Un symposium de trois jours a exploré l’histoire et la portée de l’incarcération de masse aux Etats-Unis

A l’occasion de l’inauguration de l’exposition des archives de MUMIA qu’elle a acquises, la célèbre université de Brown a organisé un symposium sur l’incarcération de masse aux Etats-Unis avec notamment la participation de la célèbre militante universitaire Angela Davis, de Johanna Fernandez (professeure d’histoire américaine au Baruch College de New York et porte-parole de Mumia) et de Nicole Gonzalez Van Cleve (professeure agrégée de sociologie à Brown).

MUMIA fut un intervenant surprise par téléphone depuis la prison de Mahanoy.

La collection de ses écrits et d’autres documents met en lumière l’impact de la prison sur les personnes incarcérées et leurs proches.

Quelques 5,4 millions de personnes vivent sous la surveillance du système pénal aux Etats-Unis, dont 1,8 million se trouvent en prison et le reste vit en liberté conditionnelle, d’après le Bureau des statistiques de la justice. Le taux d’incarcération place les Etats-Unis au premier rang mondial. Il est environ cinq fois supérieur à celui de la France et de l’Italie, et huit fois à celui de l’Allemagne, d’après la base de données World Prison Brief. La population carcérale est dominée par les minorités ethniques, les pauvres, les immigrés et les toxicomanes.

Article rendant compte de cet évènement par Jill Kimball, News Brown University

EXTRAITS

« Voices of Mass Incarceration » Ce Symposium a été marqué par l’ouverture au public d’une exposition des archives de Mumia Abu-Jamal à la bibliothèque John Hay de l’Université de Brown avec la participation de plusieurs centaines de personnes de la région et du monde entier.

La collection d’écrits d’Abu-Jamal et d’autres documents met en lumière l’impact de la prison sur les personnes incarcérées et leurs proches.

PROVIDENCE, R.I. [Université Brown] – « Avez-vous déjà entendu le dicton : Je n’ai pas vu ça venir ? »  a plaisanté Mumia Abu-Jamal. L’ancien journaliste, militant et détenu depuis 41 ans a participé à une table ronde de l’Université Brown sur l’incarcération et le système de justice pénale le mercredi 27 septembre 2023, via une communication téléphonique enregistrée (et surveillée) depuis son lieu de détention en Pennsylvanie.

Abu-Jamal n’était pas seulement au centre de la conversation. Il a également été surpris et étonné d’observer que quatre décennies de ses écrits, œuvres d’art et de documents de prison (97 boîtes d’archives) étaient maintenant disponibles et exposés à la bibliothèque John Hay, constituant l’une des plus grandes collections du pays de récits de personnes incarcérées. « Bienvenue à une soirée à Brown, alors que nous ouvrons les archives et tournons ainsi une nouvelle page de l’histoire », a-t-il déclaré en s’adressant à des centaines de membres du public en personnes et virtuels.

Les commentaires d’Abu-Jamal – reconnu coupable du meurtre d’un policier de Philadelphie en 1981 et qui est depuis devenu l’un des défenseurs les plus virulents de l’équité raciale et de la réforme de la justice pénale – a donné le coup d’envoi de « Voices of Mass Incarceration ». L’événement durant trois jours fut rempli de spectacles et de conversations axés sur l’application de la loi, les soins médicaux dans les prisons, l’art public, l’impact de l’incarcération sur les femmes. Ces événements ont attiré divers groupes d’activistes et d’universitaires du monde entier ainsi que des membres des communautés Brown et Providence.

Organisé conjointement par la bibliothèque de l’Université Brown, le Pembroke Center et le Ruth J. Simmons Center for the Study of Slavery and Justice, le symposium fut le lieu de plusieurs conférences et d’une première mondiale pour « Vampire Nation », une pièce originale composée par Mumia Abu-Jamal.

Le début du symposium a également marqué l’ouverture publique d’archives, d’écrits et d’œuvres d’art de la vie incarcérée d’Abu-Jamal pendant quatre décennies. Photo : Ben Tyler/Bibliothèque de l’Université

Les participants ont été les premiers à voir « Mumia Abu-Jamal : un portrait de l’incarcération de masse », une nouvelle exposition s’étendant sur le campus Brown. Amanda E. Strauss, directrice de la bibliothèque John Hay, a déclaré que le symposium, l’exposition et les collections d’archives sont tous axés sur l’amélioration de l’accès aux récits d’incarcération afin de renforcer la recherche sur le sujet.

« Ce symposium est ancré dans les archives, dans la préservation de la collection de Mumia Abu-Jamal et dans la création d’un espace pour préserver de nombreuses autres collections connexes qui, une fois assemblées, nous permettent d’entendre les voix des détenus », a déclaré Strauss dans son discours d’ouverture. « Cette vaste collection fournit un aperçu crucial du système carcéral américain… C’est à nous, les archivistes, les universitaires, les militants, les étudiants, les professeurs, les citoyens, de décider ce que nous allons faire de ces voix ? »

« Ce n’est pas de l’histoire, c’est aujourd’hui »

Quelques orateurs du symposium avaient déjà des réponses à la question de Strauss. Dans une conversation qui a examiné les liens entre le cas d’Abu-Jamal et l’histoire des préjugés raciaux dans le maintien de l’ordre à Philadelphie et dans d’autres villes américaines, Elizabeth Hinton, historienne et juriste à l’Université de Yale, a déclaré que « la consultation des dossiers des détenus pourrait approfondir, et peut-être même transformer, la compréhension du public concernant des événements historiques importants. Ces documents sont essentiels non seulement pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, mais aussi pour comprendre comment aller de l’avant. »

La célèbre universitaire féministe Angela Y. Davis a expliqué comment l’étude des histoires des personnes incarcérées et des histoires de leurs proches pourrait aider les chercheurs à identifier et à perturber les modèles historiques d’injustice et de discrimination. Photo : Ben Tyler/Bibliothèque de l’Université

 

Mumia Abu-Jamal, qui est incarcérée dans une prison de Pennsylvanie, a participé à une table ronde via le téléphone portable de Johanna Fernandez. Photo : Ben Tyler/Bibliothèque de l’Université

« On ne peut pas comprendre le système d’incarcération de masse sans centrer les voix des personnes les plus touchées », a déclaré Nicole Gonzalez Van Cleve, professeure agrégée de sociologie à Brown, laquelle a animé l’une des discussions du symposium. Ajoutant « Les enseignants et les étudiants travaillent ensemble pour trouver et rendre disponibles les histoires des personnes incarcérées et de leurs proches afin de contribuer à une meilleure compréhension de « l’histoire vivante » de l’incarcération de masse ». Et de conclure : « Les archives faisant l’histoire, perdre une collection serait un acte délibéré d’effacement historique ».

Heather Ann Thompson, historienne de l’Université du Michigan et auteure lauréate du prix Pulitzer de « Blood In the Water : The Attica Prison Uprising of 1971 and Its Legacy », a déclaré que « l’étude des écrits et des archives d’Abu-Jamal pourrait ajouter un contexte supplémentaire critique aux événements majeurs qui ont secoué la ville de Philadelphie. Précisant que « dans les années 1970, les plaintes des résidents noirs concernant les préjugés racistes dans les forces de l’ordre de la ville – des incidents régulièrement couverts par Abu-Jamal et d’autres journalistes noirs à l’époque – avaient atteint un tel paroxysme que la Commission américaine des droits civils est intervenue pour enquêter sur le département de police ». L’enquête de la commission avait alors révélé une corruption et des préjugés endémiques, forçant la police à payer des millions de dollars pour régler les poursuites intentées contre eux. Rappelons aussi que la tension entre la police et les Noirs de Philadelphie lors d’une confrontation sanglante en 1978 qui a coûté la vie à plusieurs militants du mouvement Move.

Trois ans plus tard, le procès et la condamnation d’Abu-Jamal « ont ensuite et par la suite résumé ce qui avait toujours été, et continue d’être » a déclaré Thompson. « Cette ville est toujours un champ de bataille. Cette histoire que Mumia nous apporte à travers sa voix, ses écrits, sa musique, n’est pas de l’histoire. C’est aujourd’hui ».

 

« C’est notre travail de créer des ruptures »

 

Ce sentiment – que le passé et le présent sont inextricablement liés – s’est traduit tout au long des événements et interventions du symposium à l’exemple de la première représentation de « Vampire Nation », une pièce écrite par Abu-Jamal. Interprétée par Marcus Grant (étudiant en doctorat de Brown) et ses amis musiciens, ils ont utilisé des chaînes comme instruments pour montrer les liens entre l’esclavage racial en Amérique du Nord et les prisons d’aujourd’hui dans lesquelles les Noirs Américains sont cinq fois plus susceptibles d’y entrer que les Américains Blancs, selon une étude du Sentencing Project. Autre exemple, le débat sur « L’impact de la police sur le système carcéral » a exploré comment les campagnes et les politiques passées au niveau fédéral et étatique, y compris la loi de 1970 sur la prévention et le contrôle de l’abus de drogues, ont fait grimper la population carcérale nationale à plus de 2 millions aujourd’hui.

 

L’exposition « Mumia Abu-Jamal : un portrait de l’incarcération de masse », qui a ouvert ses portes au public relie également le passé et le présent en utilisant les écrits, la correspondance et le travail créatif d’Abu-Jamal comme point d’entrée dans une conversation plus large sur l’impact du système carcéral américain sur des millions de vies. Dans l’exposition, « Il y a une réplique de la cellule que Mumia Abu-Jamal a occupée pendant près de trois décennies dans le couloir de la mort, et j’étais juste hypnotisée, parce qu’elle donne une perspective sur la restriction de l’espace, la privation sensorielle » a déclaré Julia Wright, vétéran du Black Panther Party et la fille du célèbre auteur noir Richard Wright. Lors d’un autre débat, la militante a pris la parole sur la façon dont « les femmes jouent souvent un rôle de premier plan dans les mouvements de justice sociale », rejoignant Johanna Fernandez (NDLR porte-parole de Mumia) et Angela Y. Davis pour lesquelles « la majorité des personnes qui sont en prison sont des hommes … mais qui cette institution touche-t-elle le plus souvent ? Qui sont les personnes que vous voyez dans la salle de visite ? Des femmes ! »

 

Perturber ces tendances et créer des ruptures, a déclaré Johanna Fernandez « impliquent de donner une voix à ceux qui n’occupent pas de rôles de leadership et dont les dossiers d’archives n’ont pas toujours été préservés jusqu’à présent ». Soulignant l’importance de l’archivage, elle se souvient en tant qu’étudiante à Brown dans les années 1980 et 1990, avoir souvent manifesté sur le campus Elle en a conservé certains des panneaux et des affiches. Ces documents font maintenant partie des collections Voices of Mass Incarceration de la bibliothèque John Hay, tout comme ses correspondances avec Abu-Jamal depuis des décennies et ses recherches sur les mouvements de justice sociale.

 

« Ce que font les gens au bas de la société sont rarement préservés ou sont préservés de manière très précaire », a déclaré Johanna Fernandez. « On a beaucoup écrit sur l’emprisonnement au cours des vingt ou trente dernières années, la plupart proviennent d’universitaires et de journalistes. Mais qui de mieux pour parler emprisonnement que les prisonniers eux-mêmes ? Dans un pays qui a emprisonné tant de ses citoyens, vous ne pouvez pas comprendre notre société sans les entendre … Ce que fait la voix du prisonnier, c’est qu’elle rend l’humanité à ceux que notre société a déshumanisés. »

 

Septembre 2023

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