L’aide au passage n’est pas un délit!

Il faut le rappeler avec force, sans les solidarités intra-communautaires les migrants sont les proies d’opérations de persécution continues de la part de la police. Luttons contre la criminalisation de la migration et de l’aide au passage. Par le Comité Mawda – Justice et Vérité; le Groupe Montois de soutien aux Sans-Papiers; Refugee Women’s Centre; Solidarity is not a crime.

Morts aux espaces-frontières 1999-2020
Morts aux espaces-frontières 1999-2020

Ce 3 mars a eu lieu une perquisition à l’Hôtel Flambeau (hébergement solidaire, Woluwe Saint-Lambert). Un résident sans-papier de l’hôtel a été arrêté dans la région d’Anvers et il a immédiatement été accusé de « trafic d’êtres humains ». Lors de la perquisition, les policiers ont trouvé une liasse de billets dans sa chambre, preuve évidente pour eux comme pour le parquet d’Anvers qu’il est un « trafiquant d’êtres humains ». Le même jour, a eu lieu une autre perquisition, pour les mêmes raisons, dans un autre lieu d’hospitalité, à la Ruche à Gembloux. Ces dernières semaines, c’est plus d’une centaine de personnes « transmigrantes » qui ont été arrêtées sous ce motif-là dans des embuscades menées par la police/Medusa sur les aires d’autoroutes. Et chaque fois c’est la personne qui referme la porte sur ses camarades qui se retrouve inculpée de « trafic d’êtres humains ». Le lendemain, le jeudi 4 mars, à Froyennes (près de Tournai), plusieurs camps de migrants ont de nouveau été démantelés par la police fédérale. La gare et le pont de l’autoroute ont été pris pour cible de la police. Encore plus gravement. Le 29 octobre 2020, quatre kurdes sont morts lors d’un naufrage dans la Manche, un couple et deux de leurs enfants, un autre enfant du couple, un bébé de 15 mois, est porté disparu depuis lors. En septembre 2020 c’était à nouveau une jeune maman kurde irakienne qui avait perdu son bébé, mort-né des suites d’une intervention policière sur la plage d’Oye près de Calais. Le 4 mars, 42 migrants ont été secourus à bord d’un bateau au large de Dunkerque. Le 8 mars, 14 migrants syriens ont dû être secourus du côté français et 50 autres ont été interceptés côté anglais. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson a alors déclaré que le Royaume-Uni ferait « tout » ce qu’il pourrait contre les « gangs criminels sans pitié qui font de gens vulnérables leurs proies en facilitant ces dangereux voyages ».

Depuis 1999, 296 personnes recensées sont mortes sur la frontière entre l’Angleterre, la France et la Belgique. Pour la seule année 2020, 10.000 tentatives de traversées de la Manche sur des embarcations de fortune ont été recensées.

Ces chiffres, probablement bien en-dessous de la réalité, indiquent pourtant quelque chose de la violence d’une situation bien plus profonde qui s’apparente à un crime contre l’humanité. Les frontières se referment sur les migrants qui tentent de rejoindre le Royaume-Uni, elles s’épaississent. Les polices française, belge et anglaise les refoulent dans la Manche, dans les ports, sur les aires d’autoroutes, dans les gares. La police les gaze, détruit leurs tentes, leurs sacs de couchage à Grande-Synthe, à Tournai, à la gare du Nord, à Calais, etc. Et comme pour doubler la peine et légitimer ces opérations de chasse à l’homme, l’Etat, depuis un certain temps, entretient cette logique diabolique visant à faire passer pour des criminels des personnes consentantes et solidaires dans la misère, alternant la prise de risque et échangeant leurs services pour savoir qui restera en arrière, qui refermera les portes du camion qui mènera peut-être les autres vers l’Angleterre. A chaque fois les personnes « transmigrantes » servent de boucs émissaires toutes trouvées pour que ce système perdure. Elles sont ainsi utilisées pour invisibiliser les responsabilités politiques, pour cacher les crimes et les violences d’Etat.

Plusieurs audiences importantes dans les tentatives de criminalisation de l’aide au passage vont avoir lieu : le 17 mars prochain à Liège, rendu du jugement dans le volet « trafic des êtres humains » de l’affaire Mawda ; les 23 et 24 mars à Bruxelles, audiences du procès dit de la solidarité mais aussi un second procès contre 10 Soudanais ; le 17 avril à Bruxelles aurait lieu un nième procès contre des migrants Soudanais. Comme l’écrit Justice is not a crime : « La traque aux migrants menée par le gouvernement belge a deux facettes : l’une policière (Opérations Médusa, rackets, harcèlements, tabassages, meurtres – de Mawda Shawri, Ilyes Abbebou et Mohamed Khamisse Zacharia); et l’autre judiciaire, avec la tenue de nombreux procès les accusant de « trafic d’êtres humains » et les condamnant à de lourdes peines.Ces procès de la migration passent le plus souvent inaperçus. Ils s’appuient sur des enquêtes menées exclusivement à charge en ignorant les éléments disculpants, instrumentalisent les victimes, généralisent les contre-sens de traduction en décontextualisant les passages incriminés dans les enregistrements, ignorent sciemment le fonctionnement des réseaux de passeurs, profitent de l’indifférence des avocats commis d’office qui ne défendent presque jamais leurs clients dont ils ne comprennent souvent pas la langue. Ces procès ont pour but de terroriser les migrants pour décourager leurs passages par la Belgique, … »

Construction de la figure du « passeur » comme criminalisation de la migration

Depuis 30 ans, les Etats membres et l’UE ont systématiquement restreint les possibilités de migrer et d’immigrer légalement. A travers la convention de Schengen (1990), puis à travers le protocole de Sangatte (1991), l’Immigration Act (1999), les différents accords belgo-franco-britanniques, on assiste à l’externalisation du contrôle de la frontière britannique sur le sol français et belge. Depuis les frontières n’ont eu de cesse de s’étendre : Tunnel sous la Manche, gares TGV, port de Calais, Sangatte, Grande-Synthe, gare du Midi, gare du Nord, aires d’autoroute, port de Zeebrugge, parc Maximilien, etc. De hauts grillages, des systèmes de détection des franchissements, de la vidéo surveillance, des sondes à gaz carbonique, des fils barbelés en forme de lames de rasoirs, des drones, des opérations de police de chasse aux migrants, etc. ont été déployés traçant le territoire d’une zone létale pour les migrants.

Dans la même séquence, l’Union européenne a mené une politique d’harmonisation de la législation de ses États membres en la matière, notamment par le biais de la Convention de Schengen du 19 juin 1990 et par la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers. En Belgique, les règles de base applicables en la matière sont décrites dans la loi du 15 décembre 1980 et dans l’arrêté royal d’exécution du 8 octobre 1981. L’article 77 de cette loi punit « quiconque [qui] sciemment assiste un étranger […] dans […] son entrée illégale ou son séjour illégal dans le Royaume […] » à une peine de huit jours à trois mois et d’une amende de 1700 € à 6000 €. Cette législation a été durcie en 1995, par la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la « répression de la traite des êtres humains » et de la pornographie enfantine qui a introduit des peines plus lourdes pour lutter contre la « criminalité organisée ». Le 02/09/2005, une nouvelle loi est adoptée définissant distinctement le « trafic d’êtres humains » (art.77bis de la loi sur les étrangers).

Cette politique de criminalisation de la migration (« crimmigration » Stumpf, 2006) par la construction de la figure pénale du « passeur » en cours depuis le milieu des années 1990 s’est accélérée ces dernières années. Dans le plan national de sécurité (PNS) 2016-2019, le phénomène du « trafic d’êtres humains » est défini comme « le fait de passeurs qui tentent d’obtenir un avantage patrimonial en organisant le transit ou le séjour irrégulier d’une personne sur le territoire de l’UE. Les victimes du trafic sont donc uniquement des personnes extérieures à l’Union Européenne ». Le cadre policier Medusa (novembre 2015, « Note de politique générale », Théo Francken) considère quant à lui la « transmigration » comme une « menace à la sécurité nationale ». Ce cadre opérationnel s’inscrit dans une forme globale de gouvernementalité de la migration : « La police administrative maintiendra, concernant le volet migration, une forte pression en termes de contrôles, à travers des opérations ciblées ou plus générales. Dans ce cadre, les points de passage utilisés seront identifiés de manière à ne laisser aucun répit aux trafiquants. Les victimes de formes aggravées de trafic seront identifiées et orientées vers les services adéquats ; la situation des mineurs sera suivie de très près. Les auteurs de trafic feront en permanence l’objet de poursuites et de condamnations, notamment à travers des mesures de confiscation et des enquêtes financières (…) la détection et la traçabilité des flux financiers sont essentielles pour poursuivre les organisations criminelles et les priver des moyens financiers issus de leurs activités. » (Plan national de sécurité). Cette gouvernementalité sécuritaire de la migration pensée sous le paradigme de la « lutte contre le trafic d’êtres humains » doit alors être lue comme une formalisation extrême de racisme d’Etat à l’échelle européenne. Le plan d’action opérationnel européen est EMPACT Facilitated Illegal Migration et vise à « perturber » l’action des « groupes criminels organisés » qui « facilitent l’immigration illégale en fournissant des services d’aide aux migrants en situation irrégulière le long des principales routes migratoires traversant la frontière extérieure de l’UE et au sein de l’UE ». Depuis 2010 via son programme EMPACT, l’UE traite la migration sous le prisme de la « criminalité organisée internationale ». C’est dans ce cadre que la Police fédérale belge participe à un groupe de travail « transmigration », mis en place par le Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration. Des enquêtes communes sont par ailleurs régulièrement organisées avec les pays frontaliers. Ces opérations de contrôles communs sont organisées au niveau européen sur base des analyses d’Europol et de Frontex. Cette lutte européenne contre la « mobilité illégale transnationale » de personnes s’est donnée comme objectif principal d’ « entraver » le plus possible les possibilités de transport utilisées par les migrants, afin de rendre la migration impossible.

Les victimes qui meurent sur les routes de l’Europe, assassinées ou volontairement abandonnées, n’émergent alors plus que comme les dommages « collatéraux » de cette lutte transnationale contre le « trafic d’êtres humains ». On se souvient de la tragédie de l’Essex : en octobre 2019, 39 migrants vietnamiens furent retrouvés morts dans un camion frigorifique, près de Londres au départ de Zeebrugge. Avant de monter dans ce camion transformé en tombeau, plusieurs victimes avaient séjourné à Anderlecht pendant quelques jours en toute connaissance de cause des polices néerlandaise et belge. Que ce soit avec cette catégorie de la « transmigration » (qui renvoie à la problématique du trafic de drogue), ou avec ces opérations de filature transfrontalière (Hermès/Pèche-Melba) au cours desquelles Mawda a été assassinée et où un trop grand nombre de migrants trouvent la mort, on constate que dans le démantèlement de filière ceux-ci sont réduits au statut de cargaison, et leur vie réduite au statut de marchandise, dont on peut perdre une partie du chargement dans la plus grande impunité.

Myria, rouage essentiel du racisme d’Etat

Dans l’activation de cette forme criminelle de gouvernementalité de la migration, Myria en tant qu’agence de l’Etat y joue un rôle central. En effet, l’agence Migration se porte partie civile dans un nombre important de procès pour « trafic des êtres humains » sur base de la loi du 13 avril 1995 et de 2005. A Liège pour l’affaire Mawda comme à Termonde ou à Bruxelles pour le procès de la solidarité ou contre des Soudanais, Myria a joué un rôle essentiel. Dans le dossier de Termonde, Myria s’était constituée partie civile contre neuf des douze prévenus. Il estimait en effet que les trois autres (trois des quatre hébergeurs de migrants) ne s’étaient pas rendus coupables de « trafic d’êtres humains », n’ayant perçu personnellement aucun avantage patrimonial.

A Liège six personnes se retrouvent sur le banc des accusés pour « trafic des êtres humains ». Il s’agit de six jeunes kurdes irakiens pris dans le même exil que les parents de Mawda, qui fuient la même guerre et les mêmes destructions. Mais pour Myria si dans la fourgonnette se trouvaient de nombreuses victimes de « trafic d’êtres humains » kurdes, il estime que six d’entre elles sont des « passeurs ».  

Pour l’agence Migration de l’Etat, les présumés « passeurs » et le « conducteur » ne bénéficient pas de la présomption d’innocence, principe dont le tribunal de Mons avait pourtant rappelé, dans le prononcé de son jugement en première instance à l’endroit du policier, qu’il se trouvait au fondement du système pénal belge. Les éléments de poursuite instruits à Mons sont pris à Liège comme des faits établis. Par exemple, ladite « embardée » qui aurait causé la crampe du policier responsable du tir qui n’a pu être clairement établie dans le dossier de Mons (les témoignages du co-équipier laissant planer un doute important sur la concomitance de cet événement avec le tir) est pourtant pris comme un fait à Liège. Les plaidoiries de Myria à charge des migrants kurdes irakiens auxquelles nous avons pu assister à Liège développent un racisme pénal tout droit hérité de l’anthropologie criminelle d’un Cesare Lombroso ou d’un Louis Vervaeck. En effet, le rôle joué par cette agence d’Etat Migration, présente en tant que partie civile, est bien de construire des criminalités sur base de profils de dangerosité : « les Irakiens sont bien connus des services de police ». Pour fabriquer cette anthropologie criminelle, ce dont nous avons été témoins à Liège que ce soit dans les plaidoiries de Myria ou dans la presse, c’est de l’usage d’un certain nombre de mots d’ordre puissants (« trafic des êtres humains », « filière mafieuse », « cruauté » « menaces », etc.) qui fonctionnent comme autant de signifiants vides, utilisés pour produire une intensité affective. Cette grammaire d’Etat est alors systématiquement remplie à charge des migrants ; elle produit une sorte de voile idéologique qui recouvre les réalités des passages et des solidarités communautaires sans lesquelles, les migrants ne pourraient tout simplement pas survivre en Europe. Ce brouillard idéologique produit un second effet, fort commode dans ce dossier comme dans tant d’autres, il invisibilise la responsabilité de l’Etat dans le contexte de chasse aux migrants, c’est-à-dire dans la mise en place des politiques qui visent à les prendre pour cible sur la E42, sur la E19, à la gare du Nord à Bruxelles et dans le parc Maximilien, sur la E40, sur la A16 (L’Européenne), dans le port de Zeebrugge, à Grande-Synthe, dans la gare ou dans le port de Calais, dans la Manche ou dans les port de Folkstone et de Douvres. La grammaire de la « lutte contre le trafic d’êtres humains », comme celle de la « lutte contre le terrorisme » recouvre ainsi les violences et les crimes de l’Etat.

Les plaidoiries de l’agence Myria dans les tribunaux du pays ainsi que ces rapports constituent donc un plan de problématisation sécuritaire sur lequel le ministère public et les procureurs généraux peuvent ensuite s’appuyer pour étendre le volume de peine à l’encontre des migrants criminalisés pour aide au passage. Ce qui fait qu’en Belgique s’est développée une pénalité plus importante qu’en Angleterre et en France. Dans les rapports de Myria, pour la police, pour l’Office des Etrangers, pour les procureurs, les migrants ne sont humanisables que dans la mesure où ils sont considérés comme des victimes du « trafic des êtres humains » qui doivent construire avec l’Etat, pour la promesse d’un droit de séjour, la « dangerosité » supposée des « passeurs ». Entre les mains de l’Office des Etrangers, les migrants qui tentent de rejoindre l’Angleterre et qui sont arrêtés par la police belge ne sont des « victimes » qu’à l’unique condition qu’ils dénoncent d’autres migrants comme « passeurs » sous la menace d’une expulsion et la promesse d’un titre de séjour. Que valent des témoignages produits dans de telles circonstances ?  Rien sur le plan de la vérité mais ils permettent néanmoins à Myria de produire la réalité contre laquelle la police doit ensuite lutter.

Medusa pétrifie, cercle infernal

Lorsque la NV-A propose un projet de loi pour criminaliser comme « passeurs » tous les migrants qui montent à bord de camions pour l’Angleterre, la réaction de Myria n’est pas d’alerter sur les risques mortels, dans une situation déjà extrêmement criminogène, de ce type de radicalisation pénale. Non, la réaction de Myria concerne uniquement les craintes de se mettre à dos les migrants qui livreraient à la police, sous la contrainte, leurs camarades d’exil. Clairement, Myria est un rouage central et particulièrement cynique de ce racisme d’Etat nécropolitique à l’encontre des migrants. Ce type de mécanisme est parfaitement perceptible depuis l’affaire Mawda dans les auditions des témoins-migrants, qui ont probablement eu lieu en centre fermé, ou en détention (sous la menace d’un Ordre de Quitter le Territoire et la promesse d’un droit de séjour) : s’ils accentuent dans leurs témoignages le fait qu’ils ont eu peur de la conduite du chauffeur, alors cela veut dire que les « passeurs » et le chauffeur sont de dangereux criminels. On a affaire ici à une logique proprement diabolique qui a peu à envier aux procès en sorcellerie.

Cette anthropologie criminelle comme effet des politiques de chasse aux migrants, produit alors la figue du « passeur » sur le modèle du barbare, c’est-à-dire du « trafiquant professionnel » prêt à jeter des enfants sur la police. Evidemment lorsqu’on restitue l’exil des parents de Mawda ou de tous les autres migrants kurdes irakiens présents dans la camionnette cette nuit du 16 au 17 mai 2018 en dehors de ce brouillard d’Etat on comprend très vite qu’ils n’ont pas d’autres possibilités de migrations que de faire appel à des solidarités communautaires pour passer en Angleterre. Pas de « passeurs », pas de passage ! Il faut alors remettre la logique d’Etat sur ses pieds pour sortir de cette rhétorique hypocrite qui consiste à répéter dans tous les tribunaux du pays, dans tous les journaux, dans tous les plans nationaux de sécurité ainsi que dans tous les rapports de Myria que les « trafiquants d’êtres humains » sont « cruels », que ce sont de « dangereux criminels ». Cette criminalité est construite par les politiques de chasse aux migrants, dans les tribunaux et dans les rapports de Myria. Remettre cette politique d’Etat à l’endroit, c’est enfin décrire et tenter de restituer comment les politiques de fermeture des frontières et de criminalisation de la migration sont cruelles et dangereuses, en quoi ce sont ces politiques qui sont criminelles.

Procès de la solidarité 1, Liège 17 mars (rendu du jugement) 

En plus d’être pris dans cette logique policière et judiciaire d’Etat, les six jeunes kurdes irakiens poursuivis pour aide au passage sont victimes de la séparation du dossier entre le parquet de Mons et de Liège. Dossier éclaté qui joue exclusivement à charge des kurdes irakiens car ceux-ci se retrouvent jugés deux fois pour les mêmes faits. Au point que les acteurs judicaires du volet liégeois ne comprennent pas très bien eux-mêmes pourquoi ils héritent du dossier.

Alors que dans le jugement de Mons la circonstance aggravante de la mort de la petite Mawda sur l’entrave méchante à la circulation et la rébellion armée (la camionnette étant considérée comme « arme par destination ») a été retenue – bien que le présumé convoyeur a été acquitté faute de preuve (même si aujourd’hui le parquet de Mons a interjeté appel de cette décision) – lors des audiences à Liège la juge a demandé une requalification des faits. En effet, la petite étant morte des suites du tir de Monsieur Jacinto Goncalves, cette circonstance ne peut être imputée à la question du « trafic d’êtres humains ». Requalification des faits qui n’a jamais été demandée à Mons. Or si on suit cette logique judiciaire, les présumés « chauffeur » et « convoyeur » auraient dû être acquittés à Mons de toute charge dans l’incident de tir, ce qui n’a pas été le cas. Cette division du dossier, dont une commission d’enquête parlementaire devra établir les mobiles (quel magistrat ? sur quelle base ?), a eu comme effet principal, comme l’a bien montré Michel Bouffioux que l’on ne comprenne plus le sens des événements et de brouiller les logiques d’action ayant conduit à ce meurtre d’Etat (parquets, juges, policiers, gouvernement, etc.) afin d’empêcher de remonter la filière de responsabilité judicaire, policière et politique.

Nous sommes tous des « passeurs » !

Ce que les procès de Liège, de Termonde, de Bruxelles ont ouvert pour nous en terme de responsabilités politiques pour une commission d’enquête parlementaire à venir, c’est avant tout le rôle de Myria en tant qu’agence fédérale Migration dans la fabrication et le déploiement juridique de cette rupture raciste des solidarités communautaires entre « passeurs » et « victimes ». Cette politique incarcère et condamne de faux coupables, certes pour blanchir des policiers assassins mais plus structurellement pour refouler, pour faire disparaitre de notre attention critique une nécropolitique qui vise à rendre la survie des migrants sur la frontière entre l’Angleterre, la France et la Belgique littéralement impossible.

Pour défaire cette nécropolitique d’Etat, il faut rappeler encore et encore que sans ces solidarités communautaires qui se développent au cœur de l’exil depuis les situations de guerre et de destruction comme c’est le cas en Irak, les migrants ne pourraient tout simplement par survivre en Europe. Nous pouvons essayer de les accueillir plus ou moins dignement au sein de réseaux de solidarité citoyenne, nous demeurons cependant dans l’impossibilité de réduire les risques de mises en danger qu’ils subissent de la part de la police dans leurs tentatives de rejoindre l’Angleterre. Au-delà de la sensibilité aux victimes du « trafic d’êtres humains », ce procès, à Mons et à Liège, comme celui de Termonde ou de Bruxelles nous auront permis de développer une forme d’attention politique à d’autres formes de vulnérabilité et de destin dans l’exil que l’Etat ne nous présente pas comme « innocent ». L’aide au passage ne peut être considérée comme un délit, pas plus pour Cédric Herrou que pour les « hébergeurs » qu’à fortiori pour les migrants kurdes irakiens qui ont aidé la famille de Mawda ou ceux qui ont aidé d’autres camarades d’exil à passer en Angleterre moyennant rémunération.

Mercredi 17 mars à Liège, le tribunal devrait rendre son jugement dans le volet de l’affaire Mawda consacrée au « trafic d’êtres humains » à l’encontre de six migrants kurdes irakiens détenus depuis près de deux ans. Les 23 et 24 mars aura lieu le procès en appel de onze personnes poursuivies depuis 2017 pour trafic d’êtres humains et participation à une « organisation criminelle » pour avoir prêté un téléphone, un ordinateur ou une carte routière, et s’être ainsi rendues coupables d’actes de « complicité de trafic », avait soutenu le parquet en chambre du conseil. Concernant huit autres individus prévenus, dont les migrants qui ont été hébergés, le tribunal avait par contre prononcé des peines de 12 à 40 mois de prison, avec sursis pour plusieurs d’entre eux. Il avait conclu qu’ils avaient effectivement collaboré à un trafic d’êtres humains, en aidant d’autres migrants comme eux à monter dans des camions vers la Grande-Bretagne, sur des aires d’autoroute belges, en 2017. En janvier 2019, le parquet a décidé de faire appel contre toutes les dispositions de ce jugement.

On voit bien à Liège, à Mons, à Bruxelles, à Dendermonde comme à Dunkerque que cette attitude hypocrite qui vise à cantonner la solidarité à l’accueil et l’hébergement ne tient pas. D’ailleurs la NVA prépare un projet de loi qui considérera comme « passeur » toute personne qui monte dans un camion. Cette attitude morale soutenue par peur de la criminalisation de la part de l’Etat ne fait en réalité que renforcer les politiques de chasse aux migrants. Cette affirmation du caractère philanthrope et désintéressé de l’aide citoyenne est d’autant plus cynique quand on sait que les migrants bloqués du côté français ou belge de la frontière anglaise (Sangatte, Calais, Grande-Synthe, parc Maximilien, Tournai, etc.) sont littéralement persécutés par la police (destruction de tentes, de sacs de couchage, expulsions, passages à tabac, gazages, arrestations, etc.) et que à cause des politiques belges de refoulement des migrants à la frontière avec la France (opérations Medusa I et II), ils sont de plus en plus nombreux à prendre la mer au large de Dunkerque pour tenter la traverser de la Manche sur des embarcations de fortune. C’est au nom de ce cynisme que les migrants pris dans le procès dit des « hébergeurs » ont fait de la prison pour le compte de citoyens nationaux solidaires.

Il faut le rappeler avec force, sans les solidarités intra-communautaires les migrants sont les proies d’opérations de persécution continues de la part de la police. Nous, en tant que citoyens avec papiers, nous n’agissons que de façon relativement périphérique par rapport à ces réseaux de solidarité. Nous devons apprendre à résister au cynisme avec lequel les parquets, Myria et le gouvernement tente de faire une distinction entre aide philanthropique/humanitaire et aide financière. C’est pourquoi nous appelons toutes les personnes qui se sentent concernées par la criminalisation de la solidarité à venir ce 17 mars à Liège assister au rendu du jugement ainsi qu’à Bruxelles les 23 et 24 mars pour soutenir les citoyens solidaires avec et sans-papiers.

Solidarity Is Not A CrimeMedusa is A Crime against Humanity.

 

Comité Mawda – Justice et Vérité

Groupe Montois de soutien aux Sans-Papiers

Refugee Women’s Centre

Solidarity is not a crime

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