La ville d’Anvers doit reconnaître son histoire coloniale

Le 24 septembre marquera la réouverture officielle du Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers en présence de Jan Jambon (N-VA), ministre-président et ministre de la Culture du gouvernement flamand. Le KMSKA annonce un week-end de célébrations sur la place du musée. Nous jugeons inapproprié de faire abstraction, dans le cadre de cet événement, du côté obscur teinté de colonialisme de cette place. Nous réclamons dès lors au conseil communal d’Anvers une commémoration officielle des victimes congolaises de l’Exposition universelle de 1894.

En 1885, les pays européens se partagent le continent africain tel un gâteau. Le Congo devient la propriété privée du roi Léopold II de Belgique. La même année, Anvers organise sa première Exposition universelle, qui sera suivie de deux autres éditions en 1894 et en 1930. Ces expositions permettaient de découvrir les avancées techniques européennes, ainsi que différentes facettes des colonies.

À l’occasion de la réouverture du KMSKA après onze ans de travaux de rénovation, nous souhaitons attirer l’attention sur l’Exposition universelle de 1894. À l’époque, 144 Congolais ont été expédiés par bateau pour être exposés dans le pavillon du Congo de l’Exposition universelle d’Anvers. La place du musée abritait en effet un village congolais reconstitué. Une fois arrivés au Scheldekaai, ces femmes et hommes étaient exhibés comme des animaux de zoo. Cette mise en scène dégradante et barbare faisait partie de la propagande coloniale censée présenter une image primitive des Africains « à civiliser ». Aux XIXe et XXe siècles, plusieurs pays occidentaux ont tenu des zoos humains qui attiraient des flots de visiteurs. Ce phénomène inhumain et indéniablement raciste façonne aujourd’hui encore les stéréotypes.

Jusqu’à l’année dernière, le MAS a accueilli l’exposition, par ailleurs récompensée, « 100 x Congo – Un siècle d’art congolais à Anvers ». Selon les recherches menées par le musée, sept Congolais, âgés entre 17 et 35 ans, sont décédés lors de l’Exposition universelle. Ils reposent avec d’autres dans une fosse commune du cimetière Schoonselhof. Une tragédie oubliée de l’histoire urbaine d’Anvers.
Commémoration officielle

Ces dernières années, la Belgique a pris des mesures sur le plan politique pour adopter une approche plus critique par rapport à son passé colonial. À l’heure où plusieurs villes et communes de Flandre optent pour des commémorations, nous estimons qu’Anvers ne peut pas rester les bras croisés. Le conseil communal doit reconnaître son histoire coloniale, ainsi que le lien entre le Congo et la richesse de la cité portuaire. En effet, Léopold II a trouvé à Anvers de fidèles alliés pour son projet colonial. Les politiques et entrepreneurs anversois ont tiré parti des énormes bénéfices générés par le commerce de l’ivoire et du caoutchouc congolais. Les deux sociétés caoutchoutières, ABIR et Anversoise, étaient basées dans la ville.

Depuis cet été, la sculpture « The Long Hand » de l’artiste congolais Sammy Baloji trône sur le Scheldekaai. Après ce premier pas timide, la ville se doit d’aller de l’avant à l’occasion de la réouverture du musée en commémorant les victimes du zoo humain – tant les Congolais exposés que ceux qui n’ont pas survécu – instauré sur son sol.

« À l’occasion de la réouverture du musée, l’heure est venue de se souvenir des Congolais exhibés et décédés. »

Près de 130 ans après les faits, il est temps de donner à cette tragédie oubliée une place officielle dans la politique de mémoire de la ville. Placer une plaque commémorative sur la place du musée. Créer un lieu artistique où habitants et visiteurs pourraient se rassembler et commémorer les Congolais. Les propositions sont sur la table. Elles doivent maintenant être prises au sérieux par le conseil communal. À cet égard, nous nous tournons tout particulièrement vers le bourgmestre Bart De Wever et l’échevine de la Culture Nabilla Ait Daoud.

Une soixantaine de cosignataires, parmi lesquels figurent Bambi Ceuppens, chercheur AfricaMuseum ; Baudouin Mena Sebu, doctorant Universiteit Antwerpen ; Chokri Ben Chikha, directeur Action Zoo Humain ; Dalilla Hermans, journaliste, autrice et metteuse en scène ; David Katshiunga, artiste ; David Van Reybrouck, écrivain ; Don Pandzou, expert en diversité et auteur ; Fleur Pierets, écrivaine ; Guy Poppe, journaliste ; Herman Van Goethem, recteur Universiteit Antwerpen ; Hind Eljadid, magicienne des mots ; Jeroen Olyslaegers, écrivain ; Jihad Van Puymbroeck, coprésident, Hand in Hand tegen Racisme ; Kevin Absillis, maître de conférence Universiteit Antwerpen ; Kris Smet, ancien journaliste VRT ; Kristien Hemmerechts, écrivaine ; Lieven Miguel Kandolo, coprésident Hand in Hand tegen Racisme et auteur ; Matthias De Groof, professeur Universiteit Antwerpen ; Mathieu Zana Etambala, professeur invité Universiteit Gent ; Nina Henkens, coordinatrice Kif Kif ; Nyanchama Okemwa, collaboratrice Hand in Hand tegen Racisme ; Paul Beloy Beloy, ex-footballeur et auteur ; Rachida Lamrabet, juriste et écrivaine ; Samira Azabar, sociologue et membre de Boeh (Baas Over Eigen Hoofd) ; Sandrine Ekofo, juriste ; Seckou Ouologuem, ex-poète officiel de la ville d’Anvers ; Stef Van Bellingen, organisateur d’expositions ; Tom Lanoye, écrivain ; Tom Verlent, directeur Stedelijk Lyceum Lange Beeldekens ; Victorine Mpanzu Kwamy, présidente de l’association des étudiants AYÒ Belgium ; Walter Zinzen, journaliste ; Wouter Hillaert, journaliste culture et professeur Conservatorium Antwerpen ; Zakayo Wandoloh, consultant en diversité & inclusion.

Nadia Nsayi est politologue de la KULeuven et auteure du roman autobiographique Dochter van de dekolonisatie (Fille de la décolonisation).

Judith Elseviers est professeure et conseillère en décolonisation.

Auteur⸱e Nadia Nsayi et Judith Elseviers
Traductrice Virginie Dupont

Nadia Nsayi, politologue belgo-congolaise: « Notre société est malade »

La politologue belgo-congolaise Nadia Nsayi, 36 ans, était présente parmi les 10 000 personnes venues manifester ce dimanche devant le Palais de Justice. Selon elle, « une société qui se lève face à l’injustice, c’est une société en bonne santé. »

Des oeuvres d’art pillées au Congo exposées à Anvers ?

Selon Bart De Wever, le passé colonial n’a plus d’impact sur le domaine public à Anvers. Or ces propos sont en contradiction flagrante avec les œuvres pillées. Il s’agit d’œuvres africaines, dont la place se situe en Afrique, affirme Ikrame Kastit, conseillère communale (Groen).

 

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