Pour devenir avocat, le juriste doit, en Belgique, jurer de ne défendre que des causes qu’il croira juste « en son âme et conscience » mais, d’abord, promettre respect aux autorités publiques et aux tribunaux, obéissance aux lois et, par surcroît, fidélité au roi. Avec d’autres, j’ai toujours trouvé ce serment, du reste vite oublié, non seulement ringard et même moyenâgeux, mais en contradiction avec l’affirmation, (reprise dans la même loi que celle qui en contient la formule) que « les avocats exercent librement leur ministère pour la défense de la justice et de la vérité ». N’étant pas allemand, j’ai échappé à l’obligation de mes confrères d’outre-Rhin de jurer de ne pas porter atteinte à l’ordre constitutionnel « devant dieu tout puissant et omniscient« , ce qui n’a toutefois, pour un mécréant, pas plus de poids que l’invocation d’un plat de spaghetti. Grâce à Robert Badinter, premier garde des Sceaux de François Mitterrand, mes confrères français échappent, eux, à toute promesse de soumission, puisqu’ils se bornent à jurer d’exercer leurs fonctions « avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité« .

L’humanité, parlons-en. Dans les pays riches, les temps sont à la chasse aux étrangers qui y cherchent refuge ou asile et il est même question, en Belgique, de mettre à l’amende les avocats qui les soutiennent par des recours prétendument abusifs. Le porteur de cette idée glauque, avalisée, paraît-il par tout le gouvernement actuel, est le secrétaire d’état Théo Francken, en charge des questions d’asile et d’immigration, qui, du coup, se fait encenser par tout ce que le pays compte de racistes et de xénophobes. Assez facilement, l’opinion peut, de surcroît, partager cette idée simple que contourner la loi pour gagner du temps et abuser de celui, si précieux, des juges, est condamnable. Ceux qui la dispense ou la partage, cette idée, et qui sont, du coup, prompts à blâmer les avocats procéduriers, oublient que, de l’homme la rue jusqu’au sommet de l’Etat, quiconque est menacé par une mesure douloureuse est prêt à payer des fortunes à son avocat pour qu’il trouve des astuces ou des entourloupes qui le mettent à l’abri ou simplement diffèrent la chute du couperet. Assez curieusement, lorsque ce sont des anonymes et, a fortiori, des étrangers, qui encourent les foudres de la loi, l’application mécanique de celle-ci relève, pour la plupart, de l’évidence.

L’humanité, à laquelle mes confrères français jurent d’avoir égard, ne peut avoir, par essence, ni barrière légale, ni frontière physique et, où qu’il soit, aucun avocat digne de ce titre n’hésitera jamais, même par crainte d’une amende, à contester, par tous les recours possibles, une décision administrative, même légale, si elle heurte des droits universels et imprescriptibles comme celui de ne pas être exposé à la mort, à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants.

Je le proclame, à l’intention du gouvernement belge et du parlement de ce pays, s’il adopte le projet scélérat de mettre les avocats à l’amende : quelle soit la sanction encourue, jamais je ne me résoudrai à renoncer à un recours, même si je crains qu’il soit voué à l’échec, s’il permet de différer un danger ou un sort que je voudrais éviter à mes propres enfants D’autant que le temps gagné apporte parfois, avec un changement de politique, le salut.

Un avocat se doit d’être amoureux de la justice, mais aussi méfiant envers les lois. Car aucun être humain n’est illégal. Car l’esclavage, le colonialisme, la dénonciation des juifs et des Tsiganes, l’holocauste et l’apartheid étaient légaux. La légalité est une question de pouvoir. Il y a des abus de procédure qui sauvent des vies. Les avocats continueront à abuser des recours tant qu’il y aura des lois ou des décisions meurtrières et des ministres, des fonctionnaires, voire des juges, suffisamment éloignés de l’humanité que pour les appliquer à l’aveugle.