Amine Bentounsi a été tué le 21 avril 2012 à Noisy-Le-Sec (Seine-Saint-Denis) par un policier d’une balle dans le dos. Le procès en appel du meurtrier de mon frère, le gardien de la paix Damien Saboundjan, acquitté en première instance, aura lieu à Paris du 6 au 10 mars.

Avant la mort d’Amine, je n’étais pas une militante. Je m’occupais de ma famille, comme beaucoup j’allais au travail, je menais une existence tranquille. J’étais loin de toutes ces problématiques. Je le suis devenu parce que je n’ai pas eu le choix.

Parce que très vite, je me suis rendu compte que sans combat, je n’obtiendrai aucune justice.

En face de moi, j’avais un mur, une citadelle, une institution, la police, ses syndicats qui font toujours bloc derrière leur homme, qui couvrent systématiquement les exactions de leurs collègues. Peu importe l’acte qu’il a commis. Une solidarité et un corporatisme sans faille.

Longtemps, mon combat pour exiger vérité et justice pour mon frère a dû faire face au mensonge. J’ai subi la pression des syndicats de police, les menaces du ministère de l’Intérieur, peu soutenue par les médias qui n’avaient d’oreilles que pour la version policière.

Problème systémique

Je ne suis pas un cas isolé. D’autres familles, d’autres affaires, comme celles de Wissam El-Yamni, Amadou Koumé, Abdoulaye Camara, Lahoucine Aït Omghar, Lamine Dieng, Adama Traoré, Hocine Bouras, Morad Touat, Ali Ziri, Rémi Fraisse, Babacar Gueye, KarimTaghbalout, Nabil Mabtoul, Hakim Ajimi, etc.

Depuis quelques jours, partout en France, des artistes se mobilisent pour dénoncer les violences policières dans le sillage de l’indignation suscitée par ce qu’on appelle «l’affaire Théo». Sous pression, et de peur que les banlieues s’embrasent, le Président de la République n’a eu d’autre choix que de se montrer au chevet de la victime. Elu grâce aux voix des quartiers populaires, il n’a cessé de nous décevoir. Son soutien de façade à Théo ne suffira pas à faire oublier toutes les promesses non tenues.

Mais il ne suffit pas de mettre quelques affaires au premier plan pour expliquer l’essentiel. On parle de «quelques brebis galeuses» ou d’«accidents». Le problème est plus profond. Il est structurel, systémique.

La violence policière est un mode opératoire, identifié et comptabilisé – pourtant, aucune volonté politique ne s’affiche pour y apporter une solution. Il s’agit d’un système bien huilé. Les victimes sont rendues coupables à titre posthume et la version de la police est toujours sanctifiée, relayée systématiquement en premier lieu par les médias.

Les jeunes Noirs ou Arabes ont 20 fois plus de chances d’être contrôlés par la police selon le Défenseur des droits. Ce chiffre s’explique en partie par le fait que, selon certains sondages, 57% des policiers sont prêts à voter Marine Le Pen à la présidentielle de 2017. D’autre part, les brigades spéciales – que les syndicats de police qualifient eux-mêmes de «musclées» – sont un des legs de la politique sarkozyste qui consistait à «nettoyer au Kärcher» les quartiers populaires. Elles sévissent toujours avec autant de violence.

«Ghettoïsation»

Il est particulièrement choquant d’entendre certains s’indigner des voitures qui brûlent, ceux-là mêmes qui n’ont pas laissé d’autres choix aux quartiers populaires que la révolte. Leurs condamnations ne sont pas les bienvenues.

Au fil des décennies, ces décideurs politiques, responsables du chômage endémique, de la «ghettoïsation» d’une partie de la population, ont organisé minutieusement la ségrégation raciale, spatiale.

On peut comprendre les habitants de ces quartiers, les familles, victimes des violences policières qui déplorent ces embrasements – mais il est particulièrement indécent d’entendre les pouvoirs publics exiger des familles qu’elles appellent au calme, en particulier dans un contexte où dans le même temps les députés débattent à l’Assemblée autour d’une loi scélérate qui va permettre (elle a déjà été votée en première lecture), comme le souligne le Syndicat de la magistrature, aux services de police et de gendarmerie de se considérer légitimes à user de leurs armes (et potentiellement tuer) dans des conditions absolument disproportionnées. Un permis de tuer accordé en bonne et due forme à ceux qui sont censés nous protéger.

Les familles des victimes de crimes policiers en appellent au président de la République, François Hollande, pour qu’il empêche que cette loi mortifère soit votée. Pour nous, il s’agirait alors de l’ultime trahison commise par ce gouvernement de gauche…

On peut se féliciter que «l’affaire Théo» ait suscité l’émoi du grand public et que la mobilisation pour Adama Traoré ne faiblisse pas, mais les exigences que nous portons, nous familles de victimes de crimes policiers, habitants des quartiers populaires, doivent s’inscrire dans la durée. Elles demandent une lutte politique de longue haleine, des revendications claires. Nous appelons à une mobilisation la plus large possible.

Nous appelons toutes celles et ceux qui croient en une justice pour tous à venir marcher à nos côtés, dimanche 19 mars à partir de 14 heures. Le départ est fixé à la place de Nation, à Paris. La Marche pour la justice et la dignité est organisée par des familles victimes de violences policières. Nous avons là l’occasion de faire la démonstration de notre force et de notre unité. En amont, nous serons ce samedi à partir de 13h30 à la Bourse du travail de Saint-Denis pour organiser la mobilisation contre les violences policières commémoration de la mort d’Amadou Koumé. Il est temps de faire comprendre à tous les prétendants à l’élection suprême que si nous ne comptons pas sur eux, ils ne pourront pas faire sans nous – et sans nos exigences.

Pour signer la pétition en ligne : Une urgence : dire #NonAuPermisDeTuer!

Amal Bentounsi Collectif Urgence notre police assassine, initiatrice de l’appel de la marche pour la justice et la dignité