Cher Romelu Lukaku, Et à tous les footballeurs professionnels,

         

  Bruxelles, 14 mars 2021                                                                        

« Plus Lukaku que Messi »

Pourquoi un article récemment publié par Laurence Wauters dans Le Soir au sujet de la mort de Lamine Bangoura relève du racisme auquel font face les Noirs et les Arabes en Belgique.

Cher Romelu Lukaku,

Et à tous les footballeurs professionnels,

C’est à vous frères Noirs et Arabes que nous adressons cette lettre.

Nous vous écrivons au sujet de Lamine Bangoura, ce jeune belgo-guinéen de 27 ans tué par la police à son domicile, le 07 mai 2018, pour un impayé de loyer. L’histoire de Lamine Bangoura et de sa famille est tragique et méconnue. Cette affaire mérite d’être mise en lumière et partagée un maximum.

Lamine Bangoura était footballeur comme vous, Noir comme vous. Selon les termes de Laurence Wouters, journaliste au sein de la rédaction du quotidien Le Soir, « physiquement, Lamine était plus Lukaku que Messi ».

Il aura fallu plus d’un an et demi au journal Le Soir[i] pour traiter de l’affaire Lamine Bangoura[ii], bien après que des journalistes du Morgen (Douglas De Coninck et Samira Atillah)[iii] s’en soient saisis en Flandre et plus de 6 mois (soit une éternité sur le temps journalistique) après la prise de parole du papa de Lamine, Jean-Pierre Bangoura, lors du rassemblement Black Lives Matter à Bruxelles le 07 juin 2020, aux côtés déjà du footballeur Pelé Mboyo et d’autres acteurs des mondes culturels et militants. Cet article du Soir intervient aussi de nombreuses semaines après les reportages de La Diaspora chuchote, puis de l’émission « Lamine Bangoura, le Georges Floyd belge »[iv], organisée par Olivier Mukuna et Cecilia Guypen.

Dans cet article daté du 19 février 2021, la journaliste du Soir Laurence Wauters utilise le cas de Lamine pour parler des carrières brisées dans le football[v], et réalise l’exploit de passer sous silence la problématique de la négrophobie présente à la fois dans l’affaire Bangoura et dans le monde du football.

Pour commencer, la thématisation dont le corps de Lamine fait l’objet dans ce papier n’est pas sans rappeler le passage de votre interview pour le média « Theplayerstribune.com »[vi]. Vous y racontiez l’anecdote suivante qui illustre parfaitement comment est perçu un corps noir :

« Quand j’avais 11 ans, je jouais pour l’équipe de jeunes de Lierse, et l’un des parents de l’autre équipe a littéralement essayé de m’empêcher d’aller sur le terrain. Il était comme : « Quel âge a ce gamin ? Où est sa carte d’identité ? D’où est-il ? ».  J’ai pensé, « d’où suis-je ? Quoi ? Je suis né à Anvers. Je viens de Belgique ».
Mon père n’était pas là, car il n’avait pas de voiture pour se rendre à mes matchs à l’extérieur. J’étais tout seul et je devais me défendre. Je suis allé chercher ma carte d’identité dans mon sac et je l’ai montrée à tous les parents, et ils la faisaient circuler en l’inspectant, et je me souviens que le sang coulait à travers moi … et j’ai pensé : « Oh, je vais tuer votre fils encore plus maintenant. J’allais déjà le tuer, mais maintenant je vais le détruire. Tu vas ramener le garçon à la maison en pleurant maintenant. »

Laurence Wauters poursuit sur cette même voie : « Physiquement, Lamine était plus Lukaku que Messi, et face à la grande pièce d’homme qui refusait de partir, les policiers avaient appelé du renfort – ils s’étaient retrouvés à huit autour de lui ». Notons l’expression « grande pièce ». Une façon de ne pas dire (tout en partageant les craintes que cela suscite) que Lukaku comme Lamine sont Noirs et Messi, Blanc !

Outre la question des attributs physiques des joueurs noirs, celle des « assuétudes » et drogues se voit ensuite mise en avant dans le récit de Laurence Wauters. Les interprétations foisonnent sur le monde du sport et du foot. Pense-t-on qu’il va à un moment donné être question des formes de racisme existant dans le monde du foot lorsqu’il s’agit de soutenir un footballeur blessé ou pas, de faire jouer un tel à telle ou telle place ou pas selon son « ethnotype », comme cela avait été dénoncé en France à propos de la DTN par Mr Belkacemi ? Pas du tout. Pas un mot sur le racisme dans le football.

En lieu et place, une approche psychologisante : le problème du foot, c’est que cela fait « rêver des jeunes » (à ce sujet, pas un mot non plus sur les discriminations et l’absence de perspectives subies sur les autres marchés d’emploi). Et, selon la journaliste, lorsque ces jeunes se blessent c’est la détresse psychologique « la déprime, de l’anxiété, ainsi que parfois, une assuétude à l’alcool, aux stupéfiants, au jeu ». Voilà donc qui expliquerait la nuit de débauche de Lamine littéralement mise en scène dans l’article. Il aurait à cet égard été « loin des réalités quotidiennes » en raison de sa passion pour le foot, voire loin de sa famille : « Une fracture du ménisque a (…) mis fin à ses rêves, et il avait basculé dans l’oisiveté et les sorties. Resté à Roulers, loin de sa famille, il dormait comme une souche ». Bien que de nombreux éléments permettent de déployer la situation liée à la mort de Lamine, des blanchiments judiciaires (à peine évoqués) à la situation de Roulers et aux résultats de l’extrême-droite dans cette ville, le travail d’interprétation file pourtant sur la généralité des espoirs déçus dans le sport et accrédite la thèse d’une trajectoire tragique dont les ressorts sont à rechercher du côté de la psychologie de Lamine.

« Ne pouvait-il pas être un jeune homme comme un autre ? » semble se demander la journaliste, partant du principe que quelque chose dans sa vie, quelque chose d’autre que sa couleur de peau l’aurait mis conjoncturellement en mauvaise posture.

Nous y voyons un dédoublement médiatique de la négrophobie : tout d’abord, par les multiples dénis (sur la scène du meurtre mais aussi sur le monde du football) ; ensuite, par la caractérisation d’un jeune homme « pas bien à sa place », arrivé, pourrait-on dire « au mauvais endroit, au mauvais moment » comme l’ont affirmé les policiers d’Etterbeek à l’encontre des 86 mineurs majoritairement Noirs et Arabes récemment arrêtés à Bruxelles.

Fort heureusement pour l’employeur de Laurence Wouters, Le Soir, un militant et auteur antiraciste afrodescedant, mais aussi ancien footballeur, l’a sorti de ce mauvais pas. Un journaliste du secteur culturel cette fois, visiblement plus confiant dans l’expertise des comités de soutien, a interviewé Lilian Thuram. Ce dernier, à la vue de la vidéo de l’interpellation particulièrement violente de Lamine à son domicile[vii], déploie un véritable programme de travail, y compris à l’attention des journalistes, des chercheurs et du monde politique : « Moi, je pense que cela dit quelque chose des institutions en Belgique. Alors que faire ? Cherche-t-on la vérité avec honnêteté… ou les institutions cherchent-elles à se dédouaner, en disant « Nous ne pouvons pas être racistes » ? (…). Pourquoi y a-t-il autant de policiers présents pour faire sortir Lamine Bangoura ? Parce que, dans l’inconscient collectif, l’homme noir est perçu comme étant beaucoup plus fort physiquement. Du coup, il va falloir mettre beaucoup plus de force pour le contenir. Et c’est en mettant beaucoup de force que vous arrivez à la catastrophe. S’il n’y a aucune responsabilité de ces huit policiers, que doivent en déduire les personnes de couleur noire ? ».

Enfin, un peu de sérieux à propos du meurtre de Lamine Bangoura, grâce à un acteur afrodescendant du monde du football.

Aujourd’hui, cher Romelo Lukaku, si nous nous adressons à vous, c’est parce que plus que jamais la famille Bangoura a besoin de notre aide.

La famille Bangoura est à ce jour encore en train d’effectuer des démarches pour récupérer le corps de Lamine qui est toujours à la morgue. Situation indigne, inhumaine et inacceptable ! Cela fait plus de 2 ans que le corps n’est pas enterré et la famille ne peut donc effectuer son deuil. La famille attend la décision de justice qui statuera le 16 mars 2021 sur le renvoi ou non devant le Tribunal correctionnel des huit policiers impliqués dans la mort de Lamine. Il convient de préciser que dans l’arène de la justice, les tentatives visant à salir l’image de Lamine Bangoura pour le rendre responsable de sa propre mort sont aussi présentes. La décision attendue le16 mars intervient après un premier non-lieu prononcé le 26 mai 2020.

 

Cher frère, par cette lettre nous vous demandons de prendre position car comme vous le savez, « le racisme est une chose contre laquelle il faut se battre » [viii].

A ce titre, toute prise de position, relais de votre part dans les médias, sur les réseaux sociaux, sur les pages FB et Instagram Justice Pour Lamine Bangoura ou autres s’avéreront précieuses. Nous en sommes convaincus.

Entre autres actions utiles, n’hésitez pas à :

  • Faire un don sur PayPal ou sur leetchi pour aider la famille à récupérer le corps et à faire son deuil :

https://www.leetchi.com/c/justice-for-lamine

https://www.paypal.com/paypalme/JusticeForLamineBang?fbclid=IwAR1oyIH2Gy50Ue2xyB2rn8b9KrxusQTJZDLvUaFszhKuqTEADmVonIE0pvQ

En vous remerciant fraternellement pour votre aide,

Le Comité Justice Pour Lamine

 

[i] https://plus.lesoir.be/353213/article/2021-02-04/huit-policiers-risquent-le-tribunal-dans-le-dossier-du-george-floyd-flamand

[ii] https://www.facebook.com/justicepourlamine.bangoura

[iii] https://www.demorgen.be/nieuws/lamine-bangoura-27-stikt-tijdens-politie-interventie-in-roeselare-breng-hem-naar-de-kliniek-daaraan-kan-ik-niets-veranderen-he-gasten~bbe91221/?fbclid=IwAR0hElcDp8fZV2g3J-w_loCv-GgLxDoEqKy7r0WdnFB1L35Dl8-3RUz6ZOk&referrer=https%3A%2F%2Fl.facebook.com%2F

[iv] https://www.youtube.com/watch?fbclid=IwAR0kX-bYuQdISPU1qZAOO1odlhZeg26D9LHi7hPTR7thtqXsmye6TceW1qE&v=HA6B79FJLU0&feature=youtu.be

[v] https://plus.lesoir.be/356139/article/2021-02-19/football-de-jeunes-vies-de-sacrifices-et-beaucoup-despoirs-brises

[vi] https://www.theplayerstribune.com/articles/romelu-lukaku-ive-got-some-things-to-say

[vii] https://www.youtube.com/watch?v=yG9FSS8VJ5E&feature=share&fbclid=IwAR3anEVG9MIyDiuIgTNxedwFsqmh-KHIKjnNZqlfxIRD9Z5nlGMPgDq8SJ4

[viii] https://www.rollingstone.it/sport/romelu-lukaku-linchino-del-re/475833/

 

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