Vidéo : Féministes ou pas ? Penser la possibilité d’un « féminisme décolonial »

UN FÉMINISME MUSULMAN ET, POURQUOI PAS ? Tant que nos mères rasaient les murs, qu’elles faisaient le ménage avec le foulard, cela ne posait pas de problème. Sauf que là, on est face à des femmes qui ont une analyse politique des enjeux, qui ont cette pensée articulée et qui sont rendues visibles. Donc, des femmes qui contribuent à l’histoire de la résistance des femmes. MALIKA HAMIDI.

 

J’ai besoin avant toute chose de questionner le concept de féminisme avant même de savoir si c’est légitime ou pas. Si, il y a un féminisme islamique ou pas. Un féminisme décolonial ou pas. Un afroféminisme ou pas. AVANT MÊME DE M’ENGAGER LÀ, JE PENSE QU’UNE RÉFLEXION DÉCOLONIALE NOUS OBLIGE À QUESTIONER LE FÉMINISME EN TANT QUE TEL. La pertinence du féminisme et le paradigme dans lequel il est, pour ensuite déterminer si oui ou non il faut aller dans cette direction…On prend le féminisme (par exemple) comme un fait tellement supérieur qu’il n’est pas questionable. C’est une jauge et on doit tous s’adapter à cette jauge…Moi, j’ai un problème d’un point de vue décolonial avec ça. Pourquoi ? HOURIA BOUTELDJA

Féministes ou pas ? Penser la possibilité d’un « féminisme décolonial »

Depuis quelques années, de nouvelles voix se font entendre pour penser des alternatives au féminisme hégémonique qui a montré ses limites et parfois sa complicité lors de « l’affaire du voile » et que certains milieux qualifient de « blanc ». Elles sont nombreuses, ces voix, qui appellent à un féminisme musulman, décolonial ou se revendiquent de l’afro-féminisme. La nouvelle publication de Malika Hamidi, « un féminisme musulman » sera dans ce contexte, l’occasion d’un débat de fond et prometteur avec Malika Hamidi, Houria Bouteldja et Khadija Sehadji.

Malika Hamidi est docteure en sociologie, Directrice Générale de European Muslim Network et membre du Steering Commitee » Forgotten Muslim Women » (projet de recherche sur l’impact de l’Islamophobie sur les femmes musulmane d’Europe).

Spécialiste du féminisme musulman en Europe, elle a notamment co-écrit « Des Féminismes islamiques” (La Fabrique, 2012).

Malika Hamidi est une experte reconnue des institutions européennes et participe régulièrement à des séminaires sur les enjeux de la présence musulmane en Europe.

Elle est certes active au niveau académique, mais son travail de terrain auprès des communautés musulmanes reste non négligeable.

Elle s’entretiendra avec Houria Bouteldja à l’occasion de la parution de son nouveau livre « Un féminisme musulman. Et pourquoi pas ? » paru aux Éditions de l’Aube.

Houria Bouteldja est initiatrice et porte-parole du Parti des Indigènes de la République.

Elle a publié de nombreux articles et participé à de nombreuses conférences internationales, en particulier sur les questions d’Islamophobie, de race ainsi que sur les questions féministes. Elle est également membre du comité de femmes Mafed, organisateur de la marche pour la dignité du 31 octobre 2015 à Paris.

Elle à co écrit avec Sadri Khiari, «Nous sommes les indigènes de la République » (Amsterdam, 2012).

En 2016, Houria Bouteldja publie le livre «Les Blancs, les Juifs et nous. ».

Khadija Senhadji animera la table ronde autour du thème  » Féministes ou pas ? Penser la possibilité d’un « féminisme décolonial » et nous fera le plaisir de partager son analyse.

Khadija Senhadji est socio-anthropologue.
Intéressée par diverses thématiques telles que les inégalités, les identités et la mémoire dans une perspective post-coloniale, elle travaille en particulier sur la question des discriminations liées au genre et à l’origine ethnique sur le marché du travail.

Depuis quelques années, de nouvelles voix se font entendre pour penser des alternatives au féminisme hégémonique qui a montré ses limites et parfois sa complicité lors de – l’affaire du voile – et que certains milieux qualifient de – blanc – Elles sont nombreuses, ces voix, qui appellent à un féminisme musulman, décolonial ou se revendiquent de l’afro-féminisme. La nouvelle publication de Malika Hamidi, – un féminisme musulman – sera dans ce contexte, l’occasion d’un débat de fond et prometteur avec Malika Hamidi, Houria Bouteldja et Khadija Sehadji.

( Audio )

L’appellation de – féminisme musulmane – ne vient absolument pas des féministes militantes elles-mêmes. C’est que simplement à un moment donné, on a fait émerger ce label puis des femmes musulmanes voilées ou pas, on dit : finalement ce label, (ce concept) renferme toutes les luttes dans lesquelles je me retrouve.

J’ai fait mes enquêtes de terrain auprès de féministes musulmanes en France, en Belgique et au Canada. Donc, l’Occident francophone en réalité. La lutte est plus d’ordre sociopolitique. Quand vous interviewez des féministes musulmanes et vous leur demandez de développer : qu’est-ce que le féminisme musulman ? Comment il se traduit sur le terrain ? Ce qui ressort systématiquement, c’est : une lutte sociopolitique. Une lutte contre toutes les formes de discrimination. – Et mon foulard ? Mon foulard, il est anti-impérialiste. Mon foulard, il est politique…

Alors : –  un féminisme musulman et pourquoi pas ? –  Pour celles et ceux qui reconnaîtraient la phrase désormais mythique de Christine Delphy, (militante dans les années 60-70 dans différents groupes féministes liés au Mouvement de libération des femmes dont elle est l’une des fondatrices)…j’ai voulu rendre hommage en donnant ce titre à mon ouvrage. Pourquoi ? Parce que en réalité, quand elle a prononcé cette phrase, non seulement, elle a créé le buzz dans le mouvement féministe – comment une figure historique du féministe français, qui a été proche de Simone de Beauvoir pouvait tout à coup s’allier à des islamistes pour revendiquer des droits ? Cela a complètement perturbé le mouvement féministe mainstream et divisé le mouvement. Et puis, surtout ça a valu à Christine Delphy (comme elle le disait) d’être traînée dans la boue par ses collègues. Puisqu’on l’a accusé d’ouvrir des boulevards aux islamistes. Donc, ça a été quand même assez intéressant, une belle crise salutaire. C’est la raison pour laquelle, j’ai souhaité rendre hommage à Christine Delphy qui a eu cette loyauté, ce courage politique d’être aux côtés des femmes musulmanes et de lutter contre cette loi raciste, liberticide, antidémocratique qui a valu de renvoyer un certain nombre de femmes à la maison. De jeunes filles à la maison avec une violence incroyable.

Dans le monde anglo-saxon, ça fait déjà quinze à vingt ans que l’on publie des bouquins sur le féminisme islamique et sur le féminisme musulman. C’est rigolo. En France et en Belgique aussi, on a toujours du retard. C’est-à-dire que cela fait vingt-ans que la question, elle est clarifiée. Aujourd’hui, en Europe francophone, on est encore à se demander : est-ce que l’on peut-être féministe et musulmane ? Il n’y a plus ce débat-là dans le monde anglo-saxon. La question, elle est tranchée. On n’en est plus là.

Moi, mon ouvrage arrive modestement au contexte francophone pour donner des outils, des clefs de réflexion. Qu’est-ce que c’est finalement ce féminisme musulman dans le monde francophone ? Pour réconcilier, pour clarifier les enjeux du débat. Mais cela inquiète puisque du coup, on se retrouve face à une génération de femmes musulmanes qui se revendiquent féministe ou pas. Je rappelle aussi que vous avez des femmes qui sont engagées dans des projets politiques pour aller vers cette égalité entre les gens, mais qui ne s’identifient pas de féministe et ça, c’est très intéressant aussi dans mes enquêtes de terrain et qui ressort systématiquement. Ce sont des femmes qui disent : oui, il y a des discriminations, oui, je veux me battre pour une égalité, mais je récuse cette identité de féministe. Je ne suis pas féministe. Ce n’est pas grave. Pour moi, l’essentiel, c’est que l’on ait compris une chose : c’est qu’aujourd’hui, les droits des femmes musulmanes et d’autres femmes sont bafoués. Il faut faire émerger des projets politiques pour lutter contre toutes ces formes de discrimination que l’on soit féministe ou pas. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est qu’il y a de l’islamophobie, qu’il y a des femmes qui sont oppressées pour différentes raisons.

Des femmes qui font voler en éclats cette image stéréotypée que l’on a des femmes musulmanes…On a des femmes qui sont voilées ou pas voilées et qui dans ce qu’elles dégagent et dans la manière dont elles parlent, on sent qu’il n’y a pas d’oppression. On sent qu’il n’y a ni le père, ni le frère. Non. Il y a vraiment quelque chose qui vient de l’intérieur. Il y a une lutte  qui est portée de l’intérieure et qui dérange et qui fait peur puisque l’on est face à des femmes qui ont cette réputation d’être rebelle et incontrôlable.

MALIKA HAMIDI – UN FÉMINISME MUSULMAN ET, POURQUOI PAS ? – EDITIONS DE L’AUBE –

RENCONTRE ORGANISÉE PAR BRUXELLES PANTHÈRES

( Audio )

Avant d’aborder immédiatement ce sujet, j’aimerais quand même dire que j’appartiens à une tradition matérialise. C’est-à-dire qu’en fait, toute la réflexion qui est la mienne et du Parti des Indigènes de la République est une réflexion qui n’est pas abstraite. C’est une réflexion qui est fondée et qui relève de l’histoire mais aussi des rapports de forces. De l’État. De l’impérialisme. Du système économique. Cette chose que l’on appelle la modernité occidentale. Notre pensée au Parti des Indigènes de la République est une pensée matérialiste. C’est-à-dire, qu’elle ne vient pas d’une espèce d’abstraction idéologique. Elle ne vient pas d’un corpus idéologique. Elle part à partir des rapports de forces sur le terrain. Elle vient à partir de l’histoire…Notre approche est toujours située quelque part. On n’est jamais en suspension. Et ce quelque part est l’immigration postcoloniale en France. On part de conditions spécifiques, dans un contexte spécifique qui est l’État. L’État français. La République. C’est à partir de là, que l’on réfléchit. Évidemment, tout ce que je dis, est à partir de cette longue histoire coloniale et de son présent postcolonial.

Et c’est vrai que pendant de longues années, on a perdu notre temps à vouloir expliquer, justifier le voile et tu dis (Malika Hamidi) que tu en as marre et à juste titre. Moi, j’en avais déjà marre au début donc autant te dire que ça fait longtemps que j’en ai marre. Mais ça fait longtemps que j’aie pris conscience qu’il ne servait à rien de se justifier ni d’en parler parce que je crois que quand on répond – ce n’est pas simplement que l’on a tort de répondre – c’est que l’argumentation n’a aucun sens dans la mesure, où on n’a pas identifié la raison de la crispation et de l’hystérie. Tant que l’on ne sait pas pourquoi il y a de l’hystérie – on ne comprend pas – on répond à côté parce que l’on n’a pas identifié les raisons de l’hystérie…

C’est ça le message qui est envoyé. Et, c’est ça, l’intelligence qu’il faut reconnaître à ceux qui se crispent. Ils ont compris que ça veut dire : mon corps, ne vous appartiendra pas. Vous voulez le conquérir, vous voulez le soumettre ? Et bien on est en train de vous dire collectivement – ce n’est pas une femme qui porte le voile ici ou là, c’est un phénomène social massif – il y a un corps social qui répond, qui se lève et qui dit : non, nous on ne joue pas à ce jeu. C’est ça, que ça signifie…

On a fait échoué le projet de la beurette. Cela veut dire que devant vous, vous avez un corps social qui ne se soumet pas. Qui n’acceptera pas vos règles, qui entend définir sa voie, sa propre existence et qui ne veut pas être façonné. D’autant que l’on a une mémoire même si c’est une mémoire qui est brouillonne même si elle n’est pas claire dans nos têtes…elle est encore là et elle résiste au façonnage colonial. Nous voulons faire échouer le projet Républicain de la beurette. La beurette qui doit être une femme moderne. Qui doit se libérer de sa famille, de son père, de son frère, de sa religion…

Je comprends que les féministes blanches sont situées quelque part et qu’elles (dans les années 70) ont éprouvé le besoin de dire : mon corps, m’appartient. C’est autre chose. Je ne juge pas sauf que moi qui vis l’oppression de la race en France et bien je ne suis pas une femme blanche et si je ne suis pas une femme blanche, j’ai donc un destin de femmes indigènes. Et une femme indigène – là où elle est – ne peut pas réfléchir comme une femme blanche. C’est aussi simple que ça. La femme blanche – contrairement à moi – n’a pas un frère opprimé racialement. Les femmes blanches ont des hommes – qui pour la plupart – ne sont pas en prison. Alors, que nous, dans les quartiers, on a des mecs qui sont en prison. Les frères, les cousins, etc. Donc, on a un rapport avec les hommes qui est très différent du rapport que les femmes blanches ont avec les hommes blancs. Parce que l’homme blanc (par définition) est celui qui est au-dessus de la femme blanche. Il y a l’homme blanc, la femme blanche et nous – en tant qu’indigène – on est en dessous de ces deux catégories.

Les hommes de nos communautés ce sont des balourds, des violents, des enfoirés, oui. Si, on veut les transformer, cela ne sert à rien de faire la – bataille – entre nous deux et de continuer une bataille qui va nous pourrir les uns les autres. Il faut identifier la source de la violence de cet homme-là. Il faut l’identifier. C’est ça un féminisme décolonial ou féminisme musulman…Un féminisme musulman et bien il doit effectivement prendre en charge la question épineuse de la condition des femmes qui est absolument terrible. Mais en ayant cette perspective décoloniale qui est d’identifier la source de la violence. Il me semble que c’est une erreur d’aller chercher les sources de la violence dans les écrits du Coran plutôt que dans les États autocrates qui dominent et qui oppriment les peuples du sud et qui sont objectivement les alliés occidentaux. Et, en ce qui nous concerne ici, pareil : identifier la République ou la monarchie parlementaire qui institutionnalise les rapports de violence. C’est ça, une approche décoloniale.

Soit, on a une pensée qui est structurelle, qui est fondée sur les rapports de forces (les réels rapports de forces), soit c’est une plaisanterie…

C’est quoi les revendications dans les quartiers pendant 30 ans ? Prioritairement, c’est le rapport à la police. Quand on comprend ça, on sait que les gens ont des priorités. C’est tout. On ne l’a pas inventé. On l’a observé depuis 30 ans. La police, c’est un concentré de tout. Ce n’est pas simplement que l’on n’a pas de travail, c’est que l’on peut mourir. Donc, c’est beaucoup plus que simplement la lutte des classes. On est dans un rapport violent avec l’Etat. Et les gens des quartiers en France, la première chose qui revient depuis 30 ans c’est : la police, le racisme et l’impérialisme…

HOURIA BOUTELDJA

RENCONTRE ORGANISEE PAR BRUXELLES PANTHERES

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