Mawda ou l’art de l’enfumage

C’ est fou comme les séries policières peuvent nous influencer. Elles nous feraient croire, par exemple, que lorsqu’un enfant reçoit une balle dans le visage, cela se voit tout de suite. Et que si, en plus, il est mort, le médecin légiste n’a pas besoin d’une autopsie pour faire le lien entre les deux. On a tout faux. Apparemment, c’est très compliqué d’essayer de comprendre pourquoi, comment la petite Mawda est morte dans la nuit de mercredi à jeudi lors d’une course poursuite entre une camionnette remplie de migrants et 15 voitures de police lancées à ses trousses. Tellement compliqué que d’heure en heure, les versions changent du tout au tout. C’est normal, dit le Procureur du Roi de Tournai, « il  faisait noir » au moment des faits.  Noir comme lorsqu’on enfume l’opinion publique car, avec la mort de Mawda, c’est bien à une remarquable opération d’enfumage médiatique que l’on assiste.

Rappelez-vous les journaux télévisés du jeudi soir. L’information, c’est qu’une une fillette de deux ans est morte, certes, mais surtout que « les policiers sont hors de cause ». Il y a eu un tir de policiers vers la camionnette où se trouvait la petite fille, bien sûr mais on ne savait pas comment elle était morte.  Une balle dans la joue, reconnaîtra le Procureur du Roi de Tournai le lendemain. La joue, c’est la tête. Dire qu’un enfant a été abattu d’une balle dans la tête, c’est un peu « trash » sans doute. Et d’où vient cette balle ? Toujours selon le Parquet, pas nécessairement des policiers qui ont tiré sur la voiture et ses occupants. C’est une « balle perdue », les balles ça va, ça vient. Tiens et si on laissait sous-entendre que les migrants auraient tué la fillette en ripostant, sur eux-mêmes en quelque sorte ? On ose ? Oui. Le Parquet dit ne pas « exclure » que le tir mortel ait été commis par des policiers. Ne pas exclure, c’est laisser sous-entendre que d’autres auraient pu tirer.

On continue ? Jeudi soir, la camionnette avait forcé un barrage policier. C’était de la légitime défense, quoi.  Finalement, ce n’est pas tout à fait la bonne version des faits.  La voiture avait été bloquée sur un parking par un camion et puis des « tirs policiers » sont intervenus. Pourquoi ? Pas de réponse pour le moment. Ce n’est pas fini : jeudi encore, les policiers auraient aperçu des enfants par les fenêtres du véhicule. De quoi se montrer plus prudent donc ? Vous n’y pensez pas ! Les méchants passeurs font ça pour empêcher les gentils policiers d’intervenir. Le JT de RTL a même osé affirmer que les migrants s’étaient servi des enfants comme de boucliers humains. Les migrants sont des terroristes qui sacrifient leurs enfants, c’est bien connu. Vingt-quatre heures plus tard, il apparaît que les vitres étaient teintées de noir rendant impossible l’identification des occupants. Et pour rappel, c’était la nuit comme le note notre Sherlock tournaisien. Donc personne n’a vu personne. On tire et puis on voit. On voit un enfant de deux ans qui a reçu une balle dans le visage mais on ne comprend pas comment il a bien pu mourir.

Enfumage judiciaire, médiatique. Enfumage politique ensuite. Pour le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, pas besoin d’enquête. Les coupables, c’est les passeurs. Pour lui, la police n’a commis aucune erreur. Il est fort, Jambon. Les policiers tirent sur les occupants d’une voiture sans qu’il soit avéré qu’il y ait eu légitime défense mais le ministre les disculpe d’office. Alors aujourd’hui certains font la comparaison avec l’affaire Semira Adamu, il y a 20 ans. A l’époque, le ministre de l’Intérieur Louis Tobback avait aussi soutenu ses policiers avant d’être contraint de démissionner. Jambon doit-il faire de même ? Pour le moment, c’est encore de l’enfumage de rapprocher les deux événements car l’enquête n’est pas terminée. Peut-être, les policiers ignoraient-ils qu’ils poursuivaient des migrants ? Peut-être ont-ils été juste emportés par l’excitation de la chasse, toutes sirènes hurlantes ? Le problème, c’est que l’on puisse soupçonner, que s’ils savaient la voiture occupée par 30 migrants, ils auraient agi de la même manière. Avec cette légitimité que donnent les propos habituellement hostiles aux migrants de leur ministre de tutelle. Le problème, c’est que si l’enquête devait déterminer la responsabilité de policiers dans le meurtre d’un enfant, on est quasi certain que cette responsabilité sera d’emblée rejetée par le ministre sur les migrants et les passeurs. Le problème, c’est que l’on sait que dans ce gouvernement, on ne démissionne pas même quand on livre des réfugiés soudanais à ceux qui les torturent. Porter atteinte aux droits fondamentaux des migrants n’est pas considéré comme une faute politique. Au contraire, ce serait même un trophée électoral. Et sur ce point au moins, les choses sont malheureusement très claires.

Martine Vandemeulebroucke

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