la Belgique est à la traîne sur la restitution des trésors coloniaux

Aujourd’hui nous avons tenté de publier une carte blanche intitulée « la Belgique est à la traîne sur la restitution des trésors coloniaux ». Le Soir a décidé de la reprendre mais au final William Bourton l’a complètement noyée dans une page du Soir + qui s’intitule : « Faut-il restituer les objets sacrés du Congo aux Congolais ? ». Art du camouflage et de la dispersion, finalement cette publication ressemble étrangement au processus de modernisation du musée de Tervuren lui-même : un gigantesque foutoir de positions pseudo-scientifiques, une façon de dissimuler la colonialité du savoir-pouvoir au sein d’un discours qui prend les allure du post-colonial. Il faut lire six paragraphes dont on imagine qu’ils ont été écrit par William Bourton, sans que cela soit explicite, pour que la parole nous soit enfin donnée. Et en six paragraphe, on a déjà le vertige. D’emblée, notre parole se trouve déformée : nous, les signataires de la carte blanche, nous serions les « représentants de la société congolaise » et en face de nous, il y aurait Bruxelles qui serait « pas totalement fermée à l’idée (de la restitution), même si celle-ci soulève nombre d’objections. » Très vite Bourton se permet de reprendre, sans le vérifier, l’argument répété ad nauseam par le Musée selon lequel « nombre de pièces rendues au Zaïre à l’époque de Mobutu se sont volatilisées » (« on sait par exemple »). Ainsi, d’emblée, avant même que le débat ne commence à s’ouvrir, il tente de le refermer. C’est incroyable cette puissance spectrale de Tervuren et de sa propagande sur la conscience de journalistes dont on imagine qu’ils ne travaillent par pour le Musée.

Ensuite Bourton nous explique, comme Tancredi dans Le Gueppard, qu’« il faut que tout change pour que rien ne change. » Il présente cette rénovation comme une restauration : « la narration de la « geste » coloniale sera plus lisible qu’avant, grâce au minutieux nettoyage des immenses fresques décorant les murs. C’est ainsi que l’on pourra à nouveau déchiffrer la longue liste des Belges morts au service de l’État indépendant du Congo, scruter la délimitation des frontières tracées par la guerre, la ruse, la négociation, relire quelques citations de Léopold II à propos de l’« œuvre civilisatrice » que le temps et la poussière avaient rendues illisibles. » Ici sans véritablement sans rendre compte, Bourton nous dit en réalité ce qu’est effectivement cette modernisation des infrastructure du musée colonial.

Ensuite après, grand prince, nous avons permis d’enfin publier notre texte, Bourton donne la parole aux avocats. On apprend au passage que Julien Volper est entre temps déjà devenu directeur du musée de Tervuren. Et on répète encore et encore ce même discours sur la « boîte de pandore », sur les objets pillés comme « biens communs de l’humanité » et un argument complètement vicié sur le fait qu’il ne faudrait pas confondre les « prises de guerre » avec les « œuvres arrivées en Belgique durant la colonisation ». On se demande bien par quelle opération du saint esprit les statuettes pillées par Storms lors du massacre de 1884 ne devraient pas être confondue avec les statuettes Tabwa devenue « trésor du musée ». La ficelle est trop grosse.

On notera au passage le paternalisme colonial d’usage en Belgique : « les africains doivent structurer leurs démarches et se montrer moins indifférents au sort des artistes contemporains ».

Mais, pour moi, celui qui gagne la palme d’or du ridicule c’est l’argument sur le multiculturalisme : découvrir la culture de l’autre passerait par sa mise en scène colonialiste et son exposition racialisée. Et Julien Volper de nous confier que lui il a découvert le Congo à Tervuren. Eh bien oui comme Hergé et la sortie de Nègres à Deux Acren. Non, rien n’a changé.

Tout ça est évidement ridicule, sent la précipitation et manifeste assez visiblement le vent de panique que soulève le processus de restitution au sein de l’oligarchie dominante. Se cacher derrière l’inaliénabilité des œuvres au patrimoine de l’État c’est de fait célébrer le droit des vainqueurs à la rapine et au blanchiment du fruit de leur larcin. Ne devrions-nous pas demander un droit de réponse ?

Martin Vander Elst 

 

Le temps est-il venu de restituer au Congo certaines reliques ou objets d’art qui font la renommée du musée des Sciences naturelles ou du musée de Tervuren, qui rouvrira bientôt ses portes au public après une rénovation lourde ? (voir ci-contre) C’est en tout cas ce que clament une série d’associations, d’universitaires et de représentants de la société congolaise, qui développent leurs arguments dans une carte blanche confiée au Soir.

Pour les signataires, un dialogue interculturel adulte entre la Belgique et son ancienne colonie ne saurait être fondé sur « des pillages précédés par des meurtres coloniaux ». Le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, ne ferme pas la porte… même si, légalement, les œuvres qui se trouvent dans les musées nationaux appartiennent au patrimoine de l’État et sont dès lors théoriquement incessibles.

Mémoire collective

On estime que les neuf dixièmes des antiquités africaines sont exposées ou entreposées hors du continent noir. Des pièces, sacrées ou profanes, enlevées dans des conditions louches à des populations pour qui elles constituent ni plus ni moins que leur mémoire collective. Depuis de nombreuses années, les anciennes métropoles – Bruxelles, Paris, Londres, mais également Washington, concernant les objets amérindiens – sont dès lors l’objet de requêtes en restitutions, auxquelles elles n’accèdent qu’au compte-gouttes.

Pour les tenants de la restitution, l’argument selon lequel ces trésors sont conservés dans de meilleures conditions dans les musées occidentaux que dans leur pays d’origine – on sait par exemple que nombre de pièces rendues au Zaïre à l’époque de Mobutu se sont volatilisées – relève aujourd’hui d’un paternalisme d’un autre âge. Concernant le Congo en tout cas, il pourrait bientôt, « matériellement », ne plus tenir la route : la Corée du Sud est en effet en train d’ériger, à Kinshasa, un musée appelé à accueillir de l’art contemporain mais aussi des chefs-d’œuvre du passé conservés dans les musées et galeries d’art d’Europe.

Réouverture du musée de Tervuren

Libyekula peut être rassuré : le 8 décembre prochain, le musée, profondément transformé mais intact, rouvrira ses portes et plus de 500.000 pièces, ramenées du Congo et d’ailleurs en Afrique auront retrouvé leurs vitrines et leurs armoires bien classées. Tout sera pareil mais tout aura changé : le vieux musée, inauguré en 1910 et dédié par Léopold II à la gloire de l’œuvre coloniale, aura fait peau neuve et profondément modifié son « récit ». La narration de la « geste » coloniale sera plus lisible qu’avant, grâce au minutieux nettoyage des immenses fresques décorant les murs. C’est ainsi que l’on pourra à nouveau déchiffrer la longue liste des Belges morts au service de l’État indépendant du Congo, scruter la délimitation des frontières tracées par la guerre, la ruse, la négociation, relire quelques citations de Léopold II à propos de l’« œuvre civilisatrice » que le temps et la poussière avaient rendues illisibles.

Face à ces témoignages de la pensée coloniale de l’époque, il y aura le présent : un long couloir reliant la nouvelle aile au musée proprement dit accueillera la grande pirogue au bois poli par des milliers de caresses (voir photo). Des œuvres d’artistes congolais contemporains comme Aimé Mpane répondront aux sculptures d’autrefois, tandis qu’une pièce close, ceinte de verre, accueillera côte à côte la célèbre statue de l’homme-léopard et, détrônés, les bustes des officiers qui menèrent la conquête coloniale.

Carte blanche: la Belgique est à la traîne sur la restitution des trésors coloniaux

Par Un collectif de signataires*

Illustration de Guy Atafo.

Illustration de Guy Atafo.

Plus de 90 % des œuvres d’art classique africain sont en dehors de l’Afrique. Pillées pendant la colonisation, elles se trouvent désormais au British Museum, au Musée du Quai Branly, ou au Musée de Tervuren. Les Africains du continent qui désirent montrer leur patrimoine à leurs enfants ne le peuvent pas. Tout ou presque a été dérobé. On ne saurait fonder le dialogue interculturel sur des pillages précédés par des meurtres coloniaux : les biens volés doivent être restitués.

Qu’est-ce que la Restitution ?

On entend par « Restitution » le fait de « remettre » ou de transférer des objets culturels volés ainsi que des restes humains emportés dans les pays occidentaux lors de guerres coloniales. Mais cette Restitution ne se résume pas au retour physique des objets en Afrique, elle peut prendre des formes diverses. Il s’agit d’une question morale, bien sûr, mais aussi d’économie, étant donné que ces biens sont une base nécessaire pour développer le tourisme. D’ailleurs, la Banque mondiale affirme que le tourisme sera la première industrie au 21e siècle, et que les pays africains doivent s’y préparer. On peut bien sûr se demander comment développer le tourisme culturel, quand tout le patrimoine culturel a été emporté, mais surtout on souhaite affirmer que la Restitution est aussi une question de droit national et international.

Vol, recel et blanchiment de biens… et de restes humains

Récemment, une enquête du journaliste Michel Bouffioux a révélé que quelque 300 crânes et autres ossements provenant de « collectes coloniales » réalisées principalement au Congo, sont actuellement conservés en Belgique. Les conditions d’acquisition de ces restes humains sont peu ou pas documentées, des archives ont été « égarées ». Lorsqu’il est possible de retracer le parcours de certains de ces ossements, comme l’a fait le journaliste, on découvre des histoires comme celle du militaire belge Emile Storms. En 1884, alors qu’il conquérait des territoires au profit d’une organisation privée présidée par Léopold II, cet officier commandita l’exécution de plusieurs chefs coutumiers jugés trop peu collaborants. Les villages des récalcitrants étaient incendiés. Des biens culturels étaient volés, notamment ces statuettes qui appartenaient au chef Lusinga et qui font actuellement partie des « trésors » du Musée Royal de l’Afrique centrale à Tervuren. Storms faisait aussi « collection » (le terme est de lui) de têtes de chefs décapités. Il ramena trois crânes en Belgique, dont celui du chef Lusinga, qui servirent à des exposés pseudo-scientifiques sur la supériorité de la race blanche. En 2018, ces crânes sont toujours conservés par le Musée des Sciences naturelles à Bruxelles.

A l’égard de ces restes humains, l’avocat Christophe Marchand a évoqué un « recel de dépouilles mortelles de personnes assassinées », ce qui est condamné par l’article 340 du Code pénal d’une peine de trois mois à deux ans de prison. Le même raisonnement peut s’appliquer aux objets culturels volés. Le même raisonnement peut s’appliquer aux objets culturels volés. L’avocat, aborde aussi la notion de « blanchiment », qui tient compte des dommages subis dans le temps long par les peuples colonisés (cf. La Proclamation d’Abuja, 1989), mais aussi des avantages tirés des crimes coloniaux par les puissances colonisatrices. En droit, le blanchiment peut être défini comme le « fait de prendre possession, de gérer ou de transformer en objet particulier le “produit” d’une infraction pénale. En effet, si un bénéfice est tiré du vol, d’un assassinat ou d’un pillage, la gestion financière de cet avantage patrimonial est elle-même une infraction. » En outre l’infraction de blanchiment est imprescriptible, car elle se répète à chaque acte de gestion dudit avantage. De quoi interpeller le Musée Africain de Namur, le Musée Royal de Tervuren qui détiennent des objets, mais aussi le Musée des Sciences Naturelles de Belgique ainsi que l’Université Libre de Bruxelles où sont stockés des crânes et des ossements de congolais assassinés par décapitation ou suite à des tortures, parce qu’ils refusaient d’être colonisés.

Et, lorsque 60 % environ du patrimoine du MRAC s’est constitué pendant l’époque coloniale, la question du vol, du recel et du blanchiment se pose et ne laisse que très peu de doutes pour certaines collections.

La Restitution : partout sauf en Belgique ?

Depuis quatre ans, le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires), ONG internationale, se bat pour la Restitution des trésors africains. Ce combat n’a pas été vain. En novembre 2017, se trouvant à Ouagadougou, le Président Macron a déclaré : « Le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. Il doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou (…). Ce sera une de mes priorités. D’ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l’Afrique. » Depuis lors, le président français a nommé deux experts pour mettre en œuvre la décision annoncée. La dynamique lancée ces dernières années par plusieurs mouvements dont le CRAN continue en Allemagne où des restes humains ont été restitués à la Namibie ainsi qu’en Angleterre, où les autorités songent désormais à restituer à l’Ethiopie un certain nombre de biens culturels de grande valeur. Le Canada a aussi entamé un vaste programme de Restitution depuis 1997. Nous ne pouvons ignorer la dynamique internationale qui est en cours, et faire comme si la question de la Restitution se posait partout, sauf en Belgique.

Objections votre honneur !

En nous lisant, vous pensez peut-être que « le Congo n’a pas d’infrastructures nécessaires à la conservation de ses propres œuvres précieuses » . Ce serait du paternalisme aux relents coloniaux de penser cela, or, vous nous accorderez que de nombreux pays africains possèdent des musées modernes et équipés et que des accords de conservation et de sécurisation entre pays africains ou avec des pays occidentaux sont possibles. Enfin, est-ce vraiment aux pays qui ont brûlé et détruit des objets culturels pendant les guerres coloniales de donner des leçons sur la sécurité et le respect dû aux œuvres d’art en Afrique ?

Ce que nous demandons :

► Que le gouvernement, via sa Secrétaire à la Politique scientifique, sorte de la propriété de l’Etat des biens dont on sait qu’ils ont été acquis par les pillages, le vol et le meurtre ; en commençant par la collection Storms.

► La Restitution des trésors volés à l’Afrique ainsi que des restes humains issus des massacres coloniaux.

► Un moratoire sur la réouverture du Musée et l’exposition des objets dont on sait qu’ils ont été acquis par le vol, le pillage, la conversion forcée, etc.

► La Restitution des restes humains sans exigence d’effectuer des tests ADN

► Le soutien à la mise en place d’un tribunal d’opinion ou d’une commission indépendante chargés d’instruire les crimes coloniaux de Storms et des autres.

► La nomination d’un groupe d’experts pluridisciplinaires, dont des Belges issu.e.s des diasporas africaines qui élaboreront un plan de Restitution.

► La publication de matériels pédagogiques sur l’histoire coloniale et la notion de Restitution.

► L’organisation d’une conférence internationale sur la Restitution.

► Que la justice soit rendue et que des Réparations notamment financières soit garanties.

► Que des excuses officielles soient prononcées par les plus hautes instances de l’Etat belge.

► Puisse le Royaume de Belgique se saisir de l’opportunité que nous lui offrons pour faire preuve de son sens de l’histoire, en réaffirmant sa dignité et son humanité par ces actions qui sont le propre des grandes nations.

*La liste des signataires : Ilke Adam, professeure, Vrije Universiteit Brussel, Gia Abrassart, journaliste à Café Congo et co-fondatrice de Warrior Poets, Rachida Aziz, écrivaine et fondatrice du Space, Hamza Belakbir, rédacteur en chef, revue Politique Web, Mustapha Chairi, président du Collectif contre l’Islamophobie en Belgique, Véronique Clette-Gakuba, chercheuse à l’Université Libre de Bruxelles, Heleen Debeuckelaere, auteure et historienne, Tahir Della, Initiative Schwarze Menschen in Deutschland (ISD-Bund), Matthias De Groof, chercheur à Helsinki University, Sarah Demart, chargée de recherche à l’Université de Saint-Louis Bruxelles, Ludo De Witte, auteur, Georgine Dibua Mbombo, coordinatrice Bakushinta, Marie Godin, chercheuse à l’Université d’Oxford, Charles Didier Gondola, professeur à Indiana University – Purdue University, Nicole Grégoire, chercheuse, chargée de recherche au FNRS, Université libre de Bruxelles, Sa Majesté la Reine Diambi Kabatusuila (Kasaï/RDCongo), Sibo Kanobana, chercheur à l’Université de Gand, Christian Kopp, Berlin Postkolonial, Mnyaka Sururu Mboro, NGO alliance ‘No Humboldt 21 !’, Anne Westi Mpoma, historienne de l’art, Laura Nsengiyumva, artiste et chercheuse à KASK à l’Université de Gand, Modi Ntambwe, fondatrice de ArtDéCycles, galerie itinérante, Jacinthe Mazzocchetti, enseignante-chercheure à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, Monique Mbeka Phoba, réalisatrice et productrice de films, Toma Muteba Luntumbue, Historien de l’art, Professeur à l’Erg Ecole de Recherche graphique et à La Cambre, Jean Muteba Rahier, Professeur à Florida International University, Maître Brice Nzamba, Avocat au Barreau de Paris et conseil de BAMKO-CRAN, Nel Tsopo Nziemi, rédacteur en chef de Brukmer magazine, Charlotte Pezeril, chercheure à l’Université Saint-Louis, Mireille-Tsheusi Robert, Présidente de BAMKO-CRAN asbl, Allen F. Roberts, Professeur à l’Université de Californie/ Los Angeles, Louis-Georges Tin, Premier Ministre de l’Etat de la Diaspora Africaine, Joseph Tonda, professeur à l’université Omar Bongo de Libreville au Gabon, Martin Vander Elst, chercheur au Laboratoire d’Anthropologie Prospective à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (aspirant FNRS), Bob White, professeur à l’Université de Montréal, André Lye Yoka, Directeur Général de l’Institut National des Arts (INA-Kinshasa-RD-Congo), Sa Majesté le Roi Tchiffi Zié, S.G. du Forum International des Souverains et Leaders Traditionnels Africains

Ce qu’en disent les avocats

Par C. B.

Allons nous bientôt voir le patrimoine culturel africain quitter les musées d’Europe et regagner la terre des ancêtres ? Si l’on en croit les propos d’Emmanuel Macron en visite officielle au Benin en novembre 2017, oui. Le Président français, alors fraîchement élu, s’engageait après du président béninois Talon à ce que 5.000 bronzes du Benin, appartenant au roi Behanzin et emportés durant la colonisation, soient restituées dans un délai de cinq ans. Dans la foulée une commission fut nommée. Depuis lors, la boîte de Pandore n’est pas prête à se refermer. Le quai Branly et ses 400.000 œuvres venues d’Afrique (dont les bronzes du Bénin) et le musée de Tervuren et son demi-million de pièces essentiellement d’Afrique centrale se trouvent en ligne de mire directe.

Des dizaines d’avocats sont dans les starting blocks, prêts à défendre de nouvelles causes. Mais ils sont prudents, car l’affaire est plus compliquée que ne l’imaginait le jeune président au lendemain de son élection. Explications.

Restituer le corps embaumé de la « venus hottentote », les têtes de Maoris qui se trouvaient à l’Assemblée nationale française ou les crânes emportés par le capitaine Storms qui reposent au Musée des Sciences naturelles de Bruxelles, est ce vraiment la même chose que conserver des œuvres majeures qui appartiennent au « bien commun de l’humanité » ? Julien Volper, directeur au Musée de Tervuren, n’a pas attendu qu’on lui fasse la leçon. « Déjà du temps de Mobutu, vers les années 76/82 la question s’est posée et Tervuren a transféré 114 objets vers les Musées nationaux du Zaïre. En 2009, il en restait 21, la plupart des disparitions datant d’ailleurs de l’ère Mobutu… » Tout cela fait dire à l’avocat bruxellois Yves Bernard Deby que le débat est faussé : « Le fait du prince, fût-il locataire de l’Elysée, ne peut se substituer aux lois : parler de restitution à tort et à travers c’est oublier que les œuvres qui se trouvent dans les musées nationaux appartiennent au patrimoine de l’Etat et que, par la loi, elles sont incessibles ! » Pour l’avocat belge, la réflexion doit donc être plus subtile. « Il ne faut pas comparer les prises de guerre réalisées du temps de l’Etat indépendant du Congo avec les œuvres arrivées en Belgique durant la période coloniale, ne pas oublier que les Africains eux-mêmes ont parfois pillé, et vendu… »

Malgré des points de départ différents, tous les intervenants se sont finalement montrés d’accord sur quelques points : les dossiers doivent être soigneusement montés, les Africains doivent structurer leurs démarches et se montrer moins indifférents au sort des artistes contemporains, de nombreuses collaborations existent déjà entre Tervuren et les musées d’Afrique… Et surtout, conclusion paradoxale dans le chef d’avocats : « Un tel débat n’est pas d’essence judiciaire, il est du ressort des Etats, de la collaboration entre l’Europe et l’Afrique… » Presque à mi-voix, rappelant les nombreux champs de collaboration déjà ouverts par Tervuren, Julien Volper posa aussi une question essentielle : « Le multiculturalisme, qui s’impose dans nos sociétés, ne passe-t-il pas aussi par la découverte de la culture de l’autre ? Cette culture exposée dans les musées… Moi, c’est grâce à Tervuren que je me suis intéressé au Congo… »

L’avis belge: Didier Reynders ne ferme pas la porte

Par C.B.

©Bruno Dalimonte

©Bruno Dalimonte

Voici quelques mois, le chorégraphe congolais Faustin Linyekula dansait sur la pelouse du musée de Tervuren. Derrière lui, le bâtiment néo-classique de Charles Girault, nimbé par le soleil couchant, brillait comme un écrin doré. Mais il était fermé, interdit au public pour rénovation. Des générations de Belges, durant les cinq ans des travaux, furent ainsi privés de leurs souvenirs d’enfance, coupés de la silencieuse mémoire du passé colonial. Faustin Linyekula, lui, dansait son chagrin et devant les portes closes, les collections inaccessibles. Il clamait que la mémoire de son peuple dormait là, que l’une des statues fondatrices de son clan, jadis dérobée et emportée, reposait dans un tiroir ou une vitrine du musée et que cette perte ancienne avait coupé l’artiste de l’accès à son histoire…

Les blessures et les malentendus de l’histoire

Lorsque le musée rénové aura rouvert ses portes, une autre page s’ouvrira dans les relations entre la Belgique et le Congo mais plus largement entre l’Europe et l’Afrique. Un colloque organisé à Bruxelles par le Musée, l’Institut Egmont et la Fondation Roi Baudouin a cependant démontré les difficultés de cette gestation, où le monde ancien a de la peine à mourir tandis que le nouveau tarde à naître… Durant deux journées, des historiens, des hommes de terrain, des acteurs du développement, des artistes, de nombreux représentants des diasporas africaines ont confronté leurs mémoires, rappelé les innombrables malentendus de l’histoire et les persistantes injustices du présent.

Les nombreuses interventions – le colloc a rassemblé plus de 150 orateurs et invités parmi lesquels 40% d’Africains – combien mal guéries, voire toujours purulentes, étaient les cicatrices du passé. L’actuelle « crise migratoire » en est la dernière illustration, où ceux qui viennent du Sud sont des « migrants » tandis que ceux qui, venus du Nord, s’installent en Afrique demeurent des « expatriés »… Les difficultés rencontrées par les diasporas africaines en Europe sont tout aussi révélatrices tandis que les concepts même de « développement », de pays « avancés » ou « moins avancés » voire de croissance, doivent être remis en question…

En fait, tout a bougé : l’Europe des anciennes puissances coloniales n’est plus pareille, elle s’est ouverte sur les pays de l’Est du continent qui n’ont à l’égard de l’Afrique ni passé ni culpabilité. L’Afrique elle-même est entrée dans la mondialisation. La preuve à Kinshasa où la Corée du Sud est en train de construire un musée qui accueillera les artistes congolais contemporains mais qui tentera aussi de récupérer des chefs-d’œuvre du passé conservés dans les musées d’Europe et chez les collectionneurs privés et les marchands d’art.

Comment restituer le butin colonial

Au-delà des éternels débats sur l’inégalité des rapports Nord-Sud, sur le racisme et les discriminations qui persistent dans les sociétés européennes, sur la nécessité de revisiter et d’enseigner le passé colonial, un sujet est apparu aussi conflictuel qu’inéluctable : ainsi que l’a exprimé Robert Mazozera, le directeur des musées du Rwanda, il faudra tôt ou tard penser à la restitution des œuvres emmenées comme butin colonial, souvenirs missionnaires ou objets de trafics en tous genres.

A Tervuren, riche d’un demi-million d’œuvres venues d’Afrique et de 10 millions de spécimens de la flore et de la faune, la question est brûlante, mais Guido Gryseels le directeur du musée l’aborde avec sérénité et ouverture d’esprit : les contacts avec la diaspora africaine sont constants, il y a de nombreuses manières de rendre les œuvres accessibles au public du Congo (la restitution mais aussi des expositions itinérantes ou temporaires, la digitalisation…). Clôturant ces deux journées, le Ministre des Affaires étrangères Didier Reynders a appuyé, sur le principe, l’« esprit » de la restitution, du partage, de la transmission. Mettant l’accent sur la nécessité d’une autocritique parfois absente des débats.

Auparavant, Smokey, rappeur du Burkina Faso, à la tête du mouvement « le Balai citoyen » qui avait mené au renversement de Blaise Compaoré, avait clairement posé la nouvelle équation des relations entre l’Afrique et l’Europe. « Crise migratoire, problèmes de visas, histoire écrite par les vainqueurs blancs, non-reconnaissance des crimes coloniaux, cela suffit : il faut avoir le courage de la rupture. » Tout en ajoutant aussitôt : « S’il faut prononcer le divorce, c’est pour mieux pouvoir se remarier… »

Source

Spread the love

1 réflexion au sujet de « la Belgique est à la traîne sur la restitution des trésors coloniaux »

Laisser un commentaire