Samidoun défend la libération des prisonniers politiques palestiniens. L’organisation doit faire face à toute une répression émanant des gouvernements occidentaux : Ainsi, elle est interdite en Allemagne et le cabinet de Dick Schoof (Premier ministre des Pays-Bas depuis le 2 juillet 2024, NdT) entend bien faire pareil aux Pays-Bas. Samidoun soutient l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et la situe dans le contexte de plusieurs décennies d’oppression et d’expulsion, ce qui lui vaut de se voir exposée à de nombreuses critiques. Qu’est-ce que Samidoun et que défend l’organisation ? Jacobin s’est entretenu avec son coordinateur européen, Mohammed Khatib.
Teun Dominicus, 17 octobre 2024
Alors que l’armée israélienne attaque encore Gaza jour après jour, elle s’est également engagée dans un conflit contre le Hezbollah au Liban. C’est ainsi que la guerre contre les Palestiniens et leurs alliés continue désormais de s’étendre au Moyen-Orient. De son côté, l’Occident s’abstient bien de mettre le moindre bâton dans les roues d’Israël. Entre-temps, les adversaires de la politique d’occupation israélienne font de plus en plus entendre leur voix. Chaque jour, il y a des manifestations qui appellent au boycott d’Israël et qui exigent que les pays occidentaux cessent de soutenir la boucherie de masse qui a lieu en Palestine.
Les manifestants et activistes qui défendent la libération de la Palestine sont confrontés à la répression. Aux Pays-Bas, mais également aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni, les autorités tentent d’étouffer leurs voix et de criminaliser leurs actions. Ainsi, Samidoun, une organisation palestinienne qui attire l’attention du monde entier sur le sort des prisonniers politiques palestiniens, est menacée par la police et par d’autres institutions gouvernementales. Le membre de la Seconde Chambre, Diederik van Dijk (du parti théocratique SGP), a par exemple introduit en mai 2024 une motion en vue de
« placer Samidoun sur la liste européenne des organisations terroristes », pour « glorification de la violence ».
À la Chambre, une large majorité allant des partis de droite et d’extrême droite à ceux du centre, comme le PVV, le VVD, le NSC, le CDA et D66, ont soutenu cette proposition.
Mais qui est derrière cette organisation palestinienne ? Comment eux-mêmes perçoivent-ils l’occupation en Palestine? Y a-t-il des limites à la résistance armée, lors d’une occupation ? Et à quel point peut-on avoir des principes en concluant des alliances quand – comme le préconisait l’Afrique du Sud en janvier – on vit sous apartheid depuis 1948 déjà ?
C’est à Bruxelles que Jacobin a rencontré Mohammed Khatib, le coordinateur européen de Samidoun.
« Un peu plus loin, il y a la place Bethléem »,
dit-il lorsque, à la mi-septembre, nous déambulons dans les rues de Saint-Gilles. La place est baptisée du nom d’un lieu de son pays qu’il ne peut même pas visiter ! Ce que nous ne savons pas, à ce moment-là, c’est que, d’ici peu de temps, Israël va diriger sa campagne de guerre sur le Liban.
En tant que réfugié palestinien du Liban, c’est en 2010 que Khatib est venu en Belgique, où il s’est vu accorder l’asile politique. Depuis lors, il s’engage pour la libération des prisonniers politiques palestiniens et pour la Palestine.
« Je suis né dans un camp de réfugiés du Sud-Liban. Il a été installé dans les années 1950 après la catastrophe palestinienne, la « Nakba »,
raconte Khatib, faisant allusion à la fondation de l’État d’Israël en 1948 et à l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens qui l’a accompagnée.
« À l’origine, je viens du nord de la Palestine, le territoire frontalier entre la Syrie, le Liban et la Palestine. »
Au Liban, la ségrégation fait que les Palestiniens vivent séparés du reste de la société : ils résident dans des camps de réfugiés à part et ont peu de contacts avec les Libanais.
En, tant que réfugié palestinien au Liban, Mohammed Khatib est plus que familiarisé avec la machine de guerre israélienne. Né en 1990, il n’a pas vécu personnellement l’invasion du Liban en 1982, mais Israël a maintenu le Sud-Liban sous occupation jusqu’en 2000.
« J’ai vu l’armée sioniste pour la première fois en 2000, après la libération, quand nous avons eu pour la toute première fois accès à la frontière. »
Khatib a pu voir de ses propres yeux la terre d’où avait été chassée sa famille des décennies plus tôt. En 2006, Israël envahissait de nouveau le Liban, au cours d’une brève mais sanglante guerre d’été.
« C’était horrible, naturellement »,
raconte Khatib.
« Notre camp de réfugiés a été attaqué deux, trois, quatre fois. Mais il était également intéressant de voir comment les camps proposaient un accueil aux réfugiés du Sud-Liban, et des places dans les écoles, les centres culturels et les mosquées. Enfant, j’ai vu ma mère descendre dans la rue et ramener une famille libanaise qui a logé chez nous pendant un mois. Nous n’étions pas les seuls à le faire, tout le camp le faisait. J’ai vu comment cette horrible guerre résolvait les conflits sociaux, religieux et culturels entre les gens. Ç’a été une période captivante mais, bien sûr, également traumatisante, à force de voir tout ce sang, et tous ces lambeaux de chair humaine joncher les rues. »
En 2011, Mohammed Khatib et d’autres fondaient Samidoun : un mot arabe qui signifie « fermes, déterminés, bien décidés ». Depuis lors, il coordonne les activités européennes de l’organisation.
En quoi consiste Samidoun, exactement ?
« Samidoun est un réseau auquel des organisations peuvent se joindre. Des organisations qui s’engagent en faveur de l’enseignement et de la mobilisation pour la libération des prisonniers politiques palestiniens. Trois personnes peuvent également fonder une section de Samidoun.
« Nous avons des sections dans 22 pays : les États-Unis, le Canada, le Chili, le Venezuela, la Suède et les autres pays scandinaves. Les Pays-Bas, naturellement, où nous avons une section à Amsterdam et une à Rotterdam. Et la Belgique aussi.
« Nous soutenons les prisonniers politiques palestiniens en faisant en sorte qu’on puisse entendre leurs voix. Nous traduisons leurs déclarations et nous les mettons en contact avec le mouvement international pour la libération des prisonniers politiques. Car des prisonniers politiques, il n’y en a pas qu’en Palestine – en tant que Palestiniens en Palestine et dans la diaspora, nous faisons de notre mieux pour mettre en contact les prisonniers politiques palestiniens avec d’autres prisonniers politiques en Grèce et aux États-Unis, avec le mouvement noir aux EU, avec Georges Ibrahim Abdallah, un communiste libanais qui est détenu en France. »
En 1987, en France, Georges Ibrahim Abdallah a été condamné à la prison à vie pour les assassinats en 1982 de l’officier de l’armée américaine et diplomate Charles Ray et du diplomate israélien Yacov Barsimantov. La raison de l’acte imputé à Abdallah était l’attaque dévastatrice lancée par Israël et soutenue par les EU contre le Liban en 1982.
« Nous percevons les prisonniers politiques comme des dirigeants de la révolution palestinienne. Ils ont participé à la première et la seconde intifadas, ont mis sur pied des mouvements de masse, ont vécu dans les camps de réfugiés. Ils ont été arrêtés en raison de la politique qu’ils mènent et nous devons faire en sorte qu’ils puissent continuer de mener cette politique. »
Cela nous amène directement à la question des prisonniers palestiniens. Peux-tu esquisser leur situation ? Combien étaient-ils avant le 7 octobre 2023, et maintenant ? Dans quelles conditions sont-ils enfermés ? Et qu’est-ce que la « détention administrative » ?
« Je commencerai par la détention administrative, car c’est là que se situe le début du mouvement des prisonniers politiques palestiniens. Je dis expressément ‘mouvement’, car nous ne voyons pas les prisonniers comme des victimes de notre guerre. Ils constituent un mouvement politique qui était déjà né avant que soit fondé le mouvement palestinien de libération nationale. Donc, avant des partis politiques comme le Fatah, le FPLP, le Hamas et le Djihad islamique palestinien ; ils ont été fondés par des prisonniers et des étudiants.
« La ‘détention administrative’ est une loi qui a été introduite durant la domination coloniale britannique et qu’Israël a maintenue en place. Cela signifie que les Israéliens, l’armé sioniste et la police peuvent vous arrêter et vous garder six mois en détention. Ensuite, cette détention peut être prolongée de six nouveaux mois, sans accusation ni procès et le tout reposant sur un dossier secret. Plus d’un million de Palestiniens en tout ont été arrêtés un jour par l’État d’Israël. En ce moment, il y a environ 10 000 prisonniers politiques palestiniens, encore que je ne sois pas sûr que ce chiffre soit exact. La plupart des prisonniers viennent de la Cisjordanie et de Jérusalem, et une petite partie de ’48. Personne ne sait combien de prisonniers et de morts il y a actuellement en provenance de Gaza. »
Mohammed Khatib n’est pas le seul à sortir ce chiffre : l’organisation palestinienne des droits de l’homme Addameer et l’organisation israélienne B’Tselem estiment elles aussi qu’il y a actuellement aux alentours de 10 000 prisonniers politiques palestiniens.
Et les conditions de détention ? En juillet dernier est sorti un rapport des Nations unies sur la situation après le 7 octobre.
« Abus sexuels. Torture physique et mentale. Négligence médicale. Homicide. Les Palestiniens subissent tout cela depuis le début de l’occupation, à la différence près que les chiffres sont bien plus importants aujourd’hui. Les Nations unies osent présenter aujourd’hui un rapport parce que, pour l’instant, les circonstances changent si vite qu’elles ne peuvent plus se permettre de rester silencieuses. Et tout cela grâce aux actions de la résistance palestinienne.
Mais ne nous dupons pas. Nous ne prétendons pas que Samidoun ou d’autres organisations de masse, palestiniennes ou internationales ou encore des ONG ont libéré des prisonniers politiques. »
Parfois des prisonniers sont libérés après avoir été échangés contre des prisonniers israéliens…
« Ce n’est pas ‘parfois’ comme vous le dites. La seule fois où des prisonniers palestiniens ont été libérés, donc indépendamment des prisonniers qui ont été libérés une fois leur peine purgée, ç’a été après un échange avec la résistance palestinienne. »
L’un des exemples les plus connus d’échange de prisonniers a eu lieu en 2011 : Le soldat israélien Gilad Shalit a été échangé contre 1 027 prisonniers palestiniens, comme Yahya Sinwar, l’actuel dirigeant du Hamas dans la bande de Gaza. (*) Sinwar a passé en fin de compte 22 ans dans les prisons israéliennes et il a dit après sa libération que les autres prisonniers étaient une grande priorité, pour lui. Le journaliste américain Jeremy Scahill écrit que, trois semaines après l’attaque du 7 octobre, Sinwar avait proposé d’échanger « tous les prisonniers palestiniens des prisons israéliennes contre tous les prisonniers de la résistance palestinienne », mais que le gouvernement Netanyahou avait refusé un tel échange.
Mohammed Khatib ne pense guère à la diplomatie « douce » pour libérer des prisonniers politiques.
« Nous voyons qu’après les accords d’Oslo de 1992, les organisations palestiniennes qui prennent la défense des prisonniers politiques le font selon une perspective de droit international ou dans le cadre des droits humains. Ils sont soutenus en cela par la Commission européenne, une institution coloniale qui soutient toujours les colonies – comme Israël. Nous ne croyons donc pas en l’hypocrisie selon laquelle l’UE paie des avocats afin de libérer des prisonniers politiques. »
En compagnie de Khatib, nous visionnons un clip sur Angela Davis, la célèbre activiste des Black Panthers américains. En 1969, un journaliste lui pose des questions sur la violence (qu’auraient employée) des membres des Panthers. Dans sa réponse, elle met à nu la structure plus profonde de la violence raciste aux États-Unis :
« Parce que, ce que cela signifie, c’est que la personne qui pose cette question n’a absolument aucune idée de ce que les noirs ont dû subir, mais les noirs ont de l’expérience, dans ce pays, depuis le jour où le premier noir a été kidnappé et emporté à partir des rivages de l’Afrique. »
Cette réponse vous semble-t-elle familière ?
« Oh ! Certainement. Elle finit par le début de la violence, quand les gens réduits en esclavage ont été transportés par les Européens vers l’Amérique. La violence existait donc déjà depuis des siècles. Ce n’est pas correct de demander à ceux qui s’opposent à la violence, ou qui ripostent, pourquoi ils recourent à la violence. Nous, les Palestiniens, sommes confrontés chaque seconde à la violence. Venir au monde dans un camp de réfugiés, c’est de la violence, tout comme être chassé de son pays. »
Dans divers pays européens, des hommes politiques – de droite, mais aussi des social-démocrates modérés – disent que Samidoun est une organisation antisémite. En Allemagne, elle est interdite parce qu’elle soutient le terrorisme. Comment voyez-vous les choses, entre autres en fonction de ce que dit Davis ?
« Ses propos n’ont pas grand-chose à voir là-dedans. Il ne s’agit pas de violence, car pas un seul pays européen n’a jamais pu prouver que je suis quelqu’un de violent. Jamais non plus nous n’avons été accusés d’avoir provoqué une situation violente. Je pense que cela n’a rien à voir avec la violence, mais bien, et surtout, avec la supériorité des blancs européens et leur racisme. »
Mais je posais une question sur le soutien au terrorisme, je ne parlais pas d’actes de terrorisme en soi…
« En Europe on peut soutenir le terrorisme sans que cela soit interdit. Il y a eu assez d’organisations qui ont soutenu l’EI matériellement, mais on ne s’en est jamais pris à elles. Les organisations salafistes sont autorisées. Le « soutien » doit être compris dans le sens matériel, et non politique – c’est ce que dit la loi, non ? Tant que vous ne donnez pas de soutien matériel à une organisation politique qui se livre au terrorisme, il n’y a pas de raison qu’on vous interdise. »
Vous dites : Je suis libre de m’exprimer en faveur du soutien à des organisations de résistance palestiniennes ?
« Dans le cas de la Palestine, ce n’est pas permis, actuellement, alors que ce devrait l’être. C’est d’ailleurs le cas avec d’autres. Prenez le lutte des Kurdes à Rojava, c’est une révolution qui s’accompagne de violence. N’empêche que vous pouvez la défendre et lui témoigner votre soutien. Ce droit ne vaut pas pour les Palestiniens. »
Mohammed Khatib est catégorique dans son soutien au Front populaire (marxiste-léniniste) pour la libération de la Palestine, le FPLP.
« Je ne suis pas membre, néanmoins je les respecte et les admire »,
avait-il dit en avril 2014 dans un média d’information belge.
« Je vois le FPLP comme une importante organisation palestinienne, de gauche et progressiste. Je ne nie pas que nous avons un lien avec le FPLP. Je suis fier de ce lien. »
Le FPLP a été placé sur une liste de terroristes par l’Union européenne, entre autres en raison des détournements d’avions des années 1970. Khatib voit plutôt là-dedans un instrument destiné à étouffer les voix palestiniennes.
« La résistance palestinienne est perçue comme terroriste. Je pense que cela provient de l’islamophobie, car la majorité des Palestiniens sont musulmans et certains mouvements de résistance sont islamistes. En fait, ils sont victimes de l’islamophobie européenne et du racisme européen, même de la part du mouvement de gauche. Cela ne m’étonne pas que les social-démocrates y participent, car il existe quelque chose comme une « gauche sioniste » européenne qui a toujours exprimé son soutien à l’État d’Israël et qui s’est toujours détournée de toute forme de résistance au colonialisme. Cela ne se passe d’ailleurs pas que chez les social-démocrates. Cela se passe aussi au sein du mouvement communiste.
« Nous voyons que le drapeau palestinien est interdit en Allemagne, de même que le slogan From the river to the sea, Palestine will be free (Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre). Agiter des drapeaux, est-ce un acte de violence ? Et ce slogan, est-il violent ? Non, ce sont des symboles de la résistance palestinienne. Samidoun est accusée de soutenir la résistance palestinienne. Mais nous en sommes fiers ! Et nous faisons plus, nous voulons être une composante de la révolution palestinienne ! »
Bien des hommes politiques qui accusent Samidoun d’antisémitisme sont de droite, voire d’extrême droite et se livrent à des propos racistes et, entre autres, antisémites. Qu’en pensez-vous ?
« Ils se servent d’Israël pour clouer le bec aux voix critiques. Celles des juifs aussi. En Allemagne, les juifs antisionistes sont poursuivis par la police, ils se font taper dessus ou on les traîne en justice parce qu’ils appellent au boycott de l’État d’Israël. Cela vient du racisme et c’est fortement lié à l’émergence de l’extrême droite en Europe. Ils cherchent un ennemi dans leur propre société. Ils utilisent la Palestine pour mettre sur pied leur identité politique fasciste. »
À quelle forme de répression Samidoun est-elle confrontée ?
« En Allemagne, nous sommes interdits. Par conséquent, les Palestiniens ne peuvent plus exercer leur droit fondamental de faire de la politique, en tant que citoyens et habitants de l’Europe. Ensuite, il y a les perquisitions chez les membres. Ils sont suivis dans les transports publics, par exemple dans le métro. Les services de renseignement ont exercé des pressions sur les entreprises pour qu’elles licencient nos membres.
« En Belgique, la secrétaire d’État à l’asile veut me retirer mon statut. Ce faisant, le pays nie mon droit à l’asile. Et si je dois être expulsé, ce sera où ? Au Liban ? Mais je ne suis pas libanais. Ils vont faire de moi un apatride. »
Ensemble, nous regardons une scène de La bataille d’Alger, le classique du cinéma réalisé par Gillo Pontecorvo en 1966. Quelques années à peine après la guerre d’indépendance de l’Algérie, le film a été interdit en France parce que des soldats français y torturent des Algériens, une vérité qu’aujourd’hui encore, la France hésite très fortement à regarder en face. Dans une scène, trois femmes placent des bombes en des endroits d’Alger fréquentés par des Français : des cafés et une salle d’attente d’Air France. Il y a des soldats, des bureaucrates, des hommes d’affaires, de simples civils.
Lors de l’attaque du Déluge d’Al-Aqsa, le 7 octobre 2023, il y aurait eu, selon les estimations de la sécurité sociale israélienne, 1 139 tués, dont 695 étaient des civils israéliens, 71 des civils étrangers et 373 des membres des services de sécurité israéliens et de l’armée. 250 soldats et civils israéliens ont été faits prisonniers.
Le même jour, des membres de Samidoun ont célébré cette attaque. À Neukölln, Berlin, des bonbons ont été distribués dans les rues. Dans une déclaration, Samidoun décrit l’attaque comme « un chapitre des batailles pour la dignité et la fierté ».
Par la suite, Samidoun écrit que l’attaque du 7 octobre doit être considérée dans le contexte plus large de cent années de sionisme :
« L’opération de résistance a eu lieu en réaction au flux ininterrompu de crimes contre le peuple palestinien, les assassinats quotidiens de Palestiniens dans les rues de la Cisjordanie en Palestine occupée, le siège de Gaza, le vol de terre pour les colonies, la négation du droit au retour des réfugiés, qui a débouché sur plus de 75 années d’exil, les tortures et les agressions contre les prisonniers palestiniens, la poursuite de l’invasion de la mosquée Al-Aqsa, les 75 ans d’occupation sioniste et les plus de cent ans de domination impérialiste et de colonialisme en Palestine occupée. »
Nous venons de visionner une scène d’un des films les plus connus au monde sur une guerre anticoloniale. C’est d’une guerre de ce genre qu’il est question en Palestine. Estimez-vous que les civils sont une cible légitime dans une guerre anticoloniale ?
« Des civils ? Qu’entendez-vous par civils ? Quelle est votre définition du mot ‘civils’ ? Des membres d’un État colonial ? »
S’ils n’ont pas d’armes, oui, quand même…
« Ils sont tous une composante de l’armée. »
Ils peuvent donc être une cible légitime ?
« Toute personne qui participe à ce projet colonial est une cible de la résistance palestinienne. Toute personne qui collabore à la catastrophe contre les Palestiniens peut en payer le prix. C’est comme cela que ça va, pas seulement en Palestine, mais aussi en Afrique du Sud, en Algérie, en Amérique latine, au Vietnam et en bien d’autres endroits encore. En tant que Palestiniens, nous ne sommes pas ici pour transmettre aux Européens des connaissances sur leur passé colonial.
Les civils ne sont pas la cible de la résistance palestinienne, voilà ma réponse. Je perçois chacun comme membre en tant que colon d’une communauté coloniale, et non comme civil. La citoyenneté ne consiste pas seulement dans le fait d’avoir un passeport, c’est également être une composante d’un projet colonial. Le but de la résistance palestinienne n’est pas de tuer des gens au hasard. Il s’agit de la mise sur pied d’une force militaire qui peut vaincre le pouvoir sioniste. Le Hamas a dit que, lors de l’attaque du 7 octobre, des erreurs avaient été commises. Le Hamas a fait connaître son autocritique, sur la question.
Je trouve intéressant que vous me posiez cette question sans même évoquer le génocide. Vous ne trouvez pas que c’est fou ? Car, si nous comparons les nombres des victimes, il y a une fameuse différence. Depuis le 7 octobre, il y a eu plus de 41 000 morts à Gaza. Et, en Cisjordanie, il y a plus de 1 000 martyrs, même si l’attaque du 7 octobre n’est pas venue de là. À aucun moment, Israël n’hésite à tuer un millier de Palestiniens. Personne ne parle des Palestiniens quand il en est question : ils n’existent tout simplement pas. Seuls les Israéliens comptent et ils sont importants parce qu’ils sont en partie des colons européens. »
Fin août, les universités d’Amsterdam ont annoncé des « mesures » afin de « protéger les étudiants et collaborateurs juifs et israéliens » parce que certains ont dit « se sentir en insécurité en raison des manifestations, autocollants, affiches et discours propalestiniens ». Dans toute cette affaire, il n’est aucunement question des Palestiniens, étudiants et collaborateurs, comme si, en ce moment, ils n’étaient pas victimes d’un génocide. Quelle impression cela vous fait-il qu’on ne fasse même pas état de la douleur et de la souffrance des Palestiniens ?
« C’est la pensée de la supériorité européenne. Nous comprenons que les Pays-Bas et la Belgique donnent plus pour leurs colons en Palestine, car ils ont une double nationalité. Pourquoi habitent-ils à Tel-Aviv, s’ils viennent d’Amsterdam et d’Amstelveen ? Pourquoi peuvent-ils faire partie de l’armée d’occupation sioniste ? Ils tuent des enfants palestiniens et peuvent ensuite revenir aux Pays-Pas pour y passer leurs vacances. Si je combattais en tant que Palestinien pour le Djihad islamique palestinien ou pour le FPLP et que je revenais pour griller un petit joint à Amsterdam, je serais aussitôt arrêté et envoyé dans une île comme celle de la baie de Guantanamo.
« C’est pourquoi le 7 octobre a été si important. L’on ne nous voit que lorsque nous nous révoltons. Cette attaque a été la résurrection de la résistance palestinienne qui a eu lieu en 1967 ; c’est pourquoi je perçois la révolution du 7 octobre comme un moment de libération. Toute une dynamique est née dans la région.
« L’attaque a également mis à nu la nature inhérente de l’État d’Israël, à savoir l’agression et l’oppression à l’encontre des Palestiniens. Ce projet sioniste existe en tant que machine coloniale sanglante et c’est pourquoi Netanyahou s’est lancé dans cette voie.
« Nous croyons que sans le soutien occidental de la part des pays européens et des États-Unis, l’État sioniste d’Israël n’existerait pas. Nous ne parlons pas des juifs, car il y en a depuis des milliers d’années déjà en Palestine. Et les juifs qui sont venus après, comme réfugiés, ont été bien accueillis par les Palestiniens. La résistance palestinienne veut vivre en toute égalité et en toute justice dans une Palestine libre, du fleuve à la mer, sans racisme, sans colonialisme, sans sionisme. Quel mal y a-t-il à cela ? »
Il y a également des questions à propos des alliances que contracte Samidoun. En mai dernier, le président iranien Ebrahim Raisi a perdu la vie dans un accident d’hélicoptère. Samidoun a fait part de ses condoléances à propos du « décès tragique » de Raisi.
Ce même Raisi était surnommé le « boucher de Téhéran », en raison de son rôle dans les exécutions massives d’adversaires politiques (de gauche) dans les années 1980. Il a également opprimé les femmes, la vie, les protestations en faveur de la liberté d’il y a quelques années et au cours desquelles des centaines de personnes ont perdu la vie.
Pourquoi adressez-vous un tel message lors du décès de Raisi ?
« Samidoun et le gouvernement iranien ne diffèrent guère quand il s’agit de notre vision anti-impérialiste. Et c’est pourquoi nous sommes plus proches de l’Iran que des organisations européennes de gauche qui nous critiquent à ce propos : elles n’osent pas nous soutenir. Nous soutenons le mouvement des femmes en Iran ainsi que leurs exigences pour plus de droits, mais nous respectons aussi le fait qu’il s’agit d’une lutte locale en Iran. Depuis le révolution islamiste de 1979, l’Iran apporte un soutien inconditionnel aux Palestiniens, à divers partis politiques, depuis le Fatah et le FPLP jusqu’au Hamas.
« Quelles organisations de gauche formulant des critiques à l’encontre de cette position ont fait quelque chose pour la libération de la Palestine ? Pourquoi la gauche en Europe ne collecte-t-elle pas en ce moment de l’argent pour que les mouvements de la gauche palestinienne puissent combattre Israël ? L’Iran soutient la Palestine parce qu’il entend figurer du bon côté de l’histoire. Nous pouvons avoir une discussion honnête et claire autour des points que vous présentez, mais si ceux-ci signifient que vous tournez le dos à la Palestine à un moment où un génocide s’y déroule, dans ce cas, je sais où vous vous situez. En ce moment, l’Iran procure de l’argent et des armes aux Palestiniens et contribue de la sorte à la libération vis-à-vis de l’oppression et de l’occupation. Je pense que c’est plus progressiste et plus humaniste que ce que les prétendus social-démocrates font avec leur soutien aux sionistes. »
Quel avenir voyez-vous pour la Palestine ? Deux États, avec les frontières de 1967, comme la chose est proposée dans les accords d’Oslo ? Edward Saïd a qualifié ce traité de « Versailles palestinien ». Ou êtes vous partisans d’une solution à un seul État ?
« La liberté. La solution réside dans la liberté. Nous disons aux Européens et aux Américains qu’ils doivent dégager et nous ficher la paix. En tant que Palestiniens, nous devons décider nous-mêmes comment nous voulons vivre dans un pays du fleuve à la mer, dans l’égalité et dans la justice. La libération de la Palestine tourne autour du droit au retour des 7 millions de Palestiniens disséminés dans la diaspora. Il s’agit du droit à la terre, aux soins de santé, au bien-être, aux ressources naturelles. »
La lutte en Palestine est souvent comparée à la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud. Après la fin de l’apartheid, l’inégalité juridique a été supprimée, mais il y a beaucoup de pauvreté et d’inégalité socioéconomique. Quelles leçons tirez-vous de l’Afrique du Sud ?
« Je ne suis pas d’accord avec l’obsession de gauche de vouloir comparer la Palestine et l’Afrique du Sud. Chaque lutte a ses caractéristiques propres, bien qu’il y ait également des concordances. La raison politique pour laquelle on établit cette comparaison, c’est que l’on veut faire en sorte que les Palestiniens acceptent ce que les Sud-Africains ont également accepté. Et cela correspond tout simplement à Oslo.
« J’ai été à Johannesburg, à Soweto et dans d’autres zones défavorisées. Je puis vous assurer que le colonialisme, la fascisme et l’apartheid existent toujours en Afrique du Sud, mais sous une autre forme, dans ce cas. Ce n’est pas l’avenir pour lequel les Palestiniens meurent aujourd’hui. Nous ne serons pas des serviteurs dans notre pays. Cela, nous ne l’accepterons jamais ! »
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Mohammed Khatib est le coordinateur européen de Samidoun.
Teun Dominicus est rédacteur de Jacobin Nederland.
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(*) L’interview a eu lieu avant le martyre de Yahyah Sinwar le 17 octobre.
Publié le 17 octobre 2024 sur Jacobin.nl
Traduction : Charleroi pour la Palestine
Mohammed Khatib participera au débat “Après le 7 octobre : la Palestine et le monde” en compagnie de Christophe Oberlin, Dyab Abou Jahjah, Michel Collon et Saïd Bouamama.
Samedi 26 octobre, de 17 h 45 à 20 h, dans le cadre des 12 h pour la Palestine, à la MPA de Marchienne, route de Mons, 80, Marchienne-au-Pont.