Eric Rohde | le 08.07.2013
Cet article est paru dans le Fil Expert le 26 juin 2013.
Lundi 24 juin, à Luxembourg, le Conseil de l’Union européenne réunissant les ministres des Affaires étrangères des 27, ou leur représentant, a adopté un document intitulé « Lignes directrices de l’Union européenne pour la promotion et la protection de la liberté religieuse et de croyance ». Le Conseil était présidé par Catherine Ashton, Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité qui dirige le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) responsable de la préparation de ce texte mis il y a environ un an sur l’ouvrage.
La vocation de ces Lignes directrices est de constituer la base idéologique censée inspirer la politique extérieure de l’Europe en matière de droits de l’homme lorsque les croyances ou les cultes sont concernés. A ce titre, on peut considérer qu’il est le pendant de l’International Religious Freedom Act (IRFA) adopté en 1998 par les Etats-Unis même s’il s’en éloigne à plusieurs égards. En d’autres termes, c’est une nouvelle donne majeure sur la scène diplomatico-religieuse.
Admettre critique et raillerie
« L’Europe est impartiale et ne se reconnait aucune religion ou croyance particulière » annonce le texte en préambule (dans sa première et pour l’heure unique version en anglais). Avec ces Lignes directrices elle veut affirmer sa détermination à promouvoir la liberté religieuse et de croyance comme un droit que peut exercer « chacun et partout ». Et pour que les choses soient claires, le texte précise que ce droit doit se comprendre comme de celui de croire, ou de ne pas croire, à un credo plutôt qu’à un autre, de n’en avoir aucun, ou de s’en tenir à une position athée… et de changer d’avis.
S’il elle est par essence individuelle, la liberté religieuse ou de croyance est aussi un droit qui peut s’exercer collectivement, est-il en outre rappelé. Pour autant, rien ne saurait garantir à une religion d’être à l’abri de « critique ou de raillerie » — le terme anglais employé est celui de ridicule. Les Lignes directrices ne vont pas jusqu’à affirmer la liberté de blasphémer, sujet sensible entre tous et objet d’un bras de fer diplomatique à l’ONU depuis plusieurs années. Le sujet n’est toutefois pas complètement éludé mais la formulation employée, d’une extrême prudence, montre que, en l’occurrence, on marche sur œufs : l’Union « rappellera à toute occasion appropriée » que les lois criminalisant le blasphème restreignent la liberté religieuse ou de croyance…
Aucun droit exclusif
Ces Lignes directrices devaient initialement être adoptées par un Conseil de l’Union en janvier dernier. Il est probable que les 27 aient rencontré quelque peine à s’accorder sur un nouveau sujet que les institutions européennes ne prenaient jusqu’à présent qu’indirectement en compte. La France, en particulier, était soucieuse que le texte n’entame en aucune manière la liberté d’expression. Il fallait en outre qu’il soit compatible non seulement avec la loi sur la neutralité religieuse de l’Etat de 1905 mais aussi avec les lois de 2004 et de 2010 sur le port des signes religieux et la dissimulation du visage dans l’espace public, ce que d’aucuns jugent contraire à la liberté religieuse.
Si les lignes directrices ne soufflent mot de la laïcité, sans doute faut-il voir dans son article 20 la marque des préoccupations de la France. « Les adhérents d’une religion ou d’une croyance particulière ne jouissent d’aucun droit exclusif : tous les droits, qu’ils concernent la liberté de croire ou de manifester son appartenance religieuse ou sa croyance, sont universels et doivent être respecté sur une base non discriminatoire. » Manière contournée d’affirmer qu’un Etat peut exiger de chacun qu’il se plie, dans certains cas, aux mêmes règles.
Pas d’organisme particulier
L’Union n’annonce pas la création d’une institution particulière qui serait chargée d’une mission de veille. Contrairement aux Etats-Unis qui ont créé deux organismes — l’un abrité par le Département d’Etat, l’autre par le Congrès — exclusivement voués à la surveillance de la liberté religieuse dans tous les pays et qui publient chaque année un rapport. Mais elle dit qu’elle suivra les dossiers à travers ses réseaux d’ambassades et de délégations du SEAE, y compris s’agissant d’affaires individuelles et traitera le sujet dans son rapport annuel sur les droits de l’homme. L’Europe prévoit aussi d’apporter un concours financier à la cause de la liberté religieuse, notamment en aidant des organisations, voire des pays tiers hors Union.
On peut douter que ce dispositif ait un impact dans l’immédiat. Mais il ne s’agit que d’un début. La suite montrera si la question religieuse occupera réellement ou non une place dans la diplomatie européenne et si oui laquelle. Toujours est-il qu’elle en fait désormais partie.