Suspectés parce que déjà suspects. Stop à la présomption de culpabilité !
Dimanche 11 Juin 2017 à Bruxelles. Une fillette de 6 ans disparaît alors qu’elle accompagne son père au Marché de l’Abattoir à Anderlecht. Très vite, de nombreuses personnes se mobilisent dans le quartier, la commune, la ville à la recherche de la petite fille.
Le soir venu, toujours aucune nouvelle de l’enfant. Un appel est alors lancé via Childfocus et la police fédérale. Dans le même temps, la rumeur enfle : la disparition de la fillette serait due à un enlèvement. Instantanément, la toile s’enflamme laissant place à un formidable élan de solidarité. Au total, ce sont un million de personnes qui partagent les avis de recherche de la petite fille. Bruxelles, et en particulier ses quartiers populaires, est massivement mobilisée à travers les réseaux sociaux, signe que le traumatisme laissé par les tragédies de Loubna, Julie et Melissa est encore vivace.
Les recherches se poursuivent durant toute la nuit et lundi matin, la rumeur se confirme. Les images de vidéosurveillance captées la veille au marché montrent la fillette tenant la main d’un homme inconnu de ses parents. La diffusion du portrait de l’individu permet finalement aux services de police de retrouver l’enfant après 21 longues heures de disparition.
Voilà un dénouement heureux, fruit d’une traque collective et d’une mobilisation citoyenne sans précédent. C’est l’heure de la délivrance pour tous, un soulagement néanmoins gâché par l’intervention indélicate des médias. Pendant que des milliers de Bruxellois inquiets s’activaient encore, tantôt continuant à relayer les avis de recherche, tantôt livrant des informations précieuses aux forces de l’ordre sur le ravisseur de la fillette, une série de grands médias nationaux et régionaux diffusent en effet l’information selon laquelle le suspect serait de type nord-africain. Une information qui s’avère d’emblée surprenante étant donné que rien sur les images diffusées par la police ne permet d’établir cela, hormis le fait que l’individu portait une barbe et avait les cheveux sombres. Cette information se révèlera définitivement erronée lorsque l’identité du suspect arrêté a commencé à circuler sur les réseaux sociaux.
On pourrait se dire qu’il ne s’agit là que d’un énième fait malheureux de la part des médias, contraints de travailler dans l’urgence et la précipitation, et devant se baser sur des dépêches dont ils n’ont pas toujours les moyens de vérifier le contenu. Sauf que l’histoire en rappelle une autre tristement connue, celle de Joe Van Holsbeeck, lycéen tué en 2006 parce qu’il refusait le vol de son lecteur MP3. A l’époque, la thèse d’un meurtre commis par de jeunes Maghrébins s’était propagée comme une traînée de poudre. A tel point que nombre de dirigeants d’associations et de citoyens d’origine nord-africaine s’étaient sentis obligés de devoir se distancier par rapport aux agissements criminels de ceux que le pays entier considéraient comme étant « deux des leurs ». On connait la suite. La police a fini par appréhender l’un des jeunes meurtriers, révélant au passage son identité qui était tout sauf à consonance maghrébine.
Plus que des conclusions hâtives tirées d’images de vidéosurveillance, ces allégations font état de stéréotypes à l’égard d’une frange de la population, la barbe ou la couleur foncée des cheveux devenant ainsi l’attribut de prédilection des personnes issues de l’immigration maghrébine. Elles révèlent surtout un impensé racial qui semble profondément ancré dans notre société et qui permet de faire le raccourci « délinquants = immigrés/musulmans » sans autre forme de précaution. Selon cette logique, tout méfait d’un individu porteur des attributs physiques incriminés ferait de lui un membre de ces communautés qui apparaissent toujours suspectes de quelque chose dans l’inconscient collectif. C’est également ainsi qu’en d’autres circonstances, puisant toujours dans cet impensé racial, les qualificatifs d’attentat et de terrorisme n’auraient de raison d’être médiatiques et politiques qu’au regard de l’origine – arabe voire musulmane pour les moins précautionneux – de l’auteur du crime.
Si le procédé reste identique 11 ans plus tard, une chose semble toutefois avoir changé entre le meurtre odieux de Joe Van Holsbeeck et le rapt survenu dimanche : les thèses infondées des médias et le cas échéant des enquêteurs ne suscitent plus de grande indignation et se trouvent quasi systématiquement réduites au rang de « maladresses ». Comme si à l’ère du terrorisme globalisé, on considérait normal d’énoncer de manière expéditive des propos suspicieux à l’égard de certains. Pourtant plus que jamais, il nous apparaît capital de dénoncer ces pratiques incriminantes et stigmatisantes.
A l’heure où l’équilibre social déjà fragile semble menacé de partout ; à l’heure où l’extrême droite progresse de façon constante aux quatre coins de l’Europe, alimenter les crispations identitaires et nourrir une certaine forme de vindicte populaire sans preuve se révèle particulièrement irresponsable. Il est aujourd’hui grand temps que cessent ces procédés médiatiques racialisant qui tendent à criminaliser les uns et à aussitôt blanchir les autres. Il est temps que prenne fin le règne de la présomption de culpabilité qui pèse sur ceux dont la peau reste perçue comme n’appartenant pas à cette imaginaire couleur de l’innocence.
Maryam Kolly (professeure invitée, chercheur USL-B)
Malika Hamidi (sociologue)
Collectif contre l’islamophobie en Belgique asbl
Julie Pascoet (European Network Against Racisme)
Dyab Abou Jahjah (écrivain et activiste)
Kalvin Soiresse Njall (Collectif Mémoire coloniale)
Noura Amer (présidente AWSA-Be asbl)
Youssef Chihab (militant des droits de l’Homme)
Olivier Mukuna (journaliste et essayiste)
Mohsin Mouedden (président Ambassadeurs de la Paix)
Véronique Clette-Gakuba (chercheuse, ULB)
Nordine Saïdi (militant décolonial)
Gioia Kayaga (artiste, enseignante)
David Jamar (chargé de cours, directeur Service Sociologie et Anthropologie UMons)
Manu Scordia (dessinateur)
Ismail Akhlal (comédien)
Mohamed Ouachen (comédien, réalisateur)
Demaone (artiste calligraphe)
Julie Jaroszewski (chanteuse, comédienne)
Luk Vervaet (ancien enseignant dans les prisons)
Khadija Senhadji (anthropologue)
Jean-Pierre Griez
Didier Brissa (formateur en éducation populaire)
Rachida Aziz (activiste, entrepreneuse)
Nadia Boumazzoughe
Aurélie Delain
Naima Gharbi
Suzanne Veldeman
Tayino Cherubin
Milady Renoir (poétesse)
Alexandra Abécassis
Marie-Françoise Cordemans (membre du Comité Free Ali)
Mahdiya El-Ouiali
Yamina Bounir (militante associative)
Kamar Takkal
Eugenia Fanio (enseignante, traductrice)
Ikram Dahri
Éric Hulsens
Mauro Gasparini (LCR)
Fabienne Brion
Eva Jimenez