Mawda, un an déjà

Ce 17 mai, nous célébrons un bien triste anniversaire, celui de la mort de la petite Mawda. Une fillette kurde de deux ans tuée par balle sur une autoroute belge. Une petite fille tuée par un policier dans le cadre d’une opération Médusa de chasse aux migrants.

Le 17 mai 2018, il y a juste un an, une certaine idée de la civilisation est morte aussi. Le projet de société dans lequel les nations européennes s’engouffrent ne peut mener qu’à la fin de l’idée que nous nous faisions de l’humanité.

Cette idée née à la fin de la seconde guerre mondiale voulait que nous soyons tous membres de la famille humaine.

Le préambule de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme commence par ces mots :

Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.

Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme.

Regardons notre société avec honnêteté et lucidité : nous sommes très loin de cet idéal. Nous sommes en train de revenir à la barbarie.

La mort de la petite Mawda doit constituer une rupture, un point de non-retour. Soit on arrête tout. On commence à réellement réfléchir à la question migratoire et à l’égalité des êtres humains. On essaie vraiment de réaliser leur libération de la terreur et de la misère. Soit on continue. On laisse des milliers gens mourir en Méditerranée. On autorise notre police à tuer des migrants. Et les actes de barbarie vont se multiplier.

Ne nous y trompons pas, la barbarie n’est pas le fait de barbares. Elle est le fait de Monsieur tout-le-monde. Elle se construit dans le silence de la majorité et avec l’approbation de petits fonctionnaires zélés. Elle est faite d’incitation à la haine et d’impunité.

L’affaire Mawda n’est pas un simple fait divers. C’est une affaire d’Etat. Elle est un crime d’Etat et elle résume l’état de notre société. Elle nous crie le délitement de nos valeurs et l’affreuse indifférence dans laquelle nous nous noyons. Elle démontre un racisme institutionnel que nous n’aurions pas cru possible.

Elle est un crime d’Etat parce que ce sont les politiques migratoires mises en place qui sont la cause de la mort de la petite fille. Ce sont les directives données à la police dans le cadre des opérations Médusa qui sont à l’origine du tir du policier.

Elle est la manifestation du racisme d’Etat à son paroxysme parce que certaines morts sont désormais considérées comme acceptables, regrettables certes, mais dommage collatéral nécessaire à la politique migratoire menée. C’est ce qu’Achille Mbembe appelle la nécropolitique, en référence aux formes de pouvoir et de souveraineté dont l’une des principales caractéristiques est de produire activement la mort à grande échelle.

Encore aujourd’hui, l’Etat ne regrette rien. Pourtant l’Etat est criminel dans toutes ses composantes.

Le pouvoir exécutif continue sa chasse aux migrants sans remise en question.

Pour preuve, Pieter De Crem – qui a remplacé le Ministre de l’Intérieur démissionnaire- a répondu à une question parlementaire sur la mort de la petite avec le même cynisme que son prédécesseur. Pas de regrets. Pas un mot de condoléance. Pas une remise en question. Au contraire, le Ministre indique que les opérations vont être intensifiées dans le but de lutter contre les « nuisances dues à la transmigration ».

Comment déshumaniser les transmigrants plus qu’en les considérant comme des nuisibles ?

Au plus haut niveau de l’Etat, on continue d’utiliser les termes qui déshumanisent et de donner les mêmes directives que celles qui ont conduit à la mort de la petite. Rien n’est mis en place pour éviter de nouveaux drames.

Le pouvoir législatif quant à lui se dérobe. Aucun des parlementaires à qui le comité Vérité et Justice pour Mawda s’est adressé n’a accepté la demande de mise en place d’une commission d’enquête sur les responsabilités politiques du drame.

Le Comité P minimise le drame en le qualifiant d’incident de tir et n’enquête pas sur les directives précises données aux policiers de la route, lorsqu’il leur est demandé d’arrêter les migrants.

Le pouvoir judiciaire enfin ferme les yeux sur les tentatives du Parquet de cacher la vérité. Rappelez-vous, le Parquet a donné au moins quatre versions différentes pour expliquer la mort de Mawda. Il a d’abord prétendu que la petite n’était pas morte par balle et que les migrants eux-mêmes avaient frappé sa tête contre une vitre. L’autopsie a bien évidemment écarté cette version abjecte. Le Parquet a ensuite parlé d’un échange de tirs, alors qu’il n’y a jamais eu qu’une seule balle tirée par un policier et qu’aucun migrant n’était armé. Le Parquet a continué à changer de version en inventant que les migrants s’étaient servis de la petite comme bouclier humain, alors que le policier prétend qu’il ignorait qu’il y avait des enfants à bord de la camionnette. Difficilement conciliable, il faut l’admettre. Nous en sommes aujourd’hui à la quatrième version. C’est la faute du chauffeur de la camionnette qui a fait un dangereux écart. Ce chauffeur qui avait été arrêté et relâché avec ordre de quitter le territoire le jour des faits.

Et il n’y a aucun magistrat pour s’insurger devant un tel fatras de mensonges et d’inepties.

Le traitement de la mort de Mawda est très révélateur des dysfonctionnements de l’Etat à tous les niveaux.

Seule la presse – le quatrième pouvoir – pourrait tenter de faire surgir la vérité. Mais la grande majorité des médias a opté pour un traitement superficiel de l’affaire. Seul le journaliste Michel Bouffioux a été au fond des choses et son enquête choque. Elle démontre une vraie collusion pour organiser l’impunité des différents protagonistes.

Si Mawda n’est pas l’électrochoc qu’il nous faut pour exiger des changements radicaux, alors nous devons craindre le retour des actes de barbarie qui révolteront les consciences des générations futures.

Comité Mawda* (Mons, Bruxelles, Liège, La Louvière)

*Le comité Mawda est composé, entre autre, du Groupe Montois de Soutien aux Sans-papiers, du Comité Justice et Vérité Bruxelles, du Collectif Migrations Libres, etc.

Source

Mawda : une enfant tuée, la vérité escamotée (réaction du procureur général de Mons)

Une opinion de Martin Vander Elst, doctorant en anthropologie à l’UCLouvain.

 

Cet appel est signé par plusieurs acteurs du monde universitaire (1).

Les réseaux de soutien « Mawda » de Mons, de Liège et de Bruxelles appellent ce samedi 18 mai à manifester à Mons (manifestation à l’initiative du Groupe Montois de Soutien aux Sans-papiers : « une enfant tuée, la vérité escamotée »), un an après le décès de la petite Mawda, pour une vérité judiciaire. Nous appelons massivement à rejoindre ce rendez-vous car aujourd’hui nous sommes très inquiets des conclusions que pourraient produire l’instruction en cours. Le Monde universitaire s’était fortement ému au lendemain du meurtre de la petite Mawda. Les recteurs des différentes universités du pays avaient pris une position forte face au climat migrophobe de plus en plus criminogène. De nombreuses conférences sont organisées dans nos universités autour des conséquences liberticides des politiques de fermeté en matière d’accueil des migrants. Nous sommes nombreux à ne pas parvenir à nous résoudre à vivre avec ce sentiment que nous vivons dans un pays où il serait acceptable de tuer des migrants. L’affaire Mawda constitue un point de rupture avec les politiques migratoires actuelles. Nous attendons des forces politiques qui émergeront des prochaines élections un engagement plus sérieux en faveur d’une vérité judiciaire dans l’affaire Mawda.

Des versions différentes des faits

Le 24 avril dernier, on apprenait par la presse flamande que le chauffeur présumé de la camionnette transportant Mawda avait été transféré en Belgique. Dès le mois de juillet 2018, le procureur du roi de Mons, Christian Henry, nous expliquait que le témoignage de ce dernier pourrait permettre de clôturer l’enquête. Depuis, le procureur général de Mons, Ignacio de la Serna, voudrait pouvoir poursuivre le chauffeur comme responsable du meurtre de Mawda. Alors que le policier qui a tiré n’est toujours pas inculpé, le procureur général confirmait le 24 avril 2019 sur les ondes de la RTBF son intention d’inculper le chauffeur de la camionnette pour « entrave méchante à la circulation » avec circonstance aggravante du décès de la petite Mawda mais aussi pour « rébellion armée », le véhicule pouvant d’après lui être considéré comme une arme.

Depuis le début de cette affaire, le parquet de Mons n’a cessé de communiquer des versions différentes des faits en prétendant, à chaque fois, qu’il s’agissait de la vérité judiciaire. On a été jusqu’à suggérer que Mawda avait été tuée par les migrants eux-mêmes. L’enfant aurait servi de bélier pour briser la vitre arrière de la camionnette. Mawda serait alors décédée de ses blessures. Durant toute la journée du 17 mai 2018 le parquet de Mons communiqua avec force, via son magistrat de presse, Frédéric Bariseau : « On peut déjà exclure une blessure par balle qui viendrait des policiers ».

Ces différentes versions peuvent apparaître absurdes aujourd’hui mais elles avaient bien une raison à nos yeux : présenter les migrants comme des monstres responsables des faits afin de blanchir le policier qui a tué Mawda. L’inculpation du chauffeur comme auteur du meurtre de la petite Mawda est ici en totale continuité avec la stratégie mise en place par le parquet de Mons dès les premières heures. Dans un tel contexte d’instruction, on comprend bien pourquoi le conducteur de la camionnette fait valoir son droit au silence.

Légitime défense ?

Cette inculpation du chauffer pour « rébellion armée » s’appuie en réalité sur ce qui est pour nous une fiction policière défendue par le procureur général de Mons dont on saisit assez aisément qu’elle a été fabriquée pour démontrer le caractère involontaire de l’homicide. En effet, cette fiction permet de dramatiser la course poursuite comme une suite d’événements de plus en plus dangereux ayant produit un stress ingérable pour les policiers et donc rendu inévitable le tire du policier. On n’est pas loin de l’hypothèse d’une forme de légitime défense.

Voici en effet ce que déclarait le procureur général de Mons, Ingacio de la Serna : « L’accident est arrivé parce qu’au moment où le policier a pointé son arme, le conducteur de la camionnette a tenté de percuter la voiture de la police ». Pourtant, à suivre l’enquête très détaillée réalisée par Michel Bouffioux, journaliste pour Paris Match Belgique, il semble bien que cette fiction construite pour inculper le conducteur de la camionnette et jeter les bases du non-lieu pour le policier, fusionne deux événements arrivés à des moments différents de la poursuite. Il importe également de se rappeler que la camionnette était chargée de migrants, ce qui fait qu’à pleine vitesse, le véhicule ne dépassait pas les 90 Km/h. C’est donc sur cette base largement contredite (enquête de Michel Bouffioux, rapport du comité P, etc.) que le procureur général de Mons voudrait faire de l’inculpation du chauffeur l’acte final de cette fiction policière. « L’enquête sur la fusillade est pratiquement bouclée », a-t-il indiqué à « De Standaard ».

Or, à travers les différentes fictions policières présentées par le parquet de Mons, il devient de plus en plus clair que l’enjeu est bien d’inculper le conducteur afin de blanchir le policier tout en instruisant le caractère involontaire du tir policier. Sur de telles bases, il semble impossible qu’une quelconque reconstruction des événements puisse apporter une vérité judiciaire satisfaisante.

La méfiance est telle qu’il n’est même pas certain que des devoirs d’enquête complémentaires suffiraient à rétablir un début de vérité judiciaire dans cette affaire. Pour commencer à instruire les responsabilités réelles, il faudrait tenter de comprendre la chaîne de commandements, c’est-à-dire l’ensemble des décisions prises lors de cette poursuite mais aussi le contexte général de traque aux migrants (via le cadre opérationnel gouvernemental « Médusa ») qui ont conduit au fait qu’un policier tire sur un enfant de moins de deux ans.

L’implication des forces de l’ordre

Les conférences de presse du parquet de Mons, la communication des ministres N-VA responsables (Francken, Jambon) mais aussi de Bart De Wever, comme celle récemment de Pieter De Crem ont directement et sans discontinuité légitimé les prises de décision policières dans le cadre des opérations Médusa. La première autopsie qui déclare un « traumatisme crânien » raconte l’histoire d’un enfant tué par les migrants. Durant l’instruction, les juges ont ménagé les forces de l’ordre en minimisant leur implication. On a laissé faire ce qu’il convient d’appeler une « coalition de fonctionnaires » tout en accablant au contraire les parents de la petite Mawda, insistant systématiquement sur leurs éventuelles responsabilités dans la mort de leur enfant.

Le cabinet du secrétaire d’Etat Theo Francken s’est servi de l’Office des Étrangers pour rendre public des éléments du dossier d’asile de la famille, divulguant ainsi des informations confidentielles, et ce afin de leur dénier toute crédibilité. Même les récits des témoins ont été faits dans l’urgence, dans des conditions d’enfermement en centres fermés et sous la pression d’une expulsion puis d’une libération avec un ordre de quitter le territoire. Nous sommes donc très inquiets de voir se répéter une forme de protocole infernal qui se rejoue de crimes en violences policières et qui concourt à un taux considérable d’acquittement des policiers. Un éventuel non-lieu à l’issue de l’instruction pour homicide équivaudrait à un permis tacite de tuer des migrants délivrés à la police par l’intermédiaire du parquet de Mons dans le cadre des opérations Médusa. Ce que l’instruction menée par le parquet de Mons semble nous dire de notre société c’est que : « tuer un migrant, cela n’est rien ; leurs vies n’en sont pas vraiment ».

(1) : Liste des signataires

Isabelle Stengers, philosophe (ULB)

Mateo Alaluf, professeur (ULB)

Olivier Servais, professeur ordinaires (UCL)

Pierre-Joseph Laurent, professeur ordinaire (UCL)

Didier Debaise, Chercheur FNRS (ULB)

Benedikte Zitouni, Prof. Sociologie (USLB)

Alban de Kerchove d’Exaerde, Directeur de Recherche, FRS-FNRS (ULB)

Vincent Engel, professeur (UCL, IHECS)

Fabienne Brion, professeur (UCL)

Thomas Berns, professeur (ULB)

Nadia Fadil, Professeur en anthropologue (KULeuven)

Michel Gevers, Professeur émérite (UCL)

Christine Guillain, Professeur de Droit (USLB)

Matteo Gagliolo, professeur (ULB)

Pascale Jamoulle, anthropologue, chargée de cours (UCL et UMONS)

Jacinthe Mazzocchetti, professeur (UCL)

Sophie Klimis, Professeur de Philosophie (USLB)

Grégory Cormann, professeur (Université de Liège)

Thomas Barrier, professeur (ULB)

Farid El Asri, anthropologue (USL-B)

Maryam Kolly, sociologue, (USLB)

Séverine Lagneaux (UCLouvain)

Leila Mouhib, chercheuse (ULB)

Martin Deleixhe, chercheur universitaire (USL-B)

Elsa Roland, chercheuse (ULB)

Véronique Clette-Gakuba, chercheuse (ULB)

Lina Alvarez-Villarreal, Doctorante en philosophie (UCL)

Andrew Crosby, chercheur en sociologie (GERME-ULB)

Marie Deridder, chargée de cours invité (UCL)

Luis Martínez Andrade, sociologue (UCL)

Denis Pieret, maître de conférence (ULg)

Jérémie Piolat, anthropologue (UCL)

Dileta Tatti, assistante (Saint-Louis)

Martin Vander Elst, doctorant, LAAP/UCL (FNRS)

Julia Van Dessel, doctorante, GERME (ULB)

Aurore Vermylen, doctorante (LAAP/UCL)

Youri Lou Vertongen, doctorant FNRS, Politologue (USLB)

Justine Vleminckx, doctorant LAAP/UCL (Fresh)

Elle avait deux ans, son assassin est un policier protégé…

 

Elle était petite. Âgée seulement de deux ans. Elle avait un petit corps. Ses mains, ses doigts, ses pieds, son cœur, ses poumons, ils étaient tous petits. Elle s’appelait Mawda, une petite fille kurde.

Malgré son âge, la tragédie qu’elle représentait était immense. Une tragédie derrière laquelle se cachaient l’hypocrisie, la complicité, l’impunité, la guerre, la violence, l’immigration et la misère…

Elle était très petite face à une grande injustice.  Un an après, ses grands yeux nous hantent toujours en cherchant la paix et la justice. Le pouvoir politique, la justice, les médias, les citoyens… ils sont tous coupables. Certains ont donné l’ordre, d’autres l’ont exécuté ; certains ont manipulé les faits, d’autres ont gardé le silence.  Et certains, malgré la vérité, refusent toujours de rendre la justice.

 

Son histoire n’a pas commencé en Belgique. L’histoire de sa tragédie n’était pas aussi brève que l’instant où elle est morte. La tragédie qui l’a jeté à des milliers de kilomètres loin de sa terre natale n’était pas aussi petite que la balle d’un revolver. Cette tragédie n’avait pas commencé avec elle. Sa mort n’était pas non plus la fin de la tragédie, mais la petite Mawda et tant d’autres enfants étaient les visages les plus innocents de cette histoire sans fin.

C’était au milieu d’une nuit. Elle fuyait, avec des dizaines d’autres personnes entassées dans une camionnette.  Il y a un an, une trentaine de personnes, majoritairement des Kurdes d’Irak, montaient dans une camionnette en France, à Dunkerque. Ils voulaient traverser la Belgique pour gagner l’Angleterre, dans la nuit du 16 au 17 mai 2018. Jusqu’à l’arrivée des policiers, il n’y avait aucun danger. Puis, une course-poursuite sur l’E42 a commencé. Une voiture de la police est arrivée à hauteur de la camionnette. Un policier a sorti son revolver et a tiré. Une personne est touchée d’une balle dans la tête. Elle était installée avec ses parents derrière le chauffeur au moment du tir. Ses yeux ne pouvaient plus s’ouvrir grandement, ses petits doigts ne pouvaient plus bouger, son cœur ne battait plus, laissant derrière elles ses beaux sourires figés sur des photos.

« Très vite, il y a eu des problèmes », dit Me Selma Benkhelifa, l’avocate de la famille de la victime, dénonçant les manipulations après la mort de la petite fille kurde. « Dans un premier temps, ils ont essayé de dire que la petite n’était pas morte par balle. Ils ont dit qu’il s’agissait d’un traumatisme crânien comme si c’était un accident de voiture. Après que l’autopsie ait montré qu’elle était morte par balle, ils ont dit qu’il y a eu un échange de tirs, alors que personne n’était armé dans la camionnette, sauf les policiers. Normalement, ils ne peuvent pas tirer s’ils ne sont pas menacés. Ensuite, ils ont reconnu que le policier a tiré sans qu’il y ait un danger particulier. Ils ont essayé de dire que la camionnette faisait des zigzags, mais ce n’est pas une raison pour tirer. »

Un an après, le policier qui a tué Mawda n’est toujours pas inculpé. « Pourtant on sait qui c’est. Il a admis avoir tiré » dit l’avocate, espérant qu’il y aura au moins un procès.

Me Benkhelifa s’interroge aussi sur la formation des policiers avant d’être envoyés sur le terrain pour ce genre d’opérations, mais aussi sur le nom de l’opération : Médusa, un monstre de la mythologie grecque.

« Ce sont des opérations de chasse aux migrants » dénonce-t-elle, pour qui les migrants sont terrorisés par la police et il y a une responsabilité politique dans cette opération.

« Ils ont dit ; on a choisi le nom de Médusa parce que l’idée est de terroriser les migrants. Et dans une opération pour terroriser les migrants et tuer une petite fille,  il y a une responsabilité politique. Au-delà du policier qui a fait un geste qu’il ne devait jamais faire,  qu’est-ce qu’on leur dit, quelle formation on leur donne ? Je ne sais pas comment on les forme. Mais, clairement, les gens qui étaient dans cette camionnette étaient des victimes. Ce sont des gens qui essayaient de s’enfuir. Ce ne sont pas des criminels. Même s’il s’agit d’un criminel qui s’enfuit, on ne peut pas tirer dessus. »

L’affaire Mawda a montré une fois de plus l’impunité de la violence policière et des crimes commis par les autorités.

« Il est très difficile de condamner ces actes », affirme l’avocate des parents de Mawda.  « Il y a de l’impunité. Si c’était n’importe quelle autre personne qu’un policier, qui avait tiré et tué une petite fille, il y aurait certainement une condamnation. »

Elle questionne la logique et les décisions qui sont derrière ces actes, « mais ils ne sont pas du tout dans l’idée qu’ils ont eue tord. Ils trouvent que l’opération de Medusa est très bien et qu’il faut arrêter les migrants. C’est une politique qui est très à droite » ajoute-t-elle.

Quant aux médias, ils ont fait un peu du bruit au début, mais souvent dans la logique étatique. Pour Me Benkhelifa, « on n’en parle pas énormément. »

« Les médias ont aussi joué un rôle dans la dissimulation de la vérité. À un moment, la police a déclaré que la petite fille avait été utilisée comme bouclier humain par ses parents. Et tous les médias ont repris ça » dénonce-t-elle.

Elle rappelle que la presse, en tant que contre-pouvoir, doit vérifier la version officielle.

En un an, il n’y a pas eu de progrès ni une discussion profonde sur les problèmes qui ont conduit a la mort de la petite fille.  « Aucune restriction de l’utilisation des armes. Il n’y a pas eu de condamnation (de la part des dirigeants). La police de la police qui a mené une enquête parle d’incident de tir. Mais un incident, c’est un évènement secondaire qui n’est pas très important, alors que la mort d’une petite fille n’est pas un incident, mais un drame. Les mots sont importants. »

Outre l’impunité policière, l’affaire Mawda montre à la fois la faiblesse de la justice et la responsabilité politique derrière les injustices. Alors, où chercher la justice ?  « Il y a une pression des pouvoirs politiques sur la justice », dit l’avocate des parents de Mawda, avant d’attirer l’attention sur le besoin de la pression d’un contre-pouvoir sur la justice afin de trouver au moins un équilibre.

Maxime Azadi

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