Pourquoi beaucoup de Marocains d’Europe préfèrent jouer sous les couleurs du Maroc

Beaucoup de footballeurs issus de la diaspora marocaine choisissent d’évoluer sous les couleurs de l’équipe nationale du Maroc. Si certains sont mus dans cette démarche par la fierté ou par un sentiment de méconnaissance, d’autres espèrent surtout bénéficier de davantage de temps de jeu.

Morocco’s players celebrate at the end of the Qatar 2022 World Cup round of 16 football match between Morocco and Spain at the Education City Stadium in Al-Rayyan, west of Doha on December 6, 2022. (Photo by Glyn KIRK / AFP)

Ashraf Hakimi est l’un des meilleurs backs droits de la planète foot. Bien qu’ayant grandi en banlieue madrilène, il porte la vareuse non pas de l’Espagne, mais du Maroc, le pays d’origine de ses parents. Il n’est pas le seul international marocain à avoir grandi en Europe. Lorsqu’on interroge ces joueurs sur les raisons de cette situation, ils commencent souvent par mettre en avant un manque de respect et d’égalité des chances.

Sur les 26 joueurs présents au Qatar avec la sélection marocaine, plus de la moitié ne sont pas nés au Maroc. Aucune autre équipe ayant participé à la coupe du monde 2022 ne compte en ses rangs davantage de joueurs nés à l’étranger.

Hakimi (24) évolue au Paris Saint-Germain, le meilleur club français. Il est né à Madrid et a grandi à Getafe, une banlieue de la capitale espagnole. Dans une interview accordée au journal sportif espagnol Marca en prélude à la rencontre Espagne-Maroc comptant pour les huitièmes de finale, il a déclaré avoir envisagé, lorsqu’il évoluait dans les catégories d’âge, de défendre les couleurs de l’Espagne. « J’ai passé quelques jours au camp d’entraînement organisé à Las Rozas par la fédération espagnole, mais j’ai vite compris que je n’étais pas à ma place. Je ne me sentais pas chez moi. » Et Hakimi d’expliquer ensuite que ce sentiment d’appartenance est, chez lui, étroitement lié à la culture arabe et à l’identité marocaine telles que les lui ont transmises ses parents.

Nombre de jeunes d’origine marocaine s’identifient à ce ressenti. Partout dans le monde, la diaspora marocaine – née en Europe, aux USA ou au Canada – est sortie dans la rue afin de célébrer les victoires des Lions de l’Atlas. Et tout comme chez nous, des critiques se sont abattues en Espagne sur ces jeunes fêtards, qui ne seraient pas bien intégrés au motif que leur cœur bat pour la patrie de leurs parents ou ancêtres plus lointains. « S’ils aiment tant le Maroc, que font-ils donc encore ici ? », a-t-on pu lire comme commentaire sur la page Instagram du quotidien El Pais. Pour apaiser les frustrations de cette jeunesse issue de l’immigration, on a connu mieux.

Un Marocain à bord d’une voiture chère ? Suspect…

« J’ai du mal à comprendre ce qu’ils attendent de nous », avoue Kawthar Arbi, une jeune Madrilène de 24 ans venue célébrer la victoire face à l’Espagne dans le centre-ville. « Dans la vie de tous les jours, nous sommes traités comme un groupe. Nous sommes ces Marocains-là, comme on nous appelle toujours. Nous ne sommes jamais considérés comme des Espagnols, alors que nous sommes pourtant nés ici. Et maintenant, tout le monde s’étonnerait de nous voir fêter les victoires du Maroc ? Cette prétendue crise d’identité à laquelle nous serions confrontés, c’est eux qui en sont responsables par la manière dont ils nous traitent. » Sur ce, Kawthar disparaît dans la foule, hurlant sa joie.

Durant les célébrations dans le centre de Madrid, les jeunes arboraient non seulement le drapeau marocain, mais également l’espagnol, à l’image de Salahedin Mounaoui (20) et ses amis. « Évidemment que nous sommes fiers également de l’Espagne. C’est aussi notre pays, même si on nous y rappelle tous les jours que nous sommes différents. » Ce sentiment s’enracine souvent dans des discriminations sur le marché du travail, dans ces places de stage que ces jeunes n’arrivent bien souvent pas à trouver ou encore dans le profilage ethnique dont ils sont victimes en rue.

« On ne nous considère jamais comme des Espagnols, alors que nous sommes pourtant nés ici. Et aujourd’hui, tout le monde s’étonnerait de nous voir fêter les victoires du Maroc ? »

Ces expériences, même les enfants de migrants qui sont devenus célèbres y sont encore confrontés. Ashraf Hakimi a ainsi expliqué au quotidien El Mundo à quoi ressemblait sa vie du temps où il jouait encore au Real Madrid. « Lorsque je monte dans ma voiture de luxe une casquette vissée sur la tête et que je quitte le stade Bernabéu pour aller manger un morceau avec des amis, je me fais arrêter. Les policiers pensent que nous sommes en train de voler des voitures. Les Espagnols à la peau blanche ne sont pas soumis à ce genre de traitement. Je ne sais pas si la police fait cela délibérément ou non, mais le fait est que c’est du racisme. »

« Les comportements de ce genre ont pour conséquence que nous nous rapprochons encore plus du pays de nos parents », soutient Salahedin, « et ce même si nous sommes perçus au Maroc comme ces Européens-là. C’est vraiment fatigant, parfois. Pourquoi devrais-je choisir chaque fois entre le Maroc et l’Espagne ? » .

Comme l’a déclaré un jour Ali Boussaboun, un ancien footballeur néerlando-marocain, « vous pouvez faire tout ce que vous voulez, vous ne serez jamais comme eux. Vous ne serez jamais considéré comme un véritable Néerlandais. Les jeunes Marocains qui sont nés ici ne sont pas perçus comme des Néerlandais, même s’ils possèdent un passeport néerlandais et qu’ils parlent mieux la langue de Vondel que le marocain. »

En 2015, le milieu de terrain Hakim Ziyech, qui évoluait alors au FC Twente, a éprouvé le même sentiment. En début d’année, il avait été sélectionné en équipe nationale des Pays-Bas mais avant d’avoir pu disputer ses premières minutes avec les « Oranje », il s’est blessé à la cheville et a dû quitter le camp d’entraînement. En fin d’année, il n’a plus été convoqué. Il a ensuite annoncé son intention de jouer pour le Maroc.

« Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, vous ne serez jamais comme eux. »

D’après une analyse réalisée par le journal marocain en ligne Morocco World News, ces carrières internationales qui stagnent ont longtemps été considérées comme la raison principale pour laquelle des joueurs ayant la double nationalité choisissent finalement de représenter le pays de leurs parents. « Ces derniers temps, toutefois, de plus en plus de joueurs disent opter pour le pays de leurs parents en raison d’un phénomène que certains qualifient de démocratisation du football. »

Ce phénomène désigne l’évolution du football dans un sens où les équipes longtemps considérées comme inférieures peuvent désormais rivaliser avec les favoris habituels. Et même les battre, comme le Maroc vient de le prouver en dominant la Belgique, l’Espagne et le Portugal pour atteindre les demi-finales de la coupe du monde 2022.

Auteure
Oumaima Abalhaj

Traducteur
Maxime Kinique

SOURCE

Violences policières à Bruxelles à l’issue du match France-Maroc (CARTE BLANCHE)

Violences policières match France-Maroc

En marge de la demi-finale du mondial de football opposant le Maroc à la France, des célébrations rassemblant des supporters de l’équipe marocaine, se sont transformées en véritables battues policières prenant pour cible les participants de ces rassemblements festifs. Ces faits de violences policières qui ont ciblé majoritairement des personnes issues de l’immigration, ont produit un écho de contestation important en provenance d’une société civile, attentive à lutter contre la permanence de ces « violences policières à caractère raciste ».

Le dispositif policier préventif, préparé bien en amont, était très impressionnant mercredi dans le centre-ville de Bruxelles. Il s’inscrit dans un usage de plus en plus systématique des violences policières préventives (“nassage”) à Bruxelles mais aussi dans le contexte de répression particulier lié aux matchs de l’équipe du Maroc depuis la victoire contre la Belgique. Il faut noter qu’en dehors du Pentagone, les victoires de l’équipe nationale du Maroc ont donné lieu à de belles fêtes (Schaerbeek, Anderlecht, Heizel, Molenbeek, etc.).

Depuis la piétonnisation du centre ville et sa touristification, les Bruxellois et plus particulièrement les jeunes noirs et arabes y sont de plus en plus exclus et chassés au profit des consommateurs et des touristes. A chaque match du Maroc, le bourgmestre de Bruxelles prévoit un dispositif policier de plus en plus important qui atomise les rassemblements populaires à coup de gaz lacrymogènes, d’hélicoptères et de charges policières. L’unique objectif semble être de “protéger” les Plaisir d’Hiver : bloquer l’accès à la Bourse depuis la gare du midi, réprimer, gazer et laisser s’envenimer une situation critique autour des commerces les plus précaires du début du boulevard Lemonnier et du boulevard du Midi et Poincaré. La vérité c’est qu’une partie de la jeunesse belgo-marocaine bruxelloise du centre ville n’a absolument aucun endroit pour célébrer la victoire du Maroc.

Mercredi soir, il semble qu’un nouveau cap ait été franchi y compris à Molenbeek avec l’usage de fusils flashball FN 303 par la BAB ainsi qu’à Saint-Josse. Des escadrons policiers en provenance du Brabant wallon, de Liège, de Flandre ont été appelés en renfort notamment sous la direction de la Zone Bruxelles Capitale-Ixelles1. Au centre ville, un nassage de plusieurs centaines de personnes a été mis en place dès la fin du match, à la sortie des bars, repoussant les gens vers Stalingrad. Enfermés et sans possibilité d’échapper, tout le monde a été arrêté : enfants, parents, personnes âgées, etc. Les arrestations se sont faites sans sommations préalables et de façon particulièrement violente : gaz lacrymogène, utilisation excessive de la matraque, plaquage au sol et contre le mur, etc. Les personnes arrêtées sont ensuite restées plusieurs heures au sol à – 4 degrés.  Il y aurait eu 213 arrestations administratives dont 51 mineurs2.

D’après les récits issus d’un premier appel à témoins que nous avons diffusé sur les réseaux sociaux, il ressort clairement que l’excès de violence et l’usage disproportionné de la force semblent être actés. Rue Verte à Saint Josse, une personne a été violemment matraquée à plusieurs reprises à la tête par la police et laissée gisante au sol. Ce sont les voisins qui ont dû appeler les secours. Cette personne a ensuite dû être hospitalisée et a reçu plusieurs points de suture.

Tabassages policiers, rue Verte à Saint-Josse-ten-Noode.

Sous le pont de la gare du Midi, les chiens policiers ont violemment mordu des personnes sans qu’aucun policier ne soit intervenu pour les secourir.

Placage et agression par un chien policier, gare du Midi.

Plusieurs témoignages de personnes violemment arrêtées qui, blessées, ont dû se rendre aux urgences de Saint-Pierre et de Saint-Jean insistent sur le nombre de blessés présents, y compris des femmes et des enfants. Le journaliste Yassin Akouh de la VRT témoigne également avoir été pris pour cible et arrêté malgré qu’il ait présenté sa carte presse ainsi que du caractère rapide et préparé du “nassage”. Des faits similaires ont été rapportés à Anvers, où des sans-papiers Somaliens et Palestiniens ont été particulièrement pris pour cibles.

Nous sommes inquiets car ces témoignages sont, d’après nos premiers recensements, nombreux. A l’heure d’écrire ces lignes nous n’avons pas encore une vue d’ensemble des violences policières commises ce mercredi soir à Bruxelles mais les premiers éléments sont suffisamment inquiétants pour alerter l’opinion publique et les responsables politiques. Beaucoup de personnes interrogées n’osent pas porter plainte de peur de représailles.

La technique policière du « nassage » s’intensifie ces dernières années

La technique policière du “nassage” préventif a montré ces dernières années à Bruxelles son caractère discriminatoire, raciste et violent. En effet, le “nassage” vise à enfermer et à arrêter toutes les personnes qui se trouvent dans un périmètre donné sans laisser la possibilité de quitter les lieux. Les Noirs et les Arabes sont plus particulièrement visés par les violences dans ce type de répression. Nous sommes particulièrement inquiets de voir se répéter ce type de violences policières dans notre ville comme lors du rassemblement en hommage à Ibrahima Barrie le 13 janvier 2021 ou lors de l’arrestation préventive de 86 mineurs à l’occasion d’une manifestation contre les violences policières à la gare centrale et torturés dans les casernes d’Etterbeek le 26 janvier 2021, violences dénoncées par  la CGSP Police elle-même. C’est pourquoi nous attendons des prises de position fortes et rapides. Demain après-midi a lieu la petite finale opposant le Maroc à la Croatie. L’intensification de la répression depuis le match Belgique/Maroc nous fait craindre le pire.

Nous en appelons d’abord au Délégué Général aux Droits de l’Enfant pour ce qui concerne les mineurs arrêtés et violentés. Un appel à témoins et une recherche des victimes doivent être poussés plus en avant. Nous en appelons aux associations en charge des questions de violences policières, des droits de l’homme et les structures dédiées au secteur de la jeunesse pour relayer les appels à témoins et interroger les responsables politiques. Nous interpellons directement les bourgmestres de Bruxelles ville et de Saint-Josse, Messieurs Close et Kir pour que des enquêtes soient instruites afin de poursuivre et sanctionner les policiers auteurs des violences et qu’un contact soit établi avec les services d’urgence des hôpitaux de la ville afin de connaître le nombre de blessés mercredi soir ainsi que les causes de ces violences.

Nous interpellons également la Ministre de l’intérieur Annelies Verlinden sur l’approche uniquement sécuritaire et répressive de ce type d’événement. Nous en appelons aux mandataires politiques pour que des questions soient également posées au sein des conseils de police le plus rapidement possible. Nous attendons qu’un message clair soit envoyé tout le long de la chaîne de commandement policier, du bourgmestre aux policiers de première ligne en passant par les commissaires. Plus fondamentalement un débat sur l’usage disproportionné de la force et les discriminations raciales générées par le dispositif policier du “nassage” préventif doit avoir lieu.

Dispositif policier gare du Midi et Saint-Josse.

Structuration géographique, sociale et raciale du dispositif de “nasse”

D’après les différents témoignages recoupés, voici comment nous pouvons reconstituer le dispositif mis en place mercredi soir dans son déploiement policier.

  • Première phase : les policiers poursuivent les jeunes à la hauteur de Stalingrad en les coursant (chasse à courre et courses poursuites).
  • Deuxième phase : une ligne de policiers repousse les Noirs et les Arabes et laisse plutôt les blancs passer depuis le boulevard Lemonnier jusqu’à la station Lemonnier (profilage racial, chasse raciale, ratissage et battue)
  • Troisième phase : la nasse se referme aussi côté Bara et tout le monde se fait arrêter, le piège se referme (chasse à l’homme, rafle et chasse aux pièges).

Nous pouvons donc instruire une structuration particulière du dispositif policier de la nasse qui cible de façon particulière différents groupes avec une forte dimension de profilage racial. Les violences racistes ayant eu lieu après le match France/Maroc (chasses islamophobes orchestrées par l’extrême-droite en France, chasses à l’homme, aux Noirs et aux Arabes par la police en Belgique) montrent qu’il y a co-existence et co-extensivité des formes de pouvoir. On ne passe donc pas de façon linéaire et progressive des chasses populaires aux juifs et aux étrangers, des lynchages et pogromes à la xénophobie d’Etat mais ces diverses formes de violences raciales se nourrissent et s’appellent les unes les autres.

Plus le racisme d’Etat s’intensifie à travers la guerre contre les migrants, les discours islamophobes, les politiques de discriminations et de poursuites racistes institutionnalisées, plus les passages à tabac, les ratonnades, les crimes racistes et les violences orchestrées par l’extrême-droite gagnent en puissance. Inversement ces mêmes violences populaires et extra-parlementaires exercent une pression continue sur les politiques gouvernementales de type libérale autoritaire et sont capitalisées par l’extrême droite dans sa stratégie de conquête du pouvoir.

Il existe également des symbioses entre cette violence de type fasciste et les pratiques policières, comme le montre les groupes privés de policiers où abondent les messages racistes ainsi que les appels à la haine, où les jeunes issus de l’immigration post-coloniale sont qualifiés d’« ordures », de « rats » ou de « vermines » et où se transmettent des techniques de lynchage, de noyade, de parechocage et de mise à mort sous l’usage policier de la force (cf. groupe Facebook fermé destiné aux officiers de police, « Thin Blue Line Begium »). Il est évident que lors des battues, des rafles, des chasses aux jeunes, aux Noirs et aux Arabes qui sont activées lors des nasses cette dimension est également à l’œuvre.

1 Demi-finale France-Maroc : quel dispositif de sécurité pendant et après le match à Bruxelles ?
2 Coupe du monde 2022 : 213 d’arrestations administratives à Bruxelles après la défaite du Maroc

Campagne Stop Répression
JOC Bruxelles
Nouvelle Voie Anti-coloniale
Librairie-éditions Météores
Editions du Souffle
Bruxelles Panthères
Présences Noires
Change asbl
Anas Amara
Rachida El Baghdadi
Nordine Saïdi
Hosni Zahri
Mouhad Reghif
Véronique Clette-Gakuba
Fayçal Cheffou
Faïza Hirach
Martin Vander Elst
Georgine Dibua Athapol
Elsa Roland
Marianne Van Leeuw Koplewicz
David Jamar
Selim Bielk
François Makanga
Jérôme Tellier
Max Boelk
Ana–Maria Voicu

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