque où il travaille à la thèse de doctorat qui dédouane la Belgique de toute implication dans l’assassinat de Lumumba.Une exécution organisée par les Belges

Le deuxième volet de la thèse de De Witte porte sur la complicité des Belges dans l’acte d’assassinat. Contrairement à ce qu’avance Jacques Brassinne, il semble que ce meurtre ne soit pas réductible à un règlement de compte entre Africains auquel les Belges auraient assisté impuissants.Les témoignages qu’il a recueillis permettent à Ludo De Witte de proposer une autre lecture des faits. Fin 1960, les partisans nationalistes de Lumumba – incarcéré à Thysville et resté très populaire malgré ses déboires – lancent une offensive au départ de Stanleyville: ils s’emparent de près de la moitié du territoire congolais. Une révolte éclate dans le camp où Lumumba est détenu: son retour politique semble imminent. La panique s’installe dans les rangs occidentaux qui craignent un renversement du rapport de forces en leur défaveur. Les Américains n’ayant plus d’agent sur place capable d’en finir avec lui, ce sont les Belges qui prennent les choses en main. Mais pas à n’importe quelles conditions! En effet, la mise à mort du chef d’un gouvernement étranger par la Belgique serait jugée inacceptable par la communauté internationale. Il fallait donc agir sans pitié mais en conservant les mains propres.Bruxelles savait qu’un transfert de l’ex-Premier ministre vers les provinces sécessionnistes lui serait fatal22. Fallait-il choisir Bakwanga, capitale du Kasaï, pour le livrer à Kalonji, ou Elisabethville, au Katanga, pour confier son sort à Tshombe? La dernière solution présentait de sérieux avantages: d’une part, elle soulageait le régime officiel de Léopoldville dont la Belgique allait avoir besoin – Kasavubu étant le président légalement élu du Congo – et, d’autre part, elle impliquait une collaboration prometteuse entre Élisabethville et Léopoldville dans la perspective de la restructuration du Congo. Au contraire, Bakwanga posait un «problème de sécurité», dans la mesure où son aéroport était contrôlé par des casques bleus ghanéens toujours susceptibles de défendre Patrice Lumumba. Le 16 janvier 1961, le ministre d’Aspremont Lynden envoie au consul général Créner et au Bureau-conseil un télégramme destiné à influencer le cours des événements. Le message est clair: «Minaf [ministre des Affaires africaines] Aspremont insiste personnellement auprès président Tshombe pour que Lumumba soit transféré au Katanga dans les délais les plus brefs. Fin citation. Prière me tenir au courant. Minaf.»23. Rapidement, les présidents du Katanga et du Congo se mettent d’accord pour que cette suggestion soit suivie d’effets.Victor Nendaka, en charge de la Sûreté à Léopoldville, s’occupe des modalités pratiques du transfert. Il agit vraisemblablement avec l’aide des conseillers belges du régime de Mobutu André Lahaye et Louis Marlière. Deux autres prisonniers accompagnent le convoi: il s’agit de Maurice Mpolo et de Joseph Okito, deux anciens dirigeants du parti de Lumumba (MNC), jugés dangereux parce que susceptibles d’encourager la rébellion nationaliste. L’ex-Premier ministre et ses compagnons d’infortune sont transportés à bord d’un DC-4 vers Elisabethville. l’équipage de l’avion est, pour moitié, composé de Belges – dont le commandant de bord. Durant le vol, les prisonniers sont brutalisés par les hommes de Nendaka. A leur arrivée à l’aéroport, ils le seront encore par les hommes de la Gendarmerie katangaise, sous le regard des officiers belges et des conseillers de Tshombe. Le trio est ensuite conduit à la maison Brouwez où des Belges attendent. Le colonel Vandewalle, chef de la Gendarmerie, reconnaît que l’exécution de l’ex-Premier ministre «n’est alors plus qu’une question d’heures». Et de fait, les trois hommes seront passés par les armes dans un endroit marécageux, à 50 km d’Élisabethville (Lubumbashi). Le peloton était composé de policiers et de militaires Balunda et Bayeke. Quant aux Belges, ils ne devaient officiellement pas avoir de sang sur les mains: le commissaire Verscheure (conseiller du commissaire en chef de la police d’Élisabethville, Pius Sapwe) et le capitaine Gat (Police militaire du Katanga) se «contentèrent» de diriger la manœuvre et de placer les prisonniers devant leurs bourreaux!Bruxelles se méfie de l’impact qu’aurait la révélation de son implication dans ce crime. Au plan diplomatique, celle-ci susciterait des protestations violentes qui risqueraient de fragiliser la position de la Belgique de même que celle de l’ONU. En effet, les casques bleus, pourtant appelés par Lumumba, ne sont pas intervenus non plus pour empêcher le cours des événements. La stratégie la plus sûre pour les Belges est donc d’étouffer l’affaire. Tous s’y mettent, tant à Léopoldville qu’à Élisabethville ou à Bruxelles. Dans ce contexte, De Witte souligne, témoignages à l’appui, le rôle particulièrement macabre joué par les frères Soete, alors membres de la police militaire du Katanga. Ceux-ci furent en effet chargés, deux jours après l’assassinat, de déterrer les cadavres, de les découper à la scie et d’en dissoudre les morceaux dans un bain d’acide sulfurique provenant de l’Union Minière. Gérard Soete ira jusqu’à reconnaître avoir gardé longtemps des dents du leader congolais en souvenir de cette nuit d’épouvante! Le «sale boulot» effectué par les frères Soete sera ultérieurement complété par un travail de manipulation de l’opinion: des discours lénifiants, comme celui de Jacques Brassinne, mettront sur le compte de la «haine tribale» la cause de la mort de Patrice Lumumba.Le rapport préliminaire des experts de la commission d’enquête confirme la responsabilité de la Belgique

Les révélations explosives contenues dans le livre de Ludo De Witte sont à l’origine d’une commission d’enquête parlementaire24 chargée de préciser l’éventuelle implication de la Belgique. Aujourd’hui, les experts mandatés par cette commission ont déjà déposé leur rapport préliminaire. Ce rapport, accablant pour les Belges et la monarchie, confirme la thèse du sociologue flamand sur plusieurs points25:- sur la stratégie belge de morcellement du Congo en provinces semi-autonomes en vue de sa reconstruction «made in Belgium»à partir du Katanga. C’est le ministre d’Aspremont Lynden qui est désigné comme la cheville ouvrière de l’opération de stabilisation de la sécession katangaise et de celle du Kasaï. Fait nouveau par rapport au développement de Ludo De Witte: les experts soulignent également le rôle anti-lumumbiste joué par le syndicat chrétien (ACV-CSC), propriétaire du journal Le Courrier d’Afrique;- sur l’appui accordé dès le début par Bruxelles au colonel Mobutu et à son «collège de commissaires». La Belgique finança notamment la publication des textes de la destitution de Lumumba dans le «Moniteur» congolais. Un fonds secret de plus de 50 millions de francs belges existait d’ailleurs aux Affaires africaines, destiné à être utilisé dans des circonstances exceptionnelles. Plus grave: les experts confirment l’existence du plan d’élimination physique de l’ex-Premier ministre – le 14 janvier, le lieutenant-colonel Marlière recevra l’ordre du major Loos (conseiller militaire de d’Aspremont Lynden) d’activer le plan «Brazza» (nom de code du transfert de Lumumba au Katanga);- sur les tentatives d’étouffement de l’affaire. Les experts ont mis à jour dans les papiers de Gaston Eyskens datés du 22 janvier 1961 des indices que le Premier ministre belge s’était entretenu de la mort de Lumumba avec le chef du groupe libéral. Or, après coup, Eyskens allait officiellement demander que le prisonnier soit bien traité!- sur l’implication du roi Baudouin. Les experts constatent l’existence, entre le Palais et Élisabethville, d’un réseau d’information parallèle et non contrôlé par le gouvernement. C’est par ce circuit que le roi aurait appris en octobre 60 l’accord entre Tshombe et Mobutu sur l’élimination physique de Lumumba. Ce point est d’ailleurs confirmé par les journalistes Guy Polspoel et Pol Van den Driessche dans leur livre Koning en onderkoning. Ceux-ci font état d’une lettre du major Guy Weber (chef de cabinet de Tshombe) au roi Baudouin évoquant le projet d’assassinat du leader congolais. Ce document comporte une annotation du roi disant en substance: «on ne va pas laisser une oeuvre de 80 ans [ ndlr: l’oeuvre coloniale] être détruite par la politique haineuse d’un homme»26. En outre, rien ne prouve que cette information ait été portée par le monarque à la connaissance du gouvernement! Le roi était donc au courant des projets de suppression de Lumumba: les commentaires qu’il faisait à propos de ce dernier et le fait qu’il n’ait rien fait pour empêcher les Katangais de passer aux actes font penser que le cours des événements correspondait à son souhait.Recherche historique, travail de mémoire et conclusions politiques

Le livre de Ludo De Witte est un événement au plan intellectuel parce qu’il constitue une rupture dans l’interprétation du passé (post) colonial de la Belgique. À ce titre, ce livre dérange et d’aucuns s’interrogent sur sa pertinence: n’est-ce pas du «masochisme intellectuel», ne risque-t-on pas de fixer définitivement les rancœurs des uns et des autres, voire de casser toute possibilité de réconciliation entre les Belges et les Congolais27? Une réflexion plus nuancée sur ses enjeux historiques, mémoriels et politiques démontre toutefois que ce travail de relecture peut, au contraire, se révéler salutaire.C’est devenu un truisme, mais il convient de rappeler que la mémoire humaine ne se réfère pas au passé de façon strictement «objective». Ne pouvant retenir l’ensemble des faits d’une période, elle procède par sélection. C’est le cas tant au plan individuel qu’au plan social. De manière peut-être trop vague, certains historiens appellent «mémoire collective» ce que des groupes humains ont fait du passé qui les concerne. Ce concept recouvre ainsi tous les souvenirs vécus mais également les reconstructions mythiques propres à une communauté28. Les faits qui trament «l’assassinat de Lumumba» participent de cette dynamique. Pendant quarante ans, dans la mémoire collective des Belges, ces événements ont été recomposés dans la «légende noire» d’un agitateur nuisible, ingrat, manipulé par Moscou et finalement rattrapé par la haine tribale. Compte tenu du contexte de sa genèse, il n’est pas étonnant de voir mobilisés dans cette construction les stéréotypes coloniaux les plus grossiers: la sauvagerie des Africains, leur incapacité à se prendre en charge, ou encore leur cruauté. Bien sûr, de leur côté, les Congolais ont également réorganisé ce segment de leur histoire29. Au contraire de celle des Belges, leur version campe Lumumba en combattant de la liberté et défenseur de son peuple opprimé, sacrifié pour avoir voulu s’opposer au colonialisme. Alors que les Belges ont manifestement procédé par omissions en proposant une version édulcorée de la réalité, les Congolais ont créé un scénario plus martyrologique de la mort de Lumumba en amplifiant ses qualités de résistant et de victime.Ces interprétations officielles du passé, qu’elles soient congolaises ou belges, répondent en réalité à des objectifs politiques présents. Cet usage de l’histoire dépend des intérêts propres à chaque collectivité. Ainsi, les Belges ont-ils passé sous silence tout ce qui ne servait pas à légitimer leur politique africaine. De même, les Congolais ont mobilisé la figure de Lumumba pour appuyer la contestation du régime de Mobutu. Ceci ne va pas sans poser des problèmes au plan des relations internationales. Car – des recherches récentes l’ont montré30 – la divergence entre les représentations que deux communautés se font d’un événement qui les a opposées – en l’occurrence, la colonisation dont la mort de Lumumba est un épisode ultime – rend difficile toute réconciliation entre ces deux communautés. En fait, seul un travail de mémoire parvient à résoudre un conflit d’interprétations et à dépasser «les logiques de l’oubli et de la revanche»31.C’est ici qu’il convient de souligner le caractère salutaire de l’enquête de Ludo De Witte. En effet, en reconstituant la chronologie des événements de manière minutieuse et en tissant entre les faits d’autres liens de causalité, elle ouvre le passé à de nouvelles lectures.Sur cette base, Belges et Congolais peuvent un jour espérer établir un récit commun et susceptible de les rapprocher.Cette démarche-là ne regarde toutefois plus l’histoire32. Par contre, elle comporte des enjeux politiques. Car pour être efficace, le travail de mémoire implique que chaque société qui l’entreprend réfléchisse de manière critique à son propre mode de fonctionnement. Au plan de l’expérience individuelle, il conviendrait par exemple que l’on s’interroge en Belgique sur les discours que les manuels scolaires ou les cérémonies commémoratives donneront à intérioriser aux générations futures. De même, au plan des relations intérieures et extérieures, certaines pratiques mériteraient, elles aussi, d’alimenter un débat. Concrètement, cela signifie qu’à propos des liens entre la monarchie et certains milieux politico-financiers, à propos du pouvoir d’initiative du roi mis en exergue par De Witte et par les experts de la commission parlementaire, à propos aussi de l’ingérence de la Belgique dans les affaires intérieures du Congo, on ose se demander: aujourd’hui, qu’est-ce qui a vraiment changé?

  1. 1.Le livre a d’abord été publie en néerlandais sous le titre: De moord op Lumumba, Louvain, Uitgeverij van Halewyck, 1999. Ludo De Witte a notamment pu consulter les archives des Nations Unies (New York) ainsi que celles du ministère des Affaires étrangères (Bruxelles).
  2. 2.La publication de ce document jettera un pavé dans la mare de la politique congolaise: d’une part, il suscitera la réprobation des Européens du Congo qui voyaient en son auteur un utopiste et, d’autre part, il contribuera à éveiller l’intérêt des milieux dits «évolués» congolais, tel le groupe Conscience africaine qui rédigera un manifeste réclamant l’indépendance de la colonie.
  3. 3.Aujourd’hui Kinshasa.
  4. 4.43 délégués congolais participent à la conférence de la Table Ronde, représentant 14 partis politiques.
  5. 5.Patrice Lumumba (dont le parti était le MNC) et Joseph Kasavubu (ABAKO) étaient politiquement rivaux. Les élections destinées à constituer le premier gouvernement congolais n’ayant pas permis de dégager de majorité incontestable au plan national, une solution de compromis donnera la présidence à Kasavubu et le pouvoir politique (comme Premier Ministre et chef du gouvernement) à Lumumba.
  6. 6.Héritée du Congo de Léopold II, la Force publique compte 25.000 hommes au moment de l’indépendance. Elle est considérée comme un instrument essentiel du futur Congo mais reste dirigée par des Européens. Les Congolais ne peuvent espérer d’avancement au-delà du grade de sous-officier!
  7. 7.Mbanza-Ngungu, au sud de Kinshasa.
  8. 8.L’actuelle province du Shaba.
  9. 9.L’actuelle Kisangani.
  10. 10.Alors capitale du Katanga. La ville se nomme aujourd’hui Lubumbashi.
  11. 11.L. DE WITTE, L’assassinat de Lumumba, p.14.
  12. 12.Par exemple Manu RUYS dans Achter de maskerade. Over macht, schijnmacht en onmacht, Kapellen, Uitg. Pelckmans, 1996.
  13. 13.La Libre Belgique écrit dans son édition du 14/02/1961 que «ce qui survient démontre, hélas! qu’en Afrique et dans certains pays ayant connu une évolution comparable, l’accession à la démocratie demeure une affaire de meurtres».
  14. 14.À l’appui du constat de Ludo De Witte, on fera remarquer que cette version officielle est reprise en Belgique par les manuels d’histoire. À propos de la période allant de 1960 à 1965, la plupart dégagent totalement la responsabilité de Bruxelles dans la crise congolaise. Lire à ce sujet Benoît VERHAEGEN, La colonisation et la décolonisation dans les manuels d’histoire en Belgique, dans QUAGHEBEUR (M.) & VAN BALBERGHE (E.) (éd.), Papier blanc, encre noire. Cent ans de culture francophone en Afrique centrale (Zaïre, Rwanda et Burundi), t.2, Bruxelles, Labor, 1992, pp. 333 ñ 379.
  15. 15.L. DE WITTE, op. cit., p. 20.
  16. 16.Sur ordre d’Eisenhower et par la main d’un certain Dr Gottlieb, chargé de s’infiltrer auprès de Lumumba afin de lui inoculer un virus.
  17. 17.La veille de l’indépendance, le 29 juin 1960, l’U.M.H.K., en même temps que d’autres sociétés congolaises, avait d’ailleurs été transformée en «société de droit belge», son siège social étant du même coup transféré d’Élisabethville à Bruxelles. Lire à ce propos M. CORNEVIN, Histoire de l’Afrique contemporaine. De la deuxième guerre mondiale à nos jours, troisième édition, Paris, Payot PBP, 1978, pp. 228-229.
  18. 18.Dans le courant du mois d’octobre 1960, les propos du prince Albert, actuel roi des Belges, illustrent parfaitement la «lumumbophobie» belge: «La crise du Congo incombe à un seul homme, Patrice Lumumba.» Cité par L. DE WITTE, op.cit., p. 123.
  19. 19.Le réseau s’organise comme suit: Gobert d’Aspremont Lynden, Grand Maréchal de la Cour, est commissaire de la Société Générale de Belgique et administrateur de la Compagnie Maritime Belge et de la Compagnie du Katanga. En outre, il représente la maison royale, avec le Grand Maréchal honoraire prince Amaury de Mérode, au sein du collège des douze commissaires, organe suprême de la Société Générale de Belgique. Le neveu de Gobert n’est autre que Harold d’Aspremont Lynden, ancien directeur de la Mission technique belge au Katanga (Mistebel) devenu ministre des Affaires africaines. Le comte Robert Capelle, ancien secrétaire de Léopold III, et Jean-Pierre Paulus, ancien chef de cabinet adjoint du roi Baudouin, cumulent des mandats d’administrateur de l’Union minière et de diverses autres sociétés coloniales. Lilar, le vice-Premier ministre de Gaston Eyskens, est quant à lui un ancien président du Titan anversois et des Ateliers de Léopoldville. Le président de la Chambre belge, le baron Kronacker, et les ministres Scheyven, Wigny et De Vleeschauwer sont administrateurs de toute une série d’entreprises coloniales. Dans L. DE WITTE, op.cit., pp. 90-91.
  20. 20.ID., Ibidem.
  21. 21.ID., Pour le roi et la patrie (in Le Vif / L’Express, 20/10/2000, p.34).
  22. 22.Munongo, ministre de Tshombe, avait déclaré au journal La Cité le 12 septembre 1960: «S’il [Lumumba] vient chez nous, nous ferons ce que les Belges n’ont pas su faire, nous le tuerons.» En outre, un document du régime katangais relatif au sort que subirait Lumumba s’il débarquait dans la province du cuivre a été commenté au début du mois de janvier 1961 dans la commission des Affaires étrangères de la Chambre, en présence des ministres Wigny et d’Aspremont Lynden. Voir L. DE WITTE, L’assassinat de Lumumba, p. 206.
  23. 23.ID., Ibidem, p.217.
  24. 24.Geert Versnick (VLD) a été désigné comme président, les vice-présidences revenant à Claude Eerdekens (PS) et Herman van Rompuy (CVP). Ferdy Willems (VU), Daniel Bacquelaine (PRL) et Marie-Thérèse Coenen (Ecolo) ont été désignés comme rapporteurs.
  25. 25.Colette Braeckman en fait une synthèse dans le journal Le Soir des 20 et 21 octobre 2001.
  26. 26.Le Soir, 23/10/2001, p. 8.
  27. 27.Éloquente et illustrative de ce point de vue, la tribune libre de Pascal de Roubaix dans Le courrier de la Bourse et de la Banque du 16 mai 2000.
  28. 28.P. NORA, Mémoire collective, dans J. LE GOFF, R. CHARLIER & J. REVEL (dir.), La nouvelle histoire, Paris, C.E.P.L., 1978, pp. 398-401.
  29. 29.Sur la Toile, on lira par exemple le dossier du site Afrique pluriel (sic!) signé Marcel Péju (http://www.afriquepluriel.ch/rdc-lumumba.htm) et la page de Congo 2000 (http://www.congo2000.com/rupture.html) qui lui sont consacrés.
  30. 30.V. ROSOUX, Mémoire et résolution des conflits: la nécessaire reconnaissance des victimes (in Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, n° 69, octobre-décembre 2000, pp. 15-41).
  31. 31.ID., Ibidem, p. 28.
  32. 32.Puisque il ne s’agit plus de se demander ce qui s’est passé mais ce qu’il faut faire avec le passé.

Les secrets de l’affaire Lumumba

Analyse critique du livre
DANIEL OLIVIER
Toudi mensuel n°71, mai-juillet 2006

La raison du plus fort est toujours la meilleure.
Nous l’allons montrer tout à l’heure…
Jean de La Fontaine Le loup et l’Agneau.

Quatre historiens – Luc De Vos, Emmanuel Gérard, Jules Gérard-Libois, Philippe Raxhon – ont dû se mettre en quatre (!) pour nous annoncer que l’assassinat de Patrice Lumumba est devenu…une affaire Lumumba: Les secrets de l’affaire Lumumba, Racine, Bruxelles 2005.. N’oublions pas que l’Enquête Parlementaire qui est le guide de cet ouvrage s’intitule : « Enquête Parlementaire visant à déterminer les circonstances exactes de l’assassinat de Patrice Lumumba et implication éventuelle des responsables politiques belges dans celui-ci » (Doc 50 031/2/007). Ainsi dans le titre du livre, non seulement Patrice a disparu – et comment ( !) – mais l’assassinat est devenu une affaire…à suivre.

Les auteurs oublient que Patrice Lumumba n’a pas été assassiné seul. Il était accompagné de Maurice Mpolo et Joseph Okit.Le premier est né en 1928 et est membre du M.N.C. (Mouvement National Congolais fondé par P. Lumumba en 1958), Ministre de la Jeunesse et des Sports dans le gouvernement Lumumba, révoqué le 12 septembre 1960 par Kasavubu, et nommé chef d’état-major par Lumumba le 15 septembre. Il ne pourra exercer ses fonctions: il est arrêté et emprisonné à Thysville avec Lumumba, puis livré au Katanga et exécuté le 17 janvier 1961.Joseph Okito  est né en 1910. Sénateur du Kasaï, puis vice-président du Sénat en juin 1960, président en septembre 1960. Il est arrêté le 30 novembre 1960 à Kikivit, emprisonné à Thysville avec Lumumba, livré avec lui et Mpolo au Katanga et exécuté le 17 janvier 1961.Maurice Mpolo et Joseph Okito sont des dirigeants du Mouvement National Congolais qui avec Patrice Lumumba tentèrent de rejoindre Stanleyville pour regrouper les forces nationalistes et entreprendre une reconquête du pouvoir.

Quant aux secrets, annoncés par le titre du livre, à l’exception de quelques nouvelles archives, nous ne lirons que des secrets de polichinelle. L’assassinat de Patrice Lumumba n’était pas inconnu. Des dizaines de livres ont paru sur le sujet ainsi que des centaines d’articles, des émissions radio et télévision, des films. Le choix de ce titre n’est donc pas approprié, il est incomplet ; Lumumba n’a plus de prénom ni de compagnons, l’assassinat est édulcoré ; il est devenu une « affaire ». Le titre est donc prétentieux : les secrets sont inexistants.

Dans la bibliographie, nous regrettons l’absence de trois auteurs :

Lumumba, un crime d’État, Colette Brackman, éditions Aden, Bruxelles 2002,

Un insoumis, Jean Van Lierde, Labor, Bruxelles 1998,

Patrice Lumumba, jeunesse et apprentissage politique 1925-1956, J. Omasombo Tshonda et B. Verhaegen, éditions Institut Africain – Cedaf – L’Harmattan Paris, 1998,

Ces trois livres livrent des éléments indispensables quand l’on veut savoir que dès 1956, Patrice Lumumba est la cible du pouvoir politique et économique belge, de l’Église catholique et de certains Congolais alors, que d’après les auteurs, tout commence en juillet et août 1960 (chapitre I, p.25).  Les secrets de l’affaire Lumumba Quant au livre de Ludo De Witte L’assassinat de Lumumba, éditions Karthala 2000, il est tout autant pris pour cible que Lumumba par les auteurs. Parmi la dizaine d’acteurs importants cités par ceux-ci : Harold d’Aspremont Lynden, Joseph Kasa-Vubu, Pierre Wigny, Louis Marlière, Guy Weber, le Roi Baudouin, Jacques Brassinne, Frédéric Vandewalle etc…, Ludo De Witte, auteur de L’assassinat de Lumumba, apparaît à longueur de pages et ce, dans des termes peu amènes. Son livre a provoqué la mise sur pied d’une commission d’Enquête Parlementaire qui a publié ses conclusions en deux volumes le 16 septembre 2001.

Pourquoi ce livre  Les secrets de l’affaire Lumumba ? À notre avis, d’une part pour atténuer une des conclusions de la commission d’enquête parlementaire qui confirme que « les autorités gouvernementales belges portaient une responsabilité morale dans les circonstances ayant conduit à la mort de Lumumba », et d’autre part pour discréditer le livre de L.De Witte. On noirci… De Witte ( !) pour rendre le blanc plus blanc ! Voyons les, un par un ces acteurs importants, puis nous verrons dans quels termes L. De Witte est traité par les acteurs.

Les grands acteurs belges de l’assassinat de Lumumba

Harold d’Aspremont Lynden, comte, P.S.C. ancien chef de cabinet-adjoint du Premier Ministre G. Eyskens nommé Ministre des Affaires Africaines le 2 septembre 1960. Il fait partie, avec Eyskens et Wigny, Ministre des Affaires Etrangères du Comité Congo -« Comité Ministériel restreint des affaires Africaines ». À ce jour, dans les archives du département des Affaires étrangères, on ne retrouve aucune trace du Comité Congo. Rappelons que Léopold II avait brûlé ses archives sur le Congo ! De Léopold Ii au Comité Congo, même disparition !

Le neveu d’Harold d’Aspremont Lynden est le Grand Maréchal de la cour. On est en famille à la Cour de Baudouin. Le 9 septembre 1960, le  Pourquoi -Pas écrivait : « Il devenait tout naturel dès lors de penser qu’en misant sur M. d’Aspremont Lynden, on misait contre Lumumba. » Cela va se vérifier. Ajoutons que la famille d’Aspremont Lynden a d’importants intérêts dans des sociétés congolaises.

Kasa-Vubu : Joseph, né en 1917, président de l’Abako (Alliance des Bakongo) en 1955, bourgmestre de Dendale en 1958. Arrêté après le soulèvement de janvier 1959 à Léopoldville, libéré en mars. Député en 1960, élu Président de la République le 24 juin. Révoque Lumumba en septembre. Chassé de la présidence en 1965 par le coup d’État de Mobutu. Quelques temps en résidence surveillée. Meurt dans une sorte de retraite en avril 1969.

P. Wigny : P.S.C. ministre des Affaires Etrangères, bien qu’opposé à la politique de confrontation du ministre de la défense nationale Arthur Gilson, en ce qui concerne Lumumba, le 10 septembre, il écrit « Les autorités constituées ont le devoir de mettre Lumumba hors d’état de nuire ». Il est administrateur de sociétés minières au Congo.

L. Marlière : Lieutenant – Colonel de l’armée belge, à l’époque il n’était « que » colonel, homme-clé du gouvernement dans l’opération Barracuda (le nom de code de l’action belge d’élimination de Lumumba). C’est lui qui reçoit les fonds (500 millions F.B.) pour payer les soldats et organiser « la neutralisation effective de Lumumba ».

G. Weber : Major de l’armée belge, il voudrait être le Massu du Congo (Lettre du 15 / 6 / 60) Conseiller militaire de Tshombé. Lors de la sécession du Katanga en juillet 1960, c’est lui qui interdit l’atterrissage de l’avion de Kasa-Vubu et Lumumba. Il accepte le transfert de Lumumba au Katanga sachant que cela équivaut à sa liquidation.

Baudouin Ier : roi des Belges. Dans son allocution du 21 juillet 1960, le roi Baudouin condamne le gouvernement Lumumba. « Notre devoir est de répondre à tous ceux qui nous demanderont loyalement notre collaboration » Tshombé est le seul à le faire. Un mois après la nouvelle officielle de l’assassinat de Lumumba au Katanga, Baudouin écrit à Tshombe « …soyez convaincu que j’apprécie hautement la sagesse avec laquelle vous avez dirigé le Katanga dans des circonstances infiniment difficiles et délicates… » (Lettre à Tshombé du 13/ 3/ 61.Par l’entremise de la société Générale, la famille royale a d’importants intérêts au Katanga. Dans les mois et les années suivantes, les protagonistes de l’assassinat de Lumumba sont royalement ( !) récompensés : Tshombé est décoré de la grande croix de l’Ordre de la Couronne, G. Eyskens sera nommé vicomte et ministre d’État. Pierre Wigny est devenu baron, G. Weber devient aide de camp de Léopold III.

J. Brassinne : a vécu de très près l’indépendance du Congo et la sécession du Katanga en tant que chargé de Mission du Gouvernement belge. Il était un des collaborateurs du Bureau – Conseil du Katanga, c’est-à-dire du centre du pouvoir belge au Katanga. En 1991, il soutient avec succès sa thèse de doctorat à la faculté des sciences politiques et sociales de l’U.L.B. qui a pour titre  Enquête sur la mort de Patrice Lumumba. Ses conclusions sont très claires : les Belges sont innocentés, les Katangais ont subi une force majeure, instruments de « la tradition bantoue » ! C’est l’histoire…officielle ! Dans la chaîne de décision de l’assassinat de Lumumba : Brassisnne est un rouage important car il assiste activement par le Bureau – Conseil, le gouvernement Katangais. Il sera fait chevalier par le roi Baudouin.

F. Vandewalle : colonel de l’armée belge, chef de la sûreté congolaise, « diaboliquement intelligent » d’après G. Weber ! Au moment de la sécession katangaise, il est le « chef occulte » des forces armées Katangaises. C’est lui qui coordonne le transfert, l’arrivée et la livraison de Lumumba, Mpolo et Okito aux gendarmes Katangais, sachant très bien qu’ils vont les exécuter. Cette huitaine de personnage, haut placés, vont faire exécuter une basse besogne par des subalternes et puisqu’ils n’ont pas de sang sur les mains mais dans leur tête, ils vont se dédouaner de ce triple crime d’État.

Les chicaneries subies par De Witte

Passons maintenant à l’auteur du livre : L’assassinat de Lumumb, Luc De Witte, qui va subir de la part de ces quatre auteurs -L. De Vos, E. Gerard, J. Gerard-Libois et Ph. Raxhon- une dévalorisation systématique de son travail. Voyons plutôt.

– Ils parlent des « conclusion abruptes de l’auteur » (p. 10, dont ils disent qu’il « accusait sans détoiur le gouvernement de l’époque » (ibidem).

– Ils écrivent« Ce n’est qu’au dernier stade de leur travail que les experts seraient à même de dire dans quelle mesure la démonstration de l’auteur (L. De Witte) reposait sur des bases solides, était cohérente, et si les documents et les témoignages cités étaient dignes de confiance » (p 12). Ces experts sont ceux de l’enquête parlementaire ; les quatre historiens utilisent le conditionnel pourles experts de la commission d’enquête parlementaier, pourquoi? Il aurait été possible de dire « seront »? Il y a quelque chose de pervers dans ce « seraient » utilisé au lieu de « seront »…

– Ils écrivent aussi de De Witte: « Ce dernier  se présente d’ailleurs explicitement comme un procureur » (p.13). Mais De Witte n’est-il pas présenté présenté comme un procureur parce qu’il est…explicite en posant ses arguments?

– Plus loin, on lit « De Witte parle quelque peu provocant de la mort de quelques dizaines de civils  » (p 68). Il s’agit de la guerre du Kasaï. La thèse officielle est «  l’éclosion d’un génocide », d’après Hammarskjöld, secrétaire général de l’O.N.U. dans son rapport au conseil de sécurité. L’A.N.C. (l’armée nationale congolaise) avait été envoyée par P. Lumumba, Premier ministre pour réprimer la sécession de Kalonji. Le chef d’état major qui a dirigé l’opération était J. D. Mobutu.

– Ils signalent que De Witte fait la« Révélation d’un plan   » Baracuda » [nom de code de l’action belge de l’élimination de Lumumba], qui n’a plus d’objet après la prise du pouvoir par Mobutu » (p 212), dans le cadre de cette dénomination (« Barracuda »). Ici, on – c’est vraiment le cas – joue sur les mots, car le plan qui n’avait « plus d’objet » après la prise du pouvoir par Mobutu, a tout de même été exécuté, même si c’est dans le cadre d’une autre dénomination!

-Les auteurs dénigrent la source d’information Vandewalle que Ludo De Witte cite comme « valeur incommensurable ».Vandewalle a écrit  Mille et quatre jours. Contes du Zaïre et du Shaba Bruxelles, 13 fascicules. Il y décrit toutes les opérations de l’élimination de Lumumba, Mpolo et Okito.

– Ils disent que De Witte « aurait dû préciser  » (p 300), que c’est d’après Tshombé que l’on peut dire qu’Adoula (sénateur congolais en 1960 qui deviendra plus tard Premier Ministre) et Delvaux (ministre congolais en 1960) discutent, entre autres « au Katanga », du transfert de Lumumba Mais nous dirions qu’au lieu d’«au Katanga », De Witte aurait dû écrire « chez Tshombé » ! Précision quand tu nous tiens !

– Une discussion byzantine s’amorce alors où il est question d’un De Witte « qui tombe dans le piège » (p. 301) en citant Vandewallle sans guillemets. Le « piège » serait en effet tendu par Vandewalle parce qu’il utilise parfois des guillemets, parfois pas (comme si Vandewalle écrivait pour tendre des pièges !), dans un passage parlant de l’hypothèse du transfert vers Boma (les guillemets renvoient à un ouvrage de Brassine et J.Gérard-Libois), mais ces guillemets manquent dans un autre extrait de ce passage de Vandewalle, celui-ci s’arrogeant (selon nos quatre historiens) par là une « autorité » qu’il n’a pas dans le compte rendu des faits… Vandewalle n’est pas guilleret avec les guillemets !

– Les quatre auteurs estiment que« L’historiographie belge consacrée à Lumumba s’élabore en circuit fermé. » parce que « L. De Witte puise abondamment dans les écrits de Vandewalle et Brassinne. » (p.310).Mais si L. De Witte n’avait fait aucune référence aux travaux de Vandewalle et Brassinne, c’est alors que les quatre auteurs l’aurait « abondamment » critiqué. La bibliographie jointe aux ouvrages de L. De Witte et Brassinne démontre qu’ils ne sont pas en circuit fermé, mais en rallye ouvert.

– Ils écrivent encore: « Des auteurs se sont inspirés de lui (Vandewalle), sans vérification. Ainsi L. De Witte… » (p. 311).Ou: « Aussi bien Brassinne que De Witte continueront de se fonder sur les affirmations peu fiables de Vandewalle…Cette affirmation s’appuie sur des sables mouvants. » (p. 313). Ces deux commentaires sont affligeants. Rappelons que Vandewalle est le chef de la sûreté congolaise et de ce fait coordonne toute « l’affaire Lumumba ». Si s’appuyer sur les affirmations de Vandewalle, c’est s’appuyer sur des sables mouvants, que dire des affirmations des quatre auteurs qui s’évertuent à rejeter ce qui ne convient pas à leur thèse?

– À propos d’un message radio que l’ambassade belge à Brazzaville relaie vers le consulat belge d’Élisabethville, que les auteurs de Les secrets de l’afaire Lumumba jugent important, ceux-ci écrivent: « De Witte se contente… » (note 2) p. 315), d’en parler de manière imprécise (le message part de l’ambassade mais d’un service indépendant de l’ambassade, bon…). Tous les messages radios sont importants dans cette affaire, les plus et les moins sont secondaires.

– Toujours en note (note 2), p. 320), les auteurs de l’ouvrage écrivent: « Tant Brassinne que De Witte consacrent à Brazzaville 53 [le message numéroté qui autorise le transfert de Lumumba, le 14 janvier 1961 du camp Hardy de Thysville à Elisabethville], à peine quelques phrase. ». Suffisamment à notre avis pour une information équitable!

.- Pour le microfilm des télexs qui arrivent et partent du cabinet du ministre d’Aspremont Lynden, les auteurs soutiennent qu’il ne s’agit que d’un brouillon et donc n’est pas valable : « Le microfilm sur lequel De Witte a travaillé ne permet pas de faire les mêmes constatations. ». (p. 323) Mais il s’agit que de quelques heuresde décmlages avec le net. Et si le brouillon était le vestibule du net ?

– À propos des codes différents pour transmettre les messages entre le cabinet du Ministre et le Bureau Conseil des Belges au Katanga, toujours en note, on lit dans Les secrets de l’affaire Lumumba: « De Witte confond plusieurs choses » (note 1) p.328), soit des codes différents utilisés. Mais l’utilisation de codes différents n’amène pas nécessairement a confusion. Il suffit de répertorier convenablement les messages.

-« De Witte s’interroge…l’auteur ne donne pas de réponse », lit-on encore (p.329). En fait, De Witte s’interroge sur le contenu d’un message qui fausserait la destination où l’on envoie Lumumba. Il s’interroge sur le point de savoir si c’est voulu où non. Quand De Witte donne des réponses, c’est peu fiable et quand il n’en donne pas, c’est dommageable !

-« Tant Brassinne que De Witte font état d’un entretien téléphonique que Tshombe et Kasa-Vubu auraient eu.», lit-on p.351. Mais ce n’est pas « auraient », selon Les secrets de l’affaire Lumumba, car l’entretien est confirmé par un témoin : A.Delvaux (p. 353). Les auteurs de Les secrets… disent alors que «  Ni Brassinne, ni De Witte n’y attachent somme toute beaucoup d’attention. » (p.352). Mais il s’agit d’un entretien téléphonique entre Kasa-Vubu et Tshombe dont Brassinne et De Witte ignorent le contenu. En ignorant ce qui s’est dit, on ignore évidemment son importance ! Élémentaire, mon cher Watson !

– Selon les auteurs, « Quoi qu’il en soit, il ne reste pas grand-chose des versions formulées avec beaucoup d’aplomb par Brassinne et De Witte en ce qui concerne le transfert de Lumumba. » (p. 357).Il faut encore plus d’aplomb, nourri de mauvaise foi, pour écrire cela. Brassinne et De Witte suivent jour après jour l’itinéraire de Lumumba. S’ils se trompent, il faut le prouver !

– À propos de la mutinerie du 12 janvier 1961 à Thysville, on lit dans Les secrets de l’affaire Lumumba : « De Witte met en avant des motifs surtout politiques, à savoir la sympathie d’une partie des soldats pour Lumumba, ce qui n’est pas attesté. ! »(note 4) p.361) L’antipathie l’est encore moins. Les soldats n’étaient pas tous anti-umumbistes. La peur du pouvoir central était qu’une partie de l’armée ne se retourne contre lui.

-« Pour la relation des faits du 14 janvier 1961, il faut faire table rase des versions de Brassinne et de De Witte. » (p. 362). Pourquoi s’arrêter au 14 janvier? Pourquoi ne pas faire table rase de toutes les versions de Brassinne et De Witte? On ne « versionnerait » qu’en compagnie de la bande des quatre ! Le Bonheur ! L’Extase !

– L’évocation la plus ancienne d’un transfert au Katanga date du 26 octobre 1960, « Et non du 14 octobre 1960, comme De Witte l’affirme à la suite d’une lecture erronée. » (note 1) p.368). La lecture erronée n’est pas du côté de De Witte. En effet, à la page 126 de son livre on lit : « Télégramme 14/10/60 »

– Les auteurs de Les secrets… écrivent à propos du souhait de Bomboko de voir Lumumba transféré à Élisabethville: « La demande de Bomboko n’est pas rédigée, ni envoyée par l’ambassadeur Dupret comme l’écrit De Witte. ». (note 6) p.369). Pourtant à la page 183 de son livre, De Witte écrit : « Le texte contient la demande de Bomboko sur le transfert de Lumumba au Katanga et l’adresse au quartier général de la gendarmerie. »

– Ils écrivent encore : « Dans la version De Witte, le Bureau Conseil se voit attribuer un rôle important, on ne sait pas grand-chose à ce sujet. » (p. 379). Le Bureau Conseil est le centre du pouvoir Belge au Katanga. Il réunit des militaires et des civils qui assistent Tshombe et sont en contact permanent avec le cabinet du ministre H. d’Aspremont Lynden. On sait tout à ce sujet par les contacts télex et télégrammes. Toujours dans le même domaine, on lit dans Les secrets… « Sur ce point nous ne sommes pas d’accord avec De Witte qui confond transmission d’informations et implication dans une action. » (note 2) p.380). Le Bureau Conseil à Élisabethville donne des informations pour l’action, sinon à quoi sert-il ?

– À propos d’un télex du ministre d’Aspremont Lynden à l’ambassade belge à Brazzaville le 4 janvier 1961[ : « Attire toute spéciale attention sur conséquences désastreuses libération Lumumba. »], on lit dans Les secrets… que « De Witte … va trop loin », (p.381), dans l’idée qu’il s’agit d’une ingérence belge. Ce n’est pas De Witte qui va trop loin, mais bien d’Aspremont Lynden qui intervient d’une façon insupportable dans une affaire concernant un pays indépendant.

– À propos des témoignages de deux témoins de l’arrivée des trois prisonniers à Élisabethville, on lit que ces témoignages ne concordent pas ; l’un a vu sortir de l’avion d’abord deux commissaires, l’autre d’abord les prisonniers. Et on juge «  téméraire…comme l’ont fait Brassinne et après lui De Witte » (p.388), d’avoir choisi l’une des versions. Dans ce cas éminemment capital pour l’histoire ( !) quels sont ceux qui sont sortis les premiers de l’avion? La témérité s’impose !

– À propos maintenant du témoignage d’un Belge qui a assisté au mitraillage des prisonniers, on lit dans Les secrets… « Ce document de De Witte sur la base d’éléments très contestables… » (p. 393). Personne ne conteste la présence de ce témoin, mais quand il témoigne, les auteurs le…mitraillent ! Il y a encore les témoins indirects: « …De Witte accorde à ces témoignages indirects la même crédibilité qu’a un témoignage direct » (p.394). Il s’agit d’abord des témoignages des témoins directs que les auteurs récusent comme on l’a vu. Et ensuite des témoignages indirects d’informateurs renseignés par les témoins directs. Aucun des deux n’est bon pour s’y appuyer !

– Sur le texte du commissaire Verscheure à propos de l’assassinat des trois prisonniers comparé à un article du Pourquoi-Pas ?, nous lisons dans Les secrets… que Brassinne et De Witte sont « manifestement aveuglés par ce texte » (p. 410), par rapport à un autre plus fiable. Il y a quelques différences entre les deux, mais de la à parler d’aveuglement, on ne voit pas… le rapport.

– Vandewalle est en place à Élisabethville pour diriger la Sûreté Katangaise. De Witte cite sa source : « Tome IV J. Brassinne Enquête…témoignage 14.1.de Vandewalle ». Mais les auteurs écrivent: « L. De Witte se met littéralement à la place de Vandewalle… »(p. 414). En quoi citer sa source est-ce se mettre à la place de l’auteur ?

– Sur l’agenda de Verscheure qui relate les événements au jour le jour et heure par heure, nos censeurs-auteurs disent « …Caduque toute la chronologie postérieure à 21H43 établie par Brassinne et de Witte » (p. 424). Mais quelques lignes plus loin, les mêmes écrivent : « l’agenda de Verscheure contient encore d’autres notes qui rendent crédible son témoignage » (p. 424). C’est caduque ça ?

– Brassinne et De Witte font usage du témoignage de René Rougefort, adjudant mercenaire engagé dans la 2e Cie PM qui participe à la garde des prisonniers avant leur exécution puis véhicule les corps après leur exécution. Mais dans Les secrets… on lit que s’appuyer sur ce témoignage « …comme Brassinne et De Witte le font, sans esprit critique » (p. 428), est une erreur car ce témoignage est sujet à caution parce qu’il est fait neuf ans après les faits ! Aux âmes bien nées la valeur s’épanouit aux nombres des années !

– Une anomalie est relevée par les auteurs sur une réunion du Bureau Conseil que les uns situent le 18 janvier et les autres le 19 janvier: « De Witte ne relève pas l’anomalie » (note 3) p.460), écrivent-ils. La précision de la date reste à faire, en attendant il n’y a pas de quoi traiter De Witte…d’âne…au…Mali !! (Anomalie)

Pourquoi chicaner De Witte?

À lire cette avalanche de reproches et de dénigrements, ne nous trouvons-nous pas devant un deuxième assassinat de Patrice Lumumba ? Ces quatre historiens règlent des comptes commandités, jésuitiques, indigestes et faussement révélateurs. Veulent-ils être un nouvel élément déclencheur comme le fut le livre de Ludo De Witte en septembre 1999 ? Rivons le clou à ce Ludo De Witte qui « accusait sans détour le gouvernement de l’époque d’avoir organisé un complot ayant conduit à l’assassinat de Lumumba » (p10)

Pour ce faire, ils vont tricoter des habits neufs sur l’assassinat de Patrice Lumumba ! La première maille est dans le dernier alinéa de leurs conclusions qu’ils présentent page 16 : « On peut affirmer avec certitude que les instances gouvernementales belges ont aidé à chasser Lumumba du pouvoir, se sont ensuite opposées à toute réconciliation avec ce dernier et ont tenté d’empêcher son retour au pouvoir. Elles ont appuyé le transfert de Lumumba au Katanga sans exclure, par des mesures appropriées, la possibilité qu’il soit mis à mort. » C’est vague et impersonnel, on ne désigne pas les coupables et « mis à mort » n’a pas la même résonnance qu’ « assassinat ».

La commission d’enquête parlementaire dirigée par G. Versnick était plus précise : « Le chef de l’État a été informé au moins une fois par le biais d’une lettre du major Weber adressée à son chef de cabinet, que la vie de Lumumba était menacée. » (Doc 500312/007-p. 837-Enquête Parlementaire) . Pour financer la politique menée contre le gouvernement Lumumba, le gouvernement belge recourt aux « fonds secrets dont certains ont été approuvés par le parlement et d’autres pas. » 270 millions de francs. (p.832. Enquête Parlementaire)

« Après avoir pris connaissance des événements du 17 janvier (assassinat de Lumumba), le gouvernement, du moins certains de ses membres, a adopté une attitude irresponsable en optant pour la propagation de mensonges à l’intention de l’opinion publique et de ses alliés. »(p. 839-Enquête Parlementaire).Après lecture du livre de L. De Witte et les conclusions de l’enquête parlementaire, on doit écrire que : « Sans détours, il y a eu complot. » Si on ne le fait pas, à ce compte-là, Lumumba n’a pas été « assassiné » mais mis à mort ! Ces historiens refusent le mot « complot » et préfèrent les mots « aides », « tentés d’empêcher », « appuyés », « possibilité».

Dans le chapitre II de la quatrième partie :  Le transfert de Lumumba au Katanga : critique des sources (p.293), au sujet du télex du ministre d’Aspremont du 16 janvier dans lequel « il insiste personnellement auprès de Tshombe pour que Lumumba soit transféré au Katanga dans les délais les plus brefs » (p.320), ces mêmes historiens vont prendre une loupe historique pour distinguer ce qui est un brouillon de ce qui est écrit à l’encre ou au crayon, ce qui est griffonné ou imprimé et après cette autopsie digne de médecins légistes, ils vont décréter la minute et l’heure du télex en question.S’il a été envoyé le 16 janvier au matin, d’Aspremont est innocent ! Peu importe le texte pourvu que sonne la bonne heure…peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! S’il n’y avait que ce télex, on pourrait éventuellement hésiter sur la responsabilité du Ministre d’Aspremont Lynden, mais dés qu’il a été Ministre, le 2 septembre 1960, il s’est « occupé » de Lumumba :-22 septembre 1960, télex 59922- Blocage compte bancaire au nom de Lumumba et M.N.C. (p.177) (Les secrets de l’affaire Lumumba). Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres ! Tous les extraits ci-dessous sont tirés de Les secrets de l’affaire Lumumba Enumérés les uns à la suite des autres, ils éclairent mieux « l’affaire », en tous cas, plus qu’éparpillés dans ce livre.

[MINAF est la réduction de Ministre des Affaires Africaines.]

-Télex 6 octobre: « Nous ne pouvons tolérer que Lumumba revienne au pouvoir. ». (p.179)

– « Objectif principal à poursuivre dans l’intérêt du Congo, du Katanga et de la Belgique est évidemment l’élimination définitive de Lumumba. » (p.181)

-Télex 28 septembre 1960 à Tshombe : « Il me parait évident que le moyen le plus efficace d’agir contre Lumumba est d’aider, dans la limite du possible et du raisonnable, les autorités actuelles de Léo qui s’efforcent d’obtenir son élimination de la vie publique congolaise. » (p.246)

MINAF 63901, 1er octobre 1960- « Lumbala beaucoup plus catégorique proclame sa volonté de voire disparaître Lumumba physiquement et d’éliminer Kasa-Vubu. » (p.247)

-5 et 11 octobre, Bruxelles reçoit des avis, respectivement de Marlière et de Lahaye, dans lesquels il est question de la mise hors jeu de Lumumba. (p.220)

-4 janvier 1961- MINAF 01404/cab- « attire toute spéciale attention sur conséquences désastreuses, libération Lumumba. » (p.280)

-Dans une lettre au roi Baudouin datée du 12 janvier 1961, Tshombe sollicite de celui-ci (…) « un appui belge au Katanga » (p.288)

-14 janvier 1961 : message radio de Brazza à É’ville: « Ce message radio est important non seulement par son contenu, mais aussi parce qu’il montre que les autorités congolaises et leurs conseillers belges collaborent au transfert de Lumumba au Katanga. » (p.314)

-Le même jour, l’ambassadeur Dupret télexe à É’Ville « pour appuyer le transfert de Lumumba au Katanga. » (p.316)

-Nous arrivons au télex du 16 janvier 1960: « Minaf Aspremont insiste personnellement auprès Président Tshombe pour que Lumumba soit transféré Katanga dans les délais les plus brefs. » (p.320) Avec en plus un  télex de Minaf à l’Ambassade de Brazzaville: « Démarche pressante est faite par Minaf auprès Président Katanga. » (p.321)

Si les auteurs écrivent avec perspicacité ( !) (p.370) que « Lumumba est livré à ses ennemis par le régime de Léopoldville », ils auraient dû ajouter sous la pression constante, et c’est un euphémisme, de leurs amis belges !

Après cette succession de pressions qui durent comme on l’a vu depuis septembre 1960, poser la question p. 372 « Les dirigeants congolais ont-ils agi de leur propre initiative ou y ont ils été incités par leurs conseillers belges ? », c’est pire que prendre des vessies pour des lanternes, c’est confirmer qu’au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Comme nous ne somme ni aveugle, ni borgne, nous ouvrons un œil à la page 374 et nous lisons «  L’examen de cette période d’environ quatre jours, des négociations, des destinations alternatives ne permet pas de conclure que le transfert de Lumumba au Katanga doive a priori être assimilé à un meurtre avec préméditation. » L’autre œil est resté ouvert à la page 140 où nous lisons : «  Ordre du Ministre Munongo aux chefs de peloton de la Gendarmerie 13 août 1960…s’il (Lumumba) arrivait à entrer au Katanga d’une façon ou d’une autre, IL DOIT, en ce cas, DISPARAITRE. » Et qui ordonne à Gat de liquider les prisonniers ?… Munongo (p.427). Julien Gat est capitaine de l’armée belge, mercenaire. Il est présent lors de l’exécution des prisonniers, assurant le commandement de l’unité. Peu après, il monte en grade et devient commandant. Il change de nom : Gatry pour échapper aux demandes d’interview de la presse africaine sur son rôle dans l’assassinat de Lumumba, Mpolo et Okito. Gouvernement, militaires, Union Minière, etc., l’unanimité s’est faite pour se débarrasser de Lumumba jusqu’au Roi Baudouin ainsi qu’Albert à l’époque prince, plus fidèle à son frère qu’à son épouse qui déclare : « la crise du Congo incombe à un seul homme : P. Lumumba. » (LLB 3/10/61). Les auteurs écrivent p 549 : « la correspondance entre Weber et le Palais, mais surtout la réaction du Roi, sont soit naïves, soit calculées, mais en tout cas accablantes.» Cet adjectif corrosif réservé à Baudouin est symptomatique des dissensions, lors de la crise congolaise, entre le Palais et le gouvernement.

Quand Baudouin Ier joue à Léopold III

En août 1960, le Roi Baudouin demande le remplacement du gouvernement Eyskens affaibli par la crise congolaise ; Il souhaite un cabinet d’affaires avec Van Zeeland Spaak, Dubuisson recteur de l’Université de Liège, Naessens, président de la banque de Paris et des Pays-Bas, etc. Eyskens refuse de démissionner mais accepte un remaniement qui amène l’homme du Roi dans le gouvernement, Harold d’Aspremont Lynden. La dissension passée, le roi et le gouvernement s’entendront pour soutenir le Katanga et éliminer Lumumba. Le cabinet d’affaire, l’appui à la sécession katangaise, la politique parallèle du palais obligent le gouvernement à une bataille sur deux fronts. Du côté du Roi, il faut sauver la civilisation occidentale du péril communiste et du côté du gouvernement, il faut sauver les meubles !

Comme son père, Léopold III, conseillé principalement par le Général Van Overstraeten, Baudouin se laisse conseiller au sujet du Congo et de Lumumba par la Major Weber qui fournit « au Palais des informations de première main sur la situation au Katanga : documents confidentiels du gouvernement, procès-verbaux des réunions de l’ONG, publications katangaises, etc. » (p.556) On sait où cela a mené Léopold III, Baudouin s’est arrêté à la porte d’une nouvelle « Question Royale », porte fermée à clef par Théo Lefèvre, Président du P.S.C. (p.531). Début août 1960, Théo Lefèvre envoie une lettre au roi Baudouin dans laquelle il rappelle 1950, les tentatives de Léopold III pour constituer un cabinet d’affaires et comment cela s’est terminé ! Il adjure le Roi d’arrêter sa politique personnelle. T’es haut (Théo) Lefèvre ( !) pour arrêter la fièvre royale !

Les conclusions des auteurs sont assez stupéfiantes (pp. 595-596) : « S’il existe une communauté d’intérêts dans un sens général (mettre un terme à ce qui se présentait à eux [instances gouvernementales belges, katangaises et congolaises] comme la menace lumumbiste), il n’y a pas pour autant identité de motivation. ». Si non e vero, è ben trovato ! On aimerait connaître l’épaisseur de la distance entre « communauté d’intérêts » et « identité de motivation » ! D’après un grand mathématicien de nos connaissances, il s’agirait de celle d’une feuille de cigarette.

La dernière phrase soulève un problème grave. (p.596) Il est écrit : « On ne peut que qualifier d’assassinat prémédité le crime organisé de façon méthodique. » Mais à la page 374 : « L’examen de cette période d’environ quarante jours de négociations, des destinations ne permet pas de conclure que le transfet de Lumumba au Katanga doive être a priori être assimilé à un meurtre avec préméditation. » A la page 374, les auteurs sont au stade de l’a priori, là où il n’y a pas de meurtre avec préméditation, et à la page 596, ils sont au stade de l’a posteriori, là où il y a meurtre avec préméditation ! À chaque stade, son éclairage particulier. Tous n’ont pas le même éclairage !

Après l’assassinat survient le mensonge assumé par le Trône, par l’autel, ce que les auteurs ne soulignent pas, et le gouvernement est taxé, lui, d’irresponsabilité. (p. 596)

Les assassins normaux ( !) finissent toujours par avouer, les assassins d’État font rarement état de leur assassinat. Assassinat, activement implicite suivi d’un mensonge lumineusement explicite. Pas une indignation, pas une demande de justice, pas une condamnation. On a réduit – c’est le cas de l’écrire – trois hommes au silence et on est réduit à se taire par peur sur ce silence, cadenassé par J. Brassinne.

Alors L. De Witte vint et brisa la loi du silence et botta dans la fourmilière : C.I.A, militaro, économico, royalo, gouvernementale. Ayant pris conseil auprès d’un éminent Président de Tribunal, celui-ci nous a confirmé que s’il y avait eu procès, la quinzaine de personnes, complices de l’assassinat de Lumumba aussi bien belges que congolaises, auraient été condamnée ; pour les moins impliqués, à un minimum de quinze ans de prison et pour les autres à plus de 20 ans de prison. De plus, suite à la nouvelle juridiction, dite de compétence universelle, un procès est encore possible.

Dans des notes personnelles, un ancien Ministre de la Justice écrit à l’époque, après la mort de Lumumba : « Moment de bonheur » ! il reflète l’état d’esprit du pouvoir royal, politique, économique et religieux de l’époque. Ils hurlaient à la fausse dictature communiste de Lumumba, ils eurent la vraie dictature royaliste de Mobutu ! Les auteurs se sont efforcés de diluer les responsabilités, ils lancent des banderilles et au moment de toucher, ils font un écart. Au plus, il y a banderilles, au plus les écarts augmentent et le flou s’installe dans un grand ensemble. Au lecteur de ne pas se laisser…flouer !

P.S. « L’affaire Lumumba » s’inscrit en lettre de sang dans :  Histoire Générale du Congo , grandiosement écrite par Isidore N.Daywell è Nziem parue aux Editions Duculot-C.G.R.I.-Paris-Bruxelles 1998

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