De la religion aux traditions

Quelques réflexions sur l’œuvre de Talal Asad
Nadia Fadil

Plan

Talal Asad : pour une ontologie critique de la modernité
La pertinence de l’islam comme « objet » anthropologique ou sociologique
L’islam comme « tradition discursive »
Pour une anthropologie/sociologie du « séculier » et des « traditions » ?
Conclusion

L’œuvre de l’anthropologue Talal Asad connait ces dernières années une réception active dans le champ scientifique francophone des sciences humaines et sociales. Dans un laps de temps assez court, sont parus plusieurs articles et numéros spéciaux abordant les travaux de celui que certains ont qualifié de « plus influent anthropologue vivant » (Landry, 2016 : 77)1. Plusieurs de ces publications récentes ont notamment cherché à saisir les raisons d’une réception qualifiée d’« assez lente » dans le champ académique francophone (Marzouki, 2015). Les premières traductions des travaux de Talal Asad ne paraissent en effet que plus de vingt ans après la parution de ses travaux majeurs sur la religion (Asad, 1993). Même s’il est vrai que la réception de l’œuvre d’Asad dans le champ académique francophone ne s’est faite que récemment, il est toutefois important de noter que sa consécration académique dans le champ anglo-saxon fut là aussi relativement tardive. Ce n’est que vers le tournant du xxisiècle, et surtout avec la parution quasi simultanée de Formations of the Secular (2003) et des deux ethnographies Politics of Piety (2005) et Ethical Soundscapes (2006), signées par ses disciples, Saba Mahmood et Charles Hirschkind, que l’œuvre de Talal Asad s’impose dans le débat académique anglo-saxon sur l’étude des phénomènes religieux, d’une façon qui dépasse de loin un ancrage strictement disciplinaire2. Pour être comprise, la réception de son travail doit être resituée dans le contexte géopolitique des attentats du 11 septembre 2001 et du déclenchement de la « guerre contre le terrorisme » qui ont suscité des débats importants sur l’islam dans le monde contemporain.

2Dans notre perpective, les différents essais d’Asad dans le domaine de l’anthropologie et de la sociologie des religions doivent être lus comme une série de réflexions critiques dans la ligne incisive d’un Walter Benjamin. Tandis que les jalons de cette approche paradigmatique (Kuhn, 1996), notamment dans l’étude des phénomènes « religieux » et « séculiers », ont été commentés par d’autres (Landry, 2016), ici, on examinera avec une particulière attention la notion de tradition telle qu’elle est proposée dans le travail d’Asad, notamment dans son anthropologie de l’islam (Asad, 1986b). Malgré les critiques dont elles ont fait l’objet (Bangstad, 2009; Schielke, 2010), les lignes théoriques et méthodologiques proposées par Asad ont inspiré un grand nombre d’anthropologues et de sociologues des religions (parmi lesquels Saba Mahmood est la plus connue dans le champ francophone). Dans un premier temps, nous offrirons un aperçu général de l’œuvre d’Asad permettant de situer son travail à la lumière des discussions qui nous intéresseront ici. Dans un second temps, nous nous centrerons sur la question de l’islam, notamment sur la façon dont l’anthropologie proposée par Asad se situe par rapport à un débat préexistant dans le champ anglo-saxon. Dans un troisième temps enfin, nous nous interrogerons sur la valeur heuristique du concept de « tradition » mis en avant par Asad.

Talal Asad : pour une ontologie critique de la modernité

  • 3 Pour des récits biographiques de son parcours personnel voir les entretiens avec David Scott (2006 (…)

3Pour comprendre l’œuvre d’Asad, il est important d’examiner brièvement sa biographie particulière et fascinante. Fils d’un père Juif-Autrichien converti à l’islam (le célèbre diplomate Mohamed Asad, né Léopold Weiss) et d’une mère Saoudienne, il grandit dans un milieu cosmopolite en Inde et au Pakistan où les développements du tournant de la seconde moitié du xxe siècle marquent de près sa trajectoire personnelle3. C’est en effet dans un monde en pleine effervescence décoloniale que Talal Asad trace son chemin vers les sciences humaines et sociales, après s’être essayé à l’architecture. Il entame ses études en anthropologie à l’Université de Edinburgh. À Oxford, il soutient une thèse sur les Kababish au Soudan sous la direction d’Edward Evans-Pritchard. Sa posture critique vis-à-vis de l’anthropologie durkheimienne, qui domine alors en Grande-Bretagne, se manifeste dès cette période. Tout en s’engageant dans une critique de la notion de structure sociale telle que développée par Radcliffe-Brown (Scott, 2006 : 246-247), il se concentre dans sa thèse de doctorat sur les structures coloniales et sur leur rôle central dans l’agencement politique des tribus locales.

  • 4 On pourrait le mettre en parallèle avec la notion de « doxa » telle qu’employée par Pierre Bourdie (…)
  • 5 Pour une discussion détaillée de sa déconstruction de cette définition, voir Landry, 2007 et Canto (…)

4Cet intérêt porté à la question coloniale et à la façon dont celle-ci structure les relations sociales dans les territoires colonisés joue un rôle crucial dans sa trajectoire intellectuelle. Talal Asad est frappé par le manque d’intérêt des anthropologues en Grande-Bretagne pour la question coloniale (Scott, 2006 : 259-260). Selon lui, ce désintérêt est symptomatique d’une carence dans la pensée dominante fonctionnaliste, surtout par rapport aux questions du pouvoir. Après la publication de sa thèse (Asad, 1970), il revient de façon plus systématique sur cette question dans Anthropology and the Colonial Encounter (Asad, 1973). Il est important de noter que, pour Asad, il ne s’agit pas tant d’une posture morale ou dénonciatrice envers l’anthropologie, que de la volonté de se focaliser sur la façon dont les grilles conceptuelles développées dans l’étude de sociétés « autres » s’inscrivent dans une matrice coloniale. Aussi insiste-t-il sur le fait que, sur le plan individuel, la plupart des anthropologues ont toujours porté un regard critique sur l’entreprise coloniale. Il s’agit surtout de comprendre le rapport entre « savoir » et « pouvoir » au sein de l’anthropologie (voir aussi Landry, 2016). D’où l’intérêt qu’il porte aux discours et aux dispositifs dans la veine de Michel Foucault. Asad rompt avec la tendance d’une certaine ethnographie qui se borne à décrire ou à reconstruire des catégories « indigènes » (emic categories). S’inscrivant plus précisément dans la tradition marxiste, wittgensteinienne et foucaldienne, il comprend les représentations ambiantes comme des discours inscrits dans des rapports de forces qui construisent la réalité sociale. La tâche de l’anthropologue consiste dès lors à comprendre comment des concepts et interprétations des réalités sociales deviennent influents et légitimes. Entreprise qui passe comme l’on sait par tout un travail généalogique sur les concepts et schèmes d’interprétation qui se cristallisent en autant de pratiques et d’institutions4. C’est ce qu’Asad appelle le « discours autorisant » (authoritative discourse), concept qui sera au cœur de son entreprise critique (Asad, 1979). Dans cette perspective, l’anthropologie est considérée comme un cas d’étude en soi. Une grande partie de l’œuvre d’Asad est en effet dédiée à la remise en question de certains concepts anthropologiques, surtout au sein de la tradition interprétative et symbolique. Deux éléments animent cette posture théorique et épistémologique. Le premier est porté par une critique de l’aspect culturaliste qui prédétermine cette posture théorique, c’est-à-dire l’idée qu’il existerait un domaine symbolique opérant de façon autonome sur la réalité sociale. Le second est le rôle privilégié accordé à l’anthropologue, conçu comme décodeur de symboles (Asad, 1986a). Asad se démarque d’une anthropologie qui serait à même de classifier et de « découvrir » des structures et/ou des réalités sociales dont les acteurs n’auraient pas conscience. Il rejette l’idée d’un « inconscient » culturel ou symbolique pour promouvoir une lecture horizontale qui essaie de comprendre comment notre rapport au réel s’inscrit dans un jeu de savoir/pouvoir. Il figure aussi parmi les anthropologues qui introduisent le reflexivity turn au sein de l’anthropologie américaine en contribuant au célèbre volume Writing Culture (Clifford, Marcus, 1986), qui interroge de façon critique la notion de représentation et d’autorité ethnographique. Pour Asad, il s’agit non seulement d’analyser la posture de l’anthropologue, mais également de comprendre comment ses catégories telles que la religion, le rituel ou la corporéité sont les dignes héritières d’un cadre discursif bien spécifique. L’exemple le plus célèbre de cette posture critique est la déconstruction qu’il propose de la catégorie de « religion » dans son fameux essai « The construction of religion as an anthropological category » (Asad, 1993 – cf. infra)5.

5Une fois cette méthodologie développée, Asad s’emploie à la mettre en application de façon empirique. Il est à noter que la réalité « empirique » étudiée par Asad ne se limite pas aux pratiques quotidiennes d’hommes et de femmes – tel que le font les anthropologues habituellement –, mais qu’il s’oriente également (et surtout) sur la production intellectuelle. En cohérence avec sa posture critique, il remet en cause, la distinction entre d’une part l’« observation » ou les « descriptions » et, d’autre part, la « théorie ». Bien que l’ethnographie soit importante pour Asad, elle demeure pour lui un instrument pour comprendre la façon dont des pratiques quotidiennes – même les plus inconscientes et automatiques – sont toujours animées et « saturées » par des postures théoriques (Berthod, 2007).

La pertinence de l’islam comme « objet » anthropologique ou sociologique

  • 6 Texte désormais classique dont nous proposons la traduction française dans la présente livraison ( (…)

6Evoquons d’abord le contexte dans lequel fut écrit le célèbre essai The Idea of an Anthropology of Islam (1986)6 et les débats qui l’accompagnent à propos du « souci épistémologique » que constituerait l’islam. Le traitement de l’islam comme objet de réflexion éthique, épistémologique et politique dans les sociétés occidentales a été le fruit de multiples publications dont l’étude d’Edward Said, Orientalism (1978), est probablement la plus connue. Dans cette même perspective, plusieurs chercheurs ont tenté de démontrer comment l’islam émerge comme une catégorie « autre » de « l’Occident » dans les représentations culturelles et intellectuelles (Amiraux, 2012 ; Anidjar, 2003 ; Hajjat, Mohammed, 2013 ; Said, 1997), notamment en interrogeant les théories de la sécularisation (Babès, 1997 ; Dassetto, 1996 ; Roy, 2002 ; Amiraux, 2002 ; Bracke, Fadil, 2008). Dans son livre qui traite du rapport que Max Weber entretenait avec l’islam, le sociologue Bryan Turner (1974) souligne que si Weber s’est intéressé de façon cursive à l’islam, ce fut surtout pour « tester » la validité et l’universalité de ses théories sur la modernité et la sécularisation. Pour Weber, les processus de modernisation et de sécularisation sont en effet intimement liés avec l’éthique protestante (Weber, 2001), qui permettent une individualisation de l’éthos et une valorisation d’un rapport actif au monde (this wordly).

  • 7 Un autre débat, similaire à celui français, émergera aussi autour de la question des cadres d’anal (…)

7Alors que cette lecture orientaliste fait l’objet de maintes critiques, le « souci épistémologique » que représenterait l’islam continue néanmoins à trouver des échos au sein des sciences sociales. La question de savoir à quelles conditions parler d’une sociologie de l’islam et si les catégories occidentales de sécularisation et d’individualisation y sont adéquates (Babès, 2000 ; Charnay, 1995 ; Dassetto, 1996 ; Hamès, 1999 – voir autres contributions dans ce numéro) demeure vive. Dans le monde anglo-saxon, la question se concentre en anthropologie sur la question de savoir si l’Islam doit être considéré comme un objet autonome dans l’analyse sociale7. La parution d’Islam Observed de Clifford Geertz (1968) constitue une étape importante dans cette réflexion. L’anthropologue de l’Indonésie et du Maroc s’interroge sur la spécificité des sociétés musulmanes, qu’il explique par la présence d’un « pouvoir mystique » (mystical power) qui s’exercerait de manière différenciée selon les contextes (1968 : 24). En posant le débat en ces termes précis, Geertz considère l’islam comme un système symbolique qui donnerait une signification particulière aux comportements sociaux. Son analyse influencera d’autres chercheurs après lui intéressés à la façon dont ce pouvoir mystique s’exerce (à travers les figures des marabouts ou des saints) permettant l’émergence d’un (contre)pouvoir dans les mobilisations sociales (Eickelman, 1976 ; Gilsenan, 1982). Muslim Societies d’Ernest Gellner (2000) est un autre exemple d’une étude qui tente de cerner une « spécificité islamique », mais de façon plus déterministe. Pour Gellner, les sociétés musulmanes se caractérisent par une homogénéité particulière qui est due à une structure sociale distincte. Celle-ci s’appuie sur un équilibre entre trois éléments constitutifs : « la communauté », « l’autorité scripturaire » (c’est-à-dire les livres saints) et l’idée de « leadership » et d’« ascendance » (Gellner, 2000 : 195).

8Cette façon d’aborder la problématique, et surtout la suggestion d’une spécificité musulmane, fera l’objet de multiples commentaires. Tandis que la dimension essentialiste induite par cette posture est au cœur des diverses critiques (el-Zein, 1977; Varisco, 2005; Zubaida, 2006), certains problématisent aussi l’autorité que les anthropologues s’octroient pour définir ce qui pourrait être compris comme le « véritable Islam ». L’article de l’anthropologue Abdul Hamid El-Zein (1977), qui figure parmi les textes les plus connus et qui sera ensuite explicitement repris par Talal Asad, en est un exemple. Dans la discussion qu’El-Zein propose sur la littérature existante, il souligne que les travaux anthropologiques se distinguent souvent par une tendance continuelle à distinguer le « vrai » Islam (qui est souvent assimilé à l’islam populaire) du « faux » Islam (souvent compris comme l’islam des élites). Ce faisant, l’anthropologie se place au même niveau que la théologie dans sa prétention de pouvoir déterminer ce qu’est l’islam (1977 : 248-249). Malgré une diversité accrue dans les descriptions ethnographiques, les différentes analyses ont tendance à regrouper ces vastes phénomènes sous un dénominateur commun (l’islam) et à insister sur des caractéristiques communes. Cela conduit El-Zein à se poser la question suivante : « À la lumière de cette diversité de significations, peut-on parler d’un seul, vrai islam ? » (1977 : 249). El-Zein reconnaît bien l’existence d’un référent symbolique musulman partagé par différents acteurs sociaux : sa démonstration vise surtout à remettre en question l’idée qu’il y aurait une entité islamique homogène qui pourrait être l’objet d’une analyse sociale (voir aussi Anjum, 2007) valable pour l’ensemble des sociétés concernées.

  • 8 Entre autres la représentation miroir qui est faite entre l’Occident et l’Orient dans l’intégratio (…)

9C’est par rapport à cette interrogation qu’Asad se positionne dans le débat académique anglo-saxon, en proposant une lecture en deux temps. La première est de réfuter fermement – notamment à travers une discussion critique de l’œuvre de Gellner – l’existence d’une soi-disant structure sociale « musulmane » en pointant du doigt les multiples incohérences de cette hypothèse essentialiste8. Les sociétés musulmanes, explique-t-il, sont traversées par des formations historiques distinctes (telles que le capitalisme ou la colonisation) qui ne se limitent pas au Moyen-Orient (Asad, 1986b : 15). En rappelant l’importance de l’histoire et du pouvoir, Asad nous invite à comprendre comment les phénomènes sociaux (par exemple, la structure tribale) sont le produit d’une certaine économie politique qui n’est pas transposable à « l’islam » dans son entier. Ceci dit, il n’abandonne pas l’idée que l’islam pourrait figurer comme objet d’analyse, ce qui nous amène à la seconde dimension de son texte. Pour Asad, l’islam garde une certaine pertinence comme « représentation discursive » (1986b : 16) qui apporte une cohérence à certains comportements sociaux, tel qu’articulé par les acteurs eux-mêmes. Il s’agit dès lors de saisir la façon dont l’« islam » semble pouvoir exister sociologiquement, sans pour autant l’essentialiser comme phénomène social distinct (1986b : 19-20). C’est à travers la notion de « tradition discursive » qu’il apportera des éléments de réponse à cette interrogation.

L’islam comme « tradition discursive »

10Pour comprendre la proposition de Talal Asad, il est important de situer son entreprise dans une tentative plus générale de « provincialiser » (Chakrabarty, 2000) les grilles de lectures de l’anthropologie. Sa critique importante de la catégorie « religion », à travers une déconstruction de la définition proposée par Clifford Geertz (Asad, 1993), en est l’exemple le plus connu (voir aussi Fiorentini, Rebucini, 2015 ; Scott, Hirschkind, 2006). En s’attaquant à la définition de Geertz, Asad ne s’en prend en effet pas seulement à l’une des définitions les plus influentes de l’époque, mais aussi à une approche symbolique qui prédominait dans la littérature de l’époque. Car, c’est bien cette anthropologie de l’action humaine qui sous-tend la théorie de Geertz de la religion comme système symbolique. L’idée qu’il existerait un domaine symbolique qui serait indépendant et pourrait agir sur l’action humaine est, pour Asad, erronée. Une telle idée ignore en effet la matérialité qui permet l’effectivité des « symboles ». C’est à travers une pratique (ou discipline) que certaines représentations se matérialisent et peuvent guider l’action humaine.

Le problème fondamental, néanmoins […] réside dans la présomption de deux niveaux séparés – le culturel, d’un côté (qui consiste en des symboles) et le social et psychologique, de l’autre – qui interagissent […]. En adoptant une telle définition, Geertz s’éloigne d’une perspective qui comprend les symboles comme essentiels à des pratiques de signification et d’organisation (pour se rapprocher d’une) notion de symboles compris comme porteurs de significations qui sont externes aux conditions sociales et à l’état subjectif (Asad, 1983 : 118).

  • 9 La question de la définition de la religion est en effet une des intérrogations les plus anciennes (…)

11À travers sa critique, Asad tente de mettre en évidence le fait que cette lecture symbolique a une historicité qui lui est propre. L’idée que la religion serait un système de croyance distinct de « conditions matérielles » résulte pour lui d’une lecture moderniste qui opère à travers une série de différenciations et oppositions entre le « symbolique » et le « matériel », ou « l’infrastructure » et la « superstructure » (voir aussi Latour, 1993). Et c’est bien là que l’on reconnaît la critique fondamentale qu’il adresse à la catégorie de « religion ». S’il s’avère critique de la définition proposée par Geertz, ce n’est non pas (seulement) en raison de son ethnocentrisme9, mais surtout parce que l’idée même d’une « religion » est le fruit d’une historicité particulière.

Mais cette séparation entre la religion et le pouvoir est une norme moderne occidentale, le produit unique d’une histoire post-réformiste. […] Mon argument est qu’il ne peut pas y avoir une définition universelle de la religion, non pas parce que ces éléments constitutifs sont historiquement spécifiques, mais parce que la définition elle-même est le produit d’un processus discursif (Asad, 1993 : 116).

  • 10 Il expliquera comment le développement d’une notion de religion s’inscrira à la lumière de deux dé (…)

12Tout cela nous ramène à un point central dans l’anthropologie religieuse d’Asad, qu’il développe de façon plus fine dans Formations of the Secular (2003) : l’idée que la notion de « religion » doit être comprise comme le produit d’un processus discursif moderne. Pour Asad, c’est le contexte moderne et séculier qui produit la « question religieuse » et la séparation entre les « sphères » (voir aussi Agrama, 2012 ; Anidjar, 2008 ; Fernando, 2014). Cette posture constructiviste n’est pas complètement inédite : on la retrouve dans des débats sociologiques des années 1970 qui remettent en question le paradigme de la sécularisation (Lauwers, 1974 ; Martin, 1969) ou dans des travaux sur la mondialisation (Beyer, 1994). Ce qui est particulier dans le travail d’Asad, c’est sa volonté, dans la lignée de Foucault, d’historiciser l’émergence de ces catégories, et de mettre leur opération en évidence dans un rapport de pouvoir et de savoir10.

13Si la notion de « religion » figure surtout comme une catégorie historique dans la pensée d’Asad, c’est à travers la notion de « tradition discursive » qu’il propose un outil heuristique pour étudier des phénomènes tels que l’islam. « Qu’est-ce qu’une anthropologie de l’islam ? ». À cette question Asad répond ceci :

Si l’on veut écrire une anthropologie de l’islam, l’on doit commencer, comme les musulmans le font, à partir du concept de tradition discursive qui inclut et se relie aux textes fondateurs du Coran et le Hadith. L’islam n’est ni une structure sociale distincte, ni une collection hétérogène de croyances, artefacts, coutumes et morales. C’est une tradition (Asad, 1986b : 14).

  • 11 Foucault propose la notion de raréfaction pour comprendre comment des énoncés hétérogènes obtienne (…)

14Asad endosse un imaginaire musulman dominant qui considère le Coran et la Sunna comme des pôles fondateurs de la tradition. Il insiste aussi sur l’historicité des concepts, pratiques et débats qui sous-tendent cette tradition (Asad, 1986b : 14). À ce stade, il s’oppose à ceux qui voudraient que l’islam soit une « structure sociale distincte » ou bien une « collection hétérogène de croyances, artefacts, coutumes et morales ». Cette double négation nous rappelle la position intermédiaire qu’Asad souhaite adopter à travers sa notion de tradition : elle doit nous permettre de prendre l’islam au sérieux comme objet d’analyse sans pour autant le réifier (cf. supra). Asad rejette en des termes explicites l’idée de tradition comme « ruse » (1986b : 15) ou « invention » (Hobsbawn and Ranger 1983). Il s’agit plutôt de saisir la tradition dans sa consistance et son caractère performatif, d’où la notion de « tradition discursive ». Cette qualification, qu’il emprunte en partie à Alisdair MacIntyre (1984 [1981]), reprend l’idée aristotélicienne selon laquelle toute conduite éthique (virtue) doit être conçue comme une pratique s’inscrivant aussi dans un récit plus large (ce qu’il appelle la « tradition sociale »). MacIntyre cherchait à développer une philosophie morale qui se démarquerait de celle des Lumières – qu’il considérait comme erronée en raison de son fondement individualiste et émotif. Sa proposition d’explorer la question éthique à travers une série de pratiques a un impact important dans le travail d’Asad. Soulignons également l’influence de Foucault, qui permet une lecture non-essentialiste de l’islam tout en tenant compte de l’idée d’une cohérence interne selon un principe de restriction sémantique (Foucault, 1969).11

15Comprendre l’islam comme « tradition discursive » est en effet aussi une façon de comprendre comment des personnes se constituent en tant que sujets éthiques (voir aussi Fassin, 2015 ; Foucault, 1984 ; Keane, 2016 ; Laidlaw, 2014 ; Lambek, 2010). Il est dès lors important de souligner qu’appréhender l’islam comme une tradition discursive présuppose une différenciation entre les musulmans et l’islam et une redéfinition très claire de ce qui pourrait être l’objet d’analyse d’une anthropologie de l’islam : ce ne sont pas les musulmans, mais le rapport qu’ils entretiennent à l’islam. Asad explique en effet que « tout ce que les musulmans disent et font ne fait pas partie de la tradition discursive islamique » (Asad, 1986b : 14). En mettant cette distinction en avant, il introduit non seulement une distinction méthodologique qui se démarque des études des sociétés dites « musulmanes », mais il nous rappelle ainsi que l’objet « islam » ne devient pertinent qu’à partir du moment où il est explicitement invoqué comme partie prenante d’une pratique par les musulmans eux-mêmes (voir aussi Mahmood, 2015). Car, comme il l’explique, « une pratique devient islamique parce qu’elle est autorisée par la tradition discursive de l’islam et est enseignée aux musulmans » (Asad, 1986b : 15). Il est important de souligner ici que ce n’est pas seulement l’individu qui choisit de rattacher une pratique à la tradition musulmane. Afin d’être considérée comme telle, cette pratique doit aussi être socialement reconnue comme faisant partie de la tradition. L’on est donc bien loin d’une méthodologie individualiste qui considère l’acteur comme porteur de significations. L’individu s’inscrit, plutôt, dans un cadre discursif particulier qui structure aussi sa conduite sociale. Le défi consiste, dès lors, à comprendre les différents débats qui accompagnent la présentation ou l’inscription de certaines pratiques ou idées comme « musulmanes ».

16Cet élément nous conduit à un dernier aspect important dans la conceptualisation de la notion de « tradition discursive » dans le travail d’Asad : la notion d’orthodoxie. Même si Asad comprend la tradition musulmane comme un ensemble d’interprétations hétérogènes, il insiste aussi sur le fait que les différentes perspectives ou opinions qui y circulent n’ont pas le même poids ou rôle structurant – ce qu’il lie au pouvoir (1986b : 15). Il est important de comprendre que, pour Asad, la notion d’orthodoxie consiste non pas en une série de doctrines ou de vérités comprises comme immuables, mais en un jeu de rapports de force à travers lesquels la question de la vérité est construite. Le conflit et le débat sont, donc, partie intégrante d’une tradition, car c’est à travers ceux-ci qu’est reproduite une interrogation autour de ce qui peut être considéré comme étant la vérité. Pour Asad, les différentes polémiques autour de l’interprétation du Coran ou le développement de certaines méthodes herméneutiques ne sont pas le signe d’une « crise » de l’islam, mais plutôt d’une tradition « vivante » (Asad, 1986b : 23). À travers cette notion de tradition, on retrouve une approche qui prend ses distances avec les critiques anti-essentialistes en prenant « l’islam » (et non pas seulement les musulmans) comme objet d’étude. L’islam est surtout compris de façon complexe, comme un dispositif ou une tradition, qui devient un objet d’étude sociologique et anthropologique à partir du moment où il est invoqué par les musulmans dans leurs pratiques quotidiennes.

Pour une anthropologie/sociologie du « séculier » et des « traditions » ?

  • 12 Le principe de hisba fait référence a l’idée que la conduite de chacun dans l’islam est une respon (…)

17L’anthropologie de Talal Asad, et plus particulièrement sa notion de « tradition », implique donc une série de « déplacements » théoriques (Fiorentini, Rebucini 2015) par rapport à l’objet d’étude, notamment dans la façon qu’ont les sciences sociales d’aborder les phénomènes dits « religieux ». La remise en question de la pertinence analytique de la catégorie « religion » n’est pas uniquement polémique (Anidjar, 2008). Pour Asad, l’enjeu est de développer simultanément une méthodologie qui déplace l’angle d’analyse vers l’étude de processus discursifs modernes, dont la religion est le produit. Cette méthodologie chercherait à comprendre comment la modernité (et les processus de sécularisation) pose « la religion » comme question épistémologique, politique et éthique, ce qui implique aussi une reconfiguration des traditions existantes, telles que l’islam. L’étude de Hussein Ali Agrama, Questioning Secularism (2012), en est un bon exemple. Elle se propose une analyse anthropologique des transformations matérielles et discursives de la shari’a dans l’Égypte contemporaine. Le concept de shari’a est au cœur de la tradition musulmane et fait référence à l’immense corpus de recommandations et de réflexions sur la conduite éthique musulmane appropriée au sein des différentes écoles de pensées sunnites et shi’ite. Agrama s’intéresse d’une part à la façon dont les processus de modernisation impliquent une reconfiguration de la shari’a, et, d’autre part, aux évolutions partielles que celle-ci connait, confrontée aux principes modernes de « la raison d’État », de « l’ordre public » ou de « la citoyenneté ». Cette dynamique aboutit, selon lui, à une transformation non seulement de la nature opérative de la shari’a – car elle devient « loi » (voir aussi Messick, 1993), mais aussi du rapport qui est installé entre le sujet éthique et les prescriptions musulmanes. L’un des cas les plus iconiques qu’il examine est celui de la déclaration d’apostasie à l’encontre du théologien égyptien Nasr Hamid Abu Zayd par les autorités égyptiennes. En raison de ses écrits sur le Coran Abu Zayd a été accusé d’apostasie et, en conséquence, a été démis de ses fonctions à l’université du Caire et a vu son mariage annulé. Cet exemple illustre, selon Agrama, comment un concept coranique (la hisba) combiné à des principes modernes de « raison d’État » définit un « ordre public » musulman à caractère coercitif et répressif12. Pour lui, ce type d’affaire, loin de faire état d’un rejet de la modernisation, en est précisément le résultat. Un autre exemple d’une étude qui essaie de comprendre comment des cadres discursifs modernes reconfigurent l’islam est celui de Mayanthi Fernando (Fernando, 2014). Son enquête qui traite de l’islam et de la laïcité en France propose une analyse complexe des différents sites d’intervention de la laïcité dans la régulation de l’islam et les différentes contradictions qui la traversent. L’analyse porte sur la dimension politique et citoyenne de ces transformations. Fernando s’intéresse en effet à la façon dont le discours de « neutralité » opère comme un discours régulateur de l’islam en France (voir aussi Amir-Moazami, 2007 ; Bowen, 2008 ; Scott, 2007). Les différentes mesures restrictives mises en place – dont la « loi Stasi » dite « anti-foulard » de 2004 est la plus connue – suggèrent en effet un certain malaise par rapport aux manifestations de signes religieux (et surtout musulmans) dans l’espace public (voir aussi Bracke, 2013 ; Fadil, 2014). Mais plutôt que de présupposer une cohérence dans son application, Fernando tente de démontrer que celle-ci est loin d’être uniforme. Que ce soit des contradictions dans le rapport entretenu à la chrétienté – comme illustré par le modèle de l’Alsace Moselle où les écoles confessionnelles sont reconnues par l’État (voir aussi Asad, 2006), ou le rapport avec les sujets musulmans – qui sont sommés de circonscrire les signes « ostentatoires » de leur religion (tel que le foulard) dans l’espace privé tout en étant perpétuellement interpellé en tant que « musulman » –, Fernando démontre comment le modèle laïque est traversé par une série de contradictions qui lui sont internes, mais qui tournent toujours autour de la question du rapport entre « le religieux » et « l’État ». Les études d’Agrama (2012) et de Fernando (2014) ne sont que deux exemples de recherches qui essayent de comprendre comment les processus de modernisation séculière opèrent à travers la régulation constante de la question « religieuse ». Ce recadrement théorique et méthodologique a suscité plusieurs recherches (qui toutes n’avaient pas trait à l’islam) proposant une véritable anthropologie et sociologie du « séculier » (Cannell, 2010), qu’il s’agisse de la façon dont la religion est régulée à travers des institutions telles que le système juridique (Mahmood, 2016 ; Sullivan, 2009), le champ scientifique (Johansen, Spielhaus, 2012; Schepelern Johansen, 2013) ou le champ des relations internationales (Hurd, 2007).

  • 13 Il est à noter que l’anthropologie religieuse anglo-saxonne connaît ce que certains ont qualifié d (…)

18Un second déplacement méthodologique opéré par la notion de « tradition discursive » consiste à proposer une anthropologie qui s’intéresse moins aux croyances ou éléments doctrinaux d’un système de croyances, qu’à la façon dont une tradition se négocie et se matérialise dans le quotidien. Il s’agit ici de comprendre comment des orientations éthiques s’articulent sur un engagement actif (c’est-à-dire discursif et corporel), avec une série de questionnements qui sont propres à une tradition. Comprendre une tradition signifie, dès lors, l’étudier « en action » (Latour, 1987) et comprendre comment l’éthique consiste en une série de questionnements qui ont aussi une dimension « pratique » et « pragmatique »13. L’une des études pionnières (et peu connue dans le contexte francophone) à avoir explorée cette question de façon détaillée est celle de John Bowen, Muslims through Discourse (1993). À travers une lecture des différents aspects de la vie quotidienne des Gayo, un peuple montagnard à Sumatra en Indonésie, Bowen essaie de démontrer comment ces « cultures locales » sont imprégnées d’éléments qui trouvent leur fondation dans la tradition musulmane. L’islam est compris ici – à l’instar de la proposition de Talal Asad – comme une tradition discursive qui accompagne des pratiques locales (telles que la sorcellerie, la guérison). Bowen donne notamment l’exemple de l’utilisation de sourates du Coran ou des invocations (du’a) pour le bien-être des croyants. Celles-ci sont envisagées comme des « formules » (spell), ayant un caractère performatif. Il observe néanmoins une différence importante dans la façon dont cet effet « bénéfique » est compris et mis en place par les croyants. Tandis que les plus traditionnels d’entre eux attribuent un impact immédiat à ces invocations, cette perspective sera décriée comme une forme de « magie » ou une fausse croyance par les réformateurs musulmans (Bowen 1993 : 80). Dans les deux cas, néanmoins, une référence active à la tradition musulmane et au Coran guide ces pratiques. Tandis que Bowen démontre l’engagement actif et discursif dans la tradition musulmane d’un peuple aussi isolé que les Gayo, d’autres études s’intéressent plus à l’esthétique du soi articulé dans ce rapport à la tradition. L’œuvre la plus connue qui explore cette question de façon fine et détaillée est la fameuse étude Politics of Piety (2005) de Saba Mahmood. Publié quelques années après les attentats du 11 septembre et dans un contexte où le débat sur l’islam fait rage, Mahmood apporte un regard novateur sur des mouvements trop souvent considérés comme un « danger ». Son ethnographie des musulmanes pieuses au Caire permet en effet une lecture inédite de l’implication de ces femmes dans des mouvements dits « fondamentalistes » en les situant dans des débats conceptuels plus larges autour de la notion d’agency (Bracke, 2008 ; Fiorentini, Rebucini, 2015; Marzouki, 2011). Mahmood tente de comprendre comment le rapport à la tradition musulmane implique une esthétique de soi qui place l’incorporation des normes musulmanes au cœur des pratiques quotidiennes (Fauré, 2015). Pour les femmes qu’elle a côtoyées, la préoccupation centrale est de s’approcher le plus possible du modèle prophétique en appliquant dans la vie quotidienne une série de prescriptions religieuses : des codes vestimentaires, la ponctualité des prières, la gestion de leurs émotions (comme la colère), etc. Toutes ces questions pratiques, qui a priori semblent avoir un caractère « mondain » (Osella, Soares 2010), sont simultanément éthiques pour ces femmes. L’éthique est comprise comme une série de pratiques, qui implique aussi un rapport discursif à la tradition et qui a pour finalité de remodeler le sujet à l’image des préceptes religieux. En induisant un élément actif dans ce processus de transformation de soi, Mahmood situe les pratiques de ces femmes dans une lignée aristotélicienne qui considère la question éthique tout d’abord comme le développement de certaines habitudes (habitus) qui induisent une bonne vertu (Mahmood, 2005 : 136-137). L’influence de cette étude dans les domaines de l’anthropologie, des gender studies et de la sociologie est indéniable. Le modèle foucaldien du « souci de soi » donne le ton pour une nouvelle approche paradigmatique aussi bien dans l’étude de l’islam (Fadil, 2011 ; Jouili, 2015 ; Jouili, Amir-Moazami, 2006) qu’au-delà (Avishai, 2008 ; Bracke, 2008).

19La proposition de Talal Asad d’aborder l’islam comme une tradition discursive a ainsi un impact important sur l’anthropologie de l’islam. En effet, plusieurs études qui s’intéressent aux mouvements sociaux et aux développements variés dans le monde musulman ainsi que dans la diaspora adoptent de manière explicite cette perspective (Amir-Moazami, Salvatore, 2003 ; Caeiro, 2006 ; Deeb, 2006 ; Hirschkind, 2006 ; Jacobsen, 2011 ; Mittermaier, 2011). Un élément de critique souvent apporté à cette notion de tradition est le rôle prépondérant qui est donné à l’islam et le manque de considération pour d’autres systèmes de valeurs (Schielke, 2010). Cette question qui mérite d’être posée (voir aussi Fadil, Fernando, 2015) est au cœur de plusieurs études qui abordent l’islam comme tradition discursive. Un exemple est l’ethnographie d’Amira Mittermaier, Dreams that Matter (2011), qui s’intéresse au rôle des rêves dans la géographie morale fragmentée de l’Égypte urbaine. Les rêves ont un rôle particulier dans la tradition musulmane, dû notamment au fait qu’ils sont parfois considérés comme étant d’inspiration divine (en particulier au sein du soufisme). Mittermaier tente de comprendre comment cette conception traditionnelle des rêves se marie avec des visions modernistes et réformistes qui traitent les rêves avec suspicion (comme le salafisme), ou les perspectives psychoanalytiques qui perçoivent les rêves comme l’émanation de l’inconscient. Un autre exemple est l’étude de Charles Hirschkind (2006) qui se penche sur la circulation de sermons musulmans à travers des cassettes dans la scène urbaine du Caire. L’enjeu, pour Hirschkind, est de saisir comment l’écoute de ces cassettes participe au développement d’une « physiologie morale » (2006 : 70), c’est-à-dire des dispositions affectives et corporelles qui seraient partie prenante d’une éthique musulmane (comme la peur, la vénération, le regret, etc.). Hirschkind souligne néanmoins que ces pratiques sont portées par des régimes auditifs (sam’) distincts. Un premier type de sam’ place l’écoute au cœur du développement individuel et la considère comme « active » à travers un jeu d’interaction entre le message/r et le récepteur (à travers des commentaires et une interaction active avec le médium). Une seconde perspective, plus « moderne », considère l’écoute comme passive et secondaire, priorisant un régime visuel (qui accorde une importance au texte et à l’image plutôt qu’à l’écoute). Comprendre ces différents régimes auditifs et les tensions qui en découlent est au cœur de l’analyse du mouvement de réislamisation (da’wa) contemporain (Hirschkind, 2006 : 91).

20L’impact de la proposition asadienne d’étudier des « traditions » et non pas des religions ne se limite pas au domaine des études sur l’Islam : elle inspirera également des chercheurs travaillant sur le christianisme. Plus particulièrement, l’importance qu’il accorde dans Genealogies of Religion (1993) au corps, à la subjectivité et au rôle du discours dans les rites monastiques chrétiens, ainsi que son essai de 1986 sur l’islam, aura un impact important dans le champ Anglo-Saxon. « Qu’est-ce qu’une anthropologie de la chrétienté ? ». Plusieurs chercheurs se pencheront également sur cette question (Cannell, 2006; Garriott, O’Neill 2008 ; Robbins, 2003), ce qui laisse entendre qu’une telle entreprise ne serait pas anodine. La chrétienté est en effet considérée comme relevant un défi particulier à l’anthropologie de part sa proximité culturelle et épistémologique (Robbins, 2003 : 192), et le désir constant de se démarquer de la théologie. Plutôt que de figurer comme un « autre », la chrétienté constitue surtout un « refoulé » de l’anthropologie (séculière) (Cannell, 2006 : 4), ce qui provoque un sentiment d’insécurité et de malaise constant par rapport à (la validité de) cet objet épistémologique (Anidjar, 2008 ; Harding, 2000 ; Marshall, 2014). Malgré ces réticences, une large panoplie d’études propose de s’intéresser aux chrétiens en adoptant la « tradition discursive » telle que définie par Asad comme outil heuristique (Garriott, O’Neill 2008 ; Keane, 2007 ; Reinhardt, 2015).

Conclusion

21On a essayé de démontrer comment l’approche « asadienne » s’inscrit d’une part dans une réflexion plus large sur les effets performatifs des catégories épistémologiques modernes, dont le concept de religion figure en bonne place. Nous avons également tenté de montrer comment la proposition d’étudier l’islam (et la chrétienté) non comme une religion, mais comme une tradition, permet une lecture circonscrite qui situe certaines pratiques dans un registre discursif. Cela permet de comprendre comment certains concepts musulmans trouvent de nouveaux points d’appui dans des contextes historiques et sociologiques distincts. Bien que l’approche asadienne ait le mérite d’élever le niveau de réflexivité dans l’approche des phénomènes dits « religieux » ou « séculier » et bien qu’elle ait permis de développer une définition de l’éthique envisagée comme le développement de certaines dispositions, plusieurs questions restent ouvertes par rapport à l’applicabilité des outils heuristiques proposés par Asad.

22La première concerne la « limite » d’une tradition. La notion de « tradition discursive » présuppose un lien direct entre le discours, le corps et la subjectivité. En d’autres termes, l’engagement dans une tradition se fait à travers une série de questionnements spécifiques qui ont une importance vitale dans la trajectoire éthique. L’on observera néanmoins que dans beaucoup de cas – notamment dans le cas de l’Islam en Europe – les acteurs participant à l’élaboration des contours de cette tradition sont souvent aussi des non-musulmans. Qu’il s’agisse des formations de cadres religieux proposées par des instances universitaires ou gouvernementales en France, en Belgique ou en Allemagne, des disciplines universitaires telles que l’orientalisme ou l’islamologie, ou les débats polémiques autour de l’islam européen, ces différentes interventions participent au façonnement de la tradition et aux questionnements qui impliquent musulmans et non-musulmans. La structure disciplinaire et inégalitaire qui régule ce genre d’interventions a été au cœur des critiques académiques depuis Edward Saïd (Amir-Moazami, 2011 ; Peter, 2012 ; Said, 1995 [1978]). Cependant, ces interventions révèlent également la porosité d’une tradition et le fait que celle-ci est aussi le fruit d’apports « externes » (c’est-à-dire d’acteurs qui ne s’identifient pas avec celle-ci, mais participent à sa reconfiguration). Un élément important à examiner sera dès lors de comprendre comment une tradition se constitue à travers des interventions externes, tout en mettant en évidence le jeu de pouvoir dans lesquels celles-ci prennent lieu.

23Un second élément qui touche à la question des « limites » d’une tradition concerne le caractère non-discursif et incorporé de celle-ci. Pour Asad, la dimension discursive et incorporée d’une tradition – c’est-à-dire la façon dont les débats et interrogations qui sous-tendent une tradition (et qui ont une historicité qui leur est propre) s’articulent avec une pratique – est essentielle, car comme il l’explique : « Tradition signifie apprentissage critique et corporel plutôt que théorisation abstraite » (Asad, 2015 : 166). Pour autant, alors que les aspects discursifs d’une tradition font l’objet de multiples analyses, la dimension corporelle a surtout été étudiée par rapport aux pédagogies actives d’incorporation de certaines orientations éthiques, comme chez les sujets pieux (Hirschkind, 2006; Mahmood, 2005). Ces remarques nous renvoient, par exemple, à la question des sujets qui ne s’inscrivent peut-être pas « discursivement » dans une tradition, mais qui en portent les héritages dans leurs pratiques quotidiennes et sur leurs corps. Tel est le cas pour des sujets dits « laïques » ou « culturels », pour qui le rapport à la tradition consiste en un rapport affectif et viscéral plutôt que discursif (voir pour l’islam, Fadil, 2009 ; 2015). Peut-on dire que la continuité et la vitalité d’une tradition ne résident pas seulement dans les débats et controverses, mais aussi dans les sensibilités qui les sous-tendent ? Et quel est le statut de ceux qui s’en démarquent discursivement, mais continuent à être affectés par eux ? Ces différentes interrogations montrent bien que, loin d’être une théorie aboutie, l’œuvre de Talal Asad doit être surtout comprise comme une invitation à réfléchir sur le rôle et le poids des concepts et de l’histoire dans notre capacité à exister en tant que sujets éthiques.

Bibliographie

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Notes

1 On notera en 2015 la parution du numéro special de la revue Tracés, intitulé « Traduire et introduire » (2015) et dédié a l’œuvre de Saba Mahmood et Talal Asad, du numéro spécial de Multitudes, coordonné par Mohamed Amer Meziane (2015), ainsi que la parution de la traduction en français du livre Is Critique Secular ? (Asad et al., 2009), aux Presses Universitaires de Lyon.

2 La publication de On Suicide Bombing (2007) marquera aussi le début d’un intérêt croissant dans les secteurs des sciences politiques et de la philosophie.

3 Pour des récits biographiques de son parcours personnel voir les entretiens avec David Scott (2006) et Marc‑Antoine Berthod (2006).

4 On pourrait le mettre en parallèle avec la notion de « doxa » telle qu’employée par Pierre Bourdieu. Mais tandis que pour Bourdieu la construction d’une hégémonie est le fruit d’un jeux de pouvoir de certains acteurs dans un champ particulier, Asad s’inscrira dans la perspective foucaldienne qui situe la construction d’une doxa dans un ordre de discours.

5 Pour une discussion détaillée de sa déconstruction de cette définition, voir Landry, 2007 et Canton, 2016.

6 Texte désormais classique dont nous proposons la traduction française dans la présente livraison (NDLR).

7 Un autre débat, similaire à celui français, émergera aussi autour de la question des cadres d’analyses dits « occidentaux » et leur adequation à cerner le phénomène dit musulman (2006). Ce debat se manifestera néanmoins surtout dans les sciences islamiques et religieuses. Voir à ce propos le débat entre Spickard, 2001 et Abaza, Stauth, 1988 ; Stauth, 1991.

8 Entre autres la représentation miroir qui est faite entre l’Occident et l’Orient dans l’intégration du pouvoir dans ses systèmes de pensée, et qui est une fabrication idéologique plutôt qu’empirique (1986b : 5), ou alors l’utilisation de définitions très différentes de la religion tout en postulant une cohérence islamique (1986b : 19).

9 La question de la définition de la religion est en effet une des intérrogations les plus anciennes au sein des sociologies des religions (Zaidi, 2011)

10 Il expliquera comment le développement d’une notion de religion s’inscrira à la lumière de deux développements historiques: la colonisation et la reforme qui induiront une quête épistémologique vers un concept universalisant qui permettait de penser la condition humaine (et sa spiritualité) de manière uniforme (Asad, 1993).

11 Foucault propose la notion de raréfaction pour comprendre comment des énoncés hétérogènes obtiennent une certaine cohérence. Il s’intéressera aux différents principes structurants tels que l’auteur, la discipline.

12 Le principe de hisba fait référence a l’idée que la conduite de chacun dans l’islam est une responsabilité partagée – qui se traduit aussi a travers la formulation célèbre du « amr bil ma’rûf wa nahi an al munkar » (recommander le bien et empêcher le mal). Tandis que ce principe s’articulait de façon individuelle et communautaire, Agrama démontre comment il devient une question légale dans un État moderne.

13 Il est à noter que l’anthropologie religieuse anglo-saxonne connaît ce que certains ont qualifié d’un ethical turn, notamment suite aux publications d’Asad et Mahmood qui ont remis cette question au cœur du débat anthropologique (voir à ce sujet Dobbelaere, Lauwers, 1973 ; Hervieu-Léger, 1987)

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Pour citer cet article

Référence papier

Nadia Fadil, « De la religion aux traditions », Archives de sciences sociales des religions, 180 | 2017, 99-116.

Référence électronique

Nadia Fadil, « De la religion aux traditions », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 180 | octobre-décembre 2017, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 25 novembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/assr/29722 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.29722

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