26 novembre par Samir Abi
Bien que les raisons et les motifs des mouvements populaires soient connus il est souvent difficile d’élucider les liens qui les unissent avec l’événement qui souvent est la source de leur déclenchement. En attendant le travail critique des historiens, le nom de Mohamed Bouazizi reste pour le moment lié aux mouvements qui ont jalonné cette année 2011.
Du suicide d’un pauvre maraîcher dans un petit village tunisien à Sidi Bouzid va naître l’un des plus grands mouvements de libération de l’histoire post mondialisation. En effet, les événements de l’heure sont le reflux de la mondialisation à l’ère du libéralisme généralisé comme pensée unique depuis les années 70. Le suicide de Mohamed Bouazizi est en ce sens plus que l’acte de désespoir d’un jeune qui a perdu tout espoir en son avenir. C’est un acte de protestation envers une société, un système corrompu qui l’a empêché d’aller au bout de ses études et le prive enfin du seul bien qui lui assure encore sa dignité et sa survie : son étalage de légumes et de fruits. Dans le monde connecté du XXIème où l’information est la chose la plus partagée, les jeunes de partout vont se retrouver dans le portrait du jeune désespéré tunisien. Et ainsi nait le printemps arabo-berbère et les Indignés. L’occupation des places publiques en Tunisie à partir du 17 décembre 2010 qui conduit au « DEGAGE » du dictateur Ben Ali, va renouveler le mouvement nationaliste au Maghreb puis au Machrek et enfin illuminer le monde entier. Le mouvement des Indignés va ainsi voir le jour en Europe, cinq mois après le suicide de Bouazizi.
L’Espagne, premier pays en Europe à voir émerger le mouvement, est traversé depuis 2010 par des mesures d’austérité économique qui rendent un peu plus précaires les conditions de vie déjà difficiles depuis l’avènement de l’euro. Bien que donnée comme exemple de transition réussie d’une dictature à une démocratie, l’Espagne baigne toujours dans l’héritage du dictateur Franco. Avant de quitter le pouvoir, le Général Franco crée l’architecture actuelle du système politique espagnol marqué par une royauté avec une bipolarité politique excluant les petits groupements politiques, une inféodation des partis aux banques pour leur financement et la « vache sacrée » de la puissante église catholique. Le mois d’avril 2011 va être par deux fois témoin d’événements majeurs qui vont conduire au déclenchement de l’indignation. Le premier est l’élection municipale qui marque le retour en force de la droite. Le second est le renforcement des mesures d’austérité en Espagne exigé par l’Union européenne et le FMI pour éviter un scénario à la Grecque. Face à un avenir qui s’assombrit un peu plus, les jeunes espagnols, prenant exemple sur les Tunisiens de la place de la Kasbah et les Égyptiens de la place Tahrir, vont lancer un mouvement d’occupation de la Puerta del Sol, une des principales places publiques de Madrid. Ils vont être rapidement suivis dans d’autres villes d’Espagne. S’inspirant du résistant français Stéphane Hessel, ils se considèrent comme les « Indignés » du système.
La progression du mouvement se déroule d’abord en Europe grâce aux réseaux sociaux et à la diaspora des étudiant-e-s espagnol-e-s, en échange universitaire Erasmus un peu partout en Europe, qui organisent des rassemblements populaires en soutien à leurs compatriotes en Espagne. De soutien aux indignés espagnols, les rassemblements vont voir émerger des revendications nationales dans les différents pays d’Europe. Ainsi, de la Puerta del Sol en Espagne à la place Syntagma en Grèce, en passant par la place de la Bastille en France, avec la même revendication, « DEMOCRATIE REELLE MAINTENANT », les indignés vont marquer le début de l’été par leur assemblée populaire et leur autogestion sur des places publiques transformées en campement solidaire. Hors d’Europe, le mouvement des Indignés s’étend d’abord en Amérique latine, dans les anciennes colonies espagnoles. Au début juin 2011, 500 villes de part le monde vont voir se développer des occupations d’espaces publics au nom de l’indignation et pour une démocratie réelle maintenant. On croyait le mouvement s’essouffler avec le départ pour les vacances d’été et la fin de l’occupation de la Puerta del Sol. Mais la surprise viendra du Proche-Orient et elle s’appelle Israël. L’été va être marqué par le mouvement des Indignés israéliens. Donnée en exemple dans une région où règne monarchies et dictatures à la solde des États-Unis, la démocratie israélienne va montrer ses failles en terme de justice sociale à la face du monde. Un demi-million d’israéliens vont descendre dans la rue contre les politiques néo-libérales et la vie chère qui sévissent actuellement en Israël. A la rentrée d’automne, c’est au tour des États-Unis de redonner un nouveau souffle au mouvement des Indignés par l’appel à occuper Wall Street lancé par les 99% d’américains qui subissent la crise.
Parties d’une revendication de démocratie réelle, les revendications du mouvement des Indignés tournent actuellement autour de la dénonciation des plans d’austérité prônés contre les peuples pour une sortie de crise. Le mouvement « Occupy Wall Street » vient donner un contenu politique nouveau à ce mouvement en appelant à occuper les places financières à l’origine des crises répétées dans le monde depuis le 19ème siècle. Le mouvement, bien qu’étant uniforme dans ses revendications, consacre pourtant des particularités d’un pays à l’autre. Aux États-Unis, la demande d’une justice sociale est plus forte par rapport à l’Europe où les Indignés sont plus portés vers l’exigence de nouvelles règles démocratiques participatives et une meilleure prise en compte de l’expression du peuple. Mais de fait, les Indignés dénoncent les liaisons dangereuses entre les politiques et le monde de la finance et remettent principalement au centre des préoccupations la question de la participation citoyenne et de la consultation populaire pour les prises de décision publique. Les Espagnols ont très bien traduit ce désamour envers le politique et la démocratie par des élections quinquennales, par la citation : « faire le sexe chaque cinq ans est-ce encore de l’amour » ?
Quelque soit le continent, les mouvements de révoltes du printemps arabo-berbères, des Indignés de l’été et de l’automne au Zuccotti Park de New York, ont pour caractéristique commune d’être menés par des jeunes. Une nouvelle génération issue souvent de la classe moyenne et forte en incertitude par rapport à son avenir. Une jeunesse ayant grandi avec la crise à l’oreille. Une vague nouvelle qui partage un nouveau continent virtuel, celui des réseaux sociaux. Mark Zuckerberg et ses ami-e-s n’auraient jamais cru qu’un jour, leur innovation virtuelle et apolitique, Facebook, puisse être un outil au service de la libération des peuples. Et pourtant, les réseaux sociaux sont au centre de tous les mouvements de cette année. « Facebooker », « twitter » ou « streamer » sont de nouveaux verbes versés dans le vocabulaire militant de l’heure. À chaque révolutionnaire son iphone ou autre smartphone capable de prendre des images et de les mettre en ligne. D’où les accusations, souvent lancés contre les indignés, de pourfendre le capitalisme tout en pleurant la mort de Steve Jobs, inventeur de l’iphone, dont la fabrication dépend de l’exploitation de milliers de chinois. Autre point commun, les Indignés, quelque soit leur pays, ont été formés par les mêmes médias et par une culture populaire de révoltes propagée par le biais de la musique et des films. De « La rage du peuple » de Keny Arkana à « They don’t care about us » de Mickael Jackson, e la « Matrix » des Wachowsky à « V pour Vendetta » de James McTeigue, la révolte gronde et monte contre une société où l’aliénation et l’oppression par le capital, les politiques et les médias sont généralisés contre les libertés fondamentales des citoyen-ne-s.
De l’indignation, le mouvement est à un tournant crucial de la mobilisation, le passage à l’action. La journée mondiale de mobilisation du 15 octobre 2011 a connu un grand succès mondial avec plus d’un million de personnes mobilisées sur tous les continents. L’hiver aura-t-il raison de ces milliers de jeunes qui résistent brillamment contre les persécutions d’une police armée et d’une justice pourtant silencieuse contre les banquiers ? Leur espoir, ces jeunes le retrouvent dans les leçons léguées par ces indignés du passés qui leur ont montré la voie de la non violence notamment le Mahatma Gandhi qui disait déjà le siècle passé : « Ils nous ignorent, après ils nous méprisent, ensuite ils nous agressent et enfin vient la VICTOIRE ».
Intervention de Samir ABI au Forum de la paix à Bezons, Ile de France, le 10 Novembre 2011.
Samir Abi est secrétaire général d’Attac Togo, membre du réseau international CADTM