En Son nom, l’Exalté
Adil, le martyr de l’innocence ! Un deuil convoité par la violence
Au vu de l’ampleur des événements depuis ladite ‘course-poursuite’ qui a coûté vendredi soir la vie à Adil (+2020),le martyr de l’innocence, que Dieu lui accorde Sa miséricorde, et que son âme puisse reposer en paix, Amen ; le respect de la douloureuse tristesse de la famille, qui a lancé un appel au calme, afin qu’elle puisse faire son deuil dans la dignité, reste primordial. C’est avec peine que je présente mes sincères condoléances aux proches.
Malheureusement, on ne peut que déplorer toute l’indécence et l’irresponsabilité de quelques indignes propos, en ces moments douloureux et inédits. Sans dédouaner quiconque, il est temps de se poser les bonnes questions de responsabilité majeure. Certaines personnes semblent surfer sur le sensationnel dans des termes inquiétants à l’égard d’une jeunesse endeuillée, venue dans l’intention de marcher dignement en la mémoire de Adil, paix à son âme, comme ‘d’une jeunesse qui aurait encore envie d’en découdre avec les forces de l’ordre’. Pourtant, cet effroyable drame de la perte d’un ami, en plein âge de la fraicheur de l’innocence, ne peut convoquer que de la quiétude, de la mesure, et c’est dans cette intention que les amis du défunt se sont regroupés. En circonstance atténuante, il faut une disposition atténuante. En période de confinement, des rassemblements sont tenus ici et là, pour dire la considération et la reconnaissance à l’égard du personnel de santé, tout en maintenant la distanciation physique nécessaire. Nul n’entravera cet instant de réconfort dans l’union, ni le considèrera inapproprié. On aurait pu investir ces circonstances en opportunité, permettant aux services de l’ordre d’accompagner cet appel au rassemblement, malgré l’interdiction de se regrouper en vertu des mesures de confinement, qui doit être pris dans son cadre contextuel. Enfreindre cette interdiction n’a pas lieu d’être, tant que la distanciation physique est respectée, et que tout est cadrer avec les éducateurs de rue, les gardiens de la paix, les acteurs sociaux et les agents de quartiers, tout en maintenant un dispositif policier en alerte. Cette marche aurait pu être celle de l’expression du deuil dans la dignité. Quel gâchis, quand une maladresse semblerait catalyser de la violence ?
J’ose espérer une enquête ‘totalement indépendante par rapport aux circonstances du drame puisque cette enquête sera coordonnée par le Parquet’. Dans certains pays, en toute partialité au propos caricatural et islamophobe, considérant l’islam intrinsèquement criminogène, des peines les plus lourdes, sur la base du faciès sont dictées, car la présomption de culpabilité suffit à certains pour justifier de frapper, imposant ainsi la peine de mort à un citoyen, sans même lui donner le droit de se défendre. Chez nous, il n’est pas question de créditer les mythes fondateurs de toute logique répressive, jugeant des intentions de citoyens ‘Une centaine de casseurs qui n’avaient pour ambition que d’en découdre avec la police et aucune volonté de recueillement par rapport à la victime se sont en effet réunis’. Ce simplisme caricatural lance le discrédit, et catégorise le jeune. Toute subjective évidence est inquiétante ‘Ils sont venus pour casser… faire des violences et c’était très clairement leur motivation’. La généralisation reviendrait à nier aux jeunes leur aptitude à se recueillir, et leur confisquerait ainsi le deuil.
Dans une société sensée, l’ordre s’érige en amont et non pas en aval, sinon l’on risquerait de dédouaner toute dérive violente. Je souligne l’importance de l’Article 8.3, du code de la route, qui précise qu’on ne peut ‘ni gêner ni mettre en danger un usager’. La règle est valable dans les deux sens, tant pour un citoyen que pour un représentant de l’ordre. Au moment du drame, il aurait été opportun, sage et noble d’anticiper et tendre la main à la jeunesse anderlechtoise, qui aurait pu faire preuve d’incivilité dès vendredi soir, si elle était intrinsèquement violente. Elle a choisi de faire preuve de retenue dans le deuil. A juste titre, ‘La situation liée au confinement est déjà suffisamment pesante pour ne pas rajouter de difficultés’, il aurait été digne, de fédérer les forces vives tant des services de l’ordre, que des acteurs sociaux et des jeunes, pour canaliser l’émotion et vivre le deuil dans la dignité, en hommage à Adil, paix sur son âme. Cela aurait facilité l’accompagnement de la douleur dans la mesure, sans décharge émotive des jeunes. Si l’appel au rassemblement circulant depuis vendredi sur les réseaux sociaux, a débouché sur des émeutes, il n’était pas un appel à des émeutes, et il aurait donc été plus opportun d’envisager plusieurs hypothèses pour contenir un possible débordement. Alors, pourquoi cette marche s’est transformée en théâtre de violence ? On ne peut stigmatiser les jeunes venus se recueillir, surtout quand il s’avère que certains opportunistes violents, arrivés d’ailleurs, n’étant pas en lien avec Adil, paix à son âme, sont arrêtés. De simples passants ou habitants du coin sont interpellés, ainsi l’opprobre ne peut être jeté sur tous.
Cependant, l’indécence atteint son paroxysme quand la clairvoyance semble être aveuglée par un paternalisme néo-colonialiste. Tout propos stigmatisant, de quelque citoyen que ce soit, culturellement d’une autre origine ou religion, est pathogène, à la manière de ‘Il s’agit de jeunes gens qui ne peuvent pas fonctionner selon nos normes et valeurs’. Nous sommes tous belges, issus d’une immigration de longue date, et aucune norme ni valeur ne pourrait être les nôtres face aux leurs. L’histoire nous a montrer que l’électoralisme fauteur de troubles, surfe sur un drame pour semer le chaos, et endeuiller le projet sociétal que nous espérons construire ensemble. L’indigne amnésie négationniste de la mémoire de ce pays, voudrait-elle mettre en cause une des forces vives de notre société, la jeunesse issue de l’immigration aux valeurs porteuses de sens et de normes ? A la manière de mon maitre spirituel, l’imam Sadek Charaf (+1993), sainteté sur son âme, je précise que ‘La jeunesse est le flambeau de l’espérance et la force de la détermination’. La diversité est un défi culturel, cultuel et ethnique, que ne peut relever aucun opportuniste. Tout populisme est superficiel, simpliste et sème l’humiliation. La vie n’a pas la même saveur, selon le côté de la rive où l’on se situe, surtout quand du haut d’une chaire, l’on supposerait à des jeunes un conflit de loyauté. L’égocentrisme se nourrit de la domination sur autrui, prétendant détenir un système qui serait le seul porteur de sens. Cette ignoble posture de démentielle vision érigée en croisade idéologique, attise un charbon ardent.
L’incertitude du confinement amplifie la tension, et augmente l’anxiété. Toute ‘évangélisation’ indécente qui banaliserait la violente ‘répression institutionnelle’, ne renforce nullement le lien social dans la cité. Ainsi, stigmatiser un citoyen serait de l’euphorie démagogique, exclusiviste et essentialiste. Notre jeunesse fait partie de ces abimés de la vie de qui certains parlent comme des assistés, sans se préoccuper réellement de leur épreuve métaphysique.
Mis en lien avec la violence de la mort, en pleine fleure de l’âge, elle ressentait le besoin de marcher pour se recueillir. Hélas, l’incompétence illustre n’aide pas à donner du sens, quand des propos insensés risquent de réconforter les thèses fachos, racistes et islamophobes, qui pullulent sur les réseaux sociaux ‘ces jeunes arabes sont insouciants car ils sont surtout dangereusement mal élevés, … ce sont que des braqueurs, dealeurs, violeurs, …’. Osons espérer que les pouvoirs publics mettent tout en œuvre pour éradiquer ce racisme antisémite islamophobe, qui sévit tant sur Internet que sur la voie publique où, des citoyens aux élans fascisants, saccagent la dignité de certaines femmes car elles portent un foulard. La présence policière lourdement armé a été ressentie par certains jeunes, comme une attitude ostentatoire qui ne veut pas laisser place à la sérénité, ou un guet-apens tendu à une jeunesse en deuil.
Adil, paix à son âme, était en droit de paniquer, car l’appréhension du mépris est l’épouvante qui scande le quotidien de beaucoup de jeunes. D’aucun dira qu’il n’avait qu’à s’arrêter, sinon, c’est qu’il avait des choses à cacher. Evident, diront d’autres, parce qu’il a tenté de fuir la police, l’accusant de coupable pour sa couleur de peau, sa religion et ses origines ethniques. D’autres encore diront qu’il s’agirait d’une bavure policière. Sans vouloir trouver de prétexte justifiant l’incivilité de quiconque, mais est ce que l’utilité d’un contrôle est mesurée sous tous les angles, pour éviter tout risque probable d’un accident, n’impose-t-elle pas la sagesse éloignant ainsi à la tension toute son ardeur ? A l’air du numérique, l’on peut poursuivre quiconque à distance, via camera ou drone, évitant ainsi toute situation de risque, et interpeller alors l’acteur d’une incivilité chez lui. Il va de soi que les forces de l’ordre qui, en ces temps de crise sanitaire, n’ont pas la tâche facile, et font un travail stressant. Même si certains, au sentiment d’omnipotence dans l’uniforme, dérapent par attitude raciste, facho, islamophobe, néo-nazi, votent extrême-droite, font du profilage ethnique et se prennent pour les justiciers de la cité contre les arabes, les roms, les sans-papiers, les africains sub sahariens, les femmes voilées ; heureusement qu’énormément d’autres policiers sont de bonne civilité, justes et rigoureux dans leur travail accompli dans le respect et avec humanité. Ainsi, peu importe de savoir si Adil, paix à son âme, aurait voulu fuir pour éviter de payer une amende, ou par peur, ou par appréhension d’être amené au commissariat. Le bon sens est de savoir que la mort ne se justifie jamais face à une quelconque ‘incivilité’. Nul n’est à l’abri du stress des gyrophares annonçant un contrôle. Sous la panique, celui qui est appelé à s’arrêter, risque par instinct de protection, de perdre le contrôle. Quel serait alors le bien-fondé d’une poursuite policière qui risque de mener à un incident ? Quel serait le but d’un déploiement policier lourdement chargé face au rassemblement pacifique souhaité par des jeunes ? Quelle est la pédagogie des forces de l’ordre ? Ses priorités sont-elles de responsabiliser ou de violenter ? Aucune dérive violente ne peut faire objet d’une impunité dans notre pays. Toute action disproportionnée serait un abus de pouvoir. De même, toute attitude d’agression sur des biens ou des citoyens, privés ou publics devra être assumée par n’importe quel auteur que ce soit.
La violence urbaine n’est pas seulement une faille d’ordre structurel, mais aussi éthique. Il ne suffit pas d’intervenir sur le champ social, sans permettre à la jeunesse de se réapproprier la revalorisation de son histoire, sa mémoire, sa tradition, sa religion et sa culture non pas exotique mais éthique. Le mal être de notre jeunesse révèle une méfiance face au système en crise de repère, de valeur, et qui semble trahir leur confiance. Concentrée dans un ghetto, une certaine jeunesse subit un déni de droit constant, et exclue du pouvoir d’achat par la discrimination à l’embauche, elle n’entrevoit aucun horizon digne. La marche était un cri d’espérance, aspirant à restaurée une dignité perdue. La violence juvénile est la conséquence de l’échec de certaines politiques éducatives. La logique sécuritaire effrite l’espoir d’une ‘jeunesse projet qui annonce’ au détriment d’une ‘jeunesse reflet qui dénonce’, tel disait Roger Garaudy (+2012), que Dieu lui fasse miséricorde. L’idéologie démagogique d’une certaine droite penchée vers l’extrême, aux élans racistes ; et d’une certaine gauchiste à la politique d’assistanat, paternaliste et infantilisante, communautarise la violence, culpabilisant ainsi des innocents sur fond de discours ‘religieux’, jugeant leurs intentions, alors qu’ils venaient se recueillir. Je souligne, à la manière du Président de la Ligue des Imams de Belgique, cheikh Mohamed Tojgani, que Dieu le préserve, ‘il est très regrettable de voir des affrontements entre certains jeunes et le corps de police. … S’il y a eu une bavure, c’est avec la force de la loi qu’il faut répondre non
pas avec la violence. … Reprenez vos esprits, réveillez-vous et entraidez-vous à la quiétude et à la paix sociale.
Préservez le tissu social qui nous lie, … C’est le seul moyen de garantir l’unité du pays et une cohésion sociale’.
Voilà un appel à la responsabilité constructive et citoyenne. Que les démagogues en tirent des leçons, car leurs indignes propos ont poussé les jeunes d’Anderlecht à vivre leur deuil dans de la frustration, du désarroi et de la tragédie. Il est temps d’élaborer des analyses objectives sur les situations sociales, de dresser des stratégies de concrétisation de projets, et d’entendre les attentes des jeunes. J’ose espérer des dynamiques sociales qui permettent aux jeunes de canaliser leur énergie, mettant un terme à toute forme d’humiliation, de marginalisation et de victimisation. La valorisation du sport, de l’expression culturelle, artistique, historique, cultuelle, voilà le réel vecteur d’énergie qui permet à notre jeunesse de se réapproprier la confiance, de renforcer la paix intérieure, et d’acquérir un regard positif d’elle-même. Voici l’accès à une citoyenneté spirituelle, qui soit engagée, responsable, éthique et en quête de sens.
Enfin, loin des conclusions hâtives, nos pouvoirs publics peuvent-ils méditer le réel en vue d’une solution louable ? Cet atroce évènement doit éveiller un réalignement sur l’essentiel, et ouvrir de nouvelles perspectives citoyennes dignes, au service d’une jeunesse fragilisée. La stigmatisante provocation par des propos de rejet, ne fait qu’attiser la haine et le sentiment d’exclusion. Les jeunes révoltés sont insouciants peut être des retombées de cette violence urbaine, dans laquelle certains auraient tout intérêt à les confiner, pour les catégoriser de casseurs et d’émeutiers.
Toute logique répressive donne le sentiment de gérer la situation. Face au sentiment de risque de tout caractère discriminatoire de quelque dispositif répressif que ce soit, il nous faut trouver des supports dans une perspective constructive et féconde. Ce ne sera possible que par le biais d’une action policière réformée et humanisée, d’une police de proximité, qui soit initiée à la communication non-violence et à la maitrise de ses émotions, et qui lutte contre toute forme de dérive. Cela exclut toute répression institutionnalisée qui engendre du chaos, ou éradique la logique du tout sécuritaire, à la manière du minable ‘plan canal’, qui renforce la ghettoïsation d’une jeunesse catégorisée de ‘délinquante’ et de ‘radicale’, et qui rajoute de la méfiance et gonfle l’exclusion de nombreux jeunes
‘musulmans’ bruxellois. Toute approche socio-sécuritaire qui engendre de l’assistanat répressif, criminalise des citoyens et déshumanise leur dignité. La souffrance, la culpabilité, l’émoi, tout cela ne fera pas revenir Adil, paix à son âme, car tel l’enseigne le Coran : ‘A Dieu nous appartenons, et c’est vers Lui que se fera notre retour ’, (sourate II-156). Le fait que Adil, paix à son âme, ne se soit pas arrêté, pour quelque cause que ce soit, cela n’excuse en rien l’attitude irresponsable qui provoqua l’accident en le percutant, ou en l’amenant à percuter un véhicule.
L’enquête, j’ose espérer, objective et impartiale, démontrera la vérité, inshâ Allâh. Dieu, le Juge Absolu, rend justice ; et si ne ce n’est ici-bas, ce sera dans l’au-delà, Amen !
Bruxelles, le 19 cha’bane 1441 – le 12 avril 2020
Yacob MAHI
Théologien – Islamologue,
Dr en Histoire et Sciences des Religions