« PETITS BLANCS » : POURRIR OU DEVENIR

C’est Noël! En guise de cadeau, l’édito du Nous 3 intitulé, « Petits Blancs », fascisme ou révolution, signé Louisa Yousfi et disponible à la commande ici :

Qui sont les petits blancs ? De quelle couleur sont-ils ? Sont-ils plus petits que blancs ou plus blancs que petits ? Sur un plan strictement politique, la réponse est aisée. Les petits blancs sont tendanciellement blancs. Ils votent en tant que blancs, se vivent blancs, se veulent blancs. La séquence électorale récente et les troubles occasionnés par la révélation de leur blanchité au sein de la gauche de transformation n’a fait que rejouer ce sempiternelle refrain, suivi de sa sempiternelle question : que faire des petits blancs qui semblent avoir endossé le pire de ces deux adjectifs ? Petits en ceci qu’ils constituent la partie la plus lésée du pacte racial qui structure le pays, blancs parce que pétris d’affects proprement racistes et donc contre-révolutionnaires. La cause de ces sombres affects n’a d’ailleurs que peu d’importance. Que les petits blancs soient racistes par haine, par peur, par ignorance ou par une fausse conscience de classe ne permet pas de résoudre grand-chose. Au contraire, tout porte à croire que c’est foutu. Pour eux. Pour nous. Pour « le pari du nous ». Et pourtant.

Nous, militants décoloniaux qui tâchons de mettre toutes nos idées à l’épreuve du matérialisme historique, avons toujours en tête ceci : les groupes sociaux ne sont jamais que sociaux et il n’y a pas que du politique dans le politique. Certes, les petits blancs sont les sentinelles de la blanchité, certes ils en surveillent les frontières comme des gardiens de nuit maigrement payés, mais ce deal de perdants qu’ils ont contracté avec la bourgeoisie qui les méprise tout autant que nous autres, révèle en eux une zone qu’une analyse grossièrement « matérialiste » est insuffisante à saisir complètement. Sur le racisme des Blancs américains, James Baldwin disait en substance : quel problème interne à eux-mêmes les Blancs cherchent-ils à fuir pour qu’ils aient à ce point besoin des Noirs ? Pour le cas français, il faudrait décliner l’interrogation : quel miroir inversé les Noirs et les Arabes de ce pays tendent- ils aux petits blancs pour que ces derniers soient convaincus de l’idée qu’ils sont sur le point de disparaître sous l’effet d’un grand-remplacement ? Dans la haine qu’ils expriment à notre endroit, quelle est la part de convoitise ? Et pourquoi est-il possible de renverser tous les stigmates du monde, à commencer par celui du « barbare » à l’ère où le capitalisme lui-même a des vues sur cette dignité et veut en faire son commerce, et jamais celui du « beauf » dont les tentatives de sublimation échouent le plus souvent ?

C’est un chantier qui s’ouvre sur des sables mouvants. Les petits blancs, s’il faut les envisager, ce n’est pas seulement « en dépit » de leur racisme mais « à l’intérieur » de leur racisme, posant comme hypothèse régulatrice que ce dernier constitue le voyage raté vers leur dignité. Car comment fait-on après avoir négocié son âme dans l’objectif de ne pas tout perdre (et de se retrouver à partager la même condition que les barbares) et finalement tout perdre quand même ? Comment lutte-t-on contre cette forme spécifique du ressentiment ? Et à quoi ressemblerait-elle cette « âme » qui permet encore aux barbares, malgré l’oppression et l’humiliation, de ne pas complètement abdiquer leur devenir révolutionnaire et d’exister selon un système de valeurs et de croyances indociles aux lois du monde qui nous accable collectivement ? Comment la retrouver au milieu du désert économique, social, culturel et spirituel dans lequel les petits blancs se retrouvent désormais piégés ? À poser les choses ainsi, l’espoir devrait manquer. Mais ce serait passer à côté de d’une ironie loin d’être amère, plutôt miraculeuse même. Ce travail sur la dignité perdue des petits blancs est aujourd’hui intuitionné, pensé et développé par leurs ennemis jurés, les militants antiracistes de l’immigration qui savent voir derrière le visage de leurs bourreaux les plus directs, leurs voisins de palier ; derrière toute la haine et la rancœur dont ils sont pourtant les cibles, ce que la France leur a fait à eux aussi.

Le « pari du nous » commence donc ici, en territoire décolonial où le premier effort est tenu : prêter à ces ennemis très hostiles un destin néanmoins pas complètement foutu, aux aspérités encore inconnues, qui ressusciterait une mémoire perdue à même d’abolir notre première question. Non plus « Qui sont les petits blancs ? » mais « qui peuvent-ils devenir ? ». Par exemple : ni petits, ni blancs.

Louisa Yousfi

Pour commander le Nous 3

Spread the love

Laisser un commentaire