Y’a Bon Awards : nous votons Caroline Fourest !

LE PLUS. En décernant à Caroline Fourest un « Y’a bon award », prix humoristique récompensant des « propos, dispositifs, idées, visuels et lois racistes de tous horizons », l’association Les Indivisibles s’est attirée les foudres de l’essayiste. Christine Delpy, chercheuse au CNRS, s’associe à toute une série d’intellectuels et d’artistes pour signer ce manifeste pour le droit à l’humour, à l’irrévérence et à l’antiracisme. 

Par Christine Delphy
Chercheuse au CNRS

Depuis 2007, l’association Les Indivisibles lutte, par le biais de l’humour, contre les préjugés racistes. Entre autres actions, elle organise chaque année une cérémonie parodiant les Oscars ou les Césars pour décerner des « Y’a Bon Awards » aux personnalités politiques ou médiatiques qui ont, par leurs propos, contribué à diffuser, banaliser et/ou légitimer des préjugés. Or, pour la première fois depuis quatre années d’existence des Y’a Bon Awards, une lauréate tente de disqualifier et d’intimider par voie judiciaire une initiative qui s’est imposée, au fil des années, comme bienvenue et même salutaire.

 

Caroline Fourest, le 19/04/10 à Paris (BALTEL/SIPA)

 

Caroline Fourest, le 19/04/10 à Paris (BALTEL/SIPA)

 

Il s’agit de la journaliste et essayiste Caroline Fourest, à laquelle Les Indivisibles ont décerné une peau de banane dorée dans la catégorie « les Experts Chronikers » pour avoir dénoncé des « associations qui demandent des gymnases pour organiser des tournois de basket réservés aux femmes, voilées, pour en plus lever des fonds pour le Hamas ».

Une plainte pour injure et diffamation

Dans un article d’une singulière violence, paru notamment sur le Huffington Post, celle-ci ne se contente pas de traiter la journaliste Rokhaya Diallo, co-fondatrice des Indivisibles, en ennemie de la laïcité et en alliée des islamistes, l’accusant d’intelligence avec le gouvernement américain, en même temps que de se faire l’avocate du « terrorisme contre la presse ». Caroline Fourest va encore plus loin : elle qualifie les Indivisibles et leurs jurés de « salauds » et les soupçonne de s’apprêter à « payer le ticket de bus » à ceux qui rêvent de l’ »emmener en forêt » pour la « bâillonner » ou la « lapider ».

Mais voici le plus grave : non contente d’injurier et de diffamer, Caroline Fourest annonce qu’elle attaque en justice Les Indivisibles pour… injure et diffamation !

La plainte annoncée vise aussi l’ensemble du Jury 2012 des Y’a bon Awards présidé par Gilles Sokoudjou, le président de l’association : les comédiens Jalil Lespert et Aïssa Maïga, les rappeurs Mokobé et Youssoupha, les écrivains Faiza Guène et Alain Mabanckou, les sociologues Jean Baubérot et Nacira Guénif, l’historien Olivier Le Cour Grandmaison, la civilisationniste Maboula Soubahoro, les journalistes Florence Aubenas, Abdelkrim Branine, Sébastien Fontenelle et Frédéric Martel.

Le délit de lèse-journaliste n’existe pas

Face à ce précédent dangereux pour la liberté d’expression et le combat antiraciste, nous tenons à affirmer :

– Qu’il est singulièrement contradictoire que Caroline Fourest, qui a vigoureusement soutenu la liberté d’expression au nom de l’humour lors de la diffusion des caricatures du prophète Mahomet par Charlie Hebdo, ne reconnaisse pas ce droit lorsqu’il est exercé par Les Indivisibles. Et le fait qu’elle instrumentalise l’actualité, en s’indignant qu’on lui attribue ce prix « alors que la France pleurait les morts du tueur de Toulouse », ne semble-t-il pas donner raison, a posteriori, aux jurés ?

– Que le délit de lèse-journaliste n’existe pas davantage que le délit de lèse-majesté ou le délit de blasphème, et que la liberté d’expression implique donc aussi la liberté d’exprimer des griefs à l’encontre de Caroline Fourest ;

– Que Caroline Fourest, chroniqueuse au Monde et à Radio France, invitée régulière de la plupart des grands médias, bénéficie d’une surface médiatique considérable qui lui offre toute latitude pour user de sa propre liberté d’expression en contre-argumentant, au lieu d’étouffer celle des Indivisibles et de leurs jurés au moyen d’une procédure judiciaire éprouvante et coûteuse ;

– Que le point de vue, pourtant largement présent parmi les militants antiracistes et les universitaires, selon lequel, au nom de la laïcité, Caroline Fourest contribue depuis des années à donner un visage respectable à des stéréotypes anxiogènes sur l’islam et les musulmans, n’a quasiment jamais droit de cité dans ces grands médias qui lui offrent régulièrement une tribune ;

– Qu’il est dans ces conditions particulièrement choquant de contester à des artistes, des intellectuels et des militants antiracistes cette liberté d’expression minimale : le droit d’épingler cette journaliste, le temps d’une cérémonie humoristique.

C’est pourquoi nous soussignés tenons à manifester notre solidarité avec Les Indivisibles et avec les jurés des Y’a Bon Awards 2012. Si Caroline Fourest s’octroie le droit de taxer les Indivisibles de racisme (« Quand l’antiracisme devient racisme », écrit-elle de façon parfaitement aberrante), pourquoi les Indivisibles n’auraient-ils pas celui de lui décerner une peau de banane dorée parfaitement méritée ?

Nous exprimons donc notre solidarité avec Les Indivisibles en décernant, nous aussi, un Y’a Bon Award à Caroline Fourest. Et si c’est un délit, il faudra nous poursuivre avec les jurés.

Akhenaton, artiste, Alain Brossat, professeur de philosophie émérite, Université Paris 8, Christine Delphy, chercheuse au CNRS , Claire Denis, cinéaste, Nicolas Fargues, écrivain, Eric Fassin, sociologue, Paris 8, François Gèze, éditeur, Achille Mbembe professeur de science politique à l’université du Witwatersrand, Johannesburg, Léonora Miano, écrivaine, Océanerosemarie « la lesbienne invisible », humoriste, Joan W. Scott, Historienne, Institute for advanced Study, New York, Todd Shepard, Associate Professor of History, Johns Hopkins University, Baltimore, Ann Laura Stoler, professor of anthropology and history, The New School for Social Research, Kader Aoun et Mehdi Thierry, producteurs, Zebda, artistes chanson

Et :

Pierre Tevanian philosophe, co-animateur du collectif « Les mots sont importants »

Sylvie Tissot, sociologue, militante féministe

Houria Bouteldja, porte-parole du PIR

Thomas Deltombe, essayiste

Karima Delli, députée européenne EELV

Faysal Riad, professeur

François Burgat, politologue

Catherine Samary, universitaire

François Cusset, universitaire, Paris 9

Louis-Georges Tin, maître de conférences, Université d’Orléans

Said Bouamama, sociologue

Eyal Sivan, cinéaste – University of East-London

Henri Braun, avocat

Mahamadou Lamine Sagna, sociologue  (Université de Princeton)

Jim Cohen, universitaire

Monique Crinon, philosophe

Alima Boumédiene-Thiery, juriste et ex parlementaire

Vincent Geisser, président du Centre d’information et d’étude sur les migrations internationales (CIEMI).

Véronique Rieffel auteure et commissaire d’exposition,

Stéphane Lavignotte, pasteur.

Pascal Boniface, geopolitologue, Paris 8

Patrick Singaïny, intellectuel réunionnais

Almamy Kanouté, tête de liste Emergence

Joëlle Marelli, philosophe

Raphaël Liogier directeur de l’observatoire du religieux

Pierre Sally, historien

Rada Iveković, philosophe, Paris

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