par Bruno Jaffré
Le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons s’est terminé par un lourd verdict pour les principaux accusés. Un procès à bien des égards exemplaire compte tenu des nombreux obstacles pour en éviter la tenue. Mais l’affaire n’est pas terminée. L’enquête sur le volet international se poursuit qui va se heurter en France au secret défense
- Un procès quasi exemplaire, une première
- Des difficultés dues à de nombreuses manœuvres pour l’empêcher ou le retarder
- Un procès historique
- Un début de justice mais beaucoup reste à faire
- Un procès pour l’histoire
- L’affaire « Sankara et compagnons » n’est pas terminée
Mercredi 6 avril. Le verdict est tombé. Devant l’immense salle comble, cette fois, de la salle des banquets. La justice est dite. Certains inculpés sont acquittés. Les plus importants, Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando, en fuite, mais aussi Gilbert Diendéré, incarcéré depuis sa condamnation pour le putsch de septembre 2015, présent tout au long du procès, sont condamnés à perpétuité, pour attentat à la sûreté de l’État et assassinat. Un verdict plus lourd que ce qu’avait demandé le parquet ; 30 ans de prison pour les deux premiers et 20 ans pour le troisième ! « La peine est en fait moins sévère que celle des réquisitoires », aiment à dire des Burkinabè avec humour, faisant allusion à la durée de vie de Blaise Compaoré dont la santé ne serait pas au mieux.
Jean Pierre Palm, chef de la gendarmerie après le 15 octobre 1987 a écopé de 10 ans de prison ferme, pour complicité d’attentat à la sûreté de l’État, alors que le parquet ne demandait que 11 ans avec sursis. On trouvera le reste de verdict à la fin de l’article.
Une salve d’applaudissements accueille l’énoncé du verdict. Les familles des victimes présentes sur les lieux, les avocats de la partie civile laissent éclater leur joie. En une ultime provocation, Gilbert Diendéré quitte la salle saluant les deux mains en l’air ses partisans. Le signal est donné. Présents en nombre, ils se mettent à scander « Libérer Diendéré ». Des échauffourées éclatent avec des membres des familles de victime. La police est obligée d’intervenir. Quelques dizaine de jeunes voulant se rendre en procession jusqu’au site du Mémorial Thomas Sankara vont devoir être escortés par les forces de l’ordre.
Fin du premier épisode du procès… En attente de savoir si les avocats de la défense feront appel.
Blaise Compaoré condamné à la prison à vie pour l’assassinat de Thomas Sankara © https://information.tv5monde.com
Un procès quasi exemplaire, une première
Il est peu probable que Blaise Compaoré soit un jour extradé de Côte d’Ivoire. Avec Alassane Ouattara nous avons là deux vestiges de la Françafrique qui sont solidaires. explique Bruno Jaffré, biographe de Thomas Sankara
Annoncé pour le 11 octobre, la première séance du procès permet de constituer le jury. Un civil Me Urbain Méda est choisi comme président. Les assesseurs sont tous militaires. Des avocats commis d’office demandaient un mois afin de consulter le dossier. Ils n’auront que deux semaines. Report pour le 25 octobre.
Douze personnes ont été assassinées le 15 octobre 1987 dans les locaux du Conseil de l’Entente : Thomas Sankara, 5 collaborateurs, Bonaventure Compaoré, Christophe Saba, secrétaire permanent du Conseil national de la Révolution, Frédéric Kiemdé, conseiller juridique à la présidence, Patrice Zagré, professeur de philosophie, Paulin Babou Bamouni, directeur de la presse présidentielle, 5 gardes du corps Abdoulaye Gouem, Emmanuel Bationo, Hamado Sawadogo, Noufou Sawadogo, Wallilaye Ouédraogo, mais aussi Paténéma Soré, gendarme, et Der Somda le chauffeur de Thomas Sankara. Le lieutenant Michel Koama, proche de Thomas Sankara sera exécuté chez lui.
Les accusés sont au nombre de 14 ; les médecins ayant signé un faux certificat de décès mentionnant « mort de mort naturel », les organisateurs du complot cités plus haut, les membres du commando et des militaires présents sur les lieux.
La lenteur du procès a déjoué tous les pronostics qui prévoyaient la fin avant la nouvelle année. L’audition des accusés a duré jusqu’à la mi-novembre, celle du principal accusé Gilbert Diendéré prenant trois jours. Puis ce fut au tour des témoins d’être interrogés. Plus de 110, d’origines diverses, soldats ou gendarmes, amis, collaborateurs, proches conseillers de Thomas Sankara. Sans compter ceux qui seront ajoutés à la fin. Parfois des confrontations suivaient immédiatement les interrogatoires des accusés ou des témoins, quand le juge l’estimait nécessaire ou lorsque des avocats le demandaient. Enfin après les plaidoiries de la défense, les accusés ont eu tout le loisir de prendre la parole.
Le rythme va s’accélérer à la mi-décembre, alors que moins de la moitié des témoins avaient été appelés jusqu’ici. De nombreux proches de Thomas Sankara, vont raconter des anecdotes inédites, ou peu connues. Beaucoup vont évoquer le complot extérieur, rapporter des faits et gestes, des confidences entendues. Ils confirmaient en général l’ambiance délétère de l’époque, les conflits politiques ou de personnes à la direction de la Révolution, leur tentative de convaincre le Président Sankara de prendre des dispositions pour ne pas se laisser assassiner.
C’est dire qu’il ne s’agit pas d’une « parodie » comme l’a déclaré Maitre Kohiho, avocat de Jean Pierre Palm, qui ne s’est fait remarquer que par ses outrances. Il emboîtait là la stratégie de Me Pierre-Olivier Sur, avocat de Blaise Compaoré évoquant, « un simulacre de procès, un procès politique », auquel il n’a pourtant pas assisté, mais aussi de son petit frère François Compaoré.
Ce dernier est soupçonné d’être le commanditaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998. Réfugié en France, la justice burkinabè veut l’entendre sur cette affaire. Au cours de la longue procédure pour son extradition que la France a fini par valider, il n’a cessé d’exprimer son mépris pour le Burkina. Ainsi s’était-il permis de déclarer que « François Compaoré serait découpé en rondelles s’il venait à être extradé » ! Et à l’ouverture du procès de l’assassinat de Thomas Sankara, il se répandait encore sur les ondes affirmant la justice burkinabè incapable d’organiser un tel procès, raillant que le procès se tienne dans une salle « des banquets ». Une salle immense, choisie justement et à dessein, pour accueillir plusieurs centaines de personnes, et la sécuriser dans de bonne condition.
Les avocats des parties civiles qui représentaient au procès des familles des victimes, ont veillé tout au long du procès à éviter tout mauvais pas qui pourrait mettre en cause la légalité du procès. Par exemple, ce sont eux qui ont demandé le report du procès le 31 janvier dernier, en attendant que la constitution, suspendue après le coup d’État du 24 janvier, soit pas rétablie. Ce sera fait le 1er février. Le procès reprendra donc le 2 février.
Mais ce long procès, malgré toutes les difficultés rencontrées, énumérées plus loin a permis de nombreuses révélations, et surtout de reconstituer le fil des évènements. Le commando est parti du domicile de Blaise Compaoré, dans deux voitures dont l’une lui appartenait. Il s’est posté sur les lieux, le Conseil de l’Entente, avant que Thomas Sankara n’arrive et s’installe pour une réunion. Alors qu’il sortait les mains en l’air, sous l’injonction du commando, il fut fauché le premier de plusieurs balles, sans sommation. Puis ce fut au tour des personnes qui étaient réunies avec lui. Gilbert Diendéré qui a tenté de nier sa présence sur les lieux, pourtant confirmée par de nombreux témoins, donnait les ordres. Il envoyait des militaires sécuriser la ville, accueillir des renforts venus de Po, la garnison des commandos qu’il dirigeait, ou prendre le contrôle des casernes qui auraient pu réagir.
Des difficultés dues à de nombreuses manœuvres pour l’empêcher ou le retarder
La tenue même de ce procès est considérée comme une véritable victoire par ceux qui ont longtemps combattu pour qu’il se tienne. De multiples manœuvres ont tenté, en effet, d’en empêcher la tenue ou d’en retarder l’ouverture. Le Réseau international Justice pour Sankara justice pour l’Afrique cite par exemple dans son dernier communiqué :
- le blocage de toutes procédures judiciaires sous le régime de Blaise Compaoré. En effet, les juridictions civiles s’étant déclarée incompétentes, la procédure devant les juridictions militaires est restée bloquée jusqu’à l’insurrection de novembre 2014, dans l’attente d’une signature d’un ordre de poursuivre par le ministère de la Défense, comme le stipule la juridiction militaire.
- la volte-face du Comité des droits de l’Homme de l’ONU en 2008. En effet, saisi par les avocats de la famille Sankara, en 2002, pour tenter de faire pression sur le gouvernement burkinabè, le Comité déclare en 2006, la requête recevable. Mais en 2008, il se déclare satisfait des mesures prises par le gouvernement burkinabè. Il n’avait fait que corriger le certificat de décès et proposer une indemnisation financière à la famille, qu’elle avait refusée. Aucune enquête n’avait pourtant été ouverte. Ce même Comité occultait la nécessité de connaitre la vérité, qu’il avait pourtant reconnu comme légitime deux (02) ans auparavant ;
- l’exfiltration de Blaise Compaoré, par les forces spéciales françaises, après l’insurrection de 2014. Le président déchu, chassé par son peuple se trouvait ainsi soustrait à la justice de son pays ;
- le refus de la Côte d’Ivoire d’exécuter le mandat d’arrêt international lancé contre Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando, ou de les extrader conformément à la demande de la justice burkinabè
- la lenteur de la part des autorités françaises à fournir le 3e lot de documents. Il fut remis en avril 2021, soit plus de deux ans après la fourniture du 2e lot, 3 ans et demi après la promesse d’Emmanuel à Ouagadougou en novembre 2017, et 4 mois après la clôture du volet national du dossier afin de lancer le procès.
- l’ultime tentative d’avocats de la défense de suspendre le procès à la suite du coup d’État de janvier 2022 pour anti constitutionnalité.
Ouvert 34 ans après, les faits, un tel retard va fatalement entraîner des difficultés. Des témoins et des accusés sont malades, d’autres décédés, et ne pourront paraître au procès. A l’instar de Salif Diallo, disparu en août 2017. Témoin essentiel, il se trouvait au domicile de Blaise Compaoré d’où est parti le commando de tueurs. Proche parmi les proches, l’homme de tous les trafics ou autres tentatives de déstabilisation dans la région, lors des années les plus noirs de son régime, il fut par exemple au procès de Charles Taylor, considéré comme l’interlocuteur pour toutes demandes d’armes. Il a tenté depuis de faire oublier son passé. Quelques avant l’insurrection de 2014, il fut à l’origine d’une scission au sein du CDP, le parti de Blaise Compaoré, afin de créer le MPP, au pouvoir depuis la fin de la première transition jusqu’au dernier coup d’État de janvier 2022.
Salif Diallo s’était rendu avec Gabriel Tamini Gabriel Tamini, dans les locaux de la radio, après la mort de Thomas Sankara où ils ont tous les deux passé la nuit pour contrôler les agissements du personnel. Les accusations contre Gabriel Tamini ont été levées lors de l’audience de confirmation des charges. Plus aucun civil ne restait donc accusé de complicité du coup d’État, alors que Blaise Compaoré bénéficiait de nombreux soutiens parmi eux.
De nombreux témoins se jouaient de la vérité, faisant mine de ne plus se rappeler. On peut certes comprendre que, si longtemps après les faits, il puisse y avoir chez certains des trous de mémoire. Mais de là à contredire ce qu’ils avaient déclaré et signé lors de leurs auditions devant le juge ! Ainsi, l’accusé Yamba Élysée Ilboudo a confié : « J’ai peur. J’ai des enfants. Je veux vivre comme les autres. ». Il a d’ailleurs été remercié par des avocats de la partie civile. A l’image de Me Nzepa qui a déclaré : « … Sans Elysée, on serait sans la version de ceux qui étaient au conseil de l’entente, et on n’aurait même pas envisagé que les auteurs du complot, les commandos étaient partis de chez Blaise Compaoré. C’est parce qu’Elysée a parlé qu’on sait que le commando est parti de chez Blaise Compaoré pour arriver au conseil, donc sans Elysée Yamba, on ne pouvait pas avancer dans ce dossier ». D’autres avocats renchériront sur la peur que suscitait encore Gilbert Diendéré expliquant qu’il était « wacké » (NDLR : protégé par la sorcellerie) à tel point qu’il était impossible de le regarder droit dans les yeux. Gilbert Diendéré, en pleine forme, impeccablement vêtu en uniforme, au début du procès faisait preuve d’une grande arrogance en toisant ceux qui l’accusaient. On se rappelle que le régime de Blaise Compaoré a pratiqué la terreur et la torture pour asseoir son pouvoir.
Un procès historique
Plusieurs dictateurs ont déjà été condamnés comme Ben Ali, Hissène Habré, Charles Taylor, ou Omar el-Béchir, responsables en même temps de crimes de guerre à la suite de procès. Mais c’est la première fois que l’un d’eux, Blaise Compaoré l’est dans son propre pays pour avoir assassiné son prédécesseur.
Les lois votées lors de la Transition qui a suivi l’insurrection de 2014, sont considérées parmi les plus avancées au monde en ce qui concerne l’indépendance de la justice par rapport au pouvoir politique. Et les avocats de la partie civile comme une partie de ceux de la défense, ont exprimé leur fierté d’avoir participé à ce procès et loué sa qualité.
Même le président Roch Marc Christian Kaboré ne semble pas avoir fait une quelconque pression. Sauf peut-être, mais rien en le prouve, pour qu’il ne dure pas trop, afin de lancer la « réconciliation ». Il a cependant négocié par Blaise Compaoré pour qu’il assiste au procès… promettant lors de la campagne électorale de la présidentielle de 2020 que Blaise Compaoré rentrerait la tête haute. Les travaux avaient même commencé dans sa résidence de Ziniaré, son village natal, pour la remettre en état. Mais aucun juge, aucun assesseur, aucun avocat n’a évoqué de pression politique. Force est de reconnaître que la justice burkinabè a réussi à démontrer sa capacité à organiser jusqu’au bout un tel procès, observé et suivi par de nombreux pays.
Ne s’agit-il pas d’une véritable gageure alors que le pays est en guerre ? Ce qui a d’ailleurs détourné l’attention de la population, en grande partie très fière aussi de cette prouesse, mais préoccupée en premier lieu par le développement de l’insécurité et l’ampleur du nombre de déplacés évalué aujourd’hui à plus d’un million et demi.
Un début de justice mais beaucoup reste à faire
Ce procès est aussi une victoire contre l’impunité. Loin de nous pourtant l’idée de vouloir déclarer un satisfecit général à la justice de ce pays. Car l’impunité n’a pas disparu. Quasiment aucun dignitaire du régime de Blaise Compaoré n’a encore été jugé pour corruption et détournement de fond, alors que de nombreux hommes politiques proches du pouvoir se sont constitués d’immenses fortunes à cette époque.
Mais un premier pas a été franchi. On attend maintenant le procès de l’assassinat de Norbert Zongo, suspendu pour l’instant à la décision de la Commission européenne des droits l’homme, saisie par Me Pierre-Olivier Sur pour contester l’extradition de François Compaoré. D’autres crimes restent impunis comme celui de l’assassinat de l’étudiant Dabo Boukary, probablement perpétré aussi par le RSP dirigé par Gilbert Diendéré. Des accusations de torture ont été proférées, par des victimes encore vivantes, contre Gilbert Diendéré et Jean Pierre Palm, mais aussi contre un ancien chef de corps du RSP Ibrahima Kéré qui n’a jamais été inquiété. Un pays qui se veut démocratique peut-il laisser de tels tortionnaires en liberté, alors que les délits de torture sont imprescriptibles.
Autre situation inédite. Ce procès a pu se poursuivre malgré un changement de régime. Interrompu après le coup d’État du 24 janvier, alors que la justice militaire avait prononcé la reprise, ce sont les avocats de la partie civile qui en ont demandé le report jusqu’au rétablissement de la constitution ce qui intervint rapidement. Un cas d’école en ce qui concerne l’indépendance de la justice.
Un procès pour l’histoire
Procès historique donc, s’il en est, qui donne l’occasion de replonger dans le contexte géopolitique de l’époque. Thomas Sankara est une des personnalités politiques les plus marquantes de la fin du 20e. Son assassinat intervient dans un contexte politique intérieur conflictuel. Des interventions extérieures ont elles soufflé sur le feu ? Le procès n’a pas pu répondre à cette question. Mais l’hypothèse d’un complot international, n’a cessé de traverser le procès à travers plusieurs témoignages alors que le volet extérieur du dossier judiciaire reste ouvert.
Dans les années 80, la popularité de la Révolution déborde alors largement les frontières du pays. Les jeunes d’Afrique de l‘Ouest admirent alors ce pays et son leader le jeune et charismatique Thomas Sankara. Les succès économiques du Burkina Faso, l’objectif fixé d’une lutte acharnée contre la pauvreté, le dynamisme dont il fait preuve dans son développement, la mobilisation de la population sont vécus comme un danger pour la plupart des dirigeants des États de la région. Le plus souvent très proches de la France, dans ce qu’on appelle le pré-carré, ils craignent la contagion. D’autant que Thomas Sankara, bien que déçu de l’aide soviétique, n’en finit pas de dénoncer l’impérialisme, le néocolonialisme.
Le juge François Yaméogo a dissocié le volet international du volet national du dossier considérant que l’enquête n’a pas pu être menée à bien. Cela n’a pas empêché des témoignages sur les implications de la Côte d’Ivoire, de la Libye et de la France. Il est regrettable cependant qu’aucun historien n’ait été invité à brosser un tableau de la situation géopolitique de l’époque, ni de la lutte politique interne que cachaient souvent des ambitions personnelles.
Nous sommes alors encore en pleine guerre froide. Thomas Sankara, parle haut et fort s’opposant à une éventuelle neutralité des non-alignés, appelant à refuser de rembourser la dette qui est instrumentalisée comme moyen de soumission, ne cessant de fustiger les pays occidentaux pour leur soutien à Israël, leur refus du boycott de l’Afrique du Sud, affichant son amitié avec Fidel Castro et Daniel Ortega, alors dirigeant de la Révolution sandiniste. Les dirigeants français s’inquiètent de la montée en puissance de cette nouvelle voix, mélange d’humanisme, de sensibilité et de combativité, sur la scène internationale, d’un dirigeant qui n’en finit plus de dénoncer le néocolonialisme. Jusqu’à faire campagne au sein de l’ONU pour l’indépendance de la Nouvelle Calédonie, une ligne rouge à ne pas dépasser. Ils ne peuvent accepter de voir remettre en cause leur mainmise sur la plupart des pays de la région, de voire les anciennes colonies vouloir se libérer du giron français. L’arrivée de Charles Taylor dans la région à la recherche de soutien pour renverser Samuel Doe, le président du Liberia, soutenu par Mouammar Kadhafi, Blaise Compaoré, et Houphouët-Boigny et certains réseaux français, va contribuer à distendre un peu plus l’amitié entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré, le premier refusant de le soutenir contrairement au deuxième.
Les ouvrages publiés jusqu’ici sont essentiellement des témoignages ou des essais. Le premier ouvrage d’un historien est sorti l’an dernier… aux États-Unis. Une pétition en ligne qui demandait que le procès soit filmé a rassemblé environ 5000 signatures en 5 jours. Malgré cela le juge, à la demande des avocats de la défense a refusé. Cette éventualité avait été soulevée quelques mois auparavant, moi-même étant venu poser la question à différentes autorités en février 2021. Il y avait donc le temps, de réfléchir à une proposition qui aurait pu être consensuelle, de déterminer précisément les règles d’utilisation.
Certes un procès est une œuvre de justice, mais un procès peut aussi être une source historique pour peu qu’on s’en donne les moyens. Or malheureusement, la justice burkinabè ne compte aucun sténotypiste de profession. Les avocats s’en sont inquiétés et le juge est intervenu auprès des huissiers pour qu’ils fassent preuve de célérité. Mais ça ne suffira pas. Pour avoir suivi le procès quotidiennement à travers la presse burkinabé, dont plusieurs médias en ligne en faisaient des comptes rendus quotidiens, puis pour avoir assisté à quelques séances de procès, j’ai pu réaliser combien ces résumés bien que consistants sont insuffisants, manquant de précisions.
Les trois principaux accusés de l’assassinat de l’ex-président du Burkina Faso Thomas Sankara en 1987, dont l’ancien chef de l’État Blaise Compaoré, ont été condamnés mercredi à la prison à perpétuité par le tribunal militaire de Ouagadougou. Bruno Jaffré, auteur et biographe de Thomas Sankara, était l’invité de France 24.
L’affaire « Sankara et compagnons » n’est pas terminée
Qui a participé à ce complot et comment ? Si le procès a apporté les réponses en ce qui concerne le volet national, ces questions restent posées pour le volet international.
En février, nous apprenions avec stupeur que l’enquête était arrêtée de la bouche même de la procureure (voir la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=M_fXWY46K3 minute 34’00). Pourtant la dissociation du volet international du volet national était accompagnée de la décision de poursuivre l’enquête sur ce deuxième volet..
La récente nomination du juge François Yaméogo à la direction de la justice militaire devrait permettre la reprise de l’enquête.
Cette affaire vient rejoindre de nombreuses autres dont la recherche de la vérité (voir le livre de Pascal Jouary Secret défense le livre noir à https://maxmilo.com/products/secret-defense-le-livre-noir) reste entravée par l’opposition du secret défense. Le réseau international Justice pour Sankara justice pour l’Afrique est membre du Collectif secret défense un enjeu démocratique où sont regroupées près d’une vingtaine de victimes ou d’associations qui les soutiennent tous en butte au refus de lever le secret défense par les autorités françaises.
Le président Emmanuel Macron avait promis en novembre 2017, lors d’une visite à Ouagadougou, de déclassifier tous documents sur l’assassinat de Thomas Sankara et de les mettre à la disposition de la justice burkinabè. Si quelques documents déclassifiés ont été fournis, cette promesse n’a pas été tenue. Aucun document issu des cabinets de Jacques Chirac ou officiait Jacques Foccart et de François Mitterrand n’a été fourni. Par ailleurs, l’enquête a permis de dévoiler la présence de Français, venus aux côtés de Jean Pierre Palm, prendre possession des écoutes téléphoniques. Ne s’agit-il pas là de tentatives pour détruire des preuves de l’organisation d’un complot ? Un évènement dont il existe certainement une mention dans des archives mais certainement aussi classées « secret défense ». Voilà en tout cas quelques pistes à ouvrir.
Si le juge François Yaméogo a pu partir au Ghana dans le cadre de son enquête, il parait nécessaire qu’il puisse compter sur une collaboration de la justice de Côte d’Ivoire, le pays le plus cité durant le procès. D’autres investigations devraient être menées dans d’autres pays comme la Libye, le Libéria, la Sierra Leone voire le Togo. Outre les obstacles politiques, la justice burkinabé est confrontée aussi à de cruels manques de moyen. D’autant que la guerre s’étend et nécessite que plus en plus de moyens. Pour fournir de l’armement à l’armée mais aussi pour répondre aux graves problèmes sociaux posés par les déplacements de population et l’impossibilité pour de nombreux agriculteurs de cultiver pour nourrir la population.
Plusieurs témoins français devaient être entendus, durant le procès, qui n’ont pu se présenter pour différentes raisons. L’enquête devrait donc reprendre, et peut-être passer par une nouvelle commission rogatoire. L’hypothèse d’une implication française reste plausible et plusieurs témoignages durant le procès l’ont confirmée. Mais il faudra lever de nombreux blocages à commencer par celui du secret défense. En plus du réseau international justice sur Sankara justice pour l’Afrique, on peut aussi compter sur le Collectif secret un enjeu démocratique, qui intègre parmi les affaires pour lesquels il se mobilise, l’assassinat de Thomas et de ses compagnons pour ne pas baisser les bras.
Le verdict
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Auteur
Bruno Jaffré ingénieur de recherche chez un opérateur de télécommunications, ancien professeur de mathématiques, est le président fondateur de l’ONG française Coopération Solidarité Développement dans les Postes et Télécommunications en 1988 dont il a quitté la Présidence en 2005.
Bruno Jaffré est titulaire d’une maîtrise de mathématiques pures et d’un Diplôme d’études approfondies de recherche comparative sur le développement à l’École des hautes études en sciences sociales.
Militant associatif, membre de SURVIE, journaliste occasionnel, historien de la révolution du Burkina Faso (83 – 87), biographe du président Thomas Sankara, il participe à l’animation du site qui lui est consacré.
http://thomassankara.net
http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre
Eric Toussaint parle de Thomas Sankara
9 mai par Eric Toussaint , Eric De Ruest , Jean-Pierre Carlon , Olaf Gustavson
Depuis cette interview, faite en octobre 2009 (publiée en février 2010, puis en novembre 2016), beaucoup de choses se sont passées.
Le peuple burkinabè s’est soulevé le 30 octobre 2014, et a réussi à chasser Blaise Compaoré qui s’est réfugié en Côte d’Ivoire.
Une des conséquences de cette insurrection a été, enfin, la tenue du procès de l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses compagnons, qui s’est ouvert le 11 octobre 2021.
Un procès à bien des égards exemplaire compte tenu des nombreux obstacles pour en éviter la tenue.
Le 6 avril 2022 le verdict est tombé.
Les 26 et 27 octobre 2009, à Cotonou au Bénin, a eu lieu le séminaire international sur le thème « Dette et droits humains » organisé par le CADTM International (Comité pour l’Annulation de la dette du Tiers Monde) et le CADD Bénin (Cercle d’Auto-promotion pour un Développement durable).
Ce fut l’occasion de présenter les luttes passées et présentes.
Dans ce contexte il était impossible de faire l’impasse sur un des hommes les plus engagés pour la souveraineté et l’autonomie de son pays, le Burkina Faso. Référence faite, bien sûr, à Thomas Sankara.
Une équipe de vidéastes a saisi cette occasion pour interviewer l’historien Éric Toussaint (par ailleurs président du CADTM Belgique) sur le Capitaine Sankara et son combat contre la dette.
Cet article fait une synthèse de la vidéo du CADTM. Son Porte-parole international, Eric Toussaint, y explique les raisons de l’assassinat de Thomas Sankara.
En 1983, Thomas Sankara se fit connaître sur la scène publique, en obtenant un poste gouvernemental, ou ses propositions novatrices, commencèrent à déranger le pouvoir local. Il fut alors écarté du gouvernement, ce qui suscita une forte réaction et mobilisation populaire. Quelques années plus tard, fort de ce soutien, il devint président du Burkina et mis en place une série de politiques basées sur le développement endogène du pays, c’est-à-dire sur le développement de son économie et de son marché intérieur, pour une plus grande indépendance vis à vis du commerce international et des fluctuations des marchés financiers sur lesquels le Burkina n’a aucune prise. Il abandonna le modèle d’exportation du coton, dont le prix fluctuant sur les marché influençait énormément la bonne santé de l’économie burkinabè.
Le pays était totalement dépendant de ces exportations, avait été spécialisé à une tâche par la post colonisation économique, comme on aurait spécialisé un ouvrier d’usine, à ne faire que planter des clous toute la journée. La spécialisation des économies des pays pauvres à quelques productions précises, les rendent dépendant du système économique mondial, ce qui permet aux tenants du système, de mieux les contrôler. C’est le principe du Workfare appliqué aux états, on abaisse leur marge de manœuvre et le contrôle des économies, en les spécialisant et en les rendant dépendantes du système global, sans lequel les petits états ne peuvent alors plus survivre. Ces pays importent alors qu’une grande partie des produits qu’ils consomment, alors qu’ils auraient pu être produits sur place, ce qui aurait donné du travail à la population et de l’argent pour qu’elle développe le marché intérieur du pays…En important, ces pays s’endettent et on leur impose alors de rembourser, les rendant alors encore plus dépendant du système mondial. Sankara à voulu coupé court à cela, il commença à mener une politique en ce sens, qui donna des résultat, mais pas de bol, on l’a tué avant qu’il n’y en ai trop eu et que d’autres pays aient envie de suivre ce modèle de développement novateur, mettant à mal les profits traditionnels des pays occidentaux et de leur multinationales implantées dans la région.
Politiquement, Sankara tenta de rétablir la souveraineté alimentaire du Burkina par une augmentation de la production vivrière. Il tenta d’abaisser la dépendance de l’économie par rapport à la production et surtout à l’exportation de coton. Il incita à augmenter l’implantation d’industries textiles dans le pays, afin de transformer le coton sur place et de ne plus être obligé d’importer du textile de l’étranger, après y avoir vendu la matière première, situation économique totalement absurde, faisant la richesse des puissances occidentales.
Sankara rompt également avec la tradition de soumission des dirigeants du pays aux grandes puissances occidentales et avec le modèle de corruption existant, des élites locales.
Qui avait intérêt à tuer Thomas Sankara ?
Sankara mis en place une politique sociale. Il s’attaqua aux privilégiés de l’appareil d’état. Il baissa les salaires des ministres, de parlementaires, ainsi que le sien…Il roulait d’ailleurs dans une petite Renault 5, loin du luxe et de l’apparat traditionnel des dirigeants jusqu’alors. Il refusa de la même manière et de façon systématique, tout poste ou tout privilège pour sa famille, du jamais vu ! Ceci mécontenta logiquement, la classe dominante locale ainsi que les membres traditionnels des appareils d’état.
Sankara mécontenta également les puissances internationales. Il s’allia avec Cuba et effraya de ce fait, Washington, qui faisait subir à cette île, un blocus depuis 1962. Sankara mettait également en place un modèle nouveau d’économie dans les pays africain, qui n’était plus basé sur l’exploitation de ceux ci par les économies occidentales. Ce modèle risquait de faire tâche d’huile et de faire perdre beaucoup d’argent au système mondialisé de l’économie de marché, dont les pays occidentaux sont les exclusifs bénéficiaires.
Une coalition d’intérêts décida alors d’assassiner Sankara. Elle fut composée de ses compagnons de route, comme Blaise Compaoré, actuel président du Burkina, qui succéda à Sankara. Sa politique a ramené le Burkina dans le droit chemin de la soumission aux grandes puissances occidentales… Participèrent directement à cette coalition, la France, le CIA, Charles Taylor, dictateur libérien, poursuivi pour de nombreux crimes contre l’humanité…
Sankara restera une figure de la lutte contre le remboursement de la dette des pays africains et son discours devant l’assemblée générale de l’organisation de l’unité africaine restera dans l’histoire.
Sankara commença à avoir une grande influence internationale, notamment sur la jeunesse africaine. La peur de la tâche d’huile incita à l’éliminer rapidement. Les nouveaux modèles sont vite prix en exemple et donnent envie à ceux qui subissent le modèle archaïque et esclavagiste du néolibéralisme, d’en changer. Ces derniers temps, on a pu constater qu’une révolution face à une dictature, en a générée bien d’autres dans les pays subissant le même type de régime…On a aussi constaté que la révolution des casseroles, en Islande, pays ayant un régime politique plus similaire au notre, nous a été honteusement cachée…
Après Sankara, le Burkina est revenu vers une certaine normalité africaine, voulue par la domination occidentale asservissant économiquement le continent. Les dirigeants ont à nouveau repris leurs activités traditionnelles d’enrichissement personnel d’eux même et de leur entourage. Pour faire cela en toute tranquillité, ils veulent éviter toute déstabilisation. Leur but est qu’on les laisse en paix, dominer leur peuple, en restant eux même dociles, loin de toute tentative de transformation sociale dans les pays qu’ils dirigent. L’important réside dans le fait qu’ils évitent toute tentative de proposition d’un nouveau modèle de développement pour l’Afrique, qui serait moins rentable pour les oligarchies esclavagistes occidentales…
Source : Résumé de la vidéo tiré de Olaf Gustavson https://www.thomassankara.net/pourquoi-a-t-on-assassine-thomas-sankara-interview-video-de-eric-toussaint-president-du-cadtm/
Le texte initial a été légèrement abrégé pour tenir compte de la décision du tribunal qui a condamné Blaise Compaoré et ses complices pour l’assassinat de Thomas Sankara Retour sur le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons
Retrouvez le discours sur la dette, de Thomas Sankara ici.
Les images du Burkina sont extraites du film « Let’s make money » d’Erwin Wagenhofer :
Eric Toussaint docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.