On les appelle « haraga » littéralement ceux qui brûlent, parce qu’une fois l’autre rive atteinte ils brûlent leurs documents d’identité au sens propre comme au sens figuré. Ils doivent se détacher de ce qui pourrait les renvoyer d’où ils viennent.
A partir de maintenant ils utiliseront des alias, des pseudos et déjà le processus d’invisibilisation se met en marche.
Ils font partie du dernier échelon de la migration, ce sont ceux qu’on appelle migrants « économiques » et dans la bouche de certain c’est déjà une insulte.
Ce sont ceux qui ne fuient pas de guerre si ce n’est celle de leur quotidien. Les exilés par « choix » contre les exilés de « force ».
La poitrine gonflée d’espoir, la tête pleine de rêve et déjà ils s’imaginent le jour où ils rentreront au pays avec l’espoir d’offrir un avenir meilleur à ceux qu’ils y ont laissés.
Ça aurait pu être la fin heureuse pour Zakaria, même si des fins heureuses pour les garçons comme lui, il y a en si peu. En place et lieu, la froideur et la laideur d’une gare à Bruxelles, le mépris d’une société qui a failli et qui ne les comprend pas et la violence inouïe qu’exige la vie dans la rue.
On annonce : un jeune sans papiers est décédé dans des circonstances difficiles, personnes pour réclamer le corps, quelques informations dont un nom dont personne n’est vraiment certain et l’urgence d’identifier sa famille au Maroc.
Pourquoi ?
Parce que quand on ne trouve pas la dignité dans la vie alors peut-être faut-il la trouver dans la mort.
Ce besoin urgent et prenant d’honorer le corps du défunt dans le respect des rites de la tradition, entouré des siens.
Restituer un semblant de dignité à ceux bafoués de leurs vivants.
Réunir les corps des déracinés avec la patrie qui n’avait déjà plus beaucoup à offrir mais qui demeurera toujours la seule terre promise.
Complexité de ce qui est fui mais en même temps aimé.
Deux jours et demie seront nécessaires pour que la nouvelle inonde la ville et arrive jusqu’au quartier dont il était originaire. Les réseaux sociaux, la radio, le téléphone arabe dont l’expression prend tout son sens… la machine s’emballe… parallèlement des démarches officielles sont entreprises, on recherche un nom qui n’existe pas à deux lettres près.
Un appel prometteur, une photo, un visage sur un nom, un éducateur de rue pour le reconnaître, la boule dans la gorge, l’estomac noué, c’est bon, c’est lui, nous y sommes, l’émotion est à son comble, il est identifié !
Identifier c’est ce qui permet de différencier sans confusion possible une personne d’une autre, l’individualisé, parce qu’il était lui et qu’il avait sa propre histoire. Il formait un tout bien au-delà du « sans-papiers » décédé dans une gare de Bruxelles.
Une filiation, un lieu et une date de naissance, l7assab wl nassab comme disent les arabes.
Il faut prévenir la famille. Il faut dire que Zakaria n’est plus, que la terre rêvée n’a pas offert plus que la terre quittée, qu’il rentrera dans une boîte. Épilogue d’une migration.
Une mère décédée dans son enfance, un père et deux sœurs, une baraque en taule laide soutenue par des morceaux de bois calée entre deux maisons, non, la misère n’est pas plus belle au soleil.
où sont les juges? Où sont les accusateurs? Où sont ceux qui ne comprennent toujours pas pourquoi le sol d’une gare est parfois préférable à la « Hagra » du pays.
Nom de profil : ziko solo fel ghorba qui se traduit comme solo dans l’exil, solo dans la migration.
El ghorba, de gharib (étrange) parce que c’est comme ça qu’on se sent dans le pays des autres.
Parce que l’Ghorba c’est une thème communément chanté, évoqué par les poètes, ils racontent la souffrance de la séparation et le malheur de n’être nul part vraiment chez sois.
C’est en tout comme ça que le jeune Zakaria se sentait.
Complexité d’un récit et d’une mémoire brisée.
Zakaria a été identifié, sa famille retrouvée. Son corps sera rapatrié et il sera prié pour le repos de son âme.
Dans ce tableau sombre, de la lumière, des mains tendues, des éducateurs pour les MENA, des personnes engagées pour assurer à chacun le droit d’être enterré dignement, des bénévoles, des traducteurs, des avocats, des maraudes, de la nourriture distribuée…
Merci aux personnes incroyables, portées par des valeurs fortes qui ne lâchent pas.
Dans les prochains jours une cagnotte sera partagée pour soutenir la famille du défunt.
Je compte sur chacun d’entre vous pour y participer et la relayer en masse.
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