Positions des pays africains et solidarité avec la Palestine, des années 1940 au génocide à Gaza par Israël

En réaction à l’opération Tufan Al-Aqsa lancée le 7 octobre 2023, et à l’escalade des attaques génocidaires menées par Israël contre les Palestinien·nes de Gaza dans les jours et les mois qui ont suivi, de nombreux pays africains, particulièrement subsahariens, ont pris position en faveur de la Palestine. En témoignent un soutien marqué sur tout le continent pour la cause palestinienne, et la condamnation des crimes commis par Israël dans la bande de Gaza. Ce soutien reflète un changement d’attitude à l’égard de la Palestine sur le continent africain. Au cours des cinquante dernières années, l’évolution des conjonctures a remodelé les différentes positions africaines sur la question palestinienne, notamment en raison de l’érosion des principes historiques de l’unité africaine, autrefois enracinés dans les mouvements révolutionnaires de libération et dans la solidarité Sud-Sud. En parallèle, Israël est parvenu à établir des relations diplomatiques avec 44 pays africains, ce qui a complexifié le maintien d’une position africaine unifiée autour de la Palestine.

1. Perspectives africaines sur la guerre génocidaire d’Israël à Gaza

Au lendemain du 7 octobre et depuis le début du génocide perpétré par Israël à Gaza, des pays tels que l’Afrique du Sud, la Namibie et le Zimbabwe ont exprimé officiellement leur soutien[1] aux Palestinien·nes. Le 11 décembre 2023, le ministère sud-africain des affaires étrangères publiait une déclaration appelant à un cessez-le-feu entre Israël et la résistance palestinienne, tout en proposant de s’appuyer sur sa propre expérience nationale pour assurer une médiation entre les deux parties. Le 14 octobre 2023, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, porte-parole du parti du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, a exprimé sa solidarité avec le peuple palestinien et dénonçé les appels lancés par l’armée israélienne à ce qu’1,1 million de Palestinien·nes évacuent le nord de la bande de Gaza. Le président a souligné que « les Palestinien·nes vivent sous l’occupation d’un État d’apartheid ».

Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a déposé une plainte contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye, aux Pays-Bas, pour violation de la Convention sur le génocide.[2] Rédigée en anglais, la requête de 84 pages adressée à la Cour présente des preuves d’actes génocidaires commis par Israël, et de son intention de commettre un génocide à l’encontre du peuple palestinien de Gaza. Dans son arrêt du 26 janvier 2024, puis dans les arrêts datés des 28 mars et 24 mai 2024, la CIJ a adopté des mesures provisoires pour protéger les Palestinien·nes de Gaza contre les violations de la Convention sur le génocide.

À l’instar de l’Afrique du Sud, la Namibie a fermement condamné le génocide perpétré par Israël à Gaza. Le 24 janvier 2024, dans une déclaration publiée sur la plateforme X (anciennement Twitter), le président namibien alors en fonction, Hage Geingob, a critiqué le gouvernement allemand pour son soutien à Israël dans l’affaire portée devant la CIJ. Geingob a fait remarquer que, plus que toute autre nation, l’Allemagne aurait dû tirer les leçons de sa propre histoire génocidaire, et a affirmé que cette dernière ne peut pas prétendre respecter son engagement envers la Convention sur le génocide, impliquant notamment des réparations après le génocide commis par les Allemands en Namibie, tout en soutenant les actions d’Israël à Gaza, que le président namibien a assimilé à l’Holocauste et à un génocide.

La République du Zimbabwe a également condamné les violentes attaques commises par Israël dans la bande de Gaza et exigé la cessation immédiate des hostilités, qualifiant de « crimes de guerre » les coupures d’approvisionnement en eau et en électricité organisées par Israël à Gaza. Lors d’une conférence de presse à Harare, Christopher Mutsvangwa, ministre des anciens combattants et porte-parole du bureau politique du parti au pouvoir, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF), a souligné que les deux millions de Palestinien·nes de Gaza subissent des bombardements incessants et meurtriers commis par Israël, avec des avions fournis par les puissances occidentales. Le ministre a déclaré que « priver les Palestinien·nes de la bande de Gaza de leurs ressources de base, telles que l’eau, la nourriture et l’électricité, constitue un crime à de multiples égards, car il s’agit à la fois d’un crime de siège et d’un crime de guerre au regard du droit international. »

En tant qu’allié·es de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) depuis le début de la lutte pour la libération, nous proclamons notre soutien au peuple palestinien et condamnons Israël pour ne pas s’être engagé en faveur de la solution à deux États, ainsi que pour avoir violé les accords et permis aux colons israélien·nes de continuer à accaparer de nouvelles terres dans le but de ne rien laisser aux Palestinien·nes. Aujourd’hui, [Israël] veut à nouveau les déplacer de force vers l’Égypte, voire les repousser à la mer. »[3]

En parallèle, plusieurs pays africains comme le Kenya, le Ghana, le Rwanda, le Cameroun et la République démocratique du Congo ont exprimé leur soutien inconditionnel à Israël. Le président kenyan William Ruto a publié une déclaration condamnant fermement les attaques du Hamas contre Israël et exhortant la communauté internationale à prendre des mesures contre les auteur·trices,  organisateur·trices, soutiens financiers, commanditaires et partisan·es de ce qu’il a qualifié d’« actes terroristes criminels ». Le Ghana, membre temporaire du Conseil de sécurité de l’ONU, a adopté une position similaire en s’abstenant de voter pour deux projets de résolution en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza, l’un initié par la Russie et l’autre par le Brésil. De même, les gouvernements de la République démocratique du Congo, du Rwanda et du Cameroun ont prononcé des déclarations en faveur de l’occupation israélienne. Ces gouvernements ont explicitement condamné les opérations de résistance contre l’occupation israélienne. Il est probable qu’ils aient été motivés par des considérations pragmatiques d’ordre économique et de sécurité nationale, ces pays collaborant avec Israël sur d’importants projets dans des domaines tels que la sécurité, l’agriculture, les infrastructures, la technologie et l’armement.[4]

Entre ces deux pôles, les événements survenus depuis le 7 octobre ont fait apparaître ce que l’on peut appeler un bloc « hésitant », qui cherche à maintenir une position impartiale en raison de l’imbrication de ses intérêts, à la fois avec Israël et avec les pays arabes. Ce bloc rassemble des pays qui ont fréquemment plaidé en faveur de l’adoption d’une solution à deux États pour la Palestine, sur la base des frontières d’avant juin 1967. Au premier rang de ces pays se trouvent le Nigeria, la Tanzanie, l’Ouganda, la Guinée-Bissau et l’Éthiopie. Il convient toutefois de noter que cette dernière, malgré ses liens historiques forts avec Israël, n’a pas exprimé de position claire quant aux événements survenus depuis le 7 octobre.

En ce qui concerne la solidarité des populations avec la Palestine, le soutien populaire à la cause palestinienne reste fort dans toute l’Afrique, passant outre et contredisant souvent les réactions officielles. Malgré le déclin de l’activisme pro-palestinien, et du nombre de Palestinien·nes présent·es dans de nombreux pays africains, de larges segments de la population africaine considèrent toujours que le soutien au peuple palestinien et à sa cause fait partie des valeurs collectives africaines, notamment le refus de l’occupation et de l’exploitation israéliennes. Si ce soutien se manifeste particulièrement dans les pays à majorité musulmane, tels que le Sénégal, la Gambie et la Mauritanie, il reste fort dans d’autres pays africains sans majorité musulmane.

Depuis le 7 octobre, la solidarité affichée avec la Palestine et la condamnation du génocide israélien à Gaza ont fait l’objet de multiples manifestations populaires, dans de nombreux pays africains comme le Kenya, le Sénégal et le Nigeria. Des manifestations ont également eu lieu devant des ambassades occidentales. Tout cela va à l’encontre de l’image d’une opinion publique africaine divisée sur la Palestine véhiculée par les médias occidentaux.

Au Kenya, la position du président Ruto a rapidement été critiquée par des voix solidaires de la Palestine, soulignant que cette position était contraire à la constitution kenyane, car le président n’avait pas consulté le peuple kenyan sur la question avant de s’exprimer. Booker Omole, vice-président du Parti communiste du Kenya, a comparé l’occupation israélienne de la Palestine à la colonisation du Kenya par la Grande-Bretagne, tandis que Raila Odinga, chef du Mouvement démocrate orange (opposition), a condamné la position de M. Ruto en déclarant : « Nous devons condamner avec la plus grande fermeté la brutalité avec laquelle les enfants et les femmes innocent·es de Palestine sont opprimé·es par le régime de M. Netanyahou. »[5]

En mars et avril 2024, l’opposition nigériane a organisé des veillées à la bougie en solidarité avec les martyr·es palestinien·es, tandis qu’en janvier 2024, certains mouvements politiques sénégalais appelaient à mener une vaste campagne de récolte de dons pour soutenir les habitant·es de Gaza et alléger leurs souffrances, tout en exigeant la cessation immédiate des attaques menées par Israël sur Gaza, ainsi que l’ouverture permanente des points de passage pour faire entrer l’aide humanitaire.

En Afrique du Sud, dès le 23 octobre 2023, le parti des Combattants pour la liberté économique de Julius Sello Malema a organisé des manifestations dans plusieurs régions et tenu un sit-in devant l’ambassade d’Israël à Pretoria.

Le sentiment anticolonial reste très présent dans la conscience africaine, même s’il n’est plus aussi intense que par le passé. À cet égard, il est important de noter que le génocide israélien à Gaza se produit parallèlement à un rejet populaire croissant de la présence française dans les pays du Sahel. Au regard du soutien français au régime sioniste israélien, de nombreux pays africains et leurs populations considèrent que les objectifs de la résistance palestinienne sont alignés sur les leurs.

2. Israël, portail de l’impérialisme en Afrique

On ne peut comprendre les positions africaines actuelles sur la cause palestinienne – tant officielles que populaires – sans tenir compte de la percée d’Israël en Afrique au fil du temps. Tout d’abord, les activités d’Israël se sont souvent alignées sur les stratégies néocoloniales sur le continent africain, l’État hébreu faisant office de passerelle entre les anciennes nations industrialisées coloniales et les pays en développement d’Afrique. Ensuite, ces activités reflètent également la stratégie sioniste de cultiver des alliances afin de garantir un soutien politique à Israël sur la scène internationale. Enfin, Israël cherche à protéger son économie et à sécuriser sa position sur les marchés étrangers en Afrique.

Avant les récentes découvertes de gisements de pétrole et de gaz en Méditerranée, Israël ne disposait pas de ressources naturelles conséquentes. Les richesses minérales contrôlées dans les territoires occupés sont principalement le cuivre, le phosphate et les sels de la mer Morte, l’assistance technologique apportée par les États-Unis et l’Europe jouant un rôle déterminant dans l’exploitation de ces ressources.[6] L’Afrique, en revanche, regorge de richesses minières et de matières premières convoitées par Israël et les anciennes puissances coloniales occidentales. De plus, en cherchant à développer son économie en se positionnant comme pôle industriel capable de faire fructifier à la fois ses propres intérêts et ceux de ses partisans européens et américains, Israël a donc tiré parti de sa présence en Afrique pour renforcer les relations des puissances occidentales avec les pays africains, et pour exploiter le continent africain comme marché pour les produits israéliens.

Au cours des deux décennies qui ont suivi sa création en 1948, Israël s’est engagé à accueillir et à garantir un hébergement et un emploi aux nouveaux immigrant·es, en particulier celles et ceux originaires des pays afro-asiatiques pauvres. Sur le plan démographique, la population juive de Palestine ne dépassait pas 650 000 personnes en 1948. En 1962, ce nombre était passé à plus de 2 millions,[7] et il atteignait 2,3 millions en 1966. Durant cette période, Israël a activement encouragé l’immigration vers les territoires occupés de Juif·ves africain·es en provenance de pays tels que le Nigeria, l’Éthiopie et le Lesotho.

Le ministère israélien des affaires étrangères a bénéficié des connaissances de ces personnes pour appréhender les défis auxquels leurs pays d’origine étaient confrontés, et ces populations immigrées ont prêté main-forte aux services de renseignement israéliens afin d’identifier des personnalités influentes dans les pays africains susceptibles de soutenir les intérêts sionistes. Cette population juive sioniste africaine immigrée a joué un rôle crucial dans la promotion des objectifs politiques d’Israël. Par l’intermédiaire d’institutions comme l’Agence juive, Israël a mis en œuvre des programmes spécialisés impliquant les Juif·ves de la diaspora, notamment en Afrique. Ses missions diplomatiques à travers le continent africain ont organisé la visite de Juif·ves africain·es dans les territoires occupés, et ont attiré des volontaires sionistes ayant terminé leur service militaire dans les Forces d’occupation israéliennes (FOI) pour qu’ils et elles rejoignent des groupes de mercenaires dans divers pays africains.[8]

Dans sa volonté de faire accroître à la fois sa population juive et son économie, Israël a tiré parti de la vague des indépendances face au colonialisme initiée en 1960, aussi connue sous le nom d’Année de l’Afrique. Les puissances coloniales en retrait ont laissé derrière elles des pays africains nouvellement indépendants mais souvent en proie aux pénuries, à la confusion, et confrontés à des défis tant internes qu’externes, notamment des conflits frontaliers, les complexités de la gouvernance moderne, le sous-développement et le manque de croissance économiques, les difficultés d’intégration dans la communauté internationale et de création d’une entité internationale autonome, ainsi que le manque de personnel qualifié pour contribuer à la construction d’un État moderne. Israël a tiré parti de ces enjeux. En cherchant à être rapidement reconnu par ces nouvelles nations, et à établir des relations diplomatiques avec elles, l’État hébreu a conclu des accords économiques, renforcé la coopération technique et culturelle et envoyé des expert·es pour fournir une assistance dans divers secteurs.[9] En parallèle, Israël a fourni aux anciennes puissances coloniales des canaux alternatifs pour assurer la sauvegarde de leurs derniers intérêts sur le continent.

Il est important de noter à cet égard que, même avant leur retrait, ces puissances coloniales avaient déjà cherché à lier les pays africains à Israël par des accords économiques, et favorisé les relations personnelles entre les dirigeants africains et les représentant·es israélien·nes. Cela a permis aux représentant·es du gouvernement israélien et à la Histadrout (la Fédération générale du travail en Israël) d’exploiter les terres africaines auparavant sous contrôle colonial, facilitant les contacts entre les organismes professionnels et les organisations d’étudiant·es israélien·nes et leurs homologues en Afrique. Ce soutien a perduré après l’accession des pays africains à l’indépendance.[10]

3. Les prémices des relations israélo-africaines

Au fil du temps, le développement des relations entre Israël et les pays africains a pris une tournure singulière. L’État hébreu a commencé par étudier les réalités structurelles du continent africain, et à identifier les meilleures opportunités d’infiltration et de création d’un environnement propice à une présence israélienne. La plupart de ces objectifs seront atteints en 1967, année qui marquera l’apogée du déploiement des activités d’Israël en Afrique. Toutefois, cette date va également marquer le début d’une détérioration significative des relations afro-sionistes.

L’histoire des relations israélo-africaines peut être divisée en cinq périodes : la phase de reconnaissance (1948-1956), la phase de pénétration et de création de sympathie (1957-1962), la phase de soutien (1962-1967), la phase de détérioration (1967-1978) et, enfin, la phase de retrait des pays arabo-musulmans, en lien avec les accords de normalisation. Cette partie traite des trois premières périodes.

Aux lendemains de sa création, l’État d’Israël ne possède pas l’influence politique nécessaire pour s’implanter sur le continent africain. Mais le jeune État se concentre à l’époque sur le renforcement de ses relations avec les grandes puissances, les pays africains étant considérés comme secondaires. Cette situation va changer après la Conférence de Bandung de 1955, qu’Israël perçoit comme un coup dur l’isolant davantage des pays afro-asiatiques.[11] La résolution de la conférence sur la Palestine montre que ces pays soutiennent le consensus des pays arabes sur la question palestinienne, puisqu’Israël en a été exclu. En réponse à la conférence, Israël décide de contrer les initiatives des pays arabes visant à l’isoler, en se concentrant sur l’établissement de liens avec les pays afro-asiatiques libéraux et les nations en quête de libération nationale.

Le danger pour Israël d’être isolé des pays du Sud se fera ressentir lorsque ces pays vont soutenir l’Égypte lors de la crise de Suez de 1956, avant de se manifester à nouveau dans l’accord politique et la cohésion dont fait preuve le bloc de Bandung à l’ONU, en particulier lors de la réunion de Brioni en 1956. Ce bloc considère alors Israël comme un instrument représentant l’ancien ordre colonial. En outre, la position sans équivoque de l’Égypte contre la politique militaire américaine au Moyen-Orient accroît également les craintes d’Israël à cette époque, en raison de la fermeté idéologique d’une telle position, et du risque de propagation de cette opposition dans toute la région. En effet, Israël avait compris que le déclin de l’influence occidentale au Moyen-Orient constituerait une menace importante pour son existence, en particulier au cours des premières années qui ont suivi sa création.[12]

Cependant, malgré ces considérations, les premiers contacts entre Israël et le continent africain seront peu fréquents et limités aux relations avec le Liberia et l’Éthiopie, à l’époque tous deux dirigés par des régimes autoritaires impériaux locaux, et à la signature d’accords commerciaux avec les autorités coloniales du Kenya, du Nigeria, de Madagascar et du Gabon.

Le vote du Liberia de 1947 en faveur du plan de partage des Nations unies va constituer le premier soutien qu’Israël recevra d’un pays africain (le gouvernement d’apartheid d’Afrique du Sud avait également voté en faveur du plan). Israël ouvre une ambassade à Monrovia en 1954, et va continuer à développer des liens avec le Liberia par le biais de relations informelles. En 1955, les deux premières sociétés à capitaux sionistes et libériens sont créées à Monrovia. Il s’agit de deux succursales de Mayer Investments à Tel-Aviv, l’une active dans la construction et la reconstruction, l’autre chargée d’investissement en capital.[13] Cependant, bien que le Liberia soit le premier pays africain avec lequel Israël a signé un traité d’amitié et de coopération, sa position officielle à l’égard d’Israël demeurera souvent prudente et réservée. Néanmoins, tout comme la Birmanie a constitué la pierre angulaire des relations sionistes avec l’Asie, le Liberia va jouer un rôle similaire en Afrique.

Les avantages qu’Israël tirera de ses premières relations avec certains pays africains seront considérables, car ces liens vont l’aider à comprendre le contexte africain, et ouvriront la voie à un rapprochement avec d’autres pays africains.

Pour sa part, l’Éthiopie s’est abstenue de voter sur la résolution de partition des Nations unies en 1947 et ne reconnaît l’existence d’Israël qu’en 1961,[14] malgré la coopération permanente entre les deux pays dans les domaines économique, culturel et scientifique. Cela était dû au conflit entre l’Éthiopie et l’Érythrée, dans le cadre duquel la première espérait obtenir le soutien de l’Égypte, du Soudan et d’autres pays africains favorables à la Palestine. Ce n’est qu’après la défaite arabe de 1967 qu’Israël pourra avoir accès à l’Éthiopie et à l’Afrique de l’Est, via le port d’Eilat.

Après la guerre de 1956, la stratégie d’Israël va être mise à l’épreuve et le pays va considérablement modifier ses objectifs et ses positions à l’égard du continent africain. Cette période sera marquée par une multiplication des missions et des visites de haut niveau de responsables israélien·nes en Afrique. La vague d’indépendance qui déferle sur les pays africains en 1960 va permettre de renforcer la diplomatie israélienne sur le continent. Israël souhaite consolider les relations entretenues avec certains pays africains avant leur indépendance, et obtenir la reconnaissance officielle des nouveaux États indépendants par le biais de missions diplomatiques. L’État hébreu cherche en outre à établir de nouvelles relations avec des pays restés jusqu’alors en marge des relations israélo-africaines.

Le chef d’état-major israélien Moshe Dayan se rend au Liberia et au Ghana en 1957, tandis qu’en 1958, le ministre des affaires étrangères, et plus tard la quatrième Première ministre israélienne Golda Meir se rendront au Liberia, au Ghana, au Nigeria, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, effectuant ainsi les premières visites officielles de haut niveau de l’État d’Israël sur le continent. Lors de ses discussions avec les dirigeants africains, Mme Meir souligne l’engagement d’Israël à fournir une assistance à ces jeunes nations. La Première ministre invite également plusieurs chefs d’État africains à se rendre dans les territoires occupés, ce que certains feront en 1958 et 1959. Ces visites sont motivées par l’intérêt de ces gouvernements pour l’expérience israélienne en matière de développement, largement relayée par la presse africaine.[15]

Israël va aussi renforcer ses relations diplomatiques avec le Ghana entre 1957 et 1959 et, en février 1959, l’État sioniste étend sa présence diplomatique sur le continent en établissant un consulat au Sénégal et une ambassade en Guinée, à l’époque sous domination coloniale française.

Lorsque la Guinée déclare son indépendance de la France et quitte l’Afrique occidentale française (AOF) en 1958, Israël est confronté à un dilemme : tout en étant désireux de renforcer sa présence en Afrique, l’État hébreu hésite à reconnaître l’indépendance de la Guinée, craignant des répercussions de la part de la France, qui constitue alors une alliée et un soutien de taille. Israël choisit de retarder la reconnaissance officielle, tout en soulignant sa volonté d’établir des relations de coopération avec la Guinée dans tous les domaines. Les liens diplomatiques ne seront établis qu’en 1959,[16] après que les diplomates sionistes ont réussi à convaincre le gouvernement français de l’importance stratégique de reconnaître l’indépendance de la Guinée, pour la sécurité d’Israël et le renforcement de son influence en Afrique.

Durant cette période, une grande partie de la presse africaine, qui appartient alors à des sociétés étrangères et est soumise à la censure coloniale, ainsi qu’à d’autres mesures autoritaires, va exprimer une forte sympathie à l’égard d’Israël. Cet environnement favorable mobilise de nombreux journalistes, avides de promouvoir Israël lorsqu’ils et elles sont invité·es à visiter le pays et à rencontrer ses représentant·es. Ces journalistes vont jouer un rôle essentiel dans la lutte contre la propagande anti-israélienne véhiculée par les ambassades des pays arabes en Afrique et des pays africains antisionistes.

Les visites de dignitaires africains en Israël se concentrent sur un certain nombre de domaines revêtant une importance particulière pour les pays africains. Par exemple, au début de l’année 1959, des missions du Niger et du Tchad débarquent en Israël pour observer les réalisations du jeune État hébreu dans les domaines de l’agriculture et du travail social. En novembre 1959, une délégation de syndicats guinéens se rend en Israël pour étudier les activités coopératives et économiques mises en œuvre par l’État sioniste. Cette visite sera suivie d’une autre visite d’une délégation syndicale guinéenne financée par Israël, qui durera six mois. Les représentant·es israélien·nes sont particulièrement bien accueilli·es dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest en raison des liens étroits qu’Israël entretient avec la France, comme en témoigne la visite du président du Gabon dans les territoires occupés en 1961.[17] Le développement de la coopération israélo-française indique que la France approuve tacitement l’implication d’Israël dans les pays africains francophones.

4. L’ascension et la chute de l’influence sioniste en Afrique

Les relations israélo-africaines vont atteindre leur apogée à la fin des années 1960. Convaincu que

sa sécurité et sa capacité d’expansion militaire dépendent étroitement de sa stratégie africaine, Israël va déployer, au cours des années qui précèdent la guerre de 1967, des efforts considérables pour renforcer ses liens avec les pays d’Afrique de l’Est, et pour établir de nouvelles relations et accords avec les dirigeants des mouvements nationalistes dans les régions d’Afrique qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance. L’État hébreu va se concentrer en particulier sur les régions adjacentes à la mer Rouge, considérées comme un corridor vital.

Cependant, si 1967 marque l’apogée de la présence israélienne en Afrique, cette même année va également amorcer le début d’un déclin des relations afro-israéliennes. Les raisons de ce déclin se recoupent et contribueront à révéler les velléités expansionnistes d’Israël sur le continent africain.

Plusieurs facteurs d’ordre économique et financier vont empêcher Israël d’étendre son influence comme espéré à la fin des années 1960. Tout d’abord, le manque de moyens financiers : à cette époque, l’État sioniste compte essentiellement sur l’aide étrangère pour couvrir son déficit commercial, ce qui l’empêche de répondre à la demande des pays africains. Le manque de financement affecte également sa capacité à supporter les charges financières des missions diplomatiques en Afrique, des visites d’expert·es, de l’accueil de stagiaires africain·es, ainsi que de l’octroi de prêts et de subventions. Les conséquences de la guerre des Six Jours de juin 1967 ont entraîné une baisse du tourisme, des flux de capitaux étrangers et des investissements privés, ce qui a conduit à une accumulation des dettes internes et externes, des goulets d’étranglement industriels et une incapacité à répondre aux besoins en exportation, entraînant l’inflation. Les impôts augmentent et les réserves de change se sont considérablement détériorées. Ces difficultés financières vont empêcher Israël d’honorer ses contrats et ses engagements envers les pays africains.

De plus, la présence israélienne en Afrique se heurte à d’autres obstacles. Certains projets agricoles (tels que ceux mis en œuvre au Gabon, en Côte d’Ivoire et au Libéria), similaires à ceux appliqués dans les territoires occupés, échouent car ils sont mal adaptés aux conditions sociales, politiques et environnementales de l’Afrique. Une mise en œuvre trop précipitée va également conduire à l’échec cuisant de certains projets israéliens et miner la réputation des entreprises et des institutions sionistes, conduisant parfois au non-renouvellement de contrats passés avec des pays africains. À titre d’exemple, lors de la construction de l’aéroport de la capitale ghanéenne, Accra, Israël n’a pas respecté les conditions convenues. Une situation similaire s’est produite autour de la construction du bâtiment du Parlement et de la mairie à Monrovia. En outre, Israël se retrouve incapable de répondre à la demande croissante d’expertise technique des pays africains, en particulier d’ingénieur·es et d’infirmières, alors même que les économies africaines manquent de main d’œuvre qualifiée, d’équipements modernes et de procédures de communication interne, ce qui entrave la réalisation de certains projets conjoints. De plus, les expert·es israélien·es travaillant dans les pays africains rencontrent des difficultés pour s’adapter au climat social et aux enjeux de la vie quotidienne : outre la barrière de la langue, ces ressortissant·es font preuve de racisme, restent isolé·es et ne s’intègrent pas socialement.

En outre, après 1967, les pays d’Afrique vont commencer à prendre conscience de la véritable position d’Israël sur de nombreuses problématiques propres au continent africain, notamment l’indépendance. À titre d’exemple, Israël soutient les mouvements sécessionnistes et séparatistes au Nigeria, au Congo, en Angola et au Mozambique, tout en coopérant avec les régimes d’apartheid en Afrique australe (Angola, Botswana, Eswatini, Lesotho, Malawi, Namibie, Afrique du Sud et Zimbabwe). L’opinion publique africaine commence alors à condamner l’incohérence d’Israël autour de ces enjeux, considérant l’État sioniste comme complice des forces contre-révolutionnaires opposées aux mouvements de libération sur le continent.

5. Positions antisionistes en Afrique

La normalisation actuelle des relations avec Israël menée par certains pays africains après une période de boycott, et leurs positions rétrogrades, ne sont ni prédéterminées ni spontanées. Il s’agit de choix politiques reflétant l’idéologie, la composition et la stratégie des classes dirigeantes africaines.

L’Organisation de l’unité africaine (OUA) va jouer un rôle progressiste en soutenant la cause palestinienne. Le 5 juin 1967, au lendemain de l’attaque menée par Israël contre les pays arabes voisins, le dirigeant guinéen Ahmed Sékou Touré réunit le bureau politique du Parti démocratique de Guinée, et prend la décision de rompre les relations diplomatiques avec Israël en expulsant l’ambassadeur israélien, ainsi que les expert·es et technicien·nes sionistes.[18] Cette position va trouver un écho auprès des dirigeants des autres États membres de l’OUA, et le conseil ministériel de l’OUA à Addis-Abeba appellera par la suite tous les États membres à apporter un soutien matériel et moral à l’Égypte et aux autres pays arabes, décrivant Israël comme une entité belligérante. Cette décision va susciter une levée de boucliers dans les milieux sionistes, qui vont à leur tour appeler à réduire l’assistance aux pays africains qui soutiennent la position de l’OUA.

La sixième conférence de l’OUA, qui se tient en Algérie en septembre 1968, va exiger le retrait des forces étrangères de tous les territoires arabes occupés en juin 1967, conformément à la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU. La conférence appelle également tous les États membres de l’OUA à faire pression pour garantir l’application de la résolution. L’année suivante, à Addis-Abeba, la septième conférence inscrit pour la première fois la crise du Moyen-Orient comme point à traiter indépendamment de l’ordre du jour. On souligne la nécessité de mettre en œuvre la décision adoptée lors de la session de 1968 en Algérie, et de réaffirmer cet engagement lors des sessions ultérieures. Lors de son neuvième congrès en 1971, l’OUA intensifie ses efforts en créant un comité de dix pays africains chargé de résoudre la crise au Moyen-Orient. L’OUA exhorte tous ses États membres à soutenir l’Égypte et à se mobiliser au niveau des instances internationales, notamment le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies, en faveur d’un retrait immédiat et inconditionnel d’Israël des nouveaux territoires occupés en 1967.[19]

La onzième conférence, en mai 1973, va marquer un tournant important dans les relations afro-arabes. Au cours de cette session, l’OUA reconnait que le respect des droits du peuple palestinien doit être au centre de toute solution juste et équitable à la crise du Moyen-Orient. En outre, l’organisation avertit Israël que ses politiques et pratiques pourraient contraindre ses États membres à prendre des mesures politiques ou économiques à son encontre, soit individuellement, soit collectivement, à l’échelle du continent.

Par la suite, le mouvement de boycott africain va s’étendre à la Guinée, à l’Ouganda, à la République populaire du Congo, au Mali, au Tchad, au Niger, au Burundi, au Togo et au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo). Chaque pays a alors ses propres raisons, outre sa position en faveur de la cause palestinienne, de rompre ses relations avec Israël. Par exemple, le gouvernement ougandais considère que l’ambassade israélienne installée dans sa capitale, Kampala, est responsable d’activités subversives à son encontre, notamment l’entrée illégale d’un grand nombre de sionistes dans le pays, ainsi que la vente d’armes défectueuses.[20] En République populaire du Congo, le régime politique marxiste voit en Israël un bastion de l’impérialisme américain au Moyen-Orient, tandis que le Tchad craint que la présence d’Israélien·nes sur son territoire ne mette en danger non seulement sa propre sécurité, mais aussi celle des pays voisins. Le Burundi, quant à lui, est convaincu qu’Israël soutient les rebelles qui ont tenté de prendre le pouvoir en mai 1973.

Cinquante ans plus tard, on peut observer une dynamique similaire, quoique moins prononcée sur le plan idéologique. Le 20 février 2024, à l’initiative de l’Algérie et de l’Afrique du Sud, la Commission de l’Union africaine (CUA), successeuse de l’OUA, a retiré à Israël le statut de membre observateur, et l’État sioniste se trouve désormais définitivement banni de l’institution, deux ans seulement après que ce statut lui a été conféré au prix d’une décennie d’efforts diplomatiques. Le président de la CUA, Moussa Faki Mahamat, a qualifié la situation dans la bande de Gaza de « violation la plus flagrante » du droit humanitaire international, et a accusé Israël de chercher à « exterminer » les habitant·es de Gaza.[21]

6. Les révolutionnaires africain·es et la question palestinienne

En 1965, lors de la deuxième conférence des Organisations nationalistes des colonies portugaises (CONCP) à Dar es Salaam, Amílcar Cabral aborde la question de la Palestine. Au nom du Front de libération du Mozambique (FRELIMO), du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, du Front portugais de libération nationale et du Comité de libération de Sao-Tomé-et-Príncipe, le chef indépendantiste déclare : « Nous soutenons fermement les pays arabes et africains dans leurs efforts pour aider le peuple palestinien à recouvrer sa dignité, son indépendance et son droit à la vie. »[22]

Vingt ans plus tard, le 4 octobre 1984, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, le dirigeant révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara prononce un discours de solidarité avec le peuple palestinien : « Je pense à ce vaillant peuple palestinien, c’est-à-dire à ces familles atomisées errant de par le monde en quête d’un asile. Courageux, déterminés, stoïques et infatigables, les Palestiniens rappellent à chaque conscience humaine la nécessité et l’obligation morale de respecter les droits d’un peuple […]. » [23]

Nelson Mandela a lui aussi soutenu la cause palestinienne, et condamné le régime d’apartheid d’Israël  en déclarant que la question de la Palestine était « la plus grande question morale de notre temps », et que « la liberté de l’Afrique du Sud [était] incomplète sans la liberté du peuple palestinien ».[24]

L’historien afro-guyanais Walter Rodney défendait également la Palestine. Alors qu’il vivait en Tanzanie, il a écrit un article pour le journal The Standard sur les détournements d’avions organisés par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).[25] Selon lui, ces détournements remontent le moral des opprimé·es et sensibilisent la communauté internationale à leur cause. Dans son article, Rodney fait l’éloge de la jeune guérillera Leila Khaled, qui a mené plusieurs détournements au nom du FPLP, la décrivant comme « un exemple de femme libérée par la lutte ». Rodney considérait les détournements comme une tactique utilisée par les guérilleros palestinien·nes pour attirer l’attention sur leur revendication d’une solution à un seul État, solution alors ignorée par l’Occident et à laquelle Israël s’opposait. Les propos de Rodney demeurent très pertinents aujourd’hui, car ils permettent de comprendre le raisonnement qui sous-tend les actions récentes du mouvement de résistance palestinien.

7. La solidarité africaine, entre soutien populaire et institutionnel à Gaza et la Palestine

Les 54 pays africains constituent un bloc de vote important au sein de toutes les instances internationales, notamment le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies, comme en témoignent les diverses résolutions proposées et adoptées depuis le 7 octobre 2023 concernant un cessez-le-feu et une trêve humanitaire à Gaza. Bien qu’une minorité de ces 54 pays s’oppose à la résistance du Hamas et soutient l’armée d’occupation israélienne, ce bloc, dans son écrasante majorité, a voté en faveur des diverses résolutions de l’Assemblée générale appelant à une trêve humanitaire ou à un cessez-le-feu, ou encore à une meilleure reconnaissance des droits de la Palestine au sein des Nations unies, en tant qu’État observateur. Il est important de noter qu’à l’exception du Liberia, aucun pays africain n’a voté contre une résolution de l’ONU relative à un cessez-le-feu, à une trêve humanitaire et à l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire à Gaza.

Ces votes se sont déroulés dans le contexte de l’émergence d’un mouvement, à partir de 2021, qui prône les valeurs africaines et le panafricanisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Ce mouvement se traduit par des manifestations contre la présence occidentale dans ces pays – en particulier de la France et des États-Unis – et contre la normalisation des relations avec Israël. Les manifestations qui ont eu lieu au Sénégal en 2023 et 2024 se sont notamment concentrées sur l’obtention d’une plus grande souveraineté économique et monétaire, et sur la solidarité avec la Palestine. L’un des objectifs premiers de ce mouvement est de reconsidérer les relations avec la France, et plus particulièrement la dépendance au sein de la Zone franc, contrôlée par la France. En parallèle, la guerre en cours en Ukraine a mis à rude épreuve les ressources financières de l’Occident, soulignant ainsi le rôle crucial de l’Afrique dans l’économie mondiale et son potentiel d’influence sur les futures alliances internationales. En réalité, cela mène les grandes puissances à tenter de relancer leur coopération avec les pays africains, afin d’atténuer leurs pertes dues à la guerre par le biais d’accords de coopération en matière d’énergie et d’armement avec ces pays.

Dans ce contexte, le génocide à Gaza a incité l’opinion publique africaine à reconsidérer la cause palestinienne, ce qui a conduit à une opposition croissante à la normalisation avec Israël et a fait naître une vague grandissante de colère populaire dans les pays africains contre Israël, les États-Unis et leurs alliés occidentaux impliqués dans le génocide à Gaza. Les inquiétudes fusent quant au risque que les intérêts et les individus occidentaux sur le continent soient pris pour cible par des manifestant·es et des mouvements de protestations. Le département d’État américain, par l’intermédiaire de l’ambassade des États-Unis à Abuja, a notamment émis une recommandation aux voyageur·euses américain·es qui prévoient de se rendre au Nigeria, les mettant en garde contre d’éventuelles agressions de la part de foules hostiles.

Conclusion

L’importante vague de solidarité avec la Palestine observée dans de nombreux pays du Sud s’est accompagnée d’une forte reconnaissance de la vacuité et de la faillite de l’ « ordre [impérial] international fondé sur des réglementations », qui a ôté ce qui restait de légitimité au Nord dans l’application du droit international. Plus précisément, les puissances européennes, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne, se retrouvent de plus en plus isolées – aux côtés des États-Unis – pour avoir ouvertement soutenu la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza. Malgré certaines dissonances internes au sein du bloc occidental, ses stratégies géopolitiques divergent de plus en plus de celles de la majorité mondiale, comme l’a clairement démontré le soutien politique et moral inflexible apporté par la plupart des pays du Sud à la cause palestinienne.

Ces divergences s’observent au sein même des pays occidentaux. La décision des États-Unis d’opposer systématiquement leur veto à toutes les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU (jusqu’à la résolution du 25 mars 2024, sur laquelle ils se sont abstenus), et de fournir une aide militaire supplémentaire de 17 milliards de dollars à Israël, est en contradiction avec les voix de plus en plus nombreuses venues de l’intérieur qui s’opposent à un tel soutien, notamment le puissant mouvement étudiant pro-palestinien qui s’est fortement implanté sur les campus des universités américaines. Ces dynamiques internes ont ébranlé les perceptions dominantes de la démocratie libérale occidentale.

L’histoire des peuples du Sud et des mouvements syndicaux et étudiants dans le monde entier illustre comment les efforts collectifs, même graduels, peuvent renforcer une solidarité croissante avec la Palestine. Enracinés dans des expériences partagées et un engagement à faire face aux injustices héritées de l’Histoire, ces mouvements remettent en question l’autorité morale revendiquée par l’Occident et esquissent un tournant significatif perceptible dans le monde entier, du Nord au Sud.

Par Kribsoo Diallo

Basé au Caire, Kribsoo Diallo est chercheur et analyste politique panafricaniste spécialisé sur les questions africaines.

Publié initialement sur le site TNI : https://www.tni.org/en/article/african-attitudes-to-and-solidarity-with-palestine. Traduit de l’anglais par Johanne Fontaine- Édité par Nellie Epinat


[1] Cet article se concentre sur les pays d’Afrique subsaharienne, sans toutefois chercher à dissocier les pays d’Afrique du Nord arabophones du reste du continent. Alors qu’une large attention a été accordée aux populations des pays arabophones et à leur solidarité avec la Palestine, nous estimons que les dynamiques en cours dans les pays africains non-arabophones n’ont pas bénéficié d’une couverture médiatique et d’une analyse satisfaisantes. Cet article est une tentative de remédier à cette situation (Note des éditeur·trices).

[2] Le titre complet est « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ».

[3] Middle East Monitor, « Zimbabwe describes Israel’s cutting off water, electricity from Gaza as a war crime », 2 novembre 2023. https://www.middleeastmonitor.com/20231102-zimbabwe-describes-israels-cutting-off-water-electricity-from-gaza-as-a-war-crime/

[4] Gidron, Y., Israel in Africa: Security, Migration, Interstate Politics. Londres, Bloomsbury, 2020.

[5] Malala, P., « Why Miguna is defending Raila Odinga », 5 novembre 2023. https://www.nairobileo.co.ke/news/article/13864/why-miguna-is-defending-raila-odinga

[6] Decalo, S., Israel and Africa: Forty Years, 1956–1996, Florida Academic Press, 1998.

[7] Yacobi, H., Israel and Africa: A Genealogy of Moral Geography, Routledge, 2016.

[8] Abu Zeid, S., Africa Between the Claws of Israel, Beirut: Al-Donia Al-Jadida, 1962.

[9] Quntar, R., Israeli Economic Penetration in Africa and Ways to Confront It, Palestinian Organisation Research Centre, 1968.

[10] Abdel Rahman, A.et Shaarawi, H., Israel and Africa 1948–1985, Le Caire, Dar Al-Fikr Al-Arabi, 1986.

[11] Acharya, A et See Seng, T. (Eds.), Bandung Revisited: The Legacy of the 1955 Asian-African Conference for International Order, Chicago, University of Chicago Press, 2008.

[12] Quntar, Israeli Economic Penetration in Africa and Ways to Confront It, 1968.

[13] Odah, A.M., Israeli Activity in Africa, Le Caire, Publications de l’Institute for Arab Research and Studies, 1966.

[14] Vladimirov, V., Israeli Policy in Africa. Moscou, International Affairs, 1965.

[15] Kreinin, M.G., Israel and Africa: A Study in Technical Cooperation. New York, Praeger Special Studies in International Economics, 1964.

[16] Zeff, M., « Israel and Guinea announce diplomatic relations », 20 juillet 2016. https://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4831138,00.html

[17] Rogers, F., History of Guinea Conakry, and Early Struggle for African Liberty: Sekou Toure, an African Might, a Political Diversity. Blurb Inc, 2024.

[18] Ojo, O., Africa and Israel Relations in Perspective. Jerusalem, Leonard David Institute for International Relations, Routledge, 1988.

[19] Al-Isfahani, N., Arab-African Solidarity, Centre for Political and Strategic Studies, 1977.

[20] Oded, A., Uganda and Israel: The History of a Complex Relationship. Abba Eban Publications, 2002 ; Yotam Gidron, op. cit.; Abdel-Ghani Al-Saudi, M., Arab-African Relations: An Analytical Study in Its Various Dimensions, Institute of Arab Research and Studies, Le Caire, 1978.

[21] The Associated Press, « African leaders condemn Israel’s offensive in Gaza », 17 février 2024. https://rb.gy/kq4xs9

[22] Cabral, A., Selected Speeches by Amilcar Cabra, Monthly Review Press, 1973.

[23] Sankara, T., « Discours devant l’Assemblée générale des Nations unies », 1984. https://tinyurl.com/5n7ps5eh

[24] Fayyad, H., « Nelson Mandela and Palestine: In his own words », 20 février 2020. https://www.middleeasteye.net/news/nelson-mandela-30-years-palestine

[25] Zeilig, L., A Revolutionary for Our Time: The Walter Rodney Story. Londres, Haymarket Books, 2022.

 

SOURCE :QG Decolonial

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