Combattre l’Etat policier et le racisme d’Etat à l’échelle des pays du Nord : le cas belge

#byanymeansnecessary #stopblackface Intervention de Nordine Saidi au Bandung du Nord : la colonialité du pouvoir en Belgique. On ne peut agir et penser la fin du blackface en Belgique sans agir et penser contre la politique coloniale belge jusque dans ses effets les plus actuels. « On ne peut pas envisager aujourd’hui les discriminations, le racisme et la négrophobie sans revenir sur les 80 années d’histoire coloniale, qui ont laissé des traces dans les mentalités, les esprits mais aussi dans sa politique ». Et l’on ne peut agir et penser contre la colonialité du pouvoir en Belgique sans penser ses formes contemporaines, sans restituer les inégalités géographiques (différences d’espérances de vie entre le croissant pauvre et le croissant colonial), sans penser les dispositifs racistes de ségrégation (plans canal, déchéance de la nationalité, profilage racial, ségrégation scolaire, opérations Medusa, etc.). La plainte portée par le bourgmestre socialiste de Lessines contre Nordine Saidi et les Bruxelles Panthères est à inscrire dans l’histoire longue de la colonialité négro-islamophobe en Belgique. Un texte très important à relire de toute urgence.

 

 

Intervention de Nordine Saidi (Bruxelles Panthères) au Bandung du Nord, Mai 2018.

 

 

Un adage ne dit-il pas que « quand la France s’enrhume, la Belgique éternue ».

 

De ses créateurs, La Belgique a hérité des penchants impériaux.

Petit pays, grand colonialiste

L’empire colonial belge nait réellement avec l’expansion africaine sous l’impulsion de Léopold II, l’un des plus grands génocidaires de l’histoire, qui s’est vu offrir le Congo lors de la Conférence de Berlin de 1885.

Les crimes liés à la gestion du Congo par Léopold II sont connus et documentés, massacres, mains coupées, travaux forcés, sévices, maltraitances…

En 1908, Léopold II cède le Congo à la Belgique qui en fait une colonie sans que cela n’en modifie le régime d’exploitation.

Cinq à huit millions de morts, peut-être même dix : tel est le bilan accablant de la conquête et de l’exploitation coloniale du Congo belge, entre les années 1880 et la première guerre mondiale. C’est à ce nombre que parvient le journaliste américain Adam Hochschild dans son livre « Les fantômes du roi Léopold.

Tout artificiel qu’il est, l’État-Nation moderne Belgique est donc un État intrinsèquement colonialiste et impérialiste. Su, reconnu, ignoré ou nié, le colonialisme est constitutif de la Belgique et plus encore de sa position hiérarchique dans le concert des Nations.

Un pays ou sept Congolais sont morts en 1897 dans le « village nègre » de l’Exposition universelle de Tervuren.  (En découvrant ces « sauvages », certains visiteurs leur jetaient des bananes ou des cacahuètes.)  Ce qui n’a pas empêché qu’on reproduise l’expérience durant l’Exposition universelle de 1958.

À Tervuren se trouve un musée colonial dans lequel est conservée la collection de cranes de chefs africains insoumis (Roi Lusinga) qu’un certain Emile Storms, un des nombreux criminels commissionnés par Léopold II dans sa quête ravageuse d’un empire colonial au centre de l’Afrique, ramena en Belgique comme de simples trophées des crimes qu’il a fièrement commis.

Un pays sans ressources naturelles souterraines, où on ne trouve aucune mine de cobalt, de diamant, ou d’uranium. Nous, belges, bénéficions pourtant de ces ressources introuvables chez nous. Episode marquant d’utilisation de ressources pillées au Congo, la Belgique a par exemple fourni60% de l’uranium utilisé pour la fabrication des trois premières bombes nucléaires américaines – (celle testée le 16 juillet 1945 dans le désert d’Alamogordo (Nouveau-Mexique) puis celles larguées sur Hiroshima et Nagasaki début août 1945.)

Un pays qui quelques mois après avoir cédé contraint et forcé l’indépendance au Congo, lui enlève et lui assassine son premier Premier-Ministre, Patrice Lumumba.

Le pays de Tintin, ce héros d’une véritable œuvre de propagande coloniale.

Un pays où beaucoup croient pourtant encore que la Belgique aurait apporté aux peuples sauvages du Congo les bienfaits de la civilisation. Cette idée que les Noirs n’étaient rien avant la colonisation ayant un impact direct sur la façon dont ils sont perçus aujourd’hui. On ne peut pas envisager aujourd’hui les discriminations, le racisme et la négrophobie sans revenir sur les 80 années d’histoire coloniale, qui ont laissé des traces dans les mentalités, les esprits mais aussi dans sa politique.

Un pays qui illustre la permanence de la colonialité dans sa pensée politique et dans ses actes par sa participation ces dernières décennies, et aujourd’hui encore, à toutes les coalitions guerrières impérialistes (Afghanistan, Irak I & II, Lybie, Syrie, Mali, Centre Afrique, Yémen) ou encore par son soutien indéfectible au maintien d’une entité raciste et coloniale en Palestine.

Bruxelles Panthères est né de la re-prise de conscience de la persistance d’avatars contemporains, actuels même, et internes de cette Belgique coloniale.

L’un des aspects les plus évidents de la persistance de régimes particuliers pour les populations issues des colonies ou des migrations post-coloniales et leur descendance se manifeste par la mise en place, sur des territoires spécifiques, principalement le « croissant pauvre »   pour des centaines de millions d’euros en 25 ans, de politique dite des Contrats de sécurité.

Ce que l’on appelle le « croissant pauvre », c’est cette zone qui concentre depuis plusieurs décennies les populations les moins favorisées (c’est-à-dire les Noirs, Les Arabes, Les Roms). Sur la carte, ces morceaux de sept communes (Forest, Saint-Gilles, Anderlecht, Molenbeek, Ville de Bruxelles, Saint-Josse, Schaerbeek) forment un « croissant » autour du centre-ville.

Ces quartiers sont les plus densément peuplés de la région (plus de 30 000 habitants par km2, quatre fois la moyenne), c’est là que se concentrent les revenus les plus faibles, mais quel que soit le critère retenu – niveau d’instruction, taux de chômage, revenu moyen, part des logements sans confort – la carte montre un territoire bruxellois marqué au fer rouge de son croissant.

Le chômage des jeunes ? Dans le croissant pauvre, il dépasse les 30% et flirte même, pour les quartiers les plus difficiles, avec les 60%.

Les inégalités face à la mort représentent le sommet de l’iceberg : entre les communes bruxelloises les plus pauvres et les plus aisées, la différence d’espérance de vie est de 3 ans pour les hommes et de 2,6 ans pour les femmes…sauf si la police s’en mêle.

Une politique sécuritaire stricto sensu avec l’installation de caméras de surveillance et l’augmentation du nombre et des équipements des forces de répressions policières.

Mais aussi des politiques plus ambigües quant à leur caractère social ou sécuritaire. Les autorités créent des postes de médiateurs, stewards, éducateurs, travailleurs de rues, gardiens de la paix, surveillants de parcs. Si certains ont sans doute eu un impact individuel positif en faisant leur travail, ils font collectivement partie d’une chaîne de dispositifs qui sont mis en place pour remplir un rôle de contrôle physique et sociale sur des populations qu’on maintient en état d’infériorisation.

Ces mesures et dispositifs se sont étendus depuis le 11 septembre et se sont encore accentués depuis les attentats de Paris en novembre 2015 et de Bruxelles en mars 2016.

 Plan Canal

En effet, la stigmatisation des Noirs, des Arabes, des présupposés Musulmans est en constante augmentation notamment par l’imposition de nouvelles lois.

Dans le cadre de la lutte antiterroriste, le gouvernement a mis en place, activé ou suggéré de nombreuses mesures, dont :

  • la déchéance de nationalité belge des binationaux,
  • le déploiement de 1800 militaires dans les grandes villes du pays, notamment en rue,
  • l’allongement de la garde-à-vue   de 24 à 48h,
  • l’exécution de plus de 100.000 contrôles de résidence, principalement dans 4 communes de Bruxelles et ce uniquement pour l’année 2016, dans le cadre du « plan canal » et
  • la fermeture d’énormément d’associations musulmanes.

Stigmatisant toujours les Musulmans comme dangereux, le 29 avril 2017, la nouvelle loi dite «de déportation », permet d’expulser des « étrangers » vivant légalement en Belgique, même s’ils sont nés ici ou s’ils ont un enfant belge, sur le vague motif de représenter une menace à l’ordre public.

En parallèle, à côté de ces mesures prises directement dans le cadre du Plan Canal, on constate un durcissement constant des lois et mesures prises à l’encontre des personnes sans papiers, avec encore une hausse des opérations de contrôle dans les transports, du nombre d’expulsions des lieux de vie et de logements, du nombre d’arrestations, d’enfermements et d’expulsions du pays.

L’ordre public n’était pas menacé ce 11 novembre, lors de la victoire du Maroc le qualifiant pour la coupe du monde, mais des familles avec enfants se sont vues repoussées à coup d’autopompes de la Bourse, lieu traditionnel de festivités spontanées dans le centre de Bruxelles, vers les quartiers populaires, desquels sont issus la plupart des musulmans. Ces quartiers, qui sont les cibles principales de toutes formes de répressions se voient touchés d’avantage grâce à ces nouvelles lois racistes.

Racisme structurel

Tous ces dispositifs, toutes ces mesures, tous ces actes discriminatoires, liés de près ou de loin à l’actualité plus ou moins récentes, sont mis en place dans un pays qui, nous l’avons dit, a la colonialité dans la peau.

Voici une liste non-exhaustive de réalités et d’événements vécus par les Noirs, les Arabes, les présupposés Musulmans en Belgique qui illustre le racisme structurel qu’ils et elles subissent :

Contrôle au faciès et violences policières endémiques dans les quartiers populaires. Plus contrôlés, les Noirs, les Arabes, les présupposés Musulmans sont plus arrêtés, plus fouillé, plus poursuivis, plus mis en détention préventive, plus condamnés, condamnés à des peines plus longues et font une plus grande part de cette peine que la « population générale ».

Ségrégation scolaire et à l’emploi : on n’en n’a pas besoin pour le savoir mais de nombreuses études internationales classent systématiquement la Belgique parmi les pays les plus discriminants dans ces deux matières.

Rejet des filles et femmes voilées de l’enseignement et de l’emploi.

Imputation de sexisme et d’homophobie aux seuls hommes Noirs, Arabes, et/ou présupposés Musulmans (loi contre le harcèlement de rue). Imputation d’antisémitisme à tous les musulmans.

Ségrégation spatiale qui se matérialise par l’accès au logement, ou même aux loisirs.

Négligence grave dans l’enquête sur la disparition et l’assassinat de Loubna Benaïssa 9 ans par un pédophile en 1992.

Assassinat de Semira Adamu en 1998 étouffer avec un coussin par les gendarmes parce qu’elle résistait à son expulsion par avion.

Complicité de torture sur Ali Aarrass, détenu depuis 10 ans au Maroc (condamnation, prononcée sur la seule base d’aveux obtenu sous la torture) et abandonné parce que binationale. C’est la raison pour laquelle Ali AARRASS a saisi, le 29 mars 2018, la Cour européenne des droits de l’homme d’un recours contre la Belgique.  À suivre donc …

Le drame que vit Ali Aarrass et sa famille, nous montre bien qu’être né en Belgique ou en Europe, avoir été intégré comme l’Etat le souhaite, avoir même servi son armé, ne fait pas de nous des « citoyens à part entière » mais bien des citoyens à part aux yeux de notre gouvernement.

Voila à quoi ressemble le cas belge.

Effet miroir

Je sais que vous voyez et comprenez très bien de quoi je parle.
Il vous suffit de remplacer Belgique et Bruxelles par les noms de vos pays et villes et vous avez l’effet miroir de ce qui se passe aujourd’hui dans toutes les grandes villes européennes où, comme aux Etats-Unis, « La vie des Noirs, des Arabes, des Musulmans ne compte pas pour les Etats et pour leurs flics ».

Nordine Saidi

Soutenez Bruxelles Panthères dans son procès intenté par le Bourgmestre socialiste de Lessines à la suite de la lutte du collectif contre le BlackFace en Belgique !

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