Un collectif de signataires belges et internationaux dénonce la complaisance des autorités à l’égard de manifestations de racisme sous couvert de folklore. Il en appelle à une décolonisation radicale de la société.
Le blackface est une pratique raciste et donc discriminatoire condamnée par un certain nombre de textes internationaux. Entre autres, par la résolution du Parlement européen sur les droits fondamentaux des personnes d’ascendance africaine en Europe (2018/2899 (RSP)) qui reconnait le caractère systémique du racisme subi par les personnes afrodescendantes. Celle-ci pointe clairement la « persistance de certaines traditions en Europe », et particulièrement le « blackfacing », lesquelles « perpétuent des stéréotypes profondément enracinés sur les personnes d’ascendance africaine » participant à « exacerber les discriminations ».
Parallèlement, le 12 février dernier, le Groupe d’experts indépendants sur les personnes d’ascendance africaine (Wgepad) a rendu au gouvernement belge un rapport selon lequel la négation du passé colonial constitu, en Belgique, l’une des causes de la persistance d’une négrophobie endémique. Ce rapport vient rappeler les recommandations fortes relatives au caractère raciste du personnage du Zwarte Piet (Wgepad dès 2014) et corroborer ce que les collectifs afro-descendants disent depuis de nombreuses années. C’est aussi ce qu’a rappelé l’Unesco en exigeant de la Ducasse d’Ath qu’elle se « conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence de respect mutuel entre communautés ».
Evitement d’une société majoritaire
En l’absence de plan national de lutte contre le racisme anti-Noirs, ce sont les associations militantes qui font le travail de sensibilisation, de dénonciation et de décolonisation des mentalités. On pense évidemment aux contestations des monuments coloniaux, à la campagne pour une place Lumumba à Ixelles, à la transformation des manuels scolaires sur l’histoire de la colonisation, à la campagne pour la restitution des « restes humains » et artefacts pillés durant la période coloniale, à la campagne « Etre noir n’est pas un déguisement », etc. menée par des collectifs comme Bamko-Cran, le Collectif Mémoire coloniale et Lutte contre les discriminations, Change ASBL, etc.). Dans ce contexte, Bruxelles Panthères a lancé une campagne contre le blackface à l’occasion de la « sortie des Nègres » à Deux-Acren et du « Sauvage » lors de la Ducasse de Ath. Cette campagne a reçu un large écho international (Washington Post, RFI, CNEWS, EuroNews, AJ+, The Guardian, TV5Monde, Storm.mg, O Globo, etc.). Alors que ni l’Etat, ni les autorités locales n’entendent prendre leurs responsabilités en matière de décolonisation du folklore, les porte-parole de Bruxelles Panthères se trouvent aujourd’hui criminalisés (le bourgmestre socialiste de Lessines, Pascal De Handschutter a porté plainte contre Nordine Saidi pour menaces terroristes) mais également insultés et menacés par des nostalgiques de l’époque coloniale et défenseurs du « folklore national ».
Ce qui nous inquiète dans les nombreuses réactions de « défense » du blackface et dans les menaces proférées sur les réseaux sociaux, mais aussi de la part de certains politiciens (voir le discours de Rudy Demotte, le 24 août 2019 à Ath), c’est l’identification quasi existentielle de ses défenseurs avec les dimensions les plus racistes (clairement issues de l’époque coloniale) d’un folklore. Ces réactions s’accompagnent très régulièrement d’insultes racistes, symptôme d’évitement d’une société majoritaire confrontée aux conséquences contemporaines du colonialisme et du racisme (discriminations, stéréotypes, stigmatisations, haines). En sécurisant la sortie du « Sauvage » avec des forces de police supplémentaires ou en portant plainte contre Nordine Saidi pour menace terroriste, les deux bourgmestres socialistes de Ath et de Lessines entretiennent respectivement un climat propice à ces réactions racistes. Ils renforcent la perception paranoïaque de sociétés locales homogènes agressées de l’extérieur devant soit défendre leurs traditions supposées immuables, soit disparaître. La patrimonialisation de la Ducasse renforce cette perception d’un folklore replié comme une affirmation identitaire locale face aux menaces de la mondialisation, y compris contre celles et ceux qui, aussi bien à Ath et qu’à Lessines, chercheraient à donner un sens contemporain aux rites dont les sociétés ont aussi besoin en ces temps particulièrement compliqués.
Court-circuit de la procédure judiciaire
La responsabilité d’un tel blocage n’est pas à imputer aux seuls bourgmestres. La position d’Unia, le service public indépendant de lutte contre les discriminations, pose également question. Lorsque des jeunes blancs ont chanté « Handjes kappen, de Congo is van ons » au Pukkelpop festival (2018) en agressant deux jeunes femmes noires, l’absence de réaction sérieuse de Unia a permis l’action paradoxale de la secrétaire d’Etat N-V.A à l’Egalité des chances, Zuhal Demir, de court-circuiter la procédure judicaire intentée contre les jeunes racistes flamands en les recevant, alors qu’elle n’a pas eu cet égard pour les victimes. Cette attitude compréhensive de la part d’une secrétaire d’Etat envers les agresseurs s’est accompagnée d’un tweet de Theo Francken, à l’époque secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, qui visait à jeter le doute sur l’attitude des victimes. Agresseurs protégés par l’Etat, victimes deux fois lésées et niées dans leur droit à être protégées. Cette attitude s’est répétée lors du Carnaval d’Alost où un char antisémite et un char négrophobe ont pris part à la parade. Dans ce dossier, comme dans d’autres, Unia préconise un dialogue sans outils ni conséquences autres que la réassurance personnelle des agresseurs : « Nous ne voulions pas être racistes ». Pourtant en Belgique, l’incitation à la haine raciale ainsi que le délit de discrimination constituent des infractions pénales. Il existe donc de facto une politique des poursuites qui vise à ne pas appliquer la loi, à constituer des exceptions et à couvrir les agresseurs.
Il est devenu vital d’inverser le cours des choses en soutenant l’activisme politique impulsé par les victimes de la violence raciale. Le caractère endémique du racisme anti-Noirs omniprésent et multiforme exige qu’on le combatte en passant par toutes les prises possibles : la fin du blackface en Belgique, des actions beaucoup plus proactives de lutte contre les discriminations, l’enseignement de la colonisation, la restitution, etc. Ce n’est qu’avec la décolonisation radicale de la société belge (y compris dans ses aspects culturels et folkloriques) et l’éradication de la négrophobie que nous parviendrons à produire les conditions d’un faire culture ensemble.
Signataires :
- Françoise Vergès, politologue, militante féministe décoloniale
- Mireille Fanon-Mendès-France, ancienne experte de l’Onu, ancienne présidente du (2014-2016) du WGEPAD, Fondation Frantz Fanon
- Olivier Mukuna, journaliste et essayiste
- Monique Mbeka Phoba, cinéaste, scénariste et productrice à Rumbacom, conférencière décoloniale
- Norman Ajari, philosophe
- Toma M. Luntumbue, Historien de l’Art (ERG, Ecole de recherche graphique)
- Gerty Dambury, dramaturge (Décoloniser les Arts)
- Pitcho Womba Konga, rappeur, comédien, metteur en scène
- Laura Nsengiyumva, artiviste, chercheuse
- Georgine Dibua, coordinatrice de l’ASBL Bakushinta
- Nicole Grégoire, anthropologue
- Véronique Clette-Gakuba, sociologue (ULB)
- Doum Memde, acteur social
- Betel Mabille, militante afroféminsite et décoloniale
- Geneviève Kaninda, co-coordinatrice Collectif Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations (CMCLD)
- Fontaine Atchikiti, co-coordinatrice CMCLD
- Gia Abrassart, journaliste
- Isabelle Stengers, philosophe (ULB)
- Didier Debaise, philosophe (ULB)
- Nouria Ouali, sociologue (METICES, ULB)
- Katrin Solhdju, professeur en sociologie et anthropologue (UMons)
- Luis Martinez Andrade, sociologue mexicain
- Nadia Fadil, professeure en Anthropologie (KULeuven)
- Candice Vanhecke, présidente du parti Be.One
- Selma Benkhelifa, avocate
- Marianne VL Koplewicz, Editions du Souffle
- Daan Broos, photographe
- Jalil Leclaire, comédien/metteur en scène
- Antoine Janvier, philosophe (ULg)
- Houria Bouteldja, Parti des Indigènes de la République (PIR, France)
- Youssef Boussoumah, militant de l’immigration
- Said Bouamama, Front uni des immigrations et des quartiers populaires
- David Jamar, sociologue (UMons)
- Raphaël Gély, professeur de philosophie, Université Saint-Louis – Bruxelles
- Maryam Kolly, sociologue (Université Saint-Louis)
- Mathieu Renault, Enseignant-chercheur, Université Paris 8
- Wojciech Keblowski, chercheur VUB-ULB
- Astrid Jamar, Lecturer in Development, The Open University, Grande Bretagne
- Beatriz Camargo, journaliste et chercheure
- Anaïs Carton, Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI)
- Ablavi Adanlété, CBAI
- Pascaline Amantidis, journaliste
- Milady Renoir, poétesse
- Khadija Senhadji, socio-anthropologue et militante décoloniale
- Kaoutar Boustani, militante
- Manu Scordia, dessinateur
- Julie Jaroszewski, artiste et militante
- Luc Vervaet, enseignant dans les prisons
- Pauline Fosny, enseignante et réalisatrice
- Hugo Périlleux Sanchez, assistant en géographie (ULB)
- Elsa Roland, Sciences de l’éducation (ULB)
- Gillermo Kozlowski, philosophe
- Andrew Crosby, chercheur en sociologie (Germe-ULB)
- Youri Lou Vertongen, chercheur en science-politique (USLB)
- Martin Vander Elst, anthropologue (UCL)
- Collectif Mémoire coloniale et Lutte contre les discriminations
- Brigade anti-négrophobie
- Bakushinta
- Présence Noire
- Nouvelle voie anticoloniale
- PIR
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