Nous sommes au mois de mai 1947, l’émir Abdelkrim El Khattabi est sur le chemin de son transfert d’exil, de la Réunion où il vient de passer plus de 20 ans, vers le sud de la France. Il a obtenu des autorités françaises la faveur de passer par la Maroc, afin d’y inhumer à Adjir dans le rif natal, les restes de sa mère. Partie avec lui en exil en 1926 comme 52 personnes de son entourage, elle est décédée peu de temps après leur arrivée, 16 ans plus tôt.
Le 31 mai 1947, le navire français, Le Katoomba, des Nouvelles Messageries, en provenance d’Afrique du sud et qui les a embarqués, lui et son escorte militaire, à Saint-Denis de la Réunion à destination du Maroc, fait escale à Port Saïd. Le roi Farouk ayant organisé une grande réception en son honneur puis lui ayant offert l’asile en Egypte, aussi longtemps qu’il lui plaira, l’Emir décide de brûler la politesse aux Français. Du Caire qui, avec la bénédiction du Royaume uni, est devenu rapidement la capitale de la contestation de l’empire français et où vient d’être fondée la Ligue arabe, AbdelKrim exerce une sorte de magister moral sur les leaders des mouvements de libération des trois pays qui eux aussi ont trouvé refuge dans la métropole égyptienne. Il est nommé président du Comité de libération du Maghreb arabe dont il a été l’artisan et qui correspond en fait à la poursuite de son projet historique de décolonisation de toute l’Afrique du Nord. Auquel il a dédié sa vie.
A la suite d’une protestation du gouvernement du Vietnam libre clandestin, adressée à la toute récente Ligue arabe, concernant les régiments de tirailleurs maghrébins engagées au sein des armées françaises dans ce qui s’appellera la guerre d’Indochine, Abdelkrim s’adresse aux soldats nord-africains servant dans l’armée coloniale. Le journal nationaliste arabe Sawt el Oumma du 21 mars 1948, relaie son appel. Il les invite à refuser de combattre « contre les peuples qui aspirent à la liberté ».
Largement diffusé par les Vietnamiens, cet appel entraînera plusieurs centaines de désertions parmi les goumiers marocains et entretiendra sur leur loyauté, une suspicion qui , au final, ne pouvait que bénéficier à la guérilla anti coloniale. Voici la retranscription qu’en fait, au mois de mars 1948, une dépêche consulaire du Caire, adressée au Quai d’Orsay, déjà siège du ministère des affaires étrangères.
Solidarité des colonisés
Marocains !
Il ne suffit plus aux impérialistes français d’occuper votre pays , de coloniser vos terres et d’ y amener des armées pour vous combattre chez vous. Il vous ont rendus misérables et ont exercé sur vous une pression telle que certains d’entre vous sont portés à croire que pour en finir avec leurs souffrances et échapper à la tyrannie, ils n’ont d’autres moyens que de s’enrôler dans les rangs des armées françaises.
En réalité, enfants du Maghreb, c’est une action prohibée par notre juste religion, contraire aux enseignements du prophète ( SAWS). En effet, ceci est contraire aux commandements de Dieu et de son prophète qui vous interdisent d’être les aides des Français oppresseurs contre les peuples du Vietnam, ce peuple héroïque qui défend sa liberté.
Soldats marocains !
Sachez que l’aide que vous apportez aux forces de l’impérialisme en Indochine, en plus de son caractère contraire à la religion et à la morale prolonge la présence française dans vos patries.
Les Français vous diront que les vietnamiens sont un peuple d’idolâtres mais quand les français ont ils eu une religion ?
…Vous devez chercher à passer dans les rangs des Vietnamiens pour les aider à vaincre les impérialistes français car leur défaite serait aussi une victoire pour la cause de la liberté et de l’indépendance du Maghreb.
Traduction de l’appel paru dans le journal égyptien Sawt al Oumma du 21 mars 1948.
Réalisé et rapporté par la légation française du Caire
Conservé aux Archives des Affaires étrangères
Dossier : Administration Centrale
Affaires politiques
Afrique Levant 1944 / 1972 ,
Généralités Levant 1944/ 1952