Plus tard, quand Newton sera finalement libéré, l’écrivain, vivait alors dans la Bay Area, se rendra à de nombreuses reprises à l’École Huey Newton à Oakland et travaillera avec lui, Angela Davis et d’autres militants sur divers projets locaux.
Les deux hommes ont également développé une véritable amitié et apprécié le temps passé ensemble; il y eut des déjeuners et des dîners chez Huey et à des endroits comme la Soul Food Kitchen d’Oakland. Souvent, ils étaient rejoints par des amis communs – notamment Reggie Major et les écrivains Cecil Brown et David Henderson. S’il avait vécu pour le voir, Baldwin aurait été fortement ébranlé par l’assassinat de Huey comme il l’a été par ceux de Medgar Evers Malcolm X et Martin Luther King, Jr.
ENTRETIEN AVEC JAMES BALDWIN par Karen Wald (1969)
(traduction @ Samuel Légitimus)
(Note de l’éditeur: l’entretien suivant avec James Baldwin a été réalisé peu après la récente visite de l’écrivain à Huey Newton, ministre de la défense du Black Panther Party dans sa prison.
Huey purge une peine de 2 à 15 ans pour homicide volontaire – l’état fut incapable de le coincer pour meurtre au premier degré pour le meurtre d’un policier.)
Q : Vous revenez tout juste de la colonie pour hommes de Californie à San Luis Obispo pour une visite à Huey Newton. Pourriez-vous nous dire pourquoi ce voyage ?
James Baldwin – Huey est une des personnes les plus importantes à avoir été produite par le chaos américain. Son sort est très important. Et pas une personne de l’Amérique blanche, si elle lit les masse-médias, ne connait réellement Huey, ce qui l’a produit ou ce qui a produit le Black Panther Party. Le peuple noir a toujours joué, dans ce pays, un rôle tourmenté dans l’imagination des Blancs. Ceux-ci préfèrent le considérer comme King Kong ou n’importe quoi de ce que les Américains blancs imaginent. C’est inconcevable pour eux, parce que cela en révèle trop sur la république. Je pense qu’à l’origine, le Parti des Panthères noires était appelé Parti des Panthères noires pour l’Auto-Défense et qu’il fut produit comme une réaction à – et je suis un témoin de ceci parce que je suis né dans le ghetto – à l’irresponsabilité abyssale des forces de police. Il n’est pas sorti de nulle part. Il n’est pas apparu parce que Huey et sa cohorte étaient un genre de monstres antisociaux bizarres. Ce mouvement est apparu en raison de la réelle nécessité d’investir la communauté d’un certain genre de morale, que l’on ne peut trouver dans aucune institution américaine.
Q: Avez-vous constaté des changements en Huey depuis votre première rencontre ?
James Baldwin – De la même façon que les événements des deux dernières années a forcé chacun à repenser la situation. Huey a subi quelques changements lui-même. Je pense que les oppresseurs font toujours la même erreur. Ils pensent qu’ils vont parvenir à vous briser par le degré et la nature de votre punition. Mais ils se trompent toujours, parce que vous pouvez briser dix personnes, mais il y aura toujours une personne ou deux, ou même trois, sur lesquels cela ne fonctionne pas, qui utiliseront cela pour découvrir quelque chose et devenir, en un sens, plus dangereux qu’il ne l’était avant. Plus dangereux que si vous l’avez laissé seul – plus dangereux du moins, pour le statu quo. Je pense que Huey est en train de changer de cette manière.
Q : Voudriez-vous commenter certains des changements que vous avez vous-même subi au travers des deux dernières années ?
James Baldwin – Je pense que personne ne peut plus être dupé plus longtemps sur les intentions du gouvernement américain parce qu’ils se sont montrés parfaitement clairs. Et c’est peut-être la chose la plus saine qui soit arrivée dans cette époque. Personne, après tout, ne peut rien dire en faveur de la présente administration. Elle représente l’illusion américaine que nous nous trouvons dans un pays blanc, dans un monde blanc, et qu’ils peuvent rendre l’univers blanc – la lune est notre première colonie.
Q : Eldridge Cleaver a dit qu’il existait des différences basiques concernant l’attitude que vous adoptiez quant à l’usage de la violence par l’oppresseur blanc – voyez-vous un changement quelconque dans la manière dont vous ressentez la chose ?
James Baldwin – Mon énorme préoccupation a été et demeure que je ne désire pas voir une génération sortir dans la rue et mourir. D’un autre côté, j’ai également été forcé de réaliser que cela ne dépendait pas de moi. Personne ne peut répondre pour une génération exceptée cette génération elle-même. Nous ne possédons pas les hélicoptères, nous ne possédons pas les tanks, le poids contre nous est massif – ce qui exige de la part des gens pris dans cette situation qu’il trouve une façon de répondre.
Quelques personnes respectables de ce pays, respectables dans le sens ordinaire, sont conscients de ce qui est en train de se passer. Cela a créé des collègues très particuliers – la position de Justice Douglas n’est pas aussi différente que cela de la position de Huey Newton. Il y a des gens qui commencent à comprendre ce qui s’est produit ici, en tant que résultat de l’avidité fantastique des systèmes d’entreprise.
Une des raisons pour l’affaire Nixon-Agnew – concernant la majorité silencieuse et leur affirmation que c’était en réalité les gens contre la guerre qui étaient en train d’assassiner des gosses américains – est l’espoir que, n’importe comment, ils parviendront à unir le pays entier autour d’un série de contradictions vraiment sanglantes. Ce qui n’est pas possible. Ils ne peuvent pas mettre trente millions de Noirs en prison, au secret, et dans tous les cas, il y a bien plus que trente millions – les Noirs ne sont pas les seuls dissidents dans ce pays.
Ce que ce pays ne comprend pas vraiment c’est quelque chose de simple pourtant. C’est le fait que Huey a raison lorsqu’il dit qu’aussi longtemps qu’il y existera des Noirs, il existera des Black Panthers. Malcolm X avait raison lorsqu’on lui posait la question sur la force numérique des Black Muslims – quiconque le sait évitera de vous le dire et quiconque clamera le nombre est un imbécile. La vérité est que, n’importe quel Noir dans ce pays à l’époque où le mouvement des musulmans était à son apogée, était un musulman noir. N’importe quel Noir, dans ce pays à cette heure, est d’une certaine manière un Black Panther. Et même s’il ne l’est pas, le fait est que le flic ne va pas me demander mon nom et mon adresse avant de me tirer dessus; et la seule différence entre moi et un autre lascar noir dans ce pays est que s’il me tire dessus, mon nom se retrouvera dans les journaux. Nous connaissons tous de nombreuses personnes qui sont mortes, aucun de nous n’en connait le nombre, mais je sais que pour le moindre gars comme moi qui existe ici, il en faudra une vingtaine qui meurt, ici dans ma propre génération. Mais ils ne comprennent pas le Viet Cong. Mon frère le dit de cette manière – nous sommes les premiers Viet Congs.
Tirer sur des gens dans leurs appartements au beau milieu de la nuit, cela crée exactement ce qu’ils ne souhaitent pas voir arriver, cela fait quelque chose aux gens, qui soit disant ne s’en soucient guère, ne voudraient pas s’en soucier – quelque chose commence à se produire sur la conscience américaine – cela ne se produit pas uniquement chez les Noirs, cela se produit également chez moi. Lorsque la société devient à ce point anarchique, ce ne sont pas seulement les Noirs qui sont menacés, c’est tous les autres. Ils se mettent donc à créer une résistance qui n’existait pas avant.
Q – Que pensez-vous des affaires des PANTHER 21 à New York ou du meurtre supposé à New Haven. Quel est votre sentiment sur ces affaires?
James Baldwin – Je considère toutes ces affaires comme du harcèlement, comme de l’intimidation. Même si j’étais une personne très différente que celle que je suis, il n’y a aucun moyen pour moi de croire ce que dit la police ou le gouvernement. A moins que je sois dans une position de vérifier par moi-même. J’en ai trop vu. Je me fiche de ce que la presse blanche affirme sur les exagérations de la brutalité policière. J’ai vécu avec cette brutalité toute ma vie. Je sais, que le New York Times veuille le croire ou pas. J’étais là, le New York Times, non.
Q : Avez-vous le moindre doute de ce que les affaires de New York ou de New Haven soient des coup-montés ?
James Baldwin – Jusqu’à ce qu’on le prouve au-delà du doute, de préférence dans les couloirs des Nations Unies qu’il ne s’agit pas de coups-montés, je croirai pour ma part qu’il en s’agit d’un, parce que je fais partie d’un peuple qui historiquement à été victime d’un coup monté.
Q- qu’avez-vous à dire sur le procès en conspiration ?
James Baldwin – Je pense que c’est tout simplement trop obscène pour qu’on en discute.
Q : Pourquoi pensez-vous qu’ils aient inclus Bobby Seale dans la conspiration, alors que celui-ci n’avait absolument rien à voir avec la démonstration ?
James Baldwin – Mise à part toute l’illégalité impliquée, Bobby est un mauvais nègre. Pour la même raison que Mohammad Ali, anciennement Cassius Clay, fut dépouillé de son titre. Pour la même raison que Malcolm X est mort. Un des faits historiques au sujet de cette nation est que vous prenez toujours un mauvais nègre et le pendez publiquement, comme un exemple pour tous les autres qui voudraient être des mauvais nègres.
Q: Avez-vous, en dehors des jeunes militants noirs et blancs à qui vous avez parlé, une forte réaction par rapport au meurtre de Fred Hampton et Mark Clark à Chicago?
James Baldwin – Je ne sais pas comment répondre à ça, vous le présentez de la même manière – Hampton et Clark ne sont que les derniers exemples. Le spectacle est devenu monotone.
Q : N’était-ce pas bien plus évident ?
James Baldwin – Il est stupéfiant pour ma part de voir combien il est difficile pour des gens de voir quand ils ne désirent pas voir. Les Noirs voient, mais combien de parents d’enfants blancs le voient, c’est une autre question. La différence entre mon expérience et celle de l’Amérique blanche, même du meilleur de l’Amérique blanche, est qu’ils ont de la peine à croire que le pays puisse agir de cette façon. Et cela n’est pas mon problème du tout, j’ai toujours su qu’il pouvait agir ainsi, il l’a toujours fait au cours de mon expérience et je ne suis plus vraiment jeune.
Q : Qu’est-ce qui fait que des groupe comme SCLC, NAACP, Urban League et des groupes comme eux ne commencent que maintenant à montrer un soutien aux Black Panthers?
James Baldwin – L’ensemble de la situation noire dans ce pays depuis le début a été très compliqué. La querelle entre W.E.B Dubois et Booker T. Washington était, pour ainsi dire, celle d’un microcosme. Il y a toujours eu quelque chose qui ressemble de très près à un canular, le cœur même du rêve américain. Et cela s’applique violemment aux Noirs, parce que, pendant un temps, il fut utile pour ce qu’on appelle la structure du pouvoir d’exposer certains nègres « à la fenêtre». Afin de prouver aux Américains qu’ils étaient réellement ce qu’ils affirmaient être et pour prouver aux Noirs qu’ils étaient ce qu’ils affirmaient être. Et la nature de ce marchandage fut que le nègre à la fenêtre pouvait arracher quelques concessions du statu quo, en retour de la tranquillité des indigènes. Mais la table sur laquelle ces gens opéraient s’est volatilisée. Une fois que Martin Luther King s’est fait abattre, bien que certaines personnes estiment que cela date de bien avant ça, il était parfaitement clair qu’il n’y avait aucun moyen d’être un bon nègre. Et ce n’est même pas péjoratif parce qu’historiquement, Oncle Tom a joué un rôle important. Mais le rôle qu’il jouait n’est plus possible. Les défenseurs du statu quo ont, en effet, donné autant qu’ils pouvaient donner. Et aujourd’hui, même le gars noir le plus respectable est absolument – que ça lui plaise ou non, qu’il veuille bien l’admettre ou pas, et quel que soit son âge – il est lui aussi une partie de la cible, peu importe son niveau de célébrité ou de richesse. Nous sommes tous des Viet Congs. Aucun de nous ne peut être fiable du point de vue des défenseurs du pouvoir américain. Même le plus agile des Oncle Tom ne peut espérer avoir une discussion sérieuse ou un dialogue avec le Ministre de la Justice John Mitchell.
(traduction @ Samuel Légitimus)
Source : JAMES BALDWIN COLLECTIF