ACCUSÉ DE TERRORISME : LE PÉCHÉ DU MUSULMAN MILITANT

Nordine Saïdi, militant décolonial et fondateur de Bruxelles Panthères, a grandi à Bruxelles dans le quartier populaire de Cureghem [1]

[1] Quartier populaire de…

. À travers son enfance et son parcours politique apparaissent les ciblages et criminalisations qui visent les populations d’origines non-blanches. Désormais, on l’accuse de terrorisme pour ses actions politiques. Nordine Saïdi comparaissait le 2 décembre 2021 devant le tribunal correctionnel de Bruxelles pour avoir demandé au bourgmestre de Lessine de retirer « la sortie des nègres » de la Ducasse de Culant, considéré jusque dans un rapport de l’UNESCO [2]

[2] Le Soir, « L’Unesco met en garde contre le “Sauvage” de…

comme folklore raciste. Comme il y a parfois des victoires, elles valent la peine d’être relayées : Nordine Saïdi a été acquitté le 6 janvier 2022. [3]

ENFANCE À SAINT-GUIDON

Mes parents sont nés au Maroc, et j’ai un doute. Non, il n’y a pas de doute, mes deux parents sont nés au Maroc mais sont immigrés déjà. En fait, ce sont des doubles immigrés : ils sont nés au Maroc mais ils ont migré vers l’Algérie, c’est là que mes deux grandes sœurs sont nées. Parce qu’on est du nord du Maroc et donc il y a beaucoup de marocains qui ont émigré vers l’Algérie pour des questions de boulot.

Mon père en tout cas arrive en Belgique vers 1965 ou 1966, c’est assez tôt, puis ma mère l’a rejoint quelques années plus tard. Mon père c’est pour bouffer. Ouais c’est pour bosser, dans le bâtiment. Toute sa vie, bâtiment. D’ailleurs je me rappelle toujours comment il l’explique : il arrive gare du midi, de gare du midi il marche vers Stalingrad, où il y a le pont. Là il s’arrête dans un café espagnol, il s’assied pour boire un café, la dame lui offre un café, elle lui dit « Ah bah vous arrivez. Si vous allez vers là-bas (elle montre Saint-Gilles), vous trouverez sûrement du boulot ». Donc il y va, il voit une affiche « à louer », et entre là et Saint-Gilles il trouve où loger. Et vous voyez le grand bâtiment sur le coin à la prison de Saint-Gilles, vers Albert ? C’est son premier chantier. Le bâtiment existe toujours. Son premier chantier, donc même pas 24h après son arrivée. Tu m’étonnes qu’ils n’avaient pas de problème avec l’immigration à cette époque-là. Ou qu’eux n’ont pas vécu les mêmes problèmes.

Moi je suis un Anderlechtois, de naissance je vais dire, même si à l’époque, la naissance, elle se fait à Saint-Pierre, mais maman revient à Anderlecht deux jours après. Donc la question c’était quels étaient mes premiers souvenirs de violences policières. Bah déjà, pour nous c’était pas de la violence policière, à l’époque on appelait pas ça comme ça, c’était normal mais c’était des contrôles, humiliations, baffes, ça c’est Saint-Guidon. Comme tous les mecs de ma génération, même celle d’avant, mes premiers souvenirs avec les flics sont clairement ici à Saint-Guidon, vers 13 ans. Avec moi, déjà gamin, les contrôles se passaient mal. Parce que c’était le « Eh mais tu ne me tutoies pas », et je répondais « Pourquoi ? » et ci et ça. Donc les souvenirs c’est « Putain Nordine ferme ta gueule, avec toi un contrôle ça dure toujours longtemps alors qu’on leur sort nos papiers et c’est bon quoi ». Je me rappelle des claques et des embrouilles assez jeune avec les flics. Mais donc à 13 ans, je quitte un peu la protection de l’école primaire.

J’étais à l’école partout en secondaire : à Bracops, IMI, Chome Wyns, De Mot, ETEM, parce que je me faisais virer chaque année. J’ai comme un trou de mémoire pour ça parce que je n’ai pas de souvenir de ma période scolaire. J’ai plus de souvenir, on dirait que c’est volontaire d’avoir effacé ça. Je ne sais plus te dire le nom des profs, je sais te dire les écoles où j’étais et le contexte global, quelques potes, mais sinon j’ai plus de souvenirs. Pour moi vraiment, la vie elle a commencé en 1re secondaire à Bracops. Je suis arrivé à Bracops et j’ai compris qu’on n’était pas comme les autres, qu’il y avait des Blancs et qu’il y avait nous. Le moment où on a commencé à utiliser le mot « blanc », qui vient beaucoup plus tard, ça m’a permis d’être belge en fait, parce que toute notre jeunesse, à la maison, avec les amis, quand on parle « des autres », en fait on dit « les Belges », mais quand tu passes tes journées à dires « les Belges », alors toi t’es quoi ? T’es d’office pas belge. Alors l’utilisation du mot « les Blancs », ça me permet de me sentir belge, parce qu’il y a les belges blancs et les belges noirs, arabes, tout ce qu’on veut. Donc à Bracops, j’ai appris qu’on était des petits Marocains et qu’on allait avoir des petits problèmes ou des grands problèmes. Donc début des grands problèmes et qui dit problèmes dit aussi créer des liens : les potes de primaires sont devenus des frères en secondaire et si t’étais pas à 3 ou à 4, je crois que tu crevais. Il fallait se soutenir. Tu vois, être viré de chaque cours, être en retenue, ne pas pouvoir aller en classe, soit t’es seul et tu te dis « Putain je suis foutu », soit tu trouves que c’est normal parce que t’es avec tes potes. Moi j’ai le souvenir de plusieurs écoles et de plusieurs endroits où on m’a dit que je ne finirais pas, que j’aurais pas de diplôme, que j’allais aller en prison. Le fait qu’on me dise « Nordine tu iras en prison », on me l’a dit une fois et ça m’a suffi pour le retenir quoi. Jusqu’à ce jour j’ai jamais été en prison. Par contre ne pas réussir… Ce pourquoi ils avaient les cartes en main, ils ont pu le faire, mais par contre, comme ils n’étaient pas flics, ils ont pas pu me mettre en prison quoi, mais j’imagine que si les profs avaient pu me mettre en prison ils m’auraient mis en prison. Quand t’es jeune, les profs c’est pire que les flics. Les profs, ils t’usent. Ils sont avec toi en classe, ils refusent que tu entres en classe, ils te font venir quand tu ne dois pas venir, ils te mettent en situation d’échec.

LA POLICE QUI PIQUE NOTRE SHIT

Les premières gardes à vue, le premier Démosthène ou Amigo, c’est pas si jeune, c’est quand on commence à sortir, c’est 16-18 ans. On quitte un peu Anderlecht, on commence à sortir en ville ou dans d’autres quartiers. Aussi, je me rends compte que j’ai toujours été « spéce », que ce soit considéré par les Blancs ou par les gens du quartier. J’aimais bien quitter la zone pour aller du côté de Demey, Hermann Debroux, et me dire « qu’est-ce que je fous là ». Seul. Et donc, là t’es visible en fait. Là j’ai eu plus de contrôles et les contrôles ou arrestations en bande, c’était plutôt centre-ville. Il y avait une salle à Leeuw-Saint-Pierre, après un certain moment, vers 2h, 3h, 4h du mat ‘, on rentre à pied. Mais y avait pas que nous, on rentre tous à Anderlecht, c’est des groupes de 5, des groupes de 8 qui apparaissent. Et là, le nombre de contrôles… Donc ça c’est pas que moi, ce que je raconte, ça n’a rien d’original pour un mec de 40 ans qui a vécu à Anderlecht. Aussi ce souvenir, à 16-17 ans, au Canal : le nombre de fois où les flics venaient nous piquer notre shit ! Et ça, moi ça nan. Tu le jettes, tu fais ce que tu veux, mais tu le prends pas quoi.

Par rapport à la drogue, je prends toujours l’exemple : moi avec 5 grammes de shit, je me promène dans la ville, je risque de me faire contrôler. Et après le contrôle, la fouille. Mais un Blanc avec 50 grammes de coke sur lui, il peut rouler en Mercedes dans toute la ville. Il va se faire arrêter, il va dire : « Oui vous pouvez m’indiquer la chaussée de Mons ». Ils vont le guider jusqu’à la Chaussée de Mons. D’ailleurs, il n’y a pas de raison que la guerre contre la drogue aux États-Unis soit une guerre raciale – qu’elle amène plus les Noirs à être en prison, plus les Noirs à avoir des casiers, plus les Noirs à pas avoir de boulot – et qu’ici ça soit juste une mesure politique qui fait qu’on contrôle la drogue et les jeunes et qui n’a rien de racial. Mais donc on connaît tous des gars du quartier qui sont à Saint-Gilles pour 5 grammes, 6 grammes, 15 grammes. Et ça aussi, un beau travail à faire : qui ouvre les magasins de CBD ? Moi ça me trotte ça, ça me trotte. Comment ça se fait que les experts en drogue cannabis/herbe, donc ceux qui sont en prison, ne soient pas les bénéficiaires de la légalisation ?

Rapidement, y a eu des choses dans mon casier. Il y avait des choses que je ne savais pas jusqu’à ce que l’avocat me dise « Eh tu sais qu’il y a des choses dans ton casier ? ». C’était genre dégradation, vol avec violence, vandalisme. Y a même des procès où la famille le sait pas. J’ai eu par exemple, à l’époque, un truc d’amende pour 20 000 balles, francs belges. À ce moment-là, j’ai 20 ans, et je paye ce que j’avais fait à 17-18 ans. Et donc, dans ce souvenir-là, c’est avec le Fab qui lui était au tribunal avec sa sœur et sa maman. Moi j’ai été au tribunal tout seul devant le juge qui parle. Le juge me demande donc si je regrette les faits et je lui réponds « Non, je ne le regrette pas ». On s’était battu avec un raciste en fait. En réalité je me suis juste défendu, c’était de la légitime défense, le mec était plus âgé que moi. J’avais eu un problème avec un raciste. Et donc je lui étais rentré dedans. C’est lui qui a porté plainte. Donc à la question « Est-ce que vous regrettez ? », Fab a dit « Oui je regrette, on n’aurait pas dû ». Moi, j’aurais dû suivre. C’est juste moi qui ai fait le con, orgueilleux. Mais j’ai dit « Non, je regrette pas moi ». Je me suis défendu. Je suis un jeune et lui c’est un adulte, il vient et il m’agresse. J’ai juste réagi quoi. C’était pas quelqu’un de mon âge, c’était un mec de 40 balais ou même plus. Et donc voilà ça s’est retrouvé face à un juge, tout seul. T’es convoqué, t’y vas, tu dures 15-20 minutes, tu repars et tu dis « Ah bah c’est bon ». Même pas l’idée de penser à un avocat. Et c’est plus tard que tu découvres que tu as eu des peines genre de sursis ou quoi. C’est comme ça, tu vois, tu es condamné et tu ne le sais même pas.

L’ENNEMI À ABATTRE

Avec Mouvement Citoyen Palestine, c’est le moment où vraiment je me politise, où je suis identifié comme un casse-couille politiquement. Je les lâche pas à cette époque. On était Mouvement Citoyen Palestine, comme si on ne devait pas régler nos problèmes ici parce qu’on est trop bien… c’est pour cela que la Palestine nous a politisés sur nos conditions ici. Le Mouvement Citoyen Palestine, c’est activisme, hyper activisme et déjà politique. Avec Mouvement Citoyen Palestine, aussi bien les campagnes BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions), les manifs, j’arrête pas d’écrire. Une fois par semaine, j’écris à Louis-Michel à l’époque, Reynders aussi tout le temps sur la question palestinienne ou l’Europe. J’arrête pas de leur écrire.

Et après 2008, c’est ÉgalitésÉgalités, c’est moi et Rachid Zegzaoui qui est mort y’a même pas deux mois, Allah y rahmo. En 2008, y a l’opération « plomb durci » en Palestine… des souvenirs, je vomissais, de la situation. Et moi et Rachid, avec « plomb durci », on se dit : « on va faire un parti politique ». Et donc, on commence à établir une liste de qui on irait voir, qui pourrait nous aider, nous soutenir ; à créer une liste. On est en avril, et puis en juin, on vote. En moins de trois mois, on avait fait des listes sur cinq communes : Anderlecht, Molen, Schaerbeek, Saint-Josse, Bruxelles. La première élection, on a fait mieux que toute l’extrême gauche à Bruxelles. Tu vois, y’a toutes les têtes super connues et puis tu vois Nordine Saïdi qui suit, suivi de plein de têtes qui finiront au parlement avec moins de voix.

Mais on n’avait pas 5% pour passer. En 2008, personne ne sait qu’il y a le regroupement des voix. Et grâce à PYL, un politologue qui est sur Saint-Josse, Rachid et moi on se dit « On va faire un regroupement des voix et on va voir toute l’extrême gauche ». Le PTB refuse. Si on avait fait un regroupement des voix, Égalité et le PTB auraient obtenu pour Égalité 2 sièges et le PTB 1 siège.

Après, y a eu bien cinq campagnes encore : le PTB, à chaque fois c’est « non », mais par contre, ils font un regroupement technique avec « Die Animal ». Pour l’extrême gauche, les animaux ont plus de valeur et d’opinions que les Noirs et les Arabes. C’est pas moi qui l’imagine, c’est comme ça : tu préfères faire un accord avec des animaux ou avec des noirs et des arabes ? Ils ont choisi de sauver les animaux.

Avec Égalités, vu qu’on peut leur piquer ne serait-ce qu’une seule voix, je suis l’ennemi à abattre. Et là, je ne le sais pas encore, je n’aime pas personnaliser mais la criminalisation passe par trouver UN individu. Tu n’attaques pas Égalités, ça ne veut rien dire. Donc moi j’ai été la personne identifiée. J’ai eu des menaces, harcèlements, pressions de dingue. En fait tout ça, le harcèlement judiciaire, fait partie de la violence policière. Moi j’étais « antisémite, homophobe, à justifier les attentats, etc ». Et tout ça, c’est les journaux, les politiques, les gens qui disent : « y’a pas de fumée sans feu ». Tout ça c’est impardonnable. Des personnes qui t’évitent parce que les gens ne t’aiment pas, des gars qui n’ont rien de répréhensible, ne pas les soutenir, c’est participer avec ceux qui veulent les enterrer en fait. Ça correspond toujours au péché de l’homme arabe militant musulman.

Avec Égalités, on a pris une position par rapport à l’histoire de Charia4Belgium : on était les seuls en fait, contre la déchéance de nationalité de ce mec. Il raconte des trucs qui vous choquent, ça vous plait pas. On a tous le droit. En tant que musulmans, on a aussi le droit d’avoir des cons, des mauvais, des drogués, des voleurs, mais c’est vrai, on souhaiterait des avocats, des médecins, on n’est pas voués à l’excellence. Et pareil, toutes les femmes voilées doivent pas être diplômées d’Harvard pour qu’on puisse les écouter, y compris communautairement. Y’a les bons et les mauvais. Et donc, c’est aussi la logique de l’antiracisme moral : c’est à cause des mauvais qu’il y a des racistes en fait. Si tous les Marocains étaient des avocats et des docteurs ou que tous travaillaient à Bruxelles-Propreté et fermaient leur gueule ; il y aurait pas de racistes.

Souvent Malcom X et Martin Luther King, c’est les Blancs qui essayaient de les diviser. Malcom X, il n’existe pas sans Luther King et vice versa. Dans sa tête, Martin Luther King, il se dit : « les Blancs en face de moi, ils savent que s’ils m’écoutent pas, ils ont Malcom X ». Et donc c’est Martin Luther King, un catholique. Malcom X, un musulman. 

LA SPÉCIFICITÉ DES VIOLENCES RACISTES

Dans le cadre d’une action militante ici aux portes de l’abattoir, y’a une action BDS, donc distribution de tracts. Et je sais même plus pourquoi, mais moi j’y participe pas à cette action. Je les rejoins après et là y’a un flic en particulier qui leur interdit de faire cela, qui les fait chier. Moi j’arrive, je vais vers lui, « Qu’est-ce qu’il se passe ? ». « Ah non, c’est interdit ! ». « On peut savoir par qui c’est interdit ? Le bourgmestre ? Alors montrez-nous l’arrêté qui interdit cela. Nous on n’est pas au courant qu’il y a une interdiction ». Et donc je le fais trop chier, je lui demande son nom. Le type il me prend, il me violente et il m’embarque quoi. Le parcours entre l’abattoir et Démosthène, puis la garde-à-vue, c’est là où c’est clairement islamophobe : « les bougnoules », « t’es comme les autres, tu vas te mettre une ceinture d’explosifs ». Il me montre les chiottes et me dit : « pour prier, tu pries là ! ».

En sortant de là, j’écris tout ça. J’envoie à tout le conseil communal, à toutes les organisations antiracistes et en même temps, je porte plainte. J’ai plus 17 ans donc je vais trouver un avocat, je porte plainte à un tribunal. Tout ce qui est important pour moi ne l’est en fait pas pour la justice : l’avocat me dit, c’est grave qu’il t’ait donné une tarte ; c’est grave qu’il t’ait tapé la tête contre la voiture. Moi je dis, tout ça je m’en fous. C’est « bougnoules », tatati tatata, qui comptent. Il me dit : « Alors là c’est pas possible. Tu peux pas porter plainte pour racisme contre la police. Pour les violences, oui. Mais racisme, c’est juste une circonstance en plus ». J’attends, j’ai aucune nouvelle. Longtemps après, mon cas est jugé. Et pourquoi il est jugé ? Parce que le flic contre qui je porte plainte est accusé par ses collègues d’homophobie et de racisme. Mais quand même, je crois que c’est le 1er flic condamné pour qui il est question de racisme. C’est vraiment la preuve que la stratégie de porter systématiquement plainte, si on l’applique, elle fonctionne. Mais ma plainte à moi n’a jamais abouti en soi. Le juge a fait un regroupement des plaintes envers ce mec. Mais si les collègues n’avaient jamais porté plainte, je ne crois pas que moi je serais sorti du lot.

Mais donc, encore aujourd’hui, la question des violences policières, on peut la travailler mais sans la question du racisme. Globalement, on essaie que ça concerne tout le monde, mais non ! Donc tu
construis les mauvaises campagnes. Si tout le monde, y compris les institutions, commencent à dire qu’il faut judiciariser la question du racisme, alors on pourrait porter plainte juste pour racisme ou pour meurtre raciste. Lamine Bangoura par exemple, y’a rien dans la loi qui existe pour avoir tué un homme juste parce qu’il est noir. Je prends souvent la comparaison avec le féminicide : c’est un crime avec sa spécificité en soi.

LES BRUXELLES PANTHÈRES

C’était en septembre 2018, y a eu Lessines pour le Blackface. À Deux-Acren, dans l’entité de Lessines, il y a un folklore négrophobe et raciste organisé par l’association de la « Ducasse des Culants ». Nous on a seulement écrit au bourgmestre et au conseil communal pour leur demander de retirer ce qu’ils appellent « La sortie des Nègres » du cortège. Voilà le mail adressé au bourgmestre : « Je vous demande l’annulation de l’événement intitulé “La sortie des Nègres”, qui doit se tenir ce samedi 15 septembre, dans le village de Deux-Acren, dans l’entité de Lessines. Dans le cas contraire, nous serons obligés de venir à Lessines nous-mêmes, afin de sensibiliser les habitants et les participants des pratiques racistes du Blackface, et en particulier, de “La sortie des Nègres” que nous tenterons de faire annuler par tous les moyens nécessaires. » Il n’est pas question de dire « on empêchera » l’activité comme l’interprète le bourgmestre. Mais de sensibiliser, ce terme est fondamental, et non pas d’empêcher mais de faire annuler. Donc, pas d’annuler soi-même, mais de faire en sorte que cela soit fait par d’autres acteurs, ce qui suppose de convaincre, par tous les moyens nécessaires. On ne connait pas « les Culants », on n’a pas leur adresse, on les a jamais vus, donc on les a jamais menacés. Mais ils utilisent les mails où il y a la menace de venir sensibiliser comme matériel de preuves.

La Ducasse et les dispositifs anti-terroristes de cette époque font qu’ils craignent, pas que pour Bruxelles Panthères, que les événements publics soient cibles d’attentats islamistes. Le contexte terroriste, c’est qu’il y a une plainte contre nous (Bruxelles Panthères) d’un islamophobe dans un contexte terroriste. Le fait que c’est un islamophobe est implicite. Le bourgmestre reçoit les mails, il fait des déclarations, il s’adresse à l’OCAM, il est scandalisé parce qu’il n’a pas de réponse. Il dit : « J’ai été laissé seul face à la menace terroriste » ; « moi j’avais prévu les renforts de la police fédérale, je suis capable de garantir la sécurité dans ma commune et j’ai demandé l’avis de l’OCAM qui ne m’a même pas répondu ! ». Les gens qui observent les radicaux, les gens S ou qui sont potentiellement S, ils vont sur notre site, ils nous regardent 30 secondes et ils sont morts de rire. Y’a même des gens qui nous appellent « Les Bruxelles Miaou », on a un discours purement de droit, de légaliste, de peace and love.

Pour le reste, faut demander au bourgmestre, c’est lui qui est cinglé, j’suis pas dans sa tête. Il peut se faire tous les contextes dans sa tête. Que le gars soit un parano, et qu’il ait un contexte terroriste dans sa tête, oui. Mais que le juge nous amène jusqu’à la chambre correctionnelle, tu te dis : le contexte, il est pas que dans sa tête à lui. Et c’est pour ça que l’islamophobie est fulgurante, c’est que c’est un paranoïaque total et la justice va valider sa paranoïa en disant que « le délire paranoïaque du bourgmestre est plus vrai que la réalité de la lettre, que la réponse de l’UNESCO, que ce que vous allez dire en chambre du conseil ». Tout ça est vide parce que le délire islamophobe du bourgmestre, c’est ça qui va faire force de loi. D’ailleurs, pendant cette période, Mouhad Reghif est invité comme porte-parole de Bruxelles Panthères par RTL au journal du 18h. Il rencontre pas les mecs de l’ASBL mais apprend leur existence. Le mec est là par radio. Il dit publiquement que y’a évidemment aucune menace ni violence. Giltay, journaliste de RTL, lui dit « Ouais mais vous vous appelez Bruxelles Panthères, vous vous êtes inspirés des Black Panthers, ils étaient armés ces gens-là ». Alors il lui répond qu’« ils étaient effectivement armés, mais légalement aux États-Unis. Ils avaient le droit de porter des armes. Nous en Belgique, le port d’armes n’est pas autorisé donc forcément on n’a pas d’armes. On est des légalistes ». Et Patrick Charlier, co-directeur d’Unia, était là aussi et dit « Pour le Blackface, ce serait bien quand même que les folklores évoluent. D’ailleurs vous savez à Ypres, ils pratiquaient le lancer de chats d’une tour. Maintenant, ils ne font plus ça, ils jettent des nounours, pas des vrais chats ». Il animalise les Noirs en fait. On pourrait peut-être aussi arrêter de se foutre de la gueule des Noirs ! Finalement, l’ASBL dit, dans un petit village où ils sont 300, qu’ils annulent mais ils portent plainte six mois plus tard. Ils l’annulent en 2018 mais la refont en 2019 et l’appellent « La sortie des diables ». Ils associent les Noirs aux diables. Et c’est plus des Blackfaces mais des Whitefaces avec des grosses lèvres. Y’a rien qui a changé en fait.

Moi dans cette histoire, quand je sors du commissariat, j’me dis : c’est bon, c’est comme toutes ces convocations qui ne servent à rien. Un gars qui porte plainte, il veut juste encore me faire perdre du temps et me faire chier. Quand ça arrive à la chambre du conseil, waw ça a quand même été plus loin. Mais c’est bon, ils vont pas nous poursuivre quand même, c’est n’importe quoi. Et en chambre du conseil, on nous dit qu’on est renvoyés en chambre correctionnelle parce que c’était tellement grave qu’on devait nous renvoyer à la chambre correctionnelle, mais en réalité c’est juste « parce que Nordine Saïdi n’est pas n’importe qui, il a déjà eu des problèmes avec Burqa, bla bla ! », bref, tout ce qui existe et qui n’a pas de condamnation. Le gars il dit quand même que j’ai été poursuivi par Caroline Fourest, « Ouais et alors ? j’ai gagné ! » ; que je suis islamiste parce que je me suis présenté sur les listes d’Islam, et alors ? J’aurais été sur les listes du PSL, on m’aurait pas dit que j’étais un dangereux communiste !

Pour le procès, on doit encore construire la ligne de défense. Déjà pour moi, il y a le droit d’interpellation politique. C’est pour tout le monde. Soit, tu soutiens ton droit d’interpellation politique, soit tu soutiens pas ça et puis faudra pas dire : « La jurisprudence, elle concernait que Nordine Saïdi ». Non, la jurisprudence, elle concernera tout le monde après. Si on perd, on sera bien dans la merde d’interpeller n’importe quel mandataire politique après ça. Définir le contexte : qui est Nordine Saïdi ? Pour le déconstruire en disant : « Votre accusation elle est islamophobe. Elle est négrophobe dans la pratique ». C’est ça le contexte. Je délire peut-être mais moi j’aimerais bien porter plainte pour plaintes abusives. On me salit de partout.

Crédits graphisme : Léa Beaubois
Crédits illustration : Daria Gatti

[1] Quartier populaire de Bruxelles.

[2Le Soir, « L’Unesco met en garde contre le “Sauvage” de la Ducasse d’Ath et appelle au “respect mutuel entre communautés” », 24/08/2019.

[3] Cet article est extrait de la revue La Brèche, numéro 4 : « Racisme et criminalisation, des populations dans le viseur ». À la suite de l’article déjà paru sur la criminalisation des sans-papiers, voici une partie du volet sur l’islamophobie d’État. L’entièreté du numéro se trouve en PDF sur leur site internet. La revue est envoyée gratuitement aux détenu.es et leurs proches sur simple demande à l’adresse mail : genepi.la.breche@gmail.com

Dans le numéro se trouve notamment un entretien sur le travail de Bruxelles Panthères, ainsi qu’une liste non-exhaustive des meurtres policiers en Belgique depuis les années 80. Liste dressée par Nordine Saïdi.

Par ailleurs, bien que l’acquittement reste une victoire importante, les frais de justices sont toujours présents, n’hésitez pas à les soutenir par virements bancaires ou par paypal. Plus d’infos sur le site.

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