A propos de la « Journée internationale de lutte contre les violences policières »

« AVEC NOUS OU RIEN

Nous, Noirs, Arabes, Rroms, Musulmans, issus de l’immigration postcoloniale, identifiés comme des non-blancs, sommes les cibles prioritaires d’un racisme structurel qui, depuis plusieurs décennies, poursuit sa marche funeste en se déployant à tous les niveaux de la société. Le constat est sans appel : nous sommes de plus en plus exposés aux violences et aux crimes policiers, aux discriminations systémiques, aux humiliations et à une précarisation généralisée. À l’origine du traitement différencié réservé à nous « citoyens de seconde zone », au mieux, « citoyens refoulés », au pire, se développe et s’affirme un véritable « racisme d’État » qui s’exprime sous diverses formes.

Des formes de racisme d’Etat comme lorsque les binationaux ne bénéficient même plus des protections formelles de la Belgique lorsqu’ils se trouvent dans le pays de leur autre nationalité, ou plus subtilement lorsque Noirs, Rroms, Arabes et Musulmans sont transformés en purs objets silencieux des politiques publiques qui les concernent.

Des formes structurelles qui, s’appuyant sur ces logiques d’Etat, imprègnent la société belge dans son entièreté, jusqu’aux mouvements politiques prétendant parler en notre nom mais nous renvoyant à un supposé « communautarisme » dès que nous déployons nos propres modes d’organisation. » Collectif Rosa Parks Belgique (2018).

A propos de la « Journée internationale de lutte contre les violences policières »

 

Islamophobie, Négrophobie, Racisme de la part de la police, chasse aux migrant·e·s, traque des sans-papiers, répression des mouvements populaires, fichage généralisé… Il est plus qu’urgent de s’organiser et de dénoncer les logiques racistes et sécuritaires. Depuis plus de dix ans maintenant, avec la campagne Stop Répression, nous nous mobilisons contre les violences policières et la répression d’État à l’occasion de la Journée internationale contre les violences policières !

Ce 15 mars 2022 aura lieu à Bruxelles, la « Journée internationale de lutte contre les violences policières » à l’initiative de Outils Solidaires contre les violences policières, la CLAC, Acteurs et actrices des temps présents, les JOC et la Ligue des droits humains.  La seule phrase de leur appel stipule « Venez demander #Justicepour toutes les victimes. » mais qui parle à qui ?

A qui s’adresse cet événement ?

Quel message ces organisations veulent-elles faire passer ?

Quel est l’objectif ?

Dans les communications sur l’événement on ne parle ni de contrôle aux faciès, ni d’Islamophobie, ni de Négrophobie, ni même de Racisme. Ces organisations n’évoquent jamais la mort de plusieurs Arabes et Noirs depuis des années.

Dans cette non-communication, tout est mis en place pour que la question spécifique du Racisme soit étouffée (comme la mort de Lamine Bangoura aux mains de suprématistes blancs munis d’un uniforme de police), ou ne soit plus qu’un élément parmi d’autres de la violence au sein de la police dont on voudrait nous faire croire qu’elle touche égalitairement tous les citoyens, qu’ils soient militants blancs ou simples citoyens Noirs, Arabes. Cette campagne accompagne et renforce la communication des syndicats policiers qui prétendent qu’il ne s’agirait que de bavures commises par des « pommes pourries » et non d’une violence structurante.

Le racisme, les contrôles au faciès et les violences policières sont pourtant une réalité quotidienne depuis au moins 40 ans, particulièrement pour les Noirs, les Arabes, les Rroms.

Les contrôles violents, c’est notre quotidien.

Depuis des générations nous héritons de cette violence coloniale qui se matérialise par : le bouclage des quartiers, les contrôles au faciès, les fouilles au corps, les courses-poursuites, tout cela amenant à la création d’une politique policière mortifère. Car disons-le clairement, le plan Canal destiné au confinement des quartiers populaires, tout comme le plan Medusa destiné à la traque des migrants, sont des dispositifs qui participent de l’existence de cette politique mortifère.

Demandez à n’importe quelle famille de Noirs ou d’Arabes combien de fois dans leur vie les membres de leur famille ont été contrôlés par la police, et la probabilité est grande de s’entendre dire que c’est impossible à compter ! C’est tout le temps ! Il y a autant d’histoires de contrôles d’identité violents que de jeunes, les souvenirs de violences racistes de la police ne manquent pas, elles sont endémiques, elles sont héréditaires, de père en fils.

Face à cela, généralement, les victimes se retrouvent seules. Parfois on est soutenu par la famille, par des amis, parfois non, en tout cas, face à la violence d’État, ce n’est pas suffisant.

L’augmentation du nombre de procès entraîne des frais de justice de plus en plus élevés et il est logique de ne pas laisser tomber les personnes qui subissent cette répression. Un exemple concret de cette inflation fabriquée des frais de justice est l’application, depuis moins de dix ans maintenant, d’un taux de TVA de 21% sur les honoraires d’avocats.

Face à la répression, à la police, à la justice il devient nécessaire de s’organiser. S’organiser sur du long terme pour trouver de l’argent et le mettre en commun, pour payer des frais de justice, pour trouver des avocats qui s’occupent de ces affaires. S’organiser ce n’est pas « aider les autres qui en auraient besoin », c’est se retrouver à partir de ce qu’on vit, se tenir concrètement et faire face ensemble.

Nous sommes convaincus qu’il n’y a que le rapport de force politique et médiatique qui fasse de la question des violences policières une réelle question nationale. C’est à cette condition que nous pourrons « peser » sur ces affaires et infléchir leur traitement judiciaire, pour qu’enfin les familles puissent faire leur deuil.

La question des violences policières est aujourd’hui incontournable dans le paysage institutionnel et médiatico-politique. Cette avancée est le fruit d’initiatives multiples venant de nombreuses associations de terrain qui luttent au quotidien contre les violences racistes de la police, l’islamophobie, la négrophobie, la rromophobie, le racisme d’Etat. Des forums et conférences aux marches contre les violences policières jusqu’aux interpellations politiques, en passant par une occupation résolue des réseaux sociaux, blogs et plateformes numériques, cette vague contestataire est l’un des mouvements les plus prometteurs pour ceux et celles qui luttent contre les violences policières et le racisme d’Etat.

Il faut se rendre à l’évidence concernant les organisations organisatrices de ce 15 mars 2022 : leur convergence des luttes est une convergence blanche, un concept vide de sens qui permet aux Blanc·hes de demander aux Noirs et Arabes de réduire au silence leurs propres luttes.

Nous ne pouvons ni rester silencieux, ni rester sans rien faire ! Il faut que ça cesse !

Ces pratiques, venant d’organisations se revendiquant politiquement de la gauche, révèlent combien une logique digne de la colonisation est ancrée dans leurs esprits. Comme le dit Aimé Césaire, c’est du fraternalisme ; « il s’agit bel et bien d’un frère, d’un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d’une main, hélas !, parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès. ». Ce fraternalisme est tellement profond qu’il fait que les blancs de gauche ne comprennent pas nos légitimes critiques. En réalité, ça traduit une peur de voir des Noirs ou Arabes penser de manière autonome. Ou imagine-t-ils que les Noirs et Arabes sont incapables de s’organiser politiquement à défaut de le craindre ?

Je reprends ici à mon compte les propos de Sadri Khiari « C’est à la gauche, aux forces qui voudraient se battre contre le racisme et une forme de domination raciale d’aller vers les « populations indigénisées » et leurs organisations. Et d’aller vers elles, non pas avec des ultimatums, non pas pour les éduquer ou les rééduquer, pour leur montrer le chemin historique et unique du progressisme et de l’émancipation, mais pour les appuyer, accepter leurs spécificités, reconnaître le caractère fondamental de leurs revendications. C’est donc à la gauche blanche de montrer qu’elle est capable de construire un grand mouvement populaire, qui n’aura de sens aujourd’hui qu’avec les populations issues de l’immigration, en respectant leur autonomie politique et en intégrant leurs revendications. Quant à nous, sans une grande organisation politique, nous ne pourrons jamais négocier des alliances égalitaires. Nous ne voulons plus être les tirailleurs sénégalais d’aucune cause ! ».

Alors pourquoi se joindre à cette initiative ? Pour nous en tant que groupe qui milite depuis plus d’une décennie sur les questions de violences raciste de la police, il nous a paru tout de suite évident que nous ne devions pas nous laisser récupérer, invisibiliser, instrumentaliser mais critiquer et… se joindre à cette initiative. Pour leur montrer que nous ne lâcherons pas, et que surtout nous ne laisserons pas les politiques et carriéristes de tous bords faire à nouveau campagne sur le dos des Noirs et des Arabes.

Notre expérience des violences racistes de la police, de l’Islamophobie, de la Négrophobie est une source première de motivation pour nous joindre à cette initiative. Pour nous, ces questions ne sont pas morales, elles sont une question de vie ou de mort.

C’est à travers ces combats que nous avons acquis la certitude que notre survie, le respect de notre dignité et notre libération ne peuvent être pleinement accomplies que si nous nous impliquons dans des dynamiques politiques au niveau national et international.

C’est pour cela qu’après ce 15 mars 2022, nous nous rassemblerons encore et encore – en solidarité avec les familles qui se battent avec courage durant de longues années, pour honorer la mémoire de leurs fils, mais aussi avons-nous vu, leurs filles, et pour faire entendre nos voix sur le traitement médiatique, juridique et politique de ces affaires.

Cette tentative de récupération, instrumentalisation, invisibilisation doit nous amener, dans les semaines qui viennent, à nous rassembler, collectifs, associations, organisations, dans un effort collectif de solidarité et d’actions collectives fortes.

Les organisations qui prétendent lutter contre les violences policières ne peuvent pas en parler décemment sans parler du racisme qui les structure et les blanchit. Nous n’avons pas besoin d’Outils Observatoires Solidaires contre les violences policières pour nous dire ce que nous savons déjà depuis de trop nombreuses années, nous n’avons plus besoin d’objectiver qu’en amont des meurtres policiers, les hommes Arabes ou Noirs ont 20 fois plus de risques de se faire contrôler, tutoyer, insulter, brutaliser par la police que le reste de la population. Nous savons aussi déjà trop bien que les Noirs, Arabes, « migrants », sont surreprésentés dans la funeste liste des personnes mortes entre les mains de la police.

Le meurtre social généralisé et l’élimination physique régulière de Noirs, d’Arabes et de « migrants » doit cesser immédiatement !

Au vu des violences policières et des décisions judiciaires qui s’ensuivent, l’on ne peut que constater que ce que scelle l’appareil sécuritaire, c’est la pérennisation de l’ordre racial qui sévit dans ce pays.

Nous exigeons de ceux et celles qui disent lutter contre les violences policières, qu’ils et elles travaillent à la mise en place de contre-politiques policières et judiciaires capables de garantir le respect des droits et de la dignité de toutes celles et ceux, êtres humains, qui vivent dans ce pays, en particulier de celles et ceux qui, victimes de ce système racial, entrent en interaction avec l’appareil sécuritaire et répressif.

Nous demandons aux organisations comme Acteurs et actrices des temps présents, les JOC et la Ligue des droits humains de se porter partie civile et/ou de payer des frais de justice, pour trouver des avocats aux familles victime de crime policier.

Nous voulons en finir avec l’impunité des crimes policiers. Par tous les moyens nécessaires.

Nous voulons abolir les politiques racistes et meurtrières des frontières de l’UE. Par tous les moyens nécessaires.

Nous voulons l’éradication de cet ordre racial. Par tous les moyens nécessaires.

Nous exigeons Respect et Dignité pour les victimes de violences et de crimes policiers.

Nous exigeons des procès publics pour toutes les victimes de crimes policiers.

 

Nordine Saïdi, membre de Bruxelles Panthères

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