Bruxelles Panthères interpelle à nouveau l’UNESCO à propos du « Sauvage » d’Ath

Après notre premier courrier à l’UNESCO en 2019, après plus de deux ans de pandémie mondiale et deux ans après le mouvement mondial Black Lives Matter suite à l’assassinat de George Floyd, la position des autorités athoises et des communautés organisatrices de la ducasse n’a pas bougé d’un iota. Leur souhait est de continuer à produire un personnage négrophobe dans un événement populaire patrimoine immatériel de l’humanité qui rassemble des dizaines de milliers de personnes, dont une grande part d’enfants, pendant plusieurs jours.

Nous écrivons une seconde fois  à Madame la Directrice générale et à l’UNESCO pour faire part de notre constat sur l’évolution de la position des responsables impliqués et pour rappeler les conséquences désastreuses de la perpétuation de cette pratique déshumanisante qui à nos yeux devrait être illégale.

Veuillez trouver ci-dessous notre message à Madame la Directrice générale.

« Le Sauvage est plus important que l’Unesco » Pour le père de celui qui incarne désormais ce personnage controversé, son maintien au sein du cortège de la ducasse prime sur le label Unesco.

Madame la Directrice Générale de l’UNESCO,

Je me permets de vous interpeller une fois de plus concernant le folklore raciste qui se déroule en Belgique. Avec mon organisation, Bruxelles Panthères, nous partageons votre sentiment sur la nécessité de travailler à la tolérance et la paix dans le monde. C’est pourquoi, je me permets de vous écrire afin d’attirer votre attention sur un problème récurrent en Belgique, l’usage de blackface.

Je me permets d’attirer particulièrement votre attention sur les cas de blackface de type folklorique comme pour le Sauvage de Ath qui sont également, tout comme les caricatures antisémites du carnaval d’Alost, « susceptibles de se reproduire à l’avenir ». En effet, le bourgmestre d’Ath, Bruno Lefebvre soutient toujours qu’entre les blackfaces et le respect des standards de l’UNESCO, la ville d’Ath et les organisateurs choisiraient de conserver les personnages négrophobes de la Ducasse.

Madame la Directrice Générale,

Permettez-moi de mentionner que le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine de l’ONU (UNWGEPAD) a souligné dans plusieurs communications, aussi bien en 2013 qu’en 2014, le caractère raciste d’un tel usage véhiculant des stéréotypes négatifs et étant clairement un vestige de la mise en esclavage.

Malgré cela, ce vestige d’une tradition culturelle raciste se perpétue dans un silence assourdissant. Et lorsqu’il y a des remarques quant à l’essentialisation du Noir dans le cadre de cette tradition, il est répondu que contester une telle pratique revient à nier l’identité culturelle des pays où elle se déroule.

Mon organisation, Bruxelles Panthères, est très inquiète de constater la faiblesse des réactions aussi bien des autorités politiques que de la société civile de notre pays face à cette situation inqualifiable, dégradante et particulièrement racialisante.

Madame la Directrice Générale,

Comme chaque année, lors du 4 -ème week end du mois d’août, se déroulera la Ducasse d’Ath, ainsi présentée sur le site officiel de la ville : « depuis 2005, la ducasse d’Ath est reconnue par l’Unesco au même titre que la ducasse de Mons ou encore le Meyboom à Bruxelles. Ces fêtes, qui ont traversé les siècles, font partie de notre culture populaire et sont profondément ancrées dans nos traditions ».

En 2008, la ville d’Ath reçoit une nouvelle consécration. Elle est primée dans le cadre du concours EDEN (European Destinations of Excellence) initié par la Commission européenne. La démarche touristique de qualité entreprise par la ville ainsi que l’appropriation du folklore par la population locale ont séduit le jury du concours.

Cette reconnaissance, qui s’ajoute à celle offerte par l’UNESCO en 2005, confirme toute la richesse du patrimoine immatériel de la cité. » [1]

L’une des attractions organisées lors de cette ducasse est celle du : « Sauvage, enchaîné et agité, témoigne du goût de l’exotisme du 19e siècle. » (Dixit le site de la ducasse). Le Sauvage est un personnage grimé de noir et affublé de toute une série de signes avilissants tels qu’attribués aux Noirs par nos sociétés racistes à travers l’histoire : gros nez, grosses lèvres rouges, tenue « africaine », anneau dans le nez, chaînes au cou, aux poignets et aux chevilles, etc. ; à cela s’ajoute un comportement agité et dont le but est d’effrayer, particulièrement les enfants.

L’homme jouant le Sauvage est un homme blanc.

Non seulement les populations noires de ce pays subissent une injustifiable violence symbolique lors de cette pratique du « Blackface », mais elles sont victimes de violences matérielles et de discriminations avérées que nous dénonçons avec constance et systématiquement.

Madame la Directrice Générale,

Ce qui vaut pour Alost, vaut également pour Ath, Bruxelles, Malmedy ou Lessines, ce qui vaut pour les caricatures antisémites vaut aussi pour les folklores négrophobes.

En mars 2013, la précédente Directrice Générale de votre organisation, Madame Irina Bokova, avait réagi à la présence d’un char représentant des nazis au Carnaval d’Alost.

Nous avons apprécié cette prompte dénonciation de la représentation à caractère antisémite à sa juste valeur, d’autant qu’elle a eu lieu à Alost, dont des monuments et le carnaval sont inscrits au patrimoine de l’humanité de l’UNESCO. En se prononçant sur cet incident, votre institution avait signalé au monde que la banalisation du racisme, quelle que soit sa forme, ne peut être tolérée par l’UNESCO, agence créée pour encourager la tolérance et la paix. [2]

Malheureusement, cette saine réaction n’a pas empêché, lors de l’édition 2019 du même carnaval, la présence d’un char sur lequel étaient représentés des juifs de manière dégradante. [3]

Vous avez d’ailleurs vous-même, ainsi que Ernesto Ottone R., fermement réagi à cette nouvelle manifestation raciste dans un carnaval inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2010. [4]

Madame la Directrice Générale,

Je vous prie donc, de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour faire cesser ces folklore Racistes (Antisémite, Négrophobe, Islamophobe, Homophobe, Sinophobe, Sexiste, …) « Par tous les moyens nécessaires ! ».

Les articles R.1 et R.2 de la convention sont clairement remis en cause par la perpétuation de stéréotypes dégradants à l’encontre des personnes afrodescendantes. Des t-shirts « Je suis Sauvage » ont même été vendus dans le cadre de la Ducasse 2019. Des centaines de menaces ont été proférées à l’encontre des personnes ayant écrit à l’UNESCO pour sensibiliser au non-respect de l’esprit de la convention.

Depuis, tant du point de vue de la ville de Ath que des différents niveaux de pouvoir, aucune solution n’a été identifiée et mise en œuvre pour encourager le dialogue entre communautés et mettre fin aux stéréotypes dégradants.

Au contraire, la ville d’Ath a mis en place un site internet « Le Sauvage, si on en parlait ? » (5)  qui par son iconographie et un texte hypocritement inclusif qui nie tout simplement le racisme véhiculé par ce personnage.

« Qui est le Sauvage de la Ducasse d’Ath ? », A cette question, nous obtenons comme réponse sur le site « (…) Il n’y a pas l’intention de choquer et de véhiculer un message raciste. Mais les attributs du Sauvage (grimage noir, les chaines) sont restés et on peut comprendre que ces éléments sont difficilement compréhensibles pour celles et ceux qui ne possèdent pas les codes de la représentation » (6).

La conclusion de l’article de cette page du site de la ville confirme une volonté écœurante de continuer à véhiculer le racisme et les préjugées contre les personnes noires sous le couvert d’une prétendue tradition ou d’un attachement prétendument populaire.

Le but de cette prétendue consultation nous semble assez clair : continuer de véhiculer le racisme et les préjugées contre les personnes noires en se cachant derrière l’excuse d’un personnage appartenant à la tradition (ce personnage n’est apparu dans le cortège qu’en 1873).

En somme, on tente de nous convaincre que ce qui est negrophobe partout dans le monde ne le serait pas à Ath.

Ceci est clairement contraire aux principes éthiques pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de votre organisation.

Madame la Directrice Générale,

À cet égard, nous aimerions ici vous informer, dans le cas où vous n’en n’auriez pas encore connaissance, de l’existence d’un autre personnage de la ducasse qui pratiquent le « blackface » et commet donc un acte négrophobe caractérisé.

Il s’agit de « Magnon, le diable cornu ». Avant, ce personnage était rouge, aujourd’hui c’est un blackface. Il serait trop long d’expliquer ici les raisons de l’apparition ou de la mutation négrophobe de ce personnage (et des autres, y compris le plus dangereux de tous, le père fouettard) dans des éléments du folklore wallon qui datent parfois du Moyen-Âge ou tout du moins s’en inspirent pour la plus grande partie de leurs personnages et activités.

Nous n’avions pas connaissance de l’existence du “diable Magnon” sous cette forme négrophobe quand nous avons envoyé notre premier courrier à l’UNESCO en 2019. Nous n’avions donc pas pu vous informer à son sujet comme nous l’avons fait pour le « sauvage ». Il est important, nous semble-t-il, Madame la Directrice Générale, que vous preniez connaissance de l’existence de ce second personnage négrophobe dans la ducasse d’Ath si ce n’est pas encore le cas.

Madame la Directrice Générale,

Ces deux personnages « représentent » de manière dégradante des peuples ayant subi des siècles de colonisations, d’exterminations et de mise en esclavages. Les personnes afro-descendantes sont victimes du racisme le plus profond et le plus répandu qui soit en ce monde : la négrophobie. Une négrophobie qui tue. Que ce soit Lamine Bangoura en Belgique, George Floyd aux Etats-Unis, les Africains candidats réfugiés qui passent par la Lybie ou le Maroc et qui risquent de finir en esclavage ou morts en Méditerranée ou dans la Manche, les peuples indigènes d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de Kanaky, les peuples indigènes et les afro-descendants d’Amérique Centrale et du Sud ou encore qu’il s’agisse des ressortissants d’Afrique centrale en Afrique australe, partout à travers ce globe les êtres humains identifiés comme étant à peau (trop) sombre ou comme Noir.e.s sont soumis.e.s à des actes de déshumanisations qui vont de l’insulte et l’humiliation jusqu’à la mise à mort physique en passant par diverses modalités de mises à mort sociales. Je suis sûr qu’au regard des valeurs et principes que représente le label « patrimoine immatériel de l’humanité » décerné par l’UNESCO, vous comprendrez notre démarche et notre demande afin que ce label ne soit pas plus longtemps entaché par des traditions racialisantes qui essentialisent une partie de la population belge et mondiale.

Il est de notre devoir et de notre responsabilité à tous d’œuvrer pour le respect mutuel et pour la paix, mais cela ne peut se faire lorsque certains d’entre nous font face à des actes négrophobes ou lorsque des activités sociales et populaires sont empreintes de négrophobie.

L’une des raisons principales qui motivent notre action est le mal que subissent des enfants à cause de la négrophobie généralisée présente en Belgique. Les enfants identifié.e.s comme Noir.e.s d’abord, évidemment. Tout petit.e, un.e enfant à la peau plus sombre aura une forte probabilité de rencontrer du racisme. Et ça durera malheureusement certainement toute sa vie.

Nous pensons nécessairement aussi aux enfants qui ne sont pas identifié.e.s comme Noir.e.s. Ces derniers risquent immanquablement d’être exposés en deux temps. Dans le premier temps, jeunes enfants, ils risquent de vivre la première (et 2ème, 3éme, etc.) grosse frayeur(s) de leurs courtes vies en étant exposées à des personnages tels que les différents « sauvages » et autres « diables » peuplant nos folklores et que nous avons évoqués dans ce texte. Sans oublier le négrophobe personnage qu’est aussi devenu le père fouettard à qui un nombre encore plus élevé d’enfants est confronté.e.s dans ce pays. Nous ne sommes pas psychologues mais nous sommes convaincus que ces frayeurs enfantines ont de grandes chances de provoquer, dans le deuxième temps, chez l’enfant qui grandit et qui devient adulte, le développement de sentiments négrophobes qui sont le plus souvent « incurables ». Nous vous demandons de réfléchir à ce que feront peut-être, voire probablement selon toutes les études disponibles, ces anciens petits enfants effrayé.e.s quand, une fois adultes, ils se retrouveront en position de pouvoir, ou pas, engager une personne Noir.e, ou lui louer un logement, ou lui accorder l’accès à un lieu culturel ou de loisir, ou lui accorder un prêt bancaire, ou la soumettre à un contrôle au faciès, ou la juger au tribunal, ou l’évaluer à l’université, etc., etc.

Ces deux dernières années, ce fichu virus aura au moins eu l’effet positif de préserver des dizaines, des centaines, et certainement des milliers d’enfants de rencontres effrayantes avec un « sauvage » ou l’autre et/ou avec le père fouettard.

Madame la Directrice Générale,

Je suis sûr que vous ne serez pas insensible à la situation particulière qui prévaut lors de l’usage de blackface pendant certains événements populaires et la question que pose la référence au patrimoine immatériel de l’humanité instrumentalisée par certaines villes belges qui n’ont que faire des valeurs et principes qui les obligent.

Nous considérons qu’il est temps de réagir à la négrophobie sévissant en Belgique, en retirant la Ducasse d’Ath du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO !

Nous vous prions de bien vouloir mettre en œuvre toutes les capacités qui sont les vôtres pour que l’examen de la ducasse d’Ath soit inscrit à l’ordre du jour de la prochaine session du Comité du patrimoine immatériel.

Je conclurai en ajoutant que nous restons à votre disposition pour travailler avec vous sur ce sujet d’intérêt général d’une importance capitale.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à notre demande et vous prie de croire, Madame la Directrice Générale, en ma sincère considération.

Bruxelles Panthères

 

(1) http://www.ath.be/loisirs/folklore/ducasse-dath

[2] https://www.levif.be/actualite/belgique/la-directrice-de-l-unesco-choquee-par-le-char-nazi-du-carnaval-d-alost/article-normal137689.html?fbclid=IwAR3VU66BU3nwIKWn_oTFzViJz9Os3IYda76wuBdqXHY_7T4U4z33xmFZqsM&cookie_check=1551888365

[3] https://www.7sur7.be/belgique/alost-il-n-a-jamais-ete-question-d-offenser-les-juifs~a93c0e14/

[4] https://www.rtbf.be/info/regions/detail_l-unesco-demande-l-examen-de-la-question-du-retrait-du-carnaval-d-alost-de-la-liste-representative-du-patrimoine-de-l-humanite?id=10177780

(5) https://forumsauvageath.be/

(6) https://forumsauvageath.be/?page_id=11

 

Liens articles et reportage sur Ath: https://www.lavenir.net/cnt/dmf20220217_01665070/sauvage-de-la-ducasse-d-ath-la-ministre-linard-met-la-pression-sur-la-ville-d-ath

https://lameuse-huy-waremme.sudinfo.be/910878/article/2022-02-20/le-sauvage-de-la-ducasse-dath-controverse-la-ministre-linard-met-la-pression

https://www.dhnet.be/regions/tournai-ath-mouscron/pays-vert/sauvage-de-la-ducasse-d-ath-la-ministre-linard-met-la-pression-sur-la-ville-d-ath-620f683b9978e25398967cd9

https://www.notele.be/it61-media110470-l-unesco-pointe-une-nouvelle-fois-le-personnage-du-sauvage-de-la-ducasse-d-ath-et-attend-des-solutions.html

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