Pourquoi évoquer la Palestine dans un programme électoral communal ?

Communes, racisme et politique internationale.

lundi 3 septembre 2012, par Paul Willems

Pourquoi inclure dans un programme électoral communal un point concernant la Palestine. Les gens s’étonnent ? Certains se disent choqués. Mais est-ce réellement sans rapport avec le sujet ?

Il y a des communes où vivent très peu d’immigrés. Rares sont les immigrés qui s’y installent. Ces dernières font en sorte que rien ne change à cet égard à moins d’avoir à faire à des immigrés riches. Ainsi, de nombreux millionnaires Français sont-ils domiciliés à Uccle. Mais que peuvent faire celles où vivent parfois une majorité d’immigrés, alors que la pauvreté et le chômage augmentent, mais aussi alors que le racisme se répand comme une trainée de poudre ?

Est-il suffisant de tout miser sur la sécurité ?

Le racisme est un vieux problème de société. Toute société est en butte au racisme. Le racisme, la xénophobie ont toujours existé. On en débattait en Grèce, à l’époque des Suppliantes [1], au temps de Jésus, qui a conçu une très belle parabole à ce sujet : la parabole du bon Samaritain.

Récemment, l’humanité a cependant pris conscience de la cause et de la dimension politique du racisme. Au cours des dernières décennies, des organismes spécifiques ont été mis en place pour lutter contre le racisme. Mais est-ce suffisant pour lutter contre le racisme ? Certaines communes sont en difficulté à cause du racisme. Les discriminations existantes et la pauvreté qui en résulte entraînent une relative insécurité. Ces discriminations trouvent leur origine dans le racisme. La lutte contre le racisme est-elle du ressort de la politique communale ? Et surtout, comment lutter contre le racisme ? On ne peut se contenter de mettre des gens en prison comme en Angleterre où, après les émeutes de Tottenham en 2011, des milliers de gens se sont retrouvés en prison.

Un tel racisme a besoin d’une idéologie pour s’affirmer. Cette idéologie a été fabriquée à partir des attentats du 11 septembre 2001. Depuis le 11 septembre 2001, les musulmans semblent de plus en plus souvent traités de manière différente des non musulmans. La situation des Palestiniens a empiré.

Pendant deux décennies, les années 60 et 70, les immigrés furent généralement traités comme des inférieurs. Pendant les années 80 et 90, ils furent parfois expulsés, souvent critiqués. Des émeutes raciales étaient parfois réprimées.

Depuis le 11 septembre, la presse annonce régulièrement que des bandes terroristes sont démantelées, quand elle ne fait pas état d’attentats qui sont bien sûr attribués à des fondamentalistes musulmans, des attentats particulièrement féroces qui ont fait de nombreuses victimes innocentes.

Depuis le 11 septembre, tous les immigrés, pas seulement les musulmans, sont de plus en plus souvent traités en ennemis. Les musulmans sont carrément stigmatisés.

Le racisme est souvent dicté par la peur. Avant le 11 septembre 2001, il n’existait aucune raison spécifique d’avoir peur des Arabes ou des Musulmans, si ce n’est qu’on les avait colonisés, qu’on venait de mener une guerre particulièrement terrifiante contre l’Irak.

Après le 11 septembre 2011, quoi qu’ils fassent, il n’a plus été possible de justifier les Arabes, ou plutôt les musulmans. La situation en Palestine s’est modifiée. L’occupation d’une partie de la Palestine s’est transformée en conflit ouvert contre la population palestinienne désarmée. Un nouveau conflit a éclaté entre l’Irak et les U.S.A., quoique cette fois, l’Irak fut même incapable de se battre, ne disposant plus d’armée.

En réalité, le racisme populaire a trouvé dans les actes de quelques extrémistes, dans les médias et leurs dirigeants, un soutien de poids.

De plus en plus, des quartiers entiers de Bruxelles et d’autres grandes villes sont vus comme des repères de terroristes et leur soutien. En effet, l’on voit dans la communauté musulmane, le principal soutien de ces soi-disant extrémistes.

La situation dans ces quartiers, en général pauvres, a changé. La police se fait plus présente. L’incarcération est devenue banale et concerne de préférence les immigrés. Les violences policières ne font plus fréquentes. Une justice deux poids deux mesures est souvent appliquée. Les gens ne l’admettent pas facilement. Lorsqu’un bourgmestre essaie de défendre la communauté musulmane de sa commune, il est critiqué dans la presse.

De manière discrète, les choses ont changé en ce qui concerne les rapports entre les musulmans ou les immigrés d’origine nord-africaine et les autres. La situation est devenue délicate. La crise financière met la plupart des états, et donc la société qui en dépend, au pied du mur. Les immigrés sont davantage jugés responsables de la situation. Personne ne se soucie de savoir ce qui arrive à ceux qui sont arrêtés et par exemple extradés dans le cadre d’enquêtes antiterroristes. Il serait malvenu de se poser des questions, de les plaindre.

Dans de nombreux pays, les principaux dirigeants n’hésitent pas à critiquer directement les immigrés. [2]

L’aggravation subite de la crise en Grèce a provoqué une flambée de racisme dans ce pays.

La misère qui a commencé à faire des ravages enrichit surtout les banques, et, à travers elles, certaines personnes qui, le plus souvent, ne sont pas les immigrés, mais, bien sûr, présidents et premiers ministres, et autres chanceliers, ne le reconnaissent pas.

En réalité, dans tous les pays occidentaux, et, en particulier européens, le racisme est redevenu une idéologie. Il ne s’agit plus seulement d’un comportement, d’un fait de société, mais d’une idéologie.

Les conflits militaires et les crises se succèdent au moyen-Orient, en Afrique du Nord et font de nombreuses victimes dans la population des pays qui en sont la proie. Ces victimes sont la plupart du temps musulmanes, et, forcément, l’Occident ne tolère pas qu’on l’accuse de quoi que ce soit. Pour les dirigeants et les journalistes occidentaux, les coupables sont d’autres musulmans. L’Occident essaie tout simplement de reconquérir le monde, mais il est hors de question d’interpréter les faits de cette façon.

Tout comme le colonialisme et le néocolonialisme, qui est le colonialisme dissimulé par certains moyens, la mondialisation fait d’innombrables victimes dans le monde entier, mais il est vain d’en faire état.

Les médias et la propagande de masse ont répandu partout cette idéologie, qui a transformé les consciences, et, dans certains cas, parler de l’immigration et du racisme semble inacceptable. Le musulman, sinon l’immigré est désormais tenu pour suspect.

Comment, dans ces conditions, administrer des communes où ces immigrés représentent une minorité importante et parfois la majorité ?

Aujourd’hui, les pays occidentaux bombardent surtout des pays arabes, pas d’autres, et ce sont des musulmans, le plus souvent des Arabes qui sont soupçonnés d’être des terroristes et qui se font torturer à Guantanamo ou ailleurs, y compris dans des pays arabes.

Personne ne semble capable de le comprendre. Comme s’il s’agissait de défendre des monstres.

Tous ces problèmes sont perçus comme séparés. Conflits sociaux, racisme et mondialisation sont en même temps perçus comme distincts.

L’islamophobie, cette nouvelle idéologie raciste, est en train de faire des progrès. Certains pensent que c’est à cause des attentats du 11 septembre 2001, mais le conflit israélo-palestinien, ou plutôt le sionisme, est également responsables de cette idéologie, du moins dans ses caractéristiques actuelles, car cette idéologie a toujours existé. Elle existe depuis les croisades.

Les gens ne comprennent pas bien tout cela. Ils ne comprennent pas que leurs dirigeants ont inventé le terrorisme arabe, qu’ils ont provoqué eux-mêmes des conflits criminels dans une région du monde très importante sur le plan stratégique. Ils ne comprennent pas que l’Occident cherchât une fois encore à dominer le monde en s’appropriant le pétrole et en occupant les pays musulmans où existent des gisements de pétrole. Ils ne comprennent que ce que les journaux, leurs dirigeants, ceux des pays occidentaux leur expliquent.

Il suffirait d’aborder une situation comme celle de la Palestine, pour le comprendre et pour rendre caduque cette idéologie.

Comment mener la moindre politique dans certains quartiers des villes occidentales où trouvent refuge les membres de communauté musulmane stigmatisée sans parler librement de la Palestine, faire la part des choses à ce sujet avec eux ? Tous leurs problèmes leur semble venir de Palestine, alors que bien entendu, ce n’est pas non plus entièrement le cas. Le fait que la situation continue à s’aggraver en Palestine a un impact sur la société.

Dans les communes, les gens s’inquiètent à cause de la guerre et de l’insécurité. Tout se mélange dans leur tête. Un pays après l’autre, il s’agit de mener des guerres, de renverser des régimes, le plus souvent arabes, d’en mettre d’autres, qui ne valent pas forcément mieux, en place.

Il s’agit de lutter ensemble contre l’injustice dont sont victimes non seulement les Palestiniens, mais aussi les Congolais et d’autres peuples.

Pourquoi la Palestine, et pas le Congo, demandent des gens auxquels je tente de parler du parti Égalité et qui ne comprennent pas pourquoi ce parti fait campagne pour les élections communales sur le thème de la Palestine ? Parler du Congo est aussi mal considéré que parler de la Palestine. Ce l’est même davantage.

La réponse va de soi. Ce sont les Arabes qui sont stigmatisés, pas les Congolais, ou les noirs, quoique certains d’entre eux le soient également.

Le racisme anti-noir est un vieux problème qui existe aux U.S.A., et qui fait également des ravages en Europe depuis longtemps, mais il n’y a pas d’idéologie raciste anti-noir, qui fasse des ravages dans les pays occidentaux, comme le fait l’islamophobie au nom de l’antiterrorisme. Il n’y a pas non plus des centaines de milliers de Congolais ou de personnes originaires de l’Afrique subsaharienne en Europe.

Il est indispensable d’en parler et de lutter contre la situation qui a cours en Afrique également. L’Afrique est presque entièrement dominée par des intérêts occidentaux européens et américains. La crise rwandaise a permis aux Américains d’asseoir leur domination dans ce continent. Loin de s’opposer à eux, les Français par exemple leur ont mâché la besogne. Mais l’Afrique ne représente pas pour le moment un enjeu stratégique comme le Moyen- et le Proche-Orient qui est situé entre l’Asie et l’Europe. Le racisme antimusulman, ou islamophobe, a commencé à poser un problème en Occident sur lequel il y a lieu de s’exprimer plus librement. En tout cas, il devrait être possible d’en parler.

Par quel autre biais lutter contre cette tendance de la société occidentale de faire des guerres pour s’approprier des richesses, mais aussi contre leur tendance à se justifier de n’importe manière, en critiquant les autres, en stigmatisant des groupes humains, allant jusqu’à les exterminer [3], qu’en discutant, qu’en s’exprimant à ce sujet !

Il faut continuer à en parler, remettre en cause les idées toutes faites en cette matière, critiquer les causes elles-mêmes de l’existence d’une idéologie qui rend certains responsables de tout ce qui ne va pas.

Sans cela, à quoi bon essayer de résoudre les problèmes des gens ? On ne peut guère que les aggraver.

Il est presque devenu impossible de parler de certaines choses. Et, pendant ce temps, de plus en plus, cette idéologie nouvelle devient une manière de vivre, de penser, en Europe.

S’exprimer au sujet de la Palestine, mobiliser la population pour une cause importante, même si elle ne la concerne pas directement est un moyen d’empêcher que la société ne redevienne raciste, mais aussi que le monde ne sombre dans la guerre.

Il n’existe aucune preuve que cette nation soit plus terroriste qu’une autre. Par contre ce qui se passe en Palestine dépasse en horreur de nombreux faits… et ne s’explique que par une certaine idéologie.

Faire quelque chose pour la Palestine n’est qu’un expédient, qu’un biais, pour restaurer une certaine concorde, et… l’égalité ; en fait, pour faire quoi que ce soit, pour pouvoir s’exprimer, participer à la vie et débattre de la gestion communales.

Comment s’opposer à la propagande d’extrême-droite à son tissu de mensonges, et d’exagérations, si l’on ne s’attaque pas à ses fondements.

Tel est le point de vue d’Égalité

 

Notes

[1] Eschyle a écrit une pièce dans laquelle des Égyptiennes demandent refuge en Attique, qui s’appelle Les Suppliantes. L’acceptation des Grecs entraîne une guerre avec le peuple que fuient ces femmes.

[2] Comme l’explique Tzvetan Todorov, dans son livre Les ennemis intimes de la démocratie (Laffont-Versilio, 2012).

[3] Comme l’explique H. Laborit dans La colombe assassinée (Grasset, Paris, 1983), les collectivités peuvent aussi bien que les individus se transformer, au nom de certains principes, en collectivités meurtrières.

Égalité est un mouvement de résistance des quartiers populaires. Notre nom s’écrit avec les couleurs de la Palestine. Nous sommes des activistes qui changeons les choses. Nous luttons contre l’injustice et les inégalités sociales, dans le monde et ici. Nous résistons dans nos quartiers, nos écoles, au travail, contre le racisme d’État, l’islamophobie, les violences policières, la logique du « tous en prison ». Nous nous mobilisons pour les mal-logés et les sans-papiers.

 

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