Le meurtre de Trayvon Martin, c’est notre histoire

 

Le meurtre de Trayvon Martin, c’est notre histoire

 SANFORD (Floride). Francis Oliver secoue la tête et ses longs dreadlocks blonds frétillent. « Non, le meurtre de Trayvon Martin n’est pas un cas isolé ». Ces trois dernières années, à Sanford, pas moins de six jeunes garçons noirs ont été tués par balles. Mais « oui, cette affaire-là est exceptionnelle car cette fois, le coupable a été arrêté ».

Depuis le premier jour, la pittoresque institutrice noire à la retraite est en première ligne pour réclamer justice. Au nom de l’histoire troublée des relations raciales dans cette ville de Floride centrale, dont elle se sent dépositaire.

Mme Oliver a obtenu en 2011 d’ouvrir dans un préfabriqué, en plein quartier afro-américain, un petit musée qui raconte une histoire totalement occultée dans le « grand » musée municipal : celle de Goldsboro, la ville gérée de façon autonome par des descendants d’esclaves jusqu’en 1911, date de son annexion autoritaire par Sanford, la ville blanche dédiée à la culture du céleri. Une histoire oubliée mais dont la cité porte les stigmates, avec son élégant cœur historique en front de lac d’un côté, et ses quartiers noirs déshérités de l’autre.

Ni Trayvon Martin, qui vivait à Miami, ni George Zimmerman, installé à Sanford depuis peu,  n’ont une histoire familiale en rapport avec cette ville et son  passé de ségrégation. Le lotissement clos où a eu lieu le drame se trouve d’ailleurs à des kilomètres de là. « Le lien avec notre histoire, affirme pourtant Francis Oliver, c’est celle d’actes de violence commis contre des Noirs, sur lesquels la police n’enquête pas ». Pas une seule arrestation n’a été opérée après les six meurtres récents. « Les familles ne parviennent même pas à savoir si les enquêtes sont dans l’impasse ou si c’est juste que les policiers s’en moquent ». C’est pourquoi, son sang n’a fait qu’un tour lorsqu’elle a appris que le meurtrier du lycéen avait été interpellé, puis remis en liberté. La ténacité des parents et de leur avocat, leur médiatisation ont fait le reste.

A Sanford, dont le slogan est « la ville sympa », « le seul problème, c’est la police, et depuis longtemps», poursuit l’historienne locale en prononçant « looooongtemps » pour mieux se faire comprendre.  Non pas que les fonctionnaires noirs soient absents du commissariat. « Les trois derniers chefs ont été virés pour défaut de commandement et l’un était noir. J’espère que cette fois, le FBI va y mettre son nez ». Pour l’heure, la décision municipale de mettre à l’écart Bill Lee, le chef de la police qui a remis en liberté le meurtrier de Trayvon Martin, divise les habitants, largement en fonction de la couleur de la peau.

« Il n’y a pas de gros problème racial tant que chacun reste à sa place, précise Francis Oliver. Tant que les SDF ne vont pas au centre-ville ou que les pauvres ne s’installent pas dans les quartiers sélect ». D’après elle, le lotissement clos où a eu lieu le meurtre est secoué par ce clivage : un certain nombre de maisons, construites en 2005 pour des familles aisées, se sont retrouvées vides à cause de la crise du crédit hypothécaire (subprimes). La municipalité y a relogé des familles de locataires modestes, aux origines plus mêlées et bénéficiant d’aides financières d’Etat.  « Ils ont tout vu du meurtre, certains ont pris des photos. Mais ils ont peur de perdre leurs allocations s’ils témoignent contre la police ».

« Les gens se mélangent, constate néanmoins Mme Oliver. Les enfants d’aujourd’hui n’imaginent même pas qu’il ait pu exister des écoles ségréguées, comme celle que j’ai fréquentées. » Il faut donc un musée pour apprendre qu’en 1921, une église fréquentée par les Noirs mais bâtie dans la partie blanche de la ville, a été incendiée par le Ku Klux Klan. Que dans les années 60,  après qu’un jeune Noir ait décidé d’aller s’y baigner, la municipalité à préféré fermer la piscine plutôt que de l’ouvrir à tous. Et qu’en 1983, les Noirs, toujours privés de conseiller municipal spécifique pour défendre leur quartier, ont dû saisir la justice pour obtenir un  découpage de la ville.

Mais les choses ont changé notablement. L’actuel maire (blanc), Jeff Triplett a posé un acte impensable autrefois : c’est lui qui a décidé de  rendre publics les enregistrements des conversations téléphoniques échangées entre George Zimmerman et la police juste avant le meurtre. Des documents qui, relayé par les grands médias nationaux, se sont propagés sur internet, transformant un fait divers local en affaire d’Etat.

Source

En hommage à Trayvon Martin et Shaima Alawadi .

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