Les Indigènes et l’homosexualité : Droit de réponse

Droit de réponse
Les Indigènes et l’homosexualité : du procès d’intention à la calomnie

Félix Boggio Ewanjé-Epée, Stella Magliani-Belkacem et leur petit livre vert

Voilà bientôt un mois qu’un article, initialement paru sur StreetPress puis relayé par Rue89, suscite l’indignation et sème le doute à propos de notre ouvrage « Les Féministes blanches et l’empire ». L’auteur du sinistre papier, Robin d’Angelo, y prétend que nous « apportons de l’eau au moulin » à une « surprenante théorie » selon laquelle « l’identité homosexuelle » ne serait pas « adaptée au monde arabe et africain ».

Il faut avouer que nous avons été tout aussi « surpris » que le journaliste par ce qui a été retenu de l’argument du livre et de nos propos rapportés, tant nos intentions sont à l’extrême opposé de celles que son papier calomnieux voudrait nous prêter – comme l’indiquait une mise au point de Zineb Dryef mettant à disposition de tous et toutes le chapitre qui traite précisément de la question au sein du livre incriminé.

Un livre et son contexte


« Les Féministes blanches et l’empire »

Sous la plume de Robin d’Angelo, les thèses du livre sont mises en rapport avec un contexte qui n’a à voir ni avec son contexte d’écriture, ni avec sa parution (octobre 2012), ni avec son argumentation.

D’Angelo, en précisant dans son papier que « toute la France débat du mariage homo », alimente le point de vue selon lequel nous aurions voulu expliquer pourquoi « le “mariage pour tous” n’a pas la cote dans les “quartiers populaires” ».

Or nous n’évoquons pas un seul instant cette question dans l’ouvrage et nous soutenons, pour notre part, sans réserve (mais sans illusion) la revendication du mariage pour tous.

Soutien sans réserve parce qu’il s’agit d’une question d’égalité élémentaire entre les couples hétérosexuels et les autres. Soutien sans illusion, car l’institution du mariage produit elle-même de l’inégalité en hiérarchisant les couples monogames et les autres modes de vie (célibataires, en relation libre…) sur le plan de l’héritage et de la fiscalité. L’adoption du « mariage pour tous » n’est donc qu’une étape, aussi importante qu’elle soit, dans la lutte contre les oppressions sexuelles.

Amalgames

En quoi a donc consisté la manœuvre du journaliste malveillant de StreetPress ? Ce dernier a d’abord mis au rancard la plus élémentaire déontologie journalistique, en associant nos propos tronqués et grossièrement résumés à la prose tout aussi caricaturée de Houria Bouteldja. Il évoque notre « notoriété certaine dans les milieux anti-impérialistes » – emphase pour le moins étonnante puisqu’elle porte sur les auteurs d’un ouvrage au tirage modeste.

Dans la mise au point de d’Angelo, celui-ci en rajoute une couche en évoquant des « propos qui craignent comme une blague antisioniste de Dieudonné » et un « titre [“Les Féministes blanches et l’empire‘] très soralien ’.

Qu’est-ce qui permet à d’Angelo d’associer le funeste Alain Soral à notre travail ? En cherchant un peu, on découvre qu’Alain Soral a écrit un ouvrage intitulé ‘Comprendre l’Empire’. Pour ajouter l’injure à l’offense, c’est sans doute la présence du mot ‘ empire ’ dans les deux titres qui nous vaut d’être si facilement mis dans la mauvaise compagnie de Soral.

A partir de cet honteux amalgame, on peut se demander si le philosophe communiste Toni Negri doit lui aussi se considérer d’extrême droite pour avoir utilisé le terme Empire comme titre de son magnum opus… Sans aucun rapport avec Negri – et sans aucun lien concevable avec Alain Soral – notre ouvrage entend apporter un éclairage historique sur le mouvement féministe à partir de la catégorie d’impérialisme.

Cette odieuse confusion entre nos thèses et celles de Dieudonné ou Soral n’a qu’un seul but : échafauder aux yeux d’une large audience un ennemi imaginaire composite qui permettrait de salir ‘ une partie de l’extrême gauche ’ et ‘ les milieux anti-impérialistes ’ et qui, en substance, cautionnerait une homophobie culturaliste.

A l’instar du journaliste de StreetPress, on peut souligner que son article paraît alors que ‘ la France débat du mariage pour tous ’. Il n’est pas anodin que celui-ci alimente le fantasme d’une homophobie émanant des ‘ milieux anti-impérialistes ’ alors que la fronde contre le mariage pour tous est massivement menée par les groupes catholiques intégristes et par la droite dure. Comment ne pas voir que cette basse manœuvre brouille d’autant plus les coordonnées du combat politique, et dessert celui pour l’égalité des droits ?

Un débat légitime

Si l’on prend la peine de lire le chapitre incriminé de notre livre, on se rendra compte sans peine que nos intentions étaient transparentes et diamétralement opposées à toute homophobie :

‘Il est nécessaire de saisir la complexité des sexualités dans le monde au-delà de la binarité homo/hétérosexualité tout en prenant en compte l’émergence de communautés lesbiennes, gays ou transgenres dans les pays du Sud et la répression des Etats à l’encontre des pratiques homoérotiques.’

Les objectifs de notre livre peuvent se résumer ainsi : comprendre comment les pouvoirs réactionnaires occidentaux ont pu réinvestir des mots d’ordre que nous jugeons profondément émancipateurs. La réponse que nous avons cherché à formuler, c’est que les forces émancipatrices (féministes, mouvements LGBT) ont fait des choix stratégiques contestables à travers leur histoire, qui permettent aujourd’hui à un large spectre politique de reprendre à leurs comptes les ‘ droits des femmes et des homosexuels ’ pour stigmatiser les quartiers populaires, les pays musulmans et africains.

Dans ce cadre, nous avons critiqué l’action de solidarité internationale menée par les groupes LGBT hégémoniques. Ces opérations de solidarité constituent en effet un pan essentiel de l’activité de ces groupes, comités, associations LGBT en Occident. Il est à cet égard bien malhonnête de prétendre que selon nous, ‘ l’identité homosexuelle ne serait pas adaptée aux pays musulmans ’. Nous ne somme pas anthropologues ou historiens du Maghreb, du Liban ou des Philippines. Il est avant tout question pour nous de l’action du mouvement LGBT européen (et plus particulièrement en France).

Notre essai ne se prononce pas sur la situation précise de ces pays ni ne prétend décrire les identités sexuelles (ou l’absence d’identités) dans différentes aires culturelles mondiales. Le chapitre de notre livre reprend une idée qui est aujourd’hui largement admise par les anthropologues et dans les débats des mouvements LGBT et queer à l’échelle internationale.

Identités

L’identité homosexuelle – comme l’identité hétérosexuelle – n’est pas donnée en tous temps et en tous lieux. Elle n’a pas partout les mêmes formes d’expression ni ne suscite les mêmes jugements, les mêmes préventions ou la même répression. Les pratiques sexuelles entre personnes de même sexe ne sont, pour de nombreuses sociétés, pas même considérées comme relevant d’une identité (lesbienne, gay ou bi), un mode de vie, un militantisme.

Pour complexifier encore le tableau, une même société peut contenir plusieurs visions concurrentes des pratiques et identités sexuelles, réparties selon les groupes sociaux, les classes sociales, les courants intellectuels, les instances de pouvoir, etc. Dans ce cadre, chaque région du monde, chaque pays, chaque aire culturelle, relèvent de situations particulières. La solidarité avec les victimes de la répression des sexualités mérite donc des analyses et des réponses politiques adaptées.

Ce que nous dénonçons, c’est la manière dont la solidarité internationale est envisagée uniquement à partir de l’action des associations, ONG, instances internationales de droits humains, financés par les puissances économiques mondiales, de grandes entreprises et de riches fondations. Nous dénonçons le fait que ces instances et organisations (de l’ILGA à Human Rights Watch) définissent leur solidarité sous le seul prisme des ‘ identités sexuelles ’ – et de certaines identités bien précises, celles dans lesquelles se reconnaît le mouvement gay (et en partie lesbien) d’Europe et des Etats-Unis.

De ce point de vue, nous ne sommes ni coupables de ‘ relativisme culturel ’, ni d’‘essentialisme’ et encore moins d’homophobie. Le relativisme culturel, c’est précisément ce dont se montrent coupables celles et ceux qui s’obstinent à envisager la solidarité internationale contre la répression des ‘ sexualités ’ comme une solidarité qui se jouerait exclusivement avec des personnes adoptant une ‘ identité sexuelle ’ et plus précisément, des identités qui ont des aspects similaires aux communautés gays et lesbiennes d’Europe de l’Ouest et des Etats-Unis.

Quelle solidarité internationale ?

C’est justement parce que la solidarité internationale compte pour nous que nous considérons qu’elle ne peut pas se faire au nom d’une population réprimée qui n’en choisirait pas les termes. Par exemple, une population qui ne se considérerait pas nécessairement comme gay, lesbienne ou bisexuelle, qui n’aurait pas appelé les organisations internationales des droits humains des gays et lesbiennes à leur secours, qui ne leur auraient pas demandé de constituer et de financer des groupes de solidarité à leur place.

Comment mener la solidarité internationale sans imposer des identités et des grilles d’analyse inappropriées aux contextes locaux ? C’est une question qui reste ouverte. Encore faut-il bien vouloir la poser.

Depuis la parution du papier de StreetPress, on ne compte plus celles et ceux qui s’inquiètent du sort des ‘ LGBT arabes ’. En revanche, quand nous avons participé à organiser l’une des rares venues à Paris de militant(e)s queer palestinien(ne)s afin qu’ils et elles parlent pour eux et elles-mêmes, la soirée n’a réuni au plus que 70 personnes au premier étage d’un café de Belleville. Où étaient tou(te)s ceux et celles qui aujourd’hui s’enquièrent tant des queer arabes et veulent nous clouer au pilori ?

Source

“Les féministes blanches et l’empire”

Félix Boggio Éwanjé-Épée

est étudiant en philosophie et membre des comités éditoriaux de ContreTemps et de RdL, La Revue des Livres

Stella Magliani-Belkacem

travaille aux éditions La fabrique. Ensemble, ils ont contribué à Contre l’arbitraire du pouvoir (2012) et ont coordonné Race et capitalisme (Syllepse, 2012)

Présentation

Depuis la loi dite « sur le voile à l’école » de réelles fractures sont apparues entre les différentes composantes du mouvement féministe pour aboutir à des clivages profonds en termes de mots d’ordre, d’actions et de mobilisations. Dans le même temps, l’offensive raciste s’est affermie, greffant à sa rhétorique la question des « droits des femmes ». Il est de plus en plus courant d’analyser ce virage en terme d’« instrumentalisation du féminisme à des fins racistes ». Ce livre entend précisément interroger et discuter cet énoncé.
L’idée qu’un mouvement social, une politique d’émancipation, puissent être simplement utilisés, ou récupérés par l’ordre existant pour renforcer son discours rencontre bien des limites. Comment expliquer que la réaction ait pu soudainement se parer de vertus « féministes », elle qui a toujours été si hostile aux mouvements féministes, elle qui est si prompte à défendre le patriarcat ? Pour comprendre ce tournant, il faut envisager la chose non comme une simple « récupération » ou « instrumentalisation » mais plutôt comme une convergence d’intérêt, comme une affinité entre les objectifs, à court ou moyen terme, de larges franges du féminisme et du pouvoir raciste et impérialiste, à des moments historiques précis.

C’est dans cette perspective que les auteur-e-s de ce court essai entreprennent une généalogie des stratégies féministes : non pas une histoire détaillée, mais plutôt un coup de projecteur sur des situations historiques où la question raciale et/ou coloniale s’est trouvée au cœur du discours des féministes. Les suffragettes et « la mission civilisatrice », le féminisme de la deuxième vague et, plus près de nous, l’épisode de la loi sur le voile à l’école ou encore celui de la solidarité internationale, constituent ces « moments » dont l’étude met à jour les logiques qui ont conduit certaines féministes à promouvoir leurs objectifs aux dépens des colonisé-e-s et descendant-e-s de colonisé-e-s.

Le livre propose une discussion stratégique sur le féminisme et le racisme, un récit des occasions perdues et de certaines faiblesses héritées que les mouvements progressistes doivent comprendre et dépasser pour inventer des futurs émancipateurs.

Bonnes feuilles:
“Les féministes blanches et l’empire” (de Félix Boggio Éwanjé-Épée & Stella Magliani-Belkacem)

Félix Boggio Éwanjé-Épée & Stella Magliani-Belkacem, Les féministes blanches et l’empire, Paris, éd. La Fabrique, 2012, 144 pages, 12 euros. 
Les bonnes feuilles sont à lire ou télécharger ci-dessus.

Spread the love

Laisser un commentaire