Je me suis relevé dans l’orage de Jonathan Nguyen

“Je me suis relevé dans l’orage” est un poème issu du témoignage d’un étudiant congolais qui vivait en Ukraine lorsque la guerre a éclaté (travail avec l’organisation Change Asbl). Le poème relate la discrimination dont il a fait preuve en Ukraine, et continue de faire preuve en Belgique. A l’heure où l’on voit une discrimination de traitement des réfugiés sur la base de l’origine, ce texte a pour vocation d’être connu et diffusé.

Jonathan Nguyen

Je me suis relevé dans l’orage

Matin glacial de février
Sous les bombes météorites
Qui fendent le ciel embrasé
Mes oreilles assourdies crépitent
Course folle au métro et à la gare
Tonnerre de trains surpeuplés
Les femmes et les enfants d’abord
Mon monde et mon souffle coupés
De Kiev à Lviv je vois le monde défiler
Le soleil rouge poudroie des cendres
Sur des villes presque exsangues
Les yeux se noient dans des larmes
Scintillantes où s’abreuve la nostalgie
J’attends sur le fil d’une vie
Dont le tissage est suspendu
J’attends précipice au bout des doigts
J’ignore qui me tendra la main
Pour sauver mes rêves en éclats
J’attends la frontière d’un nouveau monde
L’espoir d’un salut, la fin des bombes
J’ai payé le prix fort pour finir arrêté
Pour voir les autres s’enfuir sans moi
Mes entrailles se glacent
En mon âme je sais pourquoi
Morsure de la neige au visage
Membres brûlés par le froid
Autour de moi les cris les pleurs
Fusils pointés sur mes flancs
Je ne vois que le souffle du néant
De lointaines mémoires remontent
Elles disent l’exploitation des corps
Elles disent la vie la mort en un instant
Quand on est noirs et qu’ils sont blancs
Morsure de la neige au visage
Mes ancêtres à l’oreille
Me rappellent d’où je viens

2

Congo, je ressens tes pulsations
Je revois tes couleurs éclatantes
Bleu ciel de la paix
Rouge du sang des martyrs
Jaune de l’or qui n’a pas été pillé
Je me souviens de ta canopée tropicale
De tes airs de rumba qui apaisent le silence
Mon silence engourdi et monacal
Ukraine, tu es celle que j’ai choisie
Celle dont j’ai appris la langue
Celle qui m’a mordu au visage
J’ai tenu bon devant ta violence
J’ai lutté pour ne pas être enrôlé
Dans ce conflit qui n’est pas le mien
Dans cette histoire qui ne m’appartient pas
J’ai avalé ton mépris
Comme on avale des couleuvres
Sans jamais baisser les yeux
Je me suis relevé dans l’orage
J’ai parcouru tes blancs rivages
Je te quitte le cœur lourd
Mais tu te redresseras fièrement
Et je reviendrai tambour battant
Me voici donc, Belgique
Terre murmurée par mes aïeux
Dans mes songes fiévreux
Pourquoi me regardes-tu avec méfiance
Quand tu accueilles les Ukrainiens
Comme s’ils étaient tes frères et sœurs ?
As-tu oublié que tu as pris nos mains
Que tu as récolté jusqu’à nos larmes
Mêlées aux sanglots des caoutchoucs ?
Face à la mémoire bafouée
Je ne peux taire ma colère qui bout
Cette colère qui me tient debout
Moi qui me suis relevé dans l’orage
Moi le Prodige parti étudier
Moi le Réfugié qui dort dans la rue
Je t’appelle à me donner tort
Belgique, je t’appelle à ouvrir tes bras

3

A montrer que ton cœur est grand
Si grand en fait que chaque être
Peut sans crainte vibrer à l’unisson
Toi qui écoutes ce poème n’oublie pas
La guerre fait rage dehors
Mais coule d’abord en nous
Comme un poison tempête
Que seule la lumière peut dissiper
Je me suis relevé dans l’orage
Phénix qui renaît de ses cendres
Fils du cœur de l’Afrique
Porte-voix flamboyant
Pour lever le voile sur l’humanité

Jonathan Nguyen

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