« Présumé coupable » est la norme légale appliquée aux Arabes et aux musulmans.


La nouvelle présence des musulmans, ainsi que la visibilité de la tenue vestimentaire des musulmanes portant le foulard, a exacerbé les craintes du retour du religieux forcément opposé aux femmes, à leur statut et à leur autonomie. Si, durant le moyen âge, de la renaissance jusqu’au XVIII e siècle, on avait entretenu l’idée que l’islam et les musulmans avaient un goût particulier pour la sensualité et la licence sexuelle, à l’image de l’univers oriental stéréotypé des mille et une nuits, voilà que les colonisations et l’époque postcoloniale nous offrent l’image exactement opposé d’une religion fruste, rigide, opposé aux corps des femmes et aux plaisirs. Dans les deux séquences historiques, on remarquera que l’islam est toujours dessiné sous les traits de l’autre, du différent, de l’antithèse. L’occident chrétien conservateur dessine un islam licencieux et permissif ; l’occident moderne et libre s’offre la caricature d’un islam de l’interdit et de l’oppression sexuelle.

Mon intime conviction de Tariq Ramadan – Tariq Ramadan

 

Voilà maintenant plus de cents jours que le Professeur Tariq Ramadan, l’un des intellectuels musulmans les plus influents d’Europe, est placé en détention provisoire et en isolement à la prison de Fleury-Mérogis, en France, suite aux accusations de viols de deux femmes puis d’une troisième, ce qu’il nie totalement depuis le premier jour.

Rappelons que le Professeur Ramadan s’est rendu volontairement en France et aux autorités de police pour faire face aux accusations portées contre lui et ensuite se préparer à la procédure judiciaire. Les autorités françaises ont pourtant procédé à son arrestation, ont refusé de lui accorder une liberté sous caution, l’ont placé à l’isolement et ont limité les visites familiales et l’accès à des soins médicaux adéquats.

Comme l’appuie le Professeur Hatem Bazian dans son article « PROFESSOR TARIQ RAMADAN AND FRANCE’S ISLAMOPHOBIA », sur lequel nous nous appuyons, le cas du Professeur Tariq Ramadan mis en isolement dans une prison française met en lumière le traitement différencié que les musulmans reçoivent dans le système politique des États occidentaux.

Pour le Professeur Hatem Bazian, « Il semble être devenu normal que les personnes « perçues » comme musulmanes subissent un traitement médiatique et juridique discriminatoire dès le moment où elles sont arrêtées et accusées, et même pendant toute la procédure judiciaire, peu importe que les accusations soient civiles ou criminelles et c’est certainement le cas lorsque les accusations sont liées au terrorisme. »[i]

Dès l’éclatement de l’affaire, une déferlante médiatique a eu lieu, prononçant sa sentence à l’encontre du Professeur Tariq Ramadan sans autre forme de procès. Comme nous le rappelle le journaliste Olivier Mukuna à propos de cette affaire : «  Le scandale et la diabolisation font vendre. Et c’est d’une pierre deux coups s’il vise un ennemi idéologique, craint ou méprisé par leurs patrons milliardaires et autres puissants. Autrement dit, nul besoin d’attendre jugement et verdict judiciaires pour dénoncer le parti-pris anti-Ramadan, islamophobe et raciste, d’au moins 5 médias français. » [ii] L’analyse de la couverture médiatique française de l’affaire Ramadan par le journaliste Olivier Mukuna met clairement en évidence la nature problématique de cette couverture et le caractère prompt des journalistes à criminaliser et condamner le Professeur Tariq Ramadan avant même la fin de l’enquête et le début des procédures judiciaires.  Aussi, dans le cas du professeur Tariq Ramadan, les accusations permanentes contre lui sont souvent liées à son grand-père, Hasan Al-Banna, le fondateur du mouvement des Frères musulmans et ce «pedigree» a jeté une ombre impardonnable sur toutes ses implications.

Trop de personnes font le procès d’une autre à la place de la Justice. Or, dit le droit, tant qu’une personne n’a pas été jugée coupable par un tribunal, elle est « présumée innocente ». « Pourquoi cette présomption d’innocence est-elle si importante ? Tout d’abord parce que juger quelqu’un coupable alors que ce n’est peut-être pas le cas peut lui faire un tort considérable. S’il est effectivement innocent, le mal est fait. Il n’a pas été respecté, sa famille, ses proches en souffrent, il peut avoir de graves problèmes par rapport à son travail, son avenir ».

Autre effet : la rumeur publique et/ou certains journaux ayant pratiquement condamné une personne avant son procès, peuvent influencer la justice, notamment les jurés, lors d’un procès d’assises. Donc le jugement pourrait ne plus être impartial. »[iii]

Pourtant, comme nous l’avons écrit précédemment : « A l’heure où l’équilibre social déjà fragile semble menacé de partout ; à l’heure où l’extrême droite progresse de façon constante aux quatre coins de l’Europe, alimenter les crispations identitaires et nourrir une certaine forme de vindicte populaire sans preuve se révèle particulièrement irresponsable. Il est aujourd’hui grand temps que cessent ces procédés médiatiques racialisants qui tendent à criminaliser les uns et à aussitôt blanchir les autres. Il est temps que prenne fin le règne de la présomption de culpabilité qui pèse sur ceux dont la peau reste perçue comme n’appartenant pas à cette imaginaire couleur de l’innocence. » [iv]

Il ne s’agit pas ici de se prononcer sur la culpabilité ou la non-culpabilité du Professeur Tariq Ramadan. Ceci, seul un procès équitable pourra le déterminer. Malheureusement, nombreux sont ceux qui ont déjà instruit son procès plus vite que l’État et même rendu leur verdict, tout cela, dans le but d’influencer le cours de la procédure et d’empêcher la tenue d’un procès dans des conditions normales.

Nous dénonçons les nombreuses confusions qui entourent cette affaire, par exemple les affirmations d’une grande partie de la sphère médiatico-politique qui nient totalement ce principe de la présomption d’innocence et les nombreuses violations en matière de procédures judiciaires. Nous dénonçons aussi la complicité de deux personnalités controversées telles que Caroline Fourest et sa compagne qui  auraient instrumentalisé les deux premières plaignantes avec la complicité de l’islamo(phobe)logue Gilles Kepel. Sans oublier le négrophobe invétéré d’Alain Soral. Nous dénonçons enfin le traitement judiciaire d’exception réservé au Professeur Ramadan.

En effet, dans toutes les affaires de ce type, aucun des inculpés n’a été mis en détention provisoire et encore moins mis en isolement, avant même la tenue d’un procès. L’affaire de Ramadan est, en outre, entre les mains du Procureur François Molins, spécialisé dans les affaires de terrorisme islamiste. On peut y voir le signe que l’affaire outrepasse les accusations de viol.

Alors que les motifs invoqués pour sa détention sont aussi absurdes que « risques de menace sur les plaignantes », « possibilité de fuite à l’étranger » ou « troubles à l’ordre public », la demande de remise en liberté sous caution du Professeur Ramadan n’a jamais été considérée, ne serait-ce qu’en raison de ses problèmes de santé. Le Professeur Ramadan souffre depuis 2014 d’une sclérose en plaques et d’une neuropathie d’origine inconnue. Malgré la remise de certificats médicaux et le fait que 9 médecins spécialistes ont attesté que Tariq Ramadan est bien atteint d’une sclérose en plaques, malgré l’avis du médecin-chef de Fleury-Mérogis, le Docteur Farid Mehareb, qui a déclaré que son état de santé était incompatible avec son incarcération, il reste enfermé dans un milieu où il ne peut être soigné correctement. Ainsi, sa santé se détériore rapidement avec des conséquences qui peuvent s’avérer irréversibles.

Plus que ça, son épouse  et ses enfants se sont vus refuser le droit de lui rendre visite alors que le Professeur Ramadan a pleinement coopéré avec les autorités judiciaires françaises et s’est rendu volontairement au tribunal. Contrairement à ce qui a été répandu, précisons quand même que le Professeur Ramadan ne possède aucun autre passeport que le passeport suisse. Il a été maintenu dans des conditions carcérales inadmissibles : aucune visite pendant 45 jours, aucun accès à son dossier et à son courrier, et dans un isolement total.

Tout cela nous fait penser que l’affaire Ramadan est utilisée à des fins politiques et il est d’ores et déjà certain que les musulmans de France et, plus globalement, de l’espace francophone européen en seront certainement affectés.

A travers l’affaire Ramadan, la justice française n’apparaît ni impartiale, ni indépendante mais semble au contraire contribuer au climat actuel d’islamophobie. Nous accusons la justice française de réprimer un prisonnier politique, l’avocat de la défense allant même jusqu’à parler d’affaire d’État. Le cas du Professeur Ramadan se situe au croisement des débats liés à sa voix et à son rôle dans le domaine de l’islam politique plutôt que sur les questions liées à l’accusation elle-même. Ainsi, le Professeur Ramadan n’incarne pas la figure-type du musulman aimée du pouvoir. Il a eu l’arrogance de refuser le costume taillé sur mesure pour lui par le pouvoir, celui du musulman docile et domestiqué.

Il faut dire que le Professeur Ramadan a mené de nombreux  combats essentiels et qui nous touchent, que ce soit dans les auditoires des universités mais aussi, et peut-être surtout, au niveau des quartiers populaires, au plus près des « citoyens mis à part ». C’est d’ailleurs ce que l’État lui reproche surtout, son action politique envers les jeunes générations de musulmans auxquelles il adresse un message des plus importants : la nécessité de s’impliquer en tant que « citoyen à part entière ».

A ce titre, beaucoup de musulmans « institutionnels » de Bruxelles et d’ailleurs ont vu le Professeur Ramadan  payer de sa personne et de son porte-monnaie pour nombre de nos causes, qu’il s’agisse de la Palestine, des Rohyngias, contre les guerres, en soutien au Forum Contre l’Islamophobie, et plus récemment encore en faveur des quartiers populaires, en soutien aux collectifs contre les violences policières et à la marche de la Dignité.

Le Professeur Ramadan n’a jamais revendiqué représenter les musulmans en tant qu’individu ; mais de fait les idées qu’il défend font partie de nos combats et nous représentent. Par-dessus tout, c’est la dignité qu’il a rendue aux musulmans d’Europe qui nous touche. C’est en cela qu’indépendamment de la procédure contre lui, il est si important d’intervenir pour cette libération provisoire qui lui est refusée. Le reste concerne la Justice.

On pourrait facilement imaginer ce qu’il serait advenu du Professeur Ramadan s’il avait politiquement incarné un rôle conforme à son statut social.  Il aurait pu s’installer confortablement dans le fauteuil prestigieux de « représentant de la communauté musulmane », fonction que tant de khobzistes convoitent, les exemples étant à ce titre légion. Mais force est de constater que sa conscience politique l’a emporté.

En définitive, le cas du  Professeur Ramadan mis en isolement dans une prison française met en lumière le traitement différencié que les musulmans reçoivent dans le système politique des États occidentaux. Il semble être devenu normal que les personnes « perçues » comme musulmanes subissent un traitement médiatique et juridique anormal dès lors qu’elles sont arrêtées et accusées, et même pendant toute la procédure judiciaire, peu importe que les accusations soient civiles ou criminelles et davantage encore lorsqu’elles sont liées au terrorisme. Les musulmans font face à ce genre d’agissement dans tous les systèmes occidentaux. Ils font face à un traitement différencié, d’abord par le contrôle d’identité et les fouilles corporelles par la police et ensuite tout au long du processus médiatique, politique et judiciaire. « Présumé coupable » est la norme légale appliquée aux Arabes et aux musulmans. A ce titre, l’affaire Ramadan agit comme un révélateur.

Le Professeur Tariq Ramadan a le droit de bénéficier de la présomption d’innocence. Exiger la libération provisoire de Tariq Ramadan est un acte de justice et de dignité élémentaire. Ce que l’on attend de l’État français et de son système judiciaire, c’est d’adhérer à la loi et d’accorder au professeur Ramadan les mêmes droits que ceux qui sont accordés aux Blancs. En effet, le processus judiciaire en France et/ou en Belgique est entaché par le traitement différencié accordé aux Arabes, aux Noirs, aux présupposés musulmans confrontés à une discrimination systémique, y compris dans le système judiciaire. Le traitement est similaire à celui auquel sont confrontés les Afro-Américains aux États-Unis et un racisme enraciné datant de la période coloniale est toujours présent en France / Belgique.

Nous demandons donc en toute urgence que le Professeur Tariq Ramadan puisse bénéficier d’un traitement digne et de soins lui permettant d’assurer véritablement sa défense et nous considérons qu’à ce stade, son maintien en prison ne se justifie en aucune façon.

Ce que nous recherchons, c’est  la justice et l’égalité pour tous, rien de plus et rien de moins.

 

Nordine Saïdi

Bruxelles Panthères

16 Mai 2018

 

[i] https://www.dailysabah.com/columns/hatem-bazian/2018/04/16/professor-tariq-ramadan-and-frances-islamophobia

[ii] https://bruxelles-panthere.thefreecat.org/?p=3425

[iii] http://questions-justice.be/menu-principal/l-actualite-commentee/Archives-2015/decembre-2015/Presomption-d-innocence-de-quoi-s-agit-il-Pourquoi-est-il-important-de-la

[iv] https://bruxelles-panthere.thefreecat.org/?p=3312

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