Un féminisme musulman 2.0 : “We ALL can do it!”

Par Malika Hamidi

Ces dernières années, un intérêt croissant ne cesse de se manifester autour d’un thème incontestablement politique en Belgique : la politisation du corps des femmes musulmanes à travers la visibilité du foulard dit « islamique » dans l’espace public, et souvent considéré comme un affront voire une menace pour les valeurs occidentales.
Depuis plus de 20 ans, les discussions toujours recommencées et non abouties sur la « politisation du voile » [1] émanent d’une longue histoire dans la politique européenne. Le corps des femmes relève d’un champ de bataille en temps de crise, notamment dans le contexte actuel marqué par la prééminence du fait ethnique et religieux.

Un féminisme musulman 2.0 : “We ALL can do it!”
En effet, la question raciale et religieuse, éminemment politique, oriente les formes de mobilisations et d’actions sociopolitiques des femmes dites « racisées » et de foi musulmane.
C’est dans ce contexte politique post 11.9 délétère et exacerbé à l’endroit de l’islam que l’on voit émerger un nouveau profil de femmes à la fois féministes et musulmanes, dont la rhétorique déroutante, inquiétante et pourtant inclusive va contester la normativité d’une pensée féministe dominante en Occident.Pourtant, c’est bien cette identité de femmes « hybrides » et subversives qui inspire une génération de musulmanes aujourd’hui. Des femmes qui ont choisi d’être, autonomes et libres face à un système inégalitaire qui les minore, qu’elles dénoncent et défient dans une démarche critique, déterminée et dans la persistance du dialogue.Dès lors, elles s’approprient une légitimité sociale, politique et religieuse tout en faisant voler en éclat cette « sagesse conventionnelle » à laquelle on voudrait les assigner.
Dans « Un féminisme musulman, et pourquoi pas ? [2] » (préfacé par Alain Gresh ) réedité le 5 mars 2020, nous nous attachons d’une part à actualiser l’histoire et la mémoire de ces mouvements, tout en revenant sur les enjeux politiques, religieux et conceptuels qu’elles posent sur le terrain académique, religieux et de la société civile.
D’autre part, l’ouvrage ambitionne de mettre en lumière celles et ceux qui portent cette lutte, et qui se sont approprié des espaces de contestation et de négociation des sphères religieuses jusqu’au sein des mouvements féministes dits mainstream.
Tout comme le féminisme contemporain en Occident, les féminismes musulmans sont traversés par différents courants de pensée et portent un discours depuis des décennies. Mais ce n’est que très récemment que ces mouvements sont rendus visibles dans les médias francophones au sein desquels résonnent les revendications de ces militantes d’un nouveau genre. Au cours des dernières décennies, elles apportent leur contribution à cette révolution et ce décentrage théorique et pratique, tout en amorçant un virage sans précédent vers la diversité.
Ces dernières années, l’appareillage conceptuel sous-jacent au féminisme musulman a offert à la pensée féministe et à chacune d’entre nous la possibilité de s’interroger sur ses propres angles morts. Il est incontestablement devenu l’un des termes vedettes qui mobilisent au cœur des associations de femmes musulmanes, car il est plutôt dépolitisé, proactif tout en permettant une approche non binaire et plutôt solidaire entre femmes d’horizons divers, tout en restant en phase avec notre époque empreinte d’hybridités identitaires.Ces 5 dernières années, nous assistons véritablement à l’émergence d’un post-féminisme musulman qui s’est traduit par la maturation politique et intellectuelle des femmes musulmanes sur le plan des idées, et qui a ouvert de nouvelles fenêtres d’espoir dans cette quête de liberté au-delà de la nécessité de mobiliser le référentiel religieux. Elles ne sont plus « prisonnières » de la prééminence de leur identité religieuse qui selon certaines polarisent et s’engagent dans la promotion d’un « féminisme musulman 2.0 » qui s’intéresse à la solidarité intersectionnelle avant tout. Elles militent en faveur d’un mouvement féministe plus inclusif et prometteur, reconnaissant la diversité constitutive des femmes par-delà les frontières ethniques, religieuses, raciales et sexuelles.Désormais, le féminisme musulman est partout et accessible à tous grâce aux nouvelles technologies et en particulier grâce à internet. Nous sommes véritablement face à une nouvelle vague émancipatrice se réclamant du 2.0. Les féministes musulmanes 2.0 promeuvent des systèmes de communication indépendants et gagnent une véritable visibilité via les réseaux sociaux et internet. Cette nouvelle forme d’empowerment digitale et féministe permet de dépasser toutes formes de censure médiatique, elles s’autonomisent et ne dépendent plus des médias mainstream qui ne leur accordent que peu de place dans leurs lignes éditoriales. Ces activistes féministes musulmanes du début du 21ème siècle ont créé ce féminisme musulman 2.0, moderne, audacieux et accessible à tous hommes et femmes, musulmans ou pas.
Aujourd’hui, elles contribuent à l’histoire de la résistance des femmes, révolutionnent la perception collective de l’image stéréotypée des femmes musulmanes et promeuvent une révolution de la solidarité. Un combat au-delà de l’appartenance religieuse, une dépolitisation de la question des femmes musulmanes afin de repolitiser ce « Nous les femmes » à l’épreuve du temps et des identités et à l’aune d’un « FÉMINISME MUSULMAN 2.0 »
Frantz FANON disait que « la grande confrontation ne pourra être indéfiniment reportée ». Souhaitons que ce mouvement de femmes produise une confrontation salutaire d’idées et de croyances qui ouvrira des horizons d’espoirs et de solidarité entre toutes femmes éprises de justice.

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[1]Françoise Lorcerie, dir., la politisation du voile en France, en Europe et dans le monde arabeParis, Éd. L’Harmattan, 2005, 266
[2] Phrase désormais mythique de Christine DELPHY prononcée le 4 février 2004 au Trianon lors d’ une intervention dans le cadre du Collectif  » Une école pour toutes et tous »

2.0 Muslim feminism: “We can all do it”

Tuesday, 22 December 2020
This is an opinion article by an external contributor. The views belong to the writer.

In recent years, there has been a growing interest in an undeniably political theme in Europe: the politicization of Muslim women’s bodies through the visibility of the so-called “Islamic” headscarf in the public space, which is often considered an affront or even a threat to Western values.

As mentioned in my previous opinion piece, Headscarf ban: Belgian Muslim women are resisting in order to free themselves, and for more than 20 years now, the endlessly repeated and unsuccessful discussions on the “politicization of the veil”[1] have had a long history in European politics. Women’s bodies are a battleground in times of crisis, especially in the current context of ethnic and religious pre-eminence.

Indeed, the racial and religious question, which is eminently political, guides the forms of mobilization and socio-political actions of so-called “racialized” women of the Muslim faith.

In this deleterious and exacerbated post-9.11 political context towards Islam, a new profile of both feminist and Muslim women is emerging, whose confusing, disturbing and yet inclusive rhetoric will challenge the normativity of a dominant feminist thought in the West.

Yet this identity of “hybrid” and subversive women indeed inspires a generation of Muslim women today: women who have chosen to be politically and religiously autonomous and free in the face of an unequal society that undermines them, whom they denounce and challenge in a critical, determined and persistent dialogue.

From then on, they acquire social, political and religious legitimacy while shattering the “conventional wisdom” to which one would like to assign them.

In “A Muslim feminism – and why not?”[2] (preface by Alain Gresh), which was reissued last March 2020, we are committed to updating the history and memory of these movements, while returning to the political, religious and conceptual issues they raise in the academic, religious and civil society fields.

On the other hand, the book aims to shed light on those who carry this struggle, and who have appropriated spaces for contestation and negotiation from the religious spheres to the so-called mainstream feminist movements.

Like contemporary feminism in the West, Muslim feminisms have been crossed by different currents of thought and have conveyed ideas for decades. However, it is only very recently that these movements have been made visible in the French-language media, where the demands of these activists of a new kind resonate. In recent decades, they have contributed to this theoretical and practical revolution and shift in focus, while at the same time initiating an unprecedented shift towards diversity.

In recent years, the underlying conceptual framework of Muslim feminism has given feminist thought and each of us the opportunity to question our own blind spots. It has unquestionably become one of the fashion terms that mobilize the heart of Muslim women’s associations, as it is rather (de)politicized and dynamic while allowing a non-binary and rather solidarity-based approach between women from different backgrounds, as well as remaining in tune with our era marked by identity hybridities.

Over the last 5 years, we have truly witnessed the emergence of a Muslim post-feminism which has resulted in the political and intellectual maturation of Muslim women in terms of ideas, and which has opened new windows of hope in this quest for freedom beyond the need to mobilize the religious frame of reference.

They are no longer “prisoners” of the pre-eminence of their religious identity, which according to some polarizes and engages in the promotion of a “2.0 Muslim feminism” that is above all concerned with intersectional solidarity. They advocate for a more inclusive and promising feminist movement, recognizing the constitutive diversity of women across ethnic, religious, racial and gender boundaries.

Today, Muslim feminists in Europe are contributing to the history of women’s resistance, revolutionising the collective perception of the stereotypical image of Muslim women and promoting a revolution of solidarity.

A struggle beyond religious affiliation, a depoliticization of the issue of Muslim women in order to repoliticize this “Us, women” in the face of time and identities and in the light of a “2.0 MUSLIM FEMINISM”.

Frantz FANON said that “the great confrontation cannot be postponed indefinitely”. Let us hope that this movement of women will produce a salutary confrontation of ideas and beliefs that will open up horizons of hope and solidarity among all women who love justice.

[1] Françoise Lorcerie, La politisation du voile en France, en Europe et dans le monde arabe [Politicization of the veil in France, in Europe and in the Arab world], Paris, Ed. L’Harmattan, 2005, 266

[2] Sentence now mythical from Christine DELPHY, pronounced on February 4, 2004 at the Trianon during an intervention within the framework of the Collective “A school for all boys and girls”.

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