Meurtre de Lamine Bangoura : la matrice négrophobe de la violence policière.

Par Comité de soutien Lamine Bangoura

Le fantasme de l’expulsion d’un corps noir menaçant.

Victime d’un acharnement policier hors-norme, Lamine Moïse Bangoura est mort des mains de la police de Roulers le 07 mai 2018. Les faits doivent être rappelés ; non pas pour justifier l’injustifiable mais parce qu’il convient dorénavant de comprendre les mécaniques négrophobes conduisant aux décharges de violence meurtrière qui se sont abattues sur Lamine. Lorsque la police se rend chez Lamine Bangoura, il s’agit de l’expulser de son appartement en raison d’un impayé locatif de 1.500 euros. Ils viennent exécuter un jugement. Si au début de l’opération, ils ne sont que deux agents de quartier accompagnés du huissier et du serrurier, le nombre de policiers pour évacuer Lamine Bangoura de son appartement va rapidement s’élever à huit. Une première disproportion de l’arsenal policier est en train de se construire dès ce premier moment : qu’est-ce qui justifie cette démonstration de force ?  Huit policiers pour un seul homme qui ne présente aucun danger sérieux pour l’intégrité physique des personnes en présence. Dès ce moment, il est clair que la mission d’évacuation de départ se transforme en tout autre chose. Face aux corps noirs dont chacun des gestes est interprété comme une menace, il s’agit, non plus d’une action formelle (accompagner un huissier), mais d’opérations d’intimidation et d’humiliation s’imposant dans la situation à renfort d’uniformes.

07 juin 2020, BLM, Bruxelles © Teddy Mazina, photographe
07 juin 2020, BLM, Bruxelles © Teddy Mazina, photographe

Certains policiers auront déclaré au Comité P que Lamine Bangoura était muni d’une couteau (un couteau de cuisine). Son chien, selon d’autres déclarations faites au Comité, aurait également représenté une menace. En plus de revêtir un caractère menaçant relativement risible, eu égard à la force déployée, ces déclarations sont plus que douteuses. Un travail d’enquête alternatif et sérieux mené par les journalistes du Morgen (Douglas De Coninck et Samira Attilah) révèle que le chien est rapidement sorti des lieux (Lamine enferme son chien dans le jardin ; est-ce là un signe d’agressivité particulier ?). Et pour ce qui concerne le couteau, il y a selon les déclarations faites au comité P un couteau présent dans la pièce, mais les interactions verbales des policiers, enregistrées, ne font état d’aucune menace au couteau de la part de Lamine. Cependant le narratif de l’homme noir menaçant, furieux, et dangereux fonctionne. Il est une force performative dont il faut comprendre l’étendue non seulement en termes de justification (non-lieu/légitimation de la violence d’Etat) mais aussi en termes de perception et de pulsion raciste. Les policiers qui ont reçu l’ordre d’expulser Lamine Bangoura de son appartement, l’ont appliquée au sens littéral du terme. Les policiers semblent incapables de considérer Lamine Bangoura humainement par rapport à des problèmes temporels. La mission des policiers est hantée par le désir de l’expulsion : l’expulsion du corps noir hors de leur vue, hors de leur royaume, hors de leur aire de pouvoir. Outre que l’on est en droit d’y voir la remontée d’un désir profond ancrée dans l’histoire de la conquête coloniale, ce désir d’expulsion doit aussi être replacé dans son contexte actuel: Roulers est une commune qui, face à une immigration récente perçue comme le signe d’une invasion, a vu croître ces dernières années les scores électoraux du Vlaams Belang et de la NVA aujourd’hui majoritaires au conseil communal.

Les gestes négrophobes de la mise à mort.

Lamine Bangoura est mort asphyxié de la même manière que George Floyd. L’autopsie révèle une lésion au Larynx causée par une clé d’étranglement exercée au niveau du cou suite à laquelle les policiers ont effectué un plaquage ventral. Lamine Bangoura est menotté. Son corps est encerclé de colsons au niveau du torse et au niveau des jambes. Le corps de Lamine, dans toutes ses parties, est immobilisé telle une proie qu’il s’agit de mater. A cet effet, les policiers auront utilisé du matériel de déménagement ; le traitement qui est réservé à Lamine renvoie au rapport de chasse de l’homme à sa proie.  Les pressions exercées par quatre policiers au niveau du torse se poursuivent pendant d’interminables minutes. Lamine Bangoura meurt étouffé sous le poids des policiers. L’atmosphère qui règne au domicile de Lamine est cynique et puante de racisme. Les notions d’assistance à personnes à danger ne font plus partie de la scène. Au contraire, face à un corps inerte, fusent les paroles témoignant de la déshumanisation qui a lieu à ce moment-là: « Il fait semblant de mourir ». Lorsque l’ambulance arrive, Lamine est déjà mort.

Blanchiment judiciaire : les rouages de l’impunité.

Puis viennent les opérations de légitimation et de blanchiment de la violence raciale d’Etat. Les policiers sont auditionnés un mois après la mort de Lamine Bangoura. Ceci va à l’encontre des obligations procédurales découlant de la Convention européenne des droits de l’homme lorsqu’une intervention d’agents de l’Etat débouche sur un décès ; celles-ci prévoient en effet que les policiers doivent être entendus tout de suite. En outre, de manière tout aussi illégale, les policiers auront eu l’occasion de se concerter avant leur audition par le Comité P. Collusion de fonctionnaire et illégalisme. Le juge de la Chambre du Conseil de Courtrai, suivant l’avis du procureur, prononcera un non-lieu le 26 juin 2020. Des institutions convergent et coopèrent, explicitement ou implicitement, pour justifier les atteintes commises contre une vie noire, comme on le voit ailleurs à l’encontre des vies noires et arabes.

Le meurtre de Lamine Bangoura : la négrophobie postcoloniale au cœur des faits.

Pour saisir cette violence policière dans ce qui fait ses conditions production, il importe de saisir ce qu’est ce désir d’expulsion des corps noirs. Hors de question de résumer cette question de la violence policière en un simple : « les policiers sont tous des bruts ». L’on ne peut plus se satisfaire non plus d’une compréhension réductrice du racisme en termes de stéréotypes, de biais cognitifs individuels, du racisme pathologique de la personne, du policier, de la « pomme pourrie ». La théorie de la « pomme pourrie », comme l’indistinction de la brutalité d’un corps de police, masquent toute la mécanique d’engendrement d’une violence policière qui, du contrôle au faciès au meurtre, s’ancre dans la négrophobie tout en pouvant compter sur les rouages de l’impunité judiciaire.

Le racisme n’est pas juste une circonstance aggravante ; il se situe au cœur et à l’origine des faits. Sans en prendre la mesure, l’on ne peut que reproduire la violence sur les victimes en allant chercher chez elles et dans leurs vies, des circonstances atténuantes pour le meurtre policier. En articulation avec la violence policière, il est déjà contenu dans la qualification pénale des faits. Lorsque les policiers considèrent avoir perdu le monopole légitime de la violence par l’immanence de la subversivité du corps noir, s’en suit une double prise raciste par le juridique. S’enclenche, d’un côté, toute l’économique politique de suppression des charges à l’endroit des légitimes inculpés, cela très pratiquement par l’effet de la qualification d’ « homicide involontaire ». De l’autre côté, à l’endroit des corps noirs, depuis leur appréhension pathologisante (agent criminogène), s’enracine toute une série de charges, cette fois-ci, par l’effet de la qualification de « rébellion ». Ainsi, tout acte de survivance primaire du sujet noir est traduit au niveau pénal comme relevant d’une participation du défunt dans la technologie de mise à mort. Le défunt se retrouve pénalement, dans une équivalence relative, inculpé par des chefs d’accusation engageant sa responsabilité dans sa propre mort.

Dans une autre affaire récente (08 mars 2021), celle d’une infirmière soignante belgo-congolaise liégeoise brutalement agressée par des policiers alors qu’elle courrait après son bus après avoir apporté de premiers soins à une personne ayant fait un malaise dans la rue se jouent les mêmes séquences négrophobes : corps noirs menaçants plaqué au sol, pouvoir discrétionnaire (« J’ai de droit de faire ce que je veux moi, ici » dit l’un des policiers[1]), accusation morale (« Arrêtez, vous faites peur à vos enfants », dit l’un des policiers[2]) et retournement de la charge contre la victime (accusation de rébellion[3]).

En Belgique, le désir d’expulsion des corps noirs de leur terre est, colonialisme, historique. Il va vraisemblablement de pair avec, sur les terres de l’ancienne métropole, ce cauchemar ontologique : celui de l’effroi face à l’installation de corps noirs sur ces terres. La violence d’Etat raciste, 8 personnes pour un seul homme, est travaillée par ce cauchemar.

Lamine Bangoura ou le Georges Floyd belge : l’on pourrait tout aussi bien dire de Georges Floyd qu’il est le Lamine américain. Chronologiquement Lamine a été tué par la police avant Georges Floyd mais, surtout, la matrice d’expulsion des corps noirs, la matrice originelle qui s’est nourrie de théories raciales et de conquêtes impériales contre les terres africaines, elle, est européenne.

 

Montrons-nous, pour Lamine, à la hauteur des indignations suscitées par la mort de George Floyd !!!

 

 

[1] Des images filmées de l’arrestation ont circulé sur les réseaux sociaux.

[2] Des images filmées de l’arrestation ont circulé sur les réseaux sociaux.

[3] https://www.rtl.be/info/regions/liege/que-s-est-il-vraiment-passe-hier-sur-la-place-st-lambert-a-liege-la-femme-brutalement-plaquee-au-sol-parle-de-violence-policiere–1285164.aspx

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