Fidel, la transmission essentielle

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Équateur: de la Théologie de la Libération au modèle du « Bien Vivre »

Proche collaborateur de Monseigneur Proaño,  l’un des évêques fondateurs de la Théologie de la Libération en Amérique Latine, le Père Pedro Pierre est à la fois un acteur engagé et un témoin de l’émergence des organisations indiennes sur la scène politique équatorienne. Il décrypte avec acuité l’histoire récente de l’Equateur et la politique de la … Lire la suite

Du colonialisme français à la Troïka, une longue histoire de luttes

Du colonialisme français à la Troïka, une longue histoire de luttes Alex Anfruns Militant internationaliste et éditeur engagé, Nils Andersson met en lumière dans cette interview les méfaits du néo-colonialisme et offre des pistes d’action pour le développement de la solidarité envers les peuples du Sud. En 1967, vous étiez éditeur et vous avez été … Lire la suite

Rencontre avec Houria Bouteldja

Rencontre-discussion avec Houria Bouteldja Samedi 07 Mai Au Pianofabriek Rue du Fort, 35, 1060 Saint-Gilles Accueil a partir de 12h30 Présentation de l’association activistchildcare à 13h00 – 14h00 Rencontre-discussion avec Houria Bouteldja à 14h30 – 17h00 « Pourquoi j’écris ce livre ? Parce que je partage l’angoisse de Gramsci : “le vieux monde se meurt. … Lire la suite

Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire

Vers une politique de l’amour révolutionnaire Houria Bouteldja Ce livre est un cri – pas un cri de guerre, plutôt un cri de paix. Plus exactement, c’est une série de claques alternant avec des caresses. Appliquées à qui ? Aux Blancs « de gauche » munis d’une bonne conscience anticolonialiste mais qui restent dans le … Lire la suite

Hommage et actualité de Camilo Torres (vidéo)

Message de François Houtart à propos de sa rencontre avec Camilo Torres, de l’engagement et de l’actualité de ce prêtre et sociologue précurseur de la théologie de la libération.

François Houtart est sociologue, professeur émérite à l’Université Catholique de Louvain et professeur à l’Instituto de Altos Estudios Nacionales à Quito, en Equateur.

Cette vidéo résume son intervention au colloque consacré à Camilo Torres organisé par le CriDIS le 15 février 2016 à l’Université Catholique de Louvain. Elle a ensuite été diffusée lors de la conférence « Camilo Torres, 50 ans après » à l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique latine (Paris).

Source : ISA RC47 Research Committee on Social Classes and Social Movements

CONTRE LA GUERRE

« Ce serait la guerre, désormais. Auparavant, non ? Et la guerre pour quoi : au nom des droits humains et de la civilisation ? En réalité, la spirale dans laquelle nous entraîne l’Etat pompier pyromane est infernale », peut-on lire dans une tribune « A qui sert leur guerre », parue le 24 novembre dernier.

Christine Delphy  souligne que le combat contre l’état d’urgence et le combat contre la guerre ne sont qu’un seul et même combat…

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L’état d’urgence a été déclaré parce que la France est en guerre depuis le 13 novembre – a dit le 13 novembre à 23h 45 le président de la République française, François Hollande.

Or la France n’est pas plus en guerre qu’elle l’était la veille, ou un an avant. Elle bombarde l’Irak depuis 2014, et la Syrie depuis septembre 2015.

Depuis le 13 novembre, l’idée de guerre est utilisée comme un moyen de provoquer un état de panique générale – de panique calme, mais paniquée quand même.

Le pays a été sidéré par les tueries ; il ne se savait pas menacé ; il ne savait même pas que la France bombardait l’Irak et la Syrie. Il a donc été facile pour le pouvoir de lui faire prendre des vessies pour des lanternes et de prétendre que la France allait, à cause de ces tueries, commencer à bombarder Daech en représailles : parce que Daech nous avait attaqués.

Mais aussi horrible soit Daech, ce n’est pas Daech qui attaqué le premier la France. Or Hollande déclare : « Puisque nous sommes en guerre, et surtout que nous y sommes parce que nous avons été attaqués de façon « lâche » et « barbare », et en plus, « chez nous », nous allons « rétorquer » ». Tous les qualificatifs utilisés à propos des tueries et de la guerre qui s’ensuit, montrent un double standard – un 2 poids 2 mesures. Bien sûr les tueries étaient horribles. Il est difficile de trouver des tueries qui ne le soient pas.

Mais apparemment, si. Celles auxquelles procède l’aviation française, ne seraient pas des tueries, mais des« dommages collatéraux ». L’opinion avale qu’il s’agit de deux phénomènes bien différents.

Car nous sommes encore imprégnés d’une façon de penser coloniale : de l’idée que nous avons le droit et le devoir de rendre la justice partout dans le monde. Et c’est sur ce deux poids-deux mesure structurel, sur cette façon de penser que le gouvernement a tablé.

Et aussi sur le fait que, depuis le Vietnam, il n’y a plus ni photos, ni récits, des tueries provoquées par nos bombardements. Pas d’individus sous les bombes. Pas de preuves des meurtres. Pas même de chiffres.

En revanche les conséquences des attaques du 13 novembre « chez nous » ont été documentées du mieux qu’on pouvait ; les récits des rescapés, des SAMU, des pompiers, des policiers ont été sollicités, enregistrés, retransmis en boucle sur toutes les chaînes télévisées, imprimés dans tous les journaux ; puis, quand tous les récits, tous les témoignages furent épuisés, ce sont les photos des morts, puis leur biographie, qui ont été publiées. Deux mois après l’événement, ont commencé les commémorations.

Tout un pays a été occupé, fasciné, hypnotisé, par le récit de cette violence, récit auquel s’ajoutaient sans trêve de nouveaux détails qui tiraient les larmes des yeux. Le sentiment est devenu irrépressible que nous devions quelque chose à ces morts, ces pauvres morts que nous n’avions pas pu sauver. Comme ceux qui avaient été témoins de leur mort et qui se demandaient tout haut, pourquoi ils étaient, eux, encore en vie, nous éprouvions la culpabilité des survivants. L’esprit de vengeance, qui n’a pas besoin d’être sollicité pour apparaître, a surgi. Et avec lui, en dépit des objurgations à « pas d’amalgame », a ressurgi l’esprit de « si ce n’est toi, c’est donc ton frère », exacerbant un racisme post-colonial déjà très prospère.

Le gouvernement a organisé tout cela très vite : de « on nous a déclaré la guerre », à « l’état d’urgence », il s’est écoulé à peine quelques minutes. Du décret de l’état d’urgence au vote de sa prolongation par un Parlement quasi-unanime, à peine quelques jours.

Et pendant que le gouvernement allait à toute vitesse, nous allions, nous, très lentement. Désemparés, sonnés, nous étions devenus une population aux pieds de plomb. Nous n’avons pas protesté contre la prolongation de l’état d’urgence : est-ce que contester sa nécessité, cela n’aurait pas démontré un manque de compassion, une froideur inacceptables dans ce moment de deuil ?

La célérité du pouvoir à appliquer des changements dont on se demande comment ils ont pu être pensés si vite, contraste avec la lenteur de la population à « réaliser » : réaliser les attaques, réaliser les morts, réaliser l’état d’urgence, réaliser l’interdiction de se réunir. Toutes ces « réalisations » sont venues lentement, difficilement, et quand nous avons réalisé ce qu’on nous faisait, il était trop tard pour manifester.

Une frappe aérienne contre Daech en Syrie a été annoncée le dimanche 15 novembre. Une autre le lendemain et une autre le surlendemain. Puis, plus rien. L’aviation a-t-elle cessé ses frappes ? On n’en sait rien et personne ne proteste contre cette absence de nouvelles.

Au départ, le 13 novembre, Hollande a annoncé les attentats comme des attaques terroristes de Daech : « Nous sommes attaqués » a été le premier mensonge, le mensonge fondateur de toute cette période : les victimes sont innocentes, nous sommes innocents, le pays est innocent, le gouvernement est innocent.

Qui dira le contraire ? Le Dimanche 15, trois personnes parmi les intervenants à la télévision, l’ont fait : Fillon, Bayrou et Villepin. Ils mentionnent, comme allant de soi, que les attaques terroristes sont une réponse aux bombardements français sur l’Irak et la Syrie. Car, oui, c’est la France qui a commencé. Depuis le 27 septembre très exactement en Syrie, depuis l’automne 2014 en Irak. La France bombarde, en tant que membre d’une coalition comprenant les USA, l’Arabie Saoudite, le Qatar et quelques autres états du Golfe.

Or personne du gouvernement, ni le chef de l’Etat ni le premier ministre, ni aucun socialiste ne l’a dit ou laissé entendre.

Certes on ne peut pas effacer complètement les mots que l’un des témoins de l’attaque du Bataclan a entendu prononcer par un assaillant : « Nous sommes ici pour venger les gens que vous tuez en Syrie ». Mais ce propos ne donne lieu à aucun commentaire, ni d’un politique, ni d’un journaliste. Un propos de barbare n’est pas une parole, c’est un son inarticulé, un grognement de bête, un bruit.

La presse a bien mentionné le début des bombardements de Daech par la France en septembre – mais comme un fait divers. Cela n’a pas retenu l’attention. À cause de la façon discrète de présenter ces bombardements mais aussi parce qu’on s’est habitués à ce que la France fasse régner l’ordre dans son ex-empire colonial. Et la France bombarde, et commet des « homicides ciblés » dans tout le Sahel, depuis janvier 2013 sans que personne ne batte une paupière.

Pour quoi ? Dans quel but ? Avec quelles justifications ? Là est la question, non seulement en ce qui concerne la « vengeance » du Bataclan, mais toutes les autres « opex » – opérations extérieures menées depuis janvier 2013. Serval 1 puis Serval 2 au Mali, transformé en « Barkhane » – pour faire croire qu’il ne s’agit pas de la même chose, et cacher que, selon un militaire, « on est là pour longtemps » ; Sangaris en Centrafrique – une opération « humanitaire » censée éviter les massacres inter-religieux qui n’évite rien du tout ; Chammam à Djibouti, dont personne n’a entendu parler ; l’entrée dans la coalition anti-Daech en 2014, dont personne n’a entendu parler non plus, car il faut préserver le mensonge que la France agit seule, comme une grande.

D’après le journaliste du Monde, David Revault d’Allonnes, personne – y compris dans son gouvernement – ne comprend pourquoi Hollande est devenu un foudre de guerre. Quelques éléments éclairent cette transformation :

Deux résultats positifs émergent de ces guerres : pour la première fois, l’invendable avion Rafale, qui reste sur les rayons depuis plus d’une décennie, a été vendu. Le ministre de la guerre, Le Drian, en a fourgué 25 à l’Egypte, puis 25 au Qatar, deux états démocratiques. L’autre résultat, c’est que à chaque fois, la cote de François Hollande remonte – (puis retombe presque aussitôt).

Un autre mobile pro-guerre apparaît selon ce même journaliste : Hollande apprécie le fait que quand il appuie sur un bouton, les paras sautent sur la cible dans les 6 heures – ce qui a fait de la « prise » de Tombouctou en 2013 le « plus beau jour de sa vie politique ». Tandis que quand il enjoint aux autres ministres « d’inverser la courbe du chômage », ça ne marche pas si vite, et même, ça ne marche pas du tout.

Enfin, un quatrième mobile apparaît, incroyable tant il semble enfantin ou mégalomane. Pour Hollande, la posture louis-quatorzième de garder le « rang » de la France, celui d’« une puissance mondiale », joue autant que la volonté de garder l’uranium d’Afrique pour Areva. Or, commente Hubert Védrine, « nous sommes un pays chimérique, qui est de plus en plus ridicule à se prétendre universaliste alors que nous n’en avons pas les moyens ». Combien de morts faudra-t-il compter avant d’abandonner cette chimère ?

Beaucoup d’autres résultats sont à porter au débit de cette guerre. Le premier évidemment, ce sont les attaques « terroristes » sur le sol français. Mais « on ne s’y attendait pas » (le gouvernement, si). Car tous les pays du monde doivent accepter les incursions des puissances occidentales qui s’arrogent le droit de changer les gouvernements des autres, de bombarder leurs populations, de les laisser en ruines et en guerres civiles tout en maintenant que leur propre sol, leurs propres populations sont des sanctuaires ; qu’il est inconcevable que les « autres » osent les attaquer.

Et pourtant cela arrive.

Les attentats de novembre sont la conséquence des bombardements sur la Syrie. Ce qui était le 15 novembre une évidence pour Fillon, Bayrou et Villepin, bien qu’ils se soient tus depuis lors, tout a été fait pour le nier. Jusqu’à l’absurde ; ainsi cette phrase : « Les attentats ne sont pas à cause de ce que nous faisons, mais à cause de ce que nous sommes ». Ce qui nous a valu une définition de « ce que nous sommes ». La francité c’est, depuis novembre, de « boire des bières en terrasse ». Boire des bières en terrasse n’est plus une action, un comportement, un loisir, une dépense : c’est une essence.

Enfin, nous tenons ce que nous cherchons depuis des années : l’identité nationale.

Pour pouvoir continuer la guerre, il faut prétendre que c’est une nouvelle guerre, pas une guerre qui dure depuis plus d’un an dans sa partie syrienne, et qui a commencé depuis bien plus longtemps dans le Moyen-Orient.

Une guerre plus grave, donc nouvelle. Qui change tout. Qui permet de tout changer. De justifier l’état d’urgence, et la démolition programmée de l’Etat de droit. Tandis que l’état d’urgence devient à son tour une preuve de l’urgence et de la nécessité de la guerre.

Guerre et état d’urgence sont les deux composantes indissociables de l’état dans lequel l’Etat nous a mis.

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Être DE-CO-LO-NIAL

Être DE-CO-LO-NIAL…Qu’est ce que ça signifie pour vous? Réfléchir et se poser des questions sur notre monde, sur l’histoire des peuples jusqu’à nos agissements d’aujourd’hui..

Le monde ne tourne pas rond? c’est normal, c’est à cause du manque de décolonialité!

Interview Ramón Grosfoguel

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Interview Ramón Grosfoguel

Publié le Auteur Claude Rougier

Ramón Grosfoguel est professeur dans le département d’études ethniques de l’Université de Berkeley. Membre actif du réseau Modernité/colonialité dès ses débuts, aujourd’hui, il continue à agir pour décoloniser la pensée et le monde. L’interview qui suit est un extrait d’une conversation, en espagnol, qui sera mise en ligne sur Daily Motion

 

 

 

 

 

Claude Rougier : Dans « La inflexión descolonial », l’anthropologue colombien Eduardo Restrepo écrit qu’une des différences importantes entre les Post colonial Studies et les Estudios Descoloniales est que : « la pensée décoloniale est opératoire dans le champ théorique de la colonialité alors que la réflexion des auteurs postcoloniaux l’est dans le champ du colonialisme ». En quoi consiste cette différence entre colonialité et colonialisme ?

Ramón Grosfoguel. Le colonialisme est ce mouvement d’expansion européenne qui commence en 1492 et qui va usurper la souveraineté d’un peuple par des méthodes violentes : l’occupation militaire, l’exploitation brutale de la force de travail, comme c’est le cas avec l’esclavage et l’imposition d’une administration coloniale. Ce processus, qui a commencé il y quatre cent cinquante ans, a donné à l’Europe un privilège qui n’est pas seulement, économique mais aussi culturel et épistémologique. C’est à partir de cette expansion coloniale, que sont apparus des rapports de pouvoir qui n’ont pas disparu avec le colonialisme proprement dit.
Je veux parler de ces hiérarchies qui sont toujours en place aujourd’hui, alors que les administrations coloniales ont disparu presque partout sur la planète (n’oublions pas cependant Puerto Rico, la Palestine et d’autres parties du monde). Il s’agit de rapports de pouvoir qui s’exercent au niveau économique et politique : un type d’exploitation du travail indissociable du développement d’un capital financier central, qui correspond à la domination du Nord global sur le Sud global ; une forme d’autorité politique qui passe par l’organisation d’états-nations, l’état-nation étant cette chimère en vertu de la quelle identité d’un état et identité d’une population s’ajusteraient, ce qui n’est jamais le cas. Cet état-nation est un mécanisme essentiel de la domination à l’intérieur du système mondial actuel. Il existe d’autres hiérarchies, de type pédagogique, esthétique, linguistique, de type racial ou sexuel, de genre.
Toutes ces structures, qui ont leur origine dans une histoire coloniale, ne disparaissent pas avec celle-ci. Elles constituent ce que l’on s’accorde à nommer l’Occident, et grâce à toutes ces hiérarchies, esthétiques, linguistiques, raciales, etc, les critères de l’Occident l’emporteront sur tous les autres. Ces hiérarchies ont été intériorisées, au niveau des individus, de la subjectivité, mais elles existent aussi au niveau des collectifs, des régions, des pays, elles sont intégrées à notre façon de penser la politique, à notre rapport à la nature, aux relations humaines. C’est pourquoi elles font partie de l’imaginaire du monde moderne.
Voilà la raison pour laquelle, dans mes travaux, lorsque je m’adresse à la gauche occidentalisée, j’insiste beaucoup sur le fait que nous ne parlons pas d’un système économique ou politique mais d’une civilisation. En effet, si nous pensons le système monde comme un système économique, toutes ces hiérarchies de pouvoir trouvent leur explication, en dernière instance, dans une determination économique. Mais si nous nous proposons de décoloniser l’économie politique, grâce à un changement dans la géographie de la raison, si nous commencons à penser depuis le Sud Global, alors, il devient clair qu’une multitude de hiérarchies de pouvoir existent au niveau global et qu’elles constituent une civilisation.
Remarquons d’ailleurs que les intellectuels critiques du Sud, qu’il s’agisse des intellectuel(le)s indigènes ou des penseur(se)s noir(e)s, des critiques islamistes ou des penseurs boudhistes, sont tous d’accord sur un point : ce système global est une civilisation, et certains la nomment la civilisation occidentale. Cela nous renvoie au fait que le système global n’est pas seulement un système économique mais quelque chose de beaucoup plus ample. C’est une civilisation qui a produit un système économique, pas un système économique qui a produit une civilisation. Une civilisation qui a détruit toutes les autres, et qui, dès la fin du XIXe siècle, a existé à l’échelle planétaire. Pour quelques rares populations du monde occidentalisé, elle produit la vie et donne accès à des privilèges. Pour toutes les autres, elle produit la mort et la violence .

C. R- Restrepo dit aussi que les post-coloniaux se référent à Foucault et aux auteurs souvent rattachés au  post-structuralisme alors que les décoloniaux seraient plus marqués par la philosophie de la libération et la théorie de la dépendance. Tu partages ce point de vue ?

R. G. Si tu lis la première partie de l’article que j’ai intitulé Decolonizing Post-colonial Studies and the Paradigms of Political-Economy, tu constateras que le début est consacré précisément à ce point : au fait que la perspective postcoloniale reproduit le privilège de l’homme occidental. Je veux parler de ce privilège épistémique de l’homme occidental, au monopole de la connaissance dont jouissent les hommes de cinq pays, qui sont les seuls à faire autorité, les seuls à être légitimes. . Ces hommes sont français, allemands, britanniques, nord-américains (et il y a aussi, mais au second plan, des Italiens). Tout bien considéré, toutes les disciplines des sciences sociales, et même les paradigmes disciplinaires de l’université occidentalisée et de la gauche occidentalisée sont fondés sur les analyses d’hommes qui appartiennent à l’un de ces cinq pays. C’est sur cette base que s’établissent les règles de la pensée critique ou scientifique dans le domaine social, historique, philosophique.
Peut-on, dans ces conditions, parler de diversité épistémique ? N’est-elle pas plutôt étouffée, et finalement détruite ? Nous, les penseurs décoloniaux, nous prenons au sérieux la question de la diversité épistémique. Nous voulons décentrer la pensée de l’homme occidental car elle s’inscrit dans ce que je nommé « une épistemologie raciste-sexiste ». Parce que l’université occidentale et la gauche occidentale renvoient seulement à la pensée de ces hommes là, parce qu’elles mettent de fait sur un plan d’infériorité ce qui se produit ailleurs dans le monde, nous pouvons parler de structures épistémiques racistes et sexistes. Et les écrivains post-coloniaux ont beau faire une critique du colonialisme, ils contribuent au maintien de cette structure épistémique, parce qu’ils fondent leurs analyses sur la pensée d’hommes de ces cinq pays. Pour l’essentiel, il s’agit de Foucault, Derrida, Lacan, Gramsci et Marx, leurs auteurs canoniques. Bien sur, Said, Spivak, Bhabha, ont dit des choses très importantes ; mais si nous nous proposons de décoloniser la connaissance, leur apport s’avère limité. Car, je le répète, si pour toi toute pensée critique se résume à ce qui a été formulé par ces hommes issus de cinq pays, tu finis nécessairement par reproduire le privilège épistemique de ces hommes-là. Voilà une critique que j’ai exposée dans divers articles. C’est un vrai problème de fond. Et ne caricaturons pas : je ne suis pas en train de dire pas qu’il ne faut pas lire Foucault, Derrida, etc. Ce serait grotesque. Je ne suis pas anti-européen, je suis anti-européocentrique (…).
Pour revenir à ta première question, il y a une autre pierre d’achoppement entre les post-coloniaux et les décoloniaux, leur vision de la modernité. Les post-coloniaux voient dans la modernité une solution : il faudrait simplement que les modernités soient diverses, plurielles, etc. Mais nous,les décoloniaux, nous voyons la modernité comme un problème. C’est une civilisation qui a créé la mort, qui élimine des êtres humains et d’autres formes de vie. Une civilisation de la mort, pas un projet d’émancipation, comme le croient les postcoloniaux. Certes, il s’agit d’un projet de civilisation, mais qui est également un projet de domination.
La différence entre les deux perspectives est donc considérable.

Entrevue réalisée en aout 2015

Source

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Nous voulons vous remercier pour votre participation au Meeting: Contre l’état d’urgence, l’islamophobie et la poursuite de la guerre

Merci à tous les participants et intervenants ! Nous voulons vous remercier pour votre participation au Meeting: Contre l’état d’urgence, l’islamophobie et la poursuite de la guerre, le 13 décembre dernier à Bruxelles. Nous avons eu le plaisir d’accueillir plus de 150 participants tout au long de la journée pour écouter les 16 intervenants, belges … Lire la suite