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Palestine: retour aux fondamentaux

La cause palestinienne a toujours été unanimement défendue par la gauche du monde entier. Malgré 75 ans de luttes, de guerres et de négociations, la situation y empire de jour en jour, et la solidarité internationale semble aujourd’hui bloquée dans ses actions et ses réflexions, sans parvenir à s’unir autour d’une stratégie efficace.

Oslo

En 1987, la première Intifada met Israël en difficulté, d’un point de vue militaire et médiatique. Durant plusieurs années, les images d’enfants jetant des pierres sur des chars, violemment réprimés par l’armée israélienne, font le tour du monde. Les cartes seront rebattues après la chute du mur de Berlin en 1989, et la première guerre en Irak en 1991, lorsque les États-Unis planifient un «nouvel ordre mondial» qui inclurait une situation pacifiée en Palestine.

Yasser Arafat, chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), s’étant opposé à l’intervention américaine contre Saddam Hussein, se retrouve alors en mauvaise posture pour négocier. Les premières négociations commencent par conséquent à Madrid avec des Palestiniens de l’intérieur, qui se révèlent fermes sur leurs positions. Elles sont finalement contournées par les Israéliens en 1992, par des négociations secrètes à Oslo, avec des Palestiniens de l’extérieur, représentés par Yasser Arafat, plus souple à faire des compromis.

Ces négociations aboutiront par la signature en grandes pompes des premiers accords d’Oslo, le 13 septembre 1993. En 1993 puis en 1995, ces accords promettent la reconnaissance mutuelle entre Israël et les Palestiniens représentés par l’OLP. C’est donc la solution «à deux États» qui s’impose comme le principal objectif à long terme. L’Autorité palestinienne (AP) intérimaire, prévue pour 5 ans (avant l’hypothétique mise en place d’un véritable État souverain doté d’un vrai gouvernement indépendant), n’aura pas le contrôle des exportations et des importations, les taxes et recettes fiscales étant retenues par Israël. La Cisjordanie est découpée en zones A, B et C, avec des checkpoints, répartissant la gouvernance de petits territoires sans continuité géographique entre AP et l’État israélien.

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Les accords prévoient aussi le retrait progressif des forces armées israéliennes des territoires occupés (ce qui ne sera fait que pour Gaza en 2005), et un juste règlement du problème des réfugié.es, qu’on attend toujours. On attend aussi la «phase 2» de ces accords, censée statuer sur les frontières, les colonies, l’eau, les prisonniers et le statut de Jérusalem.

A l’époque, on pouvait voir dans ces accords les premiers pas vers un État et une souveraineté palestinienne, même limitée, avec la reconnaissance de ses symboles nationaux (notamment le drapeau ou l’hymne national), l’établissement de nouveaux partis et syndicats en Palestine, le retour de quelques réfugiés, la possibilité pour la Palestine de rejoindre certaines instances (ONU, CPI…), et enfin des contributions financières du reste du monde, menant à une toute petite prospérité, de courte durée, et très limitée.

Cependant, les accords ont éludé des questions essentielles, telle celle du retour des réfugié.es palestiniens, en particulier celles et ceux qui ne sont pas en Cisjordanie et à Gaza. Rien non plus sur le démantèlement des colonies qui ne cessent de se multiplier, les annexions de terres, les crimes contre les personnes, les atteintes au droit humanitaire, les milliers de prisonniers, y compris des enfants, ou sur l’eau de Cisjordanie, qu’Israël pompe allègrement, etc. Les modalités de transfert de gouvernance sont demeurées trop imprécises, et soumises aux aléas politiques des années qui ont suivi les accord d’Oslo. En outre, aucun moyen coercitif n’a été prévu pour faire respecter les accords à Israël.

Malgré cela, en 1993, Yasser Arafat est allé au bout du «processus de paix»: il a mis fin à l’Intifada et renoncé à la lutte armée, comme promis. L’État israélien en revanche a continué sa répression féroce, il occupe toujours militairement la Cisjordanie, Gaza, la vallée du Jourdain, les frontières avec la Jordanie et l’Égypte, il a construit toujours plus de colonies et de routes, puis un immense Mur d’apartheid qui ne cesse de grignoter des terres, en dépit du Droit international.

Après avoir évacué Gaza en 2005, Israël y a instauré un blocus total, condamné par le Droit international et aboutissant à une catastrophe humanitaire pour ses quelques deux millions d’habitants, régulièrement bombardés. Les colonies et leurs routes continuent de voler plus de 55% de la superficie totale des territoires occupés, dont 25% dans le «Grand Jérusalem». «L’État palestinien» actuel est une illusion, régnant sur de mini Bantoustans, où l’AP fantoche est réduite à un rôle de complice de la répression israélienne.

Pour beaucoup en occident, les accords d’Oslo ont été une aubaine, permettant de dédiaboliser Israël, qui avait montré toute sa cruauté dans la répression des enfants de l’Intifada dans les années 1980, et de prétendre en finir avec un conflit long et épineux… Dès lors que les accords ont été signés, de nombreux pays en ont profité pour renforcer leurs liens avec l’État israélien, notamment y ouvrir de nouveaux marchés, en prétendant que la route vers la paix était maintenant tracée, et qu’il n’y avait plus que des «retards» ou des «incidents de parcours». Plus étonnant, la plupart des organisations de gauche se sont rangées derrière cette vision, et toute critique d’Oslo et de la solution «à deux États» a longtemps été vue comme extrémiste et inconsciente, même si les «deux États» résultaient d’une logique de séparation raciste, et que les accords avaient été partiaux et déséquilibrés dès le départ.

Tout ceci permet à la politique du fait accompli de s’installer: de nombreux États signent des traités de paix avec Israël, et certaines résolutions de l’ONU qui lui sont défavorables sont même annulées (comme la Résolution 3379 de 1975 qui qualifiait le sionisme de racisme), bien qu’il demeure détenteur du record de résolutions violées (près d’une quarantaine à ce jour). Israël continue sa politique de «normalisation» pour améliorer son image médiatique et apparaître comme un État démocratique et moderne, avec lequel on peut développer des collaborations économiques ou artistiques…

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Les réactions des Palestiniens

Depuis 2009, et principalement sous pression d’Israël, il n’y a plus d’élections en Palestine. La petite clique au pouvoir, parfois corrompue, profite de la collaboration de l’Autorité palestinienne avec les forces d’occupation, et elle a intérêt à ce que le statu quo perdure. Celui-ci permet également de faire vivre une population de fonctionnaires qui ne crache pas sur un salaire en temps de crise, et qui par conséquent hésite à mordre la main qui la nourrit.

Les critiques se font néanmoins entendre de plus en plus fort pour dénoncer une coopération étroite avec Israël, y compris sous forme de tortures et d’assassinats de dissidents palestiniens. L’opprobre qui frappe les dirigeants de l’AP menace de s’étendre au Fatah dont la plupart sont issus. S’il est difficile d’évaluer les forces d’oppositions, une indication provient des élections étudiantes, comme à Birzeit en 2022 où 75% des étudiant.es se sont exprimés. Le Fatah ne recueille que 35% des voix, le Hamas arrivant largement en tête avec 52% des voix, laissant l’opposition marxiste du FPLP loin derrière avec 9% des voix.

La popularité du Hamas et du Jihad islamique (JIP) peut provenir d’une importance grandissante des idées islamistes, ou parce qu’ils représentent l’opposition la plus efficace contre l’occupation israélienne, en Cisjordanie comme à Gaza. Hamas, JIP et FPLP n’ont jamais accepté le processus d’Oslo, considérant que la guerre fait toujours rage, et qu’il est impossible d’engager des négociations sur d’éventuelles frontières d’hypothétiques États. Surveillés et attaqués de toute part, leur marge de manœuvre est faible et, même à Gaza, elle est surtout consacrée à se défendre.

Parallèlement aux partis traditionnels, la société civile palestinienne s’organise également, parfois en s’appuyant sur la solidarité internationale, avec par exemple One Democratic State Group qui vise à démontrer la viabilité d’une solution «à un seul État» démocratique; Stop the wall qui fédère les initiatives contre le Mur d’apartheid; ou le Boycott National Committee (BNC) qui dirige de Palestine la campagne internationale de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). Toutes se placent délibérément en-dehors du processus d’Oslo, constatant son échec.

Des mouvements de jeunes existent également (Nabd, Gaza Youth Breaks Out, Jabal Al-Mukabir Local Youth Initiative,…) pour une jeunesse qui refuse la personnification de la lutte, milite parfois de façon informelle et ponctuelle, et utilise abondamment les réseaux sociaux, en alternant humour, désespoir et tentation de l’exil. Lutter contre l’occupation qui les opprime et les condamne à une vie sans perspective est pour ces jeunes un impératif, au-delà de toute rhétorique.

D’autres groupes de jeunes ont fait le choix de l’insurrection et de la lutte armée (la ‘Tanière des Lions’ de Naplus, le ‘Nid de Frelons’ de Jenin, la Brigade de Balata…), avec des modes d’actions d’une grande efficacité par leur volatilité. Souvent sans affiliation officielle à un parti particulier, ces groupes s’inspirent néanmoins ou peuvent avoir des liens avec le Fatah, le FPLP, le Hamas ou le JIP. Cette guerre d’usure, qui est fortement réprimée, a ravivé une forte résistance populaire et constitue de fait, une rupture définitive avec Oslo pour une génération née après 1993, qui ne connaît de ce «processus de paix» que le durcissement de la colonisation et des exactions, tant de l’armée que des colons israéliens toujours plus nombreux et violents.

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Les fondamentaux, et comment les atteindre

Trente ans après Oslo, au regard de la situation actuelle, de l’échec des accords d’Oslo et du «processus de paix», n’est-il pas devenu inconscient de rester dans cette impasse? N’est-il pas temps que les organisations, syndicats et partis occidentaux qui se veulent solidaires avec la Palestine adaptent leurs revendications à la réalité? La situation en Palestine est toujours une situation coloniale que le processus d’Oslo n’a en rien altéré, et qui implique des exigences fondamentales auxquelles il faut revenir:

1) Le respect du droit international et des droits humains

2) La décolonisation des terres occupées et la levée du blocus sur Gaza

3) Le retour des réfugiés

4) La dénonciation de l’apartheid et l’exigence de l’égalité des droits pour tous

5) La dénonciation de l’impunité d’Israël

6) Le droit à l’autodétermination du peuple palestinien

Il existe de nombreuses façons d’exprimer sa solidarité avec la Palestine, en gardant ces fondamentaux à l’esprit. Citons-en quelques unes: les manifestations et autres réunions publiques, le soutien financier ou matériel, les actions en justice, les missions civiles dans les Territoires occupés, les témoignages de ce qui se passe sur place, sous forme de conférences, de formations, d’articles, de livrets, de tracts, de communiqués de presse, de films, etc.

La solidarité peut s’exprimer de façon individuelle, mais elle est plus efficace à travers des organisations ou des réseaux d‘associations français, européens et internationaux, par exemple la Plateforme des ONG pour la Palestine, le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, le Réseau européen des syndicats pour la justice en Palestine, etc.

L’un de ces réseaux de solidarité est celui de la campagne internationale et non-violente de Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre l’apartheid israélien (BDS), dont le plus grand mérite est justement de sortir du piège d’Oslo en faisant le choix de ne pas s’exprimer sur la solution (un État, deux États ou autre, et quel type d’État, socialiste, capitaliste, panarabe, islamique, binational…), et de se concentrer sur le respect du Droit international et des droits fondamentaux. C’est d’ailleurs probablement ce qui empêche certaines organisations de gauche de la rejoindre, considérant qu’une solution qui romprait réellement avec Oslo serait trop «extrémiste».

Pourtant, la campagne BDS répond à un appel palestinien, et c’est donc une campagne anticoloniale dans son essence, au sens où les militants internationaux répondent aux directives des colonisés, sans imposer leurs stratégies et leurs solutions. De plus, cette dernière ne parle jamais d’un ou deux États et se contente d’appeler à une pression plus grande pour qu’Israël respecte le Droit international. Par sa forme, la campagne BDS permet néanmoins à chacun de s’engager à son niveau: elle peut se décliner aussi bien dans les supermarchés que dans les domaines culturels, sportifs, à l’université, etc.

Soyons clairs, la campagne BDS contribue avant tout à contrecarrer la propagande israélienne qui tente de dépeindre une situation apaisée sur place pour y attirer touristes, investisseurs, artistes, intellectuels, sportifs, et soutiens politiques. L’État israélien ne s’y trompe pas en consacrant des sommes énormes pour combattre la campagne de boycott qui égratigne son image. Poussé dans ses retranchements, il en vient à traiter d’antisémite toute critique d’Israël, une absurdité sans nom vu que la campagne BDS ne s’attaque pas aux individus israéliens, et encore moins aux juifs, mais aux institutions israéliennes complices de la colonisation. Du point de vue de la solidarité internationale, la campagne BDS semble donc représenter le consensus le plus proche des demandes palestiniennes, et adaptée aux moyens d’action dont nous disposons pour faire pression sur nos gouvernements.

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Conclusion

C’est parce qu’en Occident nous sommes en grande partie responsables de la situation coloniale en Palestine qu’il est de notre devoir de contribuer à la régler. Historiquement, l’Europe et les États-Unis ont soutenu l’État d’Israël et continuent à le faire, militairement et économiquement. Parallèlement, cela fait 30 ans que la plupart des organisations de gauche en France, solidaires de la cause palestinienne, se sont engluées dans le cadre du Processus d’Oslo. Elles sont alignées sur l’AP dont elles constatent pourtant l’échec, tout en espérant encore sa résurgence, car elles n’ont plus d’autre boussole pour analyser la situation. Pendant ce temps en Palestine, la jeunesse a rompu avec l’AP et recherche de nouvelles formes de résistance, y compris dans un retour à l’insurrection et à la lutte armée, souvent sans affiliation à un parti particulier.

Face à la situation ici et en Palestine, la campagne BDS est considérée comme trop modérée par certains, parce qu’elle a choisi la non-violence, et trop radicale par d’autres, parce qu’elle refuse de tomber dans le piège d’Oslo. Pourtant, il s’agit de diversité et de complémentarité de tactiques qui partent souvent d’analyses semblables. En premier lieu, celle qui affirme qu’il est urgent de se sortir de l’impasse du processus d’Oslo qui a fait perdre 30 ans aux Palestiniens, et de revenir à une lecture anticoloniale de la situation actuelle.

Emmanuel Dror –

05.05.23