Femmes des quartiers populaires, en résistance contre les discriminations.

Sur le dernier livre du sociologue Saïd Bouamama.

Ce livre est le fruit d’un travail mené par Zouina Meddour (chargée de mission, « lutte contre les discriminations ») et Saïd Bouamama (sociologue) avec un groupe de femmes des quartiers populaires du Blanc-Mesnil qui s’expriment à la première personne.

« Nous sommes près d’une trentaine, d’origines plurielles, et avons de trente à soixante-quinze ans. Nous venons des quatre coins de la ville de Blanc-Mesnil et sommes représentatives de l’ensemble de sa population. »

Ces rencontres menées durant deux ans ont abouti à l’écriture collective d’un livre sur leurs conditions de vie, leurs propositions pour sortir de l’impasse des discriminations…

Comme le souligne Didier Mignot, maire du Blanc-Mesnil, dans sa préface, « il est tellement rare de nos jours de donner la parole aux habitants des quartiers populaires. Elle est, le plus souvent, confisquée au profit de représentations médiatiques qui figent les identités et occultent la réalité quotidienne de centaines de milliers d’habitants. »

Fiche bibliographique.
"Femmes des quartiers populaires 
en résistance contre les discriminations" 
Editions Le Temps des Cerises 
Collection Le coeur à l’ouvrage 
Préfaces de Didier Mignot et Hervé Bramy
15 x 19 cm 
200 pages 
prix : 15 € (12 € en souscription avant parution) 
Parution février 2013
L’ouvrage est illustré de photographies en noir et blanc représentant ces femmes et leurs luttes.
LE TEMPS DES CERISES 
- adresse : 47, avenue Mathurin Moreau, 75019 Paris 
- Tel : 01 42 01 45 99 / Fax : 01 42 01 47 99 
- Courriel : contact@letempsdescerises.net
Contact :
Zouina Meddour _chargée de mission lutte contre les discriminations et démocratie locale politique de la ville 
- Tél : 01 48 67 45 80 
- Courriel : z.meddour@blanc-mesnil.fr

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L’empowerment expliqué par des femmes du Blanc-Mesnil

PAR CARINE FOUTEAU

Un quartier pauvre de la banlieue parisienne raconté par un “je” pluriel d’habitantes qui en ont assez que d’autres parlent à leur place. Sorti en février 2013 en librairies, Femmes des quartiers populaires, en résistance contre les discriminations, publié aux éditions Le Temps des cerises, fait le pari de l’intelligence collective et participative, à un moment où le gouvernement, et notamment le ministre de la ville François Lamy, découvre les vertus de l’empowerment.

Pendant deux ans, une trentaine de femmes se sont réunies, une fois par mois, dans la maison des Tilleuls au Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis.

Menés par Zouina Meddour, chargée de la lutte contre les discriminations à la mairie, et Saïd Bouamama, sociologue, les échanges ont abouti à ce livre énergique qui prend le contre-pied des représentations dominantes dans lesquelles ne se retrouve pas l’immense majorité des résidents de ces zones à l’abandon mais néanmoins vivantes.

Ce “je” qui parle est constitué de femmes issues de l’immigration post-coloniale engagées dans la vie de leur quartier. Les récits s’entrecroisent : la narratrice est tantôt trentenaire, tantôt septuagénaire, elle s’appelle Houria, Zohra, Zineb, Jamila, Fatiha, et aussi Mylène, Martine et Mallory, elle noue un foulard autour de sa tête un jour, n’en a jamais porté un autre, elle est cette mère sans ressource élevant seule quatre enfants, cette Algérienne jamais discriminée parce qu’elle est blonde ou encore cette retraitée contrainte d’apporter des preuves de son intégration malgré des années de présence en France.

Ces femmes ont en commun une écriture sans fioriture qui va droit au but. D’emblée, elles rejettent toute forme de misérabilisme et fustigent les discours infantilisants et paternalistes de ceux « qui voudraient nous confiner au cadre du foyer familial ». Elles regrettent que se développe « cette fausse image de nous : des êtres faibles, victimes soumises, de niveau scolaire peu élevé et en marge de la société ». Au contraire, elles revendiquent « un rôle central » dans l’espace public. « Nous luttons au jour le jour, au sein de nos familles ou de nos quartiers et sommes actives et engagées dans notre société », affirment-elles, sans pour autant se rêver en mère-courage. Leur force est d’être quotidiennes.

Cette présentation d’elles-mêmes vise à réfuter l’idée répandue d’une dépolitisation des quartiers et de femmes repliées sur leur intérieur. L’abstention massive lors des élections n’est pas forcément le signe d’un désintérêt ou d’un renoncement à la vie de la cité, ni même de la désagrégation du lien social, mais plutôt d’un décalage persistant entre deux univers sans point de rencontre.

Tentative de réappropriation, ce livre témoigne d’une volonté de comprendre le monde et d’agir pour le transformer. Au-delà des descriptions, une analyse s’élabore. Les auteures interrogent leur rôle de mère, de chercheuse d’emploi, de candidate à un logement, leurs relations avec l’école, la police, la caisse d’allocations familiales, la sécurité sociale, La Poste, les commerçants. Elles observent les discriminations subies par leur entourage, par elles- mêmes à l’occasion. Et en questionnent les causalités.

Doivent-elles se sentir coupables de ce qui leur arrive, comme nombre de représentants politiques ou d’experts les y incitent ? Sont-elles responsables du traitement réservé à leurs enfants ? Qu’ont-elles mal fait ? Leurs origines sont-elles en cause ? Leur “culture” peut-être ? Elles ne se laissent pas démonter et inversent la problématique. Elles ne nient pas la violence d’une partie des plus jeunes, l’échec scolaire massif, les deals à leurs portes, les naufrages dans l’alcoolisme de certains aînés. En 2005, lors des émeutes urbaines, le gymnase a été incendié, en 2009, un lycéen a été tué d’une balle dans la tête à la suite d’une rixe, leur ligne de bus, la 148, est connue pour ses incidents à répétition.

Mais elles montrent que ces difficultés sont la conséquence et non la cause de la misère économique et sociale dans laquelle elles sont plongées. Sans se défausser sur l’État, sur les associations, sur les autres, elles dénoncent l’inégalité structurelle pesant sur les quartiers populaires, reprenant le constat de la Cour des comptes qui, dans un rapport de juillet 2012, révélait que les financements publics par habitant restent plus faibles ici qu’ailleurs. « On dirait qu’une guerre est passée par là »

Elles évoquent ainsi leurs conditions de vie, de survie même, dans un contexte de restriction budgétaire mis au compte de la crise. « Il faut sans cesse se débrouiller pour avoir quelque chose dans l’assiette ou pour habiller correctement les enfants. Noël, normalement, c’est pour apporter du bonheur mais on n’y parvient plus. Dès qu’on a payé les traites (assurance, loyer), il ne reste plus rien sur le compte.

Dans nos quartiers il y a beaucoup de mamans isolées et pour elles c’est la catastrophe. On se prive de tout pour que les enfants aient le minimum. On ne peut quand même pas toujours leur dire non », expliquent-elles. « On dirait qu’une guerre est passée par là », ajoutent-elles à propos de la physionomie de leurs rues.

Administrations publiques sur le départ, boutiques aux rideaux baissés : « Ils ont muré les magasins vides pour éviter la formation de squats. Ils ont réglé les choses par des briques et du ciment sans se préoccuper des conséquences pour nous.

Franchement, quelle image cela nous renvoie à nous et à nos enfants. On a l’impression parfois d’être des pestiférés quand on voit ces murs tous les jours. »

Aux guichets, elles se sentent mal traitées. À la Poste, « on a dû se mobiliser pour l’agrandissement des locaux et à l’ouverture ils ont réduit les horaires. Ils ont diminué “l’amplitude horaire” comme ils disent.

Pourtant, nous ne sommes pas ignorants et bêtes.

Nous sommes obligés de comparer avec ce qui se dit et se fait ailleurs. Pour Paris, par exemple, la Poste mène une campagne de publicité sur la hausse de l’amplitude horaire pour “s’adapter aux rythmes et horaires des salariés”. C’est présenté comme la preuve d’une poste qui respecte ses usagers. Et nous alors n’est-on pas respectables ?»

Chez le médecin, elles ne trouvent pas non plus le réconfort attendu : « Cela m’est arrivé récemment.

J’étais au bout du rouleau et le médecin m’a donné… un jour d’arrêt de travail. En plus de ce que je vivais déjà, je devais subir le fait qu’on me prenait pour une menteuse. J’avais l’impression que pour ce médecin on devait être plus résistant quand on était maghrébin.

À moins qu’il pense que derrière chaque Maghrébin se cache un fraudeur. Nous sommes comme tous les autres. Nous ne sommes ni des surhommes, ni des superwoman. Ce sentiment d’être traité à part est insupportable et très violent. C’est comme si le Maghrébin ou le Noir n’avaient pas le même corps, la même tête et les mêmes besoins que les autres. »

Des discriminations de « basse intensité » qui « minent le moral » aux manifestations frontales de racisme contre les Noirs, les Arabes ou les musulmans : le rejet qu’elles ressentent est multiforme. Le voile cristallise la désapprobation : « On veut nous dicter comment nous habiller. Que je porte la minijupe ou le foulard ce devrait être mon affaire personnelle. Moi, je ne porte pas le foulard mais il faut qu’ils arrêtent de dire que celles qui le portent, c’est sur la pression des pères ou des frères. Cette image est vraiment blessante pour nous. C’est comme si on était passives et incapables de nous défendre nous-mêmes. C’est encore l’image de la femme soumise, c’est-à-dire un préjugé sur les femmes arabes ou musulmanes. Il suffit de connaître la vie quotidienne d’une famille arabe ou berbère ou turque du Blanc-Mesnil. Nos filles ne se laissent pas faire. Elles se défendent, elles ne sont pas soumises. Elles ont un cerveau pour penser et une bouche pour s’exprimer. »

Pour autant, insiste la narratrice plurielle, ce sombre tableau ne coïncide pas avec la vision déshumanisée et ensauvagée véhiculée par les médias. Les solidarités, les liens sociaux, les discussions, les résistances reviennent souvent dans les propos : « Heureusement qu’il y a l’entraide mais même cela devient difficile. Quand il manque quelque chose on tape chez la voisine. On s’aide mutuellement avec un morceau de beurre, une brique de lait, un œuf ou autre chose.

L’autre fois une voisine frappe à la porte pour être dépannée, je ne sais même plus de quoi. Ce qui m’a surprise, c’est la réaction de mes gamines. Elles m’ont dit: “Maman nous aussi on est pauvres, on ne peut pas toujours aider les autres.” On continue à aider mais c’est de plus en plus difficile. Pourtant l’entraide c’est tout ce qu’il nous reste. C’est la richesse des pauvres. »

Alors que tout flambait, en 2005, les mères du quartier ont organisé une manifestation spontanée devant la maison des Tilleuls. Les enfants étaient dans les rues, mais elles ne voulaient pas rester inactives. Un débat s’en est suivi. La salle était bondée. Mais les élus, malgré les invitations, ne se sont pas déplacés. « Il est erroné de dire que les classes populaires ne s’intéressent pas à la politique. Nous pensons au contraire que c’est la politique actuelle qui ne s’intéresse pas à elles », avancent-elles rejetant l’idée selon laquelle leurs quartiers seraient des déserts politiques.

Ces femmes ne mendient rien. Cela ne les empêche pas d’exiger davantage de considération de la part des personnes supposées les représenter dans l’espace démocratique. Pour que l’empowerment ne reste pas un vain mot, elles demandent que le droit de vote des étrangers aux élections locales devienne une réalité. En tant que françaises, beaucoup ne sont pas directement concernées, mais elles estiment que cette réforme est une condition indispensable pour que les quartiers populaires soient enfin entendus.

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