Rapport du Comité P sur la mort de Mawda : une enquête très… conviviale

EXCLUSIF – Paris Match.be a pu lire le rapport du Comité P sur l’affaire Mawda. Ce document confirme plusieurs informations déjà révélées par notre contre-enquête mais il laisse en suspens bien des zones d’ombre. Par Michel Bouffioux

 

Ce mardi 29 janvier à 9 h 30, quelques parlementaires commenceront à débattre en commission du premier rapport du Comité P sur l’affaire Mawda. L’enquête de l’organe de contrôle porte « sur l’examen de la poursuite menée sur l’autoroute jusqu’au moment de l’incident de tir (celui-ci étant exclu, s’agissant de l’essence même du dossier judiciaire) ». Plus précisément, les enquêteurs du Comité P se sont focalisés sur des « problèmes en matière de communication et de coordination » au risque de noyer les députés dans d’innombrables considérations techniques sur des problèmes de connexions entre différents dispatchings policiers et des voitures de police… Au risque aussi de faire passer le message – certainement faux – que l’affaire Mawda ne soulèverait, pour l’essentiel, que des débats sur les défaillances de certaines communications radio pendant une course-poursuite.

Des « rencontres » plutôt que des « auditions »

Cette enquête du Comité P. a été menée d’une manière très administrative et, pourrait-on dire collaborative, voire conviviale. Il ne convient pas d’imaginer que les contrôleurs auraient longuement interrogé les policiers qui, à des titres divers, ont été impliqués dans cette affaire. Et encore moins qu’il y aurait eu de stressantes confrontations relatives à des déclarations éventuellement contradictoires. Les auteurs du rapport se sont contentés de lire les auditions déjà réalisées dans le dossier judiciaire, prenant pour option « d’éviter d’entendre ou réentendre » les « acteurs de terrain ».

Par ailleurs, le rapport s’est nourri de moult « rencontres » avec des cadres de la police fédérale (Directeur de la police fédérale de la route, Directeur coordonnateur administratif, Directeur de l’Académie nationale de police etc…) et avec des policiers tel par exemple « un panel des membres du personnel de la WPR (Police de la route) Hainaut et de la WPR Namur. » Toutes personnes qui reçurent des « questions écrites préparatoires » et, ensuite, des « comptes-rendus » leur « permettant de compléter et/ou de corriger leurs propos ». Enfin, « le projet de rapport d’enquête de contrôle a été communiqué au Commissaire général de la police fédérale afin qu’il puisse faire valoir son point de vue ».

Au même titre que la course-poursuite de l’affaire Mawda, menée à du 90 km heure de moyenne, n’a jamais rien eu de comparable avec un épisode de « Fast & Furious », comme voulait le faire croire les premières conférences de presse du parquet de Mons, cette enquête du Comité P ne doit donc pas renvoyer vers un autre imaginaire, celui d’œuvres cinématographiques qui mettent en scène des histoires de « bœufs-carottes » presque trop zélés.

Des questions cruciales sont restées hors champ

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Vu son angle d’enquête, le rapport du Comité P élude forcément des questions cruciales soulevées par les comportements troublants de certains policiers concernés par la gestion de la scène de crime et celle des premiers devoirs d’enquête sur le parking de Maisières : le parquet alerté par les agents plus de 40 minutes après l’interception de la camionnette et, initialement, sans mention d’un tir par arme à feu ; la thèse absurde de l’enfant-bélier qui accusait les migrants ; la blessure visible à l’œil nu sur le visage ensanglanté de la victime que personne ne vit ; l’hypothèse de la blessure par balle qu’aucun policier ne posa pendant de longue minutes alors que des agents présents sur le parking savaient qu’un coup de feu avait été tiré pendant la poursuite ; le ressentiment de certains enquêteurs montois qui se sont sentis « espionnés » et sous pression pendant les premières heures de l’enquête ; le fait que l’auteur du tir et son co-équipier ont circulé sur la scène de crime à la recherche d’indices sans réaction apparente de leurs collègues et alors qu’une zone d’exclusion judiciaire n’avait pas été créée…

Par essence, le rapport n’étudie pas non plus les dysfonctionnements attribuables à des magistrats : la décision qui a conduit à retarder l’intervention du Comité P sur le terrain (on parle ici des enquêteurs de cet organe de contrôle qui aujourd’hui encore travaillent dans le cadre de l’instruction judiciaire. Il s’agit de fonctionnaires qui appartiennent à une équipe différente de celle qui a rédigé le rapport du Comité P qui vient d’être déposé au parlement) ; la décision qui a conduit à la réalisation d’un premier rapport d’autopsie « téléphonique » de la victime ; des « erreurs », mais aussi la présentation contestable des faits par le parquet de Mons (la poursuite racontée à la presse de manière à ce qu’elle n’en comprenne par les différentes séquences) ; les mensonges patents d’un magistrat de presse ( le 18 mai encore, alors qu’un seul auteur était clairement identifié et que les éléments du dossiers ne renseignaient qu’un seul et unique coup de feu, fut encore évoqué la possibilité qu’il y ait eu deux coups de feu dont l’un, disait-on, aurait pu être tiré de l’intérieur de la camionnette, c’est-à-dire par les migrants).

Croire que les parlementaires de la commission de contrôle du Comité P soient en mesure de remplir un réel rôle de contre-pouvoir en éclairant ces zones d’ombre reviendrait à se bercer d’illusions. Seule une commission d’enquête parlementaire dotée des pouvoirs d’un juge d’instruction serait en mesure de démêler cet écheveau de dysfonctionnements suspects mais, quatre mois à peine avant les prochaines élections législatives, la création d’une telle commission est inimaginable. La vérité dans ce dossier dépendra donc du rapport de force politique qui sera créé par la prochain scrutin électoral, lequel permettra ou ne permettra pas la mise en branle d’une contre-enquête parlementaire digne de ce nom.

Médusa, une question politique

Pour autant le rapport de 58 pages rédigé en 8 mois par le Comité P n’est pas totalement dénué d’intérêt. Il confirme nombres de points déjà soulevés par la contre-enquête menée par Paris Match Belgique durant ces dernières semaines. Il en va ainsi du cadre opérationnel dans lequel s’est déroulé cette mission de « contrôle spécifique des migrants » (dixit un policier) qui se termina par la mort d’une petite fille de deux ans. Le point n°33 du rapport – relu et validé par le Commissariat général de la Police fédérale – confirme que l’équipe de police attachée à la WPR Namur qui repéra la camionnette était « engagée avec une équipe du CIK Namur dans une opération Médusa ». Le comité P précise : « Lors des opérations Médusa menées par la WPR Namur, les équipes sont principalement orientées vers les phénomènes migratoires et notamment la montée de migrants dans les camions stationnés sur les parkings autoroutiers. Au cours de leurs patrouilles, les équipes sont également attentives aux vols « cargos », c’est-à-dire aux vols commis dans les camions en stationnement. »

Cette confirmation du cadre opérationnel dans lequel s’est déroulé l’affaire Mawda lui confère une dimension politique plus importante. En effet, les opérations Médusa sont apparues lors de l’arrivée au pouvoir de la majorité suédoise au fédéral. Il s’agissait même de l’une des têtes de gondole de la composante nationaliste flamande du gouvernement. Ainsi, dans sa « note de politique générale » présentée au parlement le 3 novembre 2015, l’exécutif affirmait que « les personnes en séjour illégal constituant une menace pour la sécurité nationale (sic) seront recherchées en priorité et renvoyées au plus vite vers leur pays d’origine. L’arrivée massive de demandeurs d’asile a créé le besoin d’entreprendre une action visant à maintenir un contrôle maximal sur cet afflux. L’action Médusa a été mise sur pied dans cette optique-là. » Depuis lors et jusqu’à tout récemment encore, l’ex-ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) et le gouvernement dont il faisait partie ont vanté les mérites des multiples opérations Médusa qui furent organisées (voir notamment les notes de politique gouvernementales de 2016, 2017 et de 2018).

Ce que savait le policier qui a tiré est « controversé »

©BELGA PHOTO LAURIE DIEFFEMBACQ

Dans le cadre de l’instruction en cours, le policier qui a tiré a expliqué qu’au moment de presser sur la détente, il pensait avoir eu affaire à des bandits agissant dans le cadre d’un « vol cargo » : « Les seuls contacts que nous avons eus avec le CIC (NDLR : le dispatching radio, celui du Hainaut en l’occurrence) sont pour nous dire où est la camionnette et sa progression. Je n’ai aucun élément qui me fait penser qu’il peut s’agir de migrants. » Toutefois, comme l’a révélé notre contre-enquête, cette version des faits a été contredite par son équipier : « Le CIC nous avait signalé qu’il y avait une camionnette d’illégaux prise en chasse par des collègues et qu’il fallait faire attention parce qu’il y avait des illégaux dans l’espace de chargement à l’arrière. (…) Ma radio était mise à fond, donc on entendait bien ce qui se disait. C’est au moment où on apprend qu’il y a des illégaux dans l’espace de chargement que je dis à mon collègue que l’on ne prendra pas de risque (…) Il suffit d’écouter les communications avec le CIC. » Nous avions cependant relevé que, bien malheureusement, ces enregistrements des conversations radio du CIC Hainaut, ceux-là même qui étaient de nature à départager ces deux versions policières contradictoires n’avaient pas été réalisés (selon la police) en raison d’un « problème technique ».

En termes choisis, tout cela est confirmé par le rapport du Comité P : « Il ressort d’auditions faisant partie du dossier judiciaire que l’opérateur WPR du CIC Hainaut communique par radio sur le groupe de communication HAl R 31 les éléments d’information dont il dispose. A défaut d’enregistrement des communications radio au niveau du CIC Hainaut, le contenu précis de ces informations ne peut être formellement établi et est controversé quant au fait qu’il a été communiqué ou non qu’un enfant avait été présenté par la fenêtre arrière de la camionnette et qu’il s’agissait ou pouvait s’agir de migrants. (…) Le système d’enregistrement des communications du CIC Hainaut n’a pas fonctionné et il n’est donc pas possible de s’appuyer sur les enregistrements des communications échangées entre ce service et les équipes WPR Hainaut (…) En ce qui concerne le CIC Hainaut, l’absence d’enregistrement des communications radio, limite l’observation de ses réactions. » Nous conseillons aux parlementaires de lire la contre-enquête de Paris Match Belgique pour en savoir plus sur la « controverse » évoquée par le Comité P.

Omission problématique

©AVPRESS

D’autant que l’on constate une omission problématique dans les informations données par le Comité P au parlement. L’organe de contrôle affirme en effet dans le point 216 de son rapport que le : « Le CIC Hainaut ne peut produire d’enregistrement des communications radiophoniques et téléphoniques qu’il a reçues et émises le 17 mai 2018. » Vient ensuite cette justification : « les enregistrements des groupes de communications qui sont ouverts sur les stations de travail « workstation » (WKS) des CIC sont en principe réalisés de manière automatique » mais qu’il y a « régulièrement des défectuosités dans ce système d’enregistrement ». Aussi, le comité P précise dans le point 218 de son rapport que : « Le 9 mai 2018, un défaut d’enregistrement des communications radiophoniques portant sur la période du 1er au 9 mai 2018 a été constaté sur une table de travail au moment où un opérateur avait voulu procéder à une réécoute. (…) ». Et dans son point 219, il insiste encore : « Une analyse a posteriori a relevé que l’enregistrement des communications radiophoniques avait commencé à se dégrader le 29 avril 2018 et qu’il n’y avait plus eu aucun enregistrement entre le 15 et le 22 mai 2018. »

 

On remarquera que les points 218 et 219 n’évoquent que des enregistrements de communications radio et pas des communications téléphoniques… Et on insistera sur la phrase du point 216 : « Le CIC HAINAUT ne peut produire d’enregistrement des communications radiophoniques et téléphoniques qu’il a reçues et émises le 17 mai 2018. » L’information qui est donné aux parlementaires sur ce point est fausse : le dossier d’instruction sur base duquel le Comité P a rédigé son rapport contient un PV n°8436/18 rédigé le 26 septembre 2018 qui indique : « Si le CINAU (ndlr : abréviation de CIC Hainaut) n’a pas pu nous donner les enregistrements radios suite à un problème technique, nous avons en revanche bien reçu les communications téléphoniques ». Ce procès-verbal renvoie à un PV n°8024/18 « relatif aux enregistrements des communications du CIC Hainaut » et retranscris des « enregistrements téléphoniques reçu sur support CD rom le 25 mai 2018. »

C’est dans ces enregistrements dont l’existence n’est pas portée à la connaissance des parlementaires par le rapport du Comité P que se trouve archivée une conversation téléphonique préoccupante entre le policier-tireur et le dispatcher du CIC Hainaut (celui qui avait donné ou n’avait pas donné l’information sur la présence de migrants à bord de la camionnette lors des échanges radio non enregistrés à cause d’un « problème technique »). Notre contre-enquête avait déjà fait état de cette conversation qui eut lieu le jeudi 17 mai 2018, environ 1 h 30 après le coup de feu. Le dispatcher demande au policier si son tir a quelque chose à voir avec la mort de l’enfant. Il répond : « Ben je ne pense pas, non…Moi j’ai tiré en direction des roues, je ne pense pas. » Il continue ensuite à s’épancher mais le dispatcher l’interrompt. Il dit au tireur : « On est enregistrés… Moins on en sait, mieux c’est. ». Bien entendu, le Comité P pourra arguer que cet épisode, comme bien d’autres évoqués au début de cet article, s’est passé quelques minutes après le tir…

A suivre sur Paris Match.be : la deuxième partie de notre évocation du rapport du Comité P sur l’affaire Mawda. Où l’on rappelle ce qui relève du simple bon sens : « l’exercice consistant à atteindre une cible en mouvement à partir d’une position qui est elle-même en mouvement » est « hasardeux ».

Mort de Mawda : Comité P … comme plan plan

mawda comité p

Le Comité P n’émet pas la moindre critique à propos de ces assemblées policières réunissant différents témoins d’une instruction en cours et leurs supérieurs hiérarchiques. | © BELGA PHOTO / OPHELIE DELAROUZEE.

Deuxième partie de notre évocation du rapport du Comité P sur l’affaire Mawda. Où l’on rappelle ce qui relève du simple bon sens : « L’exercice consistant à atteindre une cible en mouvement à partir d’une position qui est elle-même en mouvement est ‘hasardeux’ ».


Nous savions déjà que, deux semaines après la mort de la petite Mawda, soit le 31 mai 2018, la plupart des policiers impliqués dans la course-poursuite participèrent à « un débriefing opérationnel de l’incident du jeudi 17 mai 2018 ». Le rapport à « diffusion restreinte » qui fait état cette réunion ressemble à un argumentaire et conclut que « la poursuite a été bien gérée ».

 

Selon l’avocat Alexis Deswaef, une telle assemblée de policiers concernés, – ne serait-ce que comme témoins – par une instruction en cours, pourrait être constitutive d’un délit de « coalition de fonctionnaires » : « Plusieurs des participants sont des témoins, voire des suspects, dans le cadre d’une instruction judiciaire en cours. Une telle réunion invite inévitablement à s’interroger sur la volonté des initiateurs de cette réunion et des participants de construire un témoignage collectif, une version commune du déroulement des faits. Le dommage pour l’enquête est encore plus grand en ce qui concerne les policiers qui auraient participé à ce type de caucus avant même d’avoir témoigné devant le comité P et/ou le magistrat instructeur. On pourra toujours suspecter qu’ils ont été influencés par ce qu’ils ont entendu. En effet, comment savoir s’ils n’ont pas appris des éléments nouveaux qui ont pu modifier leur perception des faits, comment ne pas se demander s’ils n’ont pas ressenti une pression qui pourrait moduler leur témoignage ? »

© BELGA PHOTO / DAVID STOCKMAN.

Dans son rapport, le Comité P confirme la tenue de cette réunion policière du 31 mai 2018 et plus encore… Le point 226 du document relève en effet que « plusieurs débriefings opérationnels ont été organisés entre le 22 mai 2018 et le 06 juin 2018. En particulier, la DAH (Direction de la police de la route) a rapidement organisé un débriefing opérationnel des faits, auquel ont notamment participé le Directeur DAH, un représentant de DRI (Direction de l’Information policière) , un représentant du Directeur coordonnateur Hainaut, un représentant du Service d’information et de communication (SICAD) de Namur, le Chef de service de la WPR (Police de la route) Namur, le Chef de service de la WPR Hainaut, des opérateurs CIC (Centre d’information et de communication, en d’autres termes les dispatchings) concernés ainsi que des policiers intervenants tant de la police fédérale que de zones de police locale (…). Les événements ont été également été abordés lors du Comité supérieur de concertation du 20 juin 2018. »

Le Comité P n’émet pas la moindre critique à propos de ces assemblées policières réunissant différents témoins d’une instruction en cours et leurs supérieurs hiérarchiques. Ce point de vue s’accorde avec des propos que nous avons entendu dans les sphères policières, notamment via un syndicaliste, et dans la magistrature : les policiers comme les militaires sont friands de débriefings et il ne faut pas y voir malice. Il est ainsi précisé dans le rapport que le débriefing du 31 mai « a donné lieu à la rédaction d’un compte-rendu détaillé où apparaissent les actions à mener ». Par exemple, « trouver une solution pour communiquer de façon plus optimale entre équipes de 2 provinces distinctes ».

Les parlementaires de la commission de contrôle seraient bien avisés de lire le rapport de cette réunion dans son entièreté, comme nous l’avons fait, pour constater qu’il a effectivement porté sur des éléments qui intéressent l’instruction en cours, en présence de personnes concernées par celles-ci. Dans un lieu où l’on crée la loi, sera-t-on plus sensible à l’argument policier (on a l’habitude de « débriefer ») ou aux arguments de droit ? En effet, selon Alexis Deswaef, « l’existence même d’une réunion ce de type rassemblant des policiers concernés par un dossier pénal, (…) pourrait suffire à établir le délit de coalition de fonctionnaire. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a une jurisprudence très claire sur la nécessité d’éviter que des policiers s’entendent sur une version des faits suite à un incident de tir. »

Tirer pendant une course-poursuite ? C’est « déconseillé »

Le Comité P s’est aussi livré à l’analyse de documents internes de la police fédérale qui évoquent les bonnes manières d’agir en cas de « poursuites et interceptions de véhicules ». D’une part, il s’agit d’un manuel datant d’août 2015 qui sert de support à des « spécialistes » qui forment et entraînent les policiers. D’autre part, il s’agit d’une note « DGAIDAR 2015 1625 » produite le 31 juillet 2015 par la Direction de la police fédérale de la route (DAR).

L’organe de contrôle relève que « le manuel édicte une série de principes de sécurité parmi lesquels : (…) éviter de rouler (ou de se retrouver) à côté ou devant le véhicule en fuite » (ou encore) éviter de faire usage d’armes à feu à partir du véhicule en mouvement, sauf en cas d’absolue nécessité et en tenant toujours compte de l’environnement et des risques engendrés par un tir. ». Il ajoute que : « Le manuel évoque également différentes actions possibles durant la poursuite. Celles-ci doivent respecter le principe d’évolution graduelle. Outre le fonctionnement des feux bleus et de l’avertisseur sonore spécial, l’injonction de s’arrêter peut-être répétée par gestes ou via le système de signal ‘stop’ ». Or, dans l’affaire Mawda, le véhicule d’où provint le tir s’est bien retrouvé à côté de la camionnette, il y a bien eu usage d’une arme à feu et la question d’une injonction qui aurait été faite par le tireur fait l’objet de déclarations contradictoires.

Un autre point fait débat dans le cadre de l’instruction en cours : la trajectoire tir du policier a-t-elle pu être modifiée par le fait que la camionnette aurait subitement dévié sur la gauche au moment précis où l’auteur du coup allait appuyer sur la gâchette. On savait déjà que le coéquipier du tireur s’est montré hésitant sur ce point mais le rapport du Comité P révèle en plus que le cas de figure du « coup de volant » qui se serait présenté dans l’affaire Mawda fait partie des hypothèses prévues par les formateurs de la police : « Le manuel en vient à la question de l’usage de l’arme à feu durant la poursuite. Il qualifie d’hasardeux l’exercice consistant à atteindre une cible en mouvement à partir d’une position qui est elle-même en mouvement, prenant également en considération de manière non limitative les conditions de stress de l’action, les changements subits de direction que peut prendre le véhicule en fuite, les heurts imprévus que peut subir le véhicule de police dus à l’état de la route ainsi que le vent occasionné par la vitesse de déplacement. Le manuel pose le principe que la décision de faire usage de l’arme à feu pour tenter de stopper un véhicule en fuite doit donc toujours évaluer les risques potentiels qu’entraîne cet usage et les comparer à ceux que représente le fuyard s’il parvenait à s’échapper. »

 

© BELGA PHOTO / DAVID STOCKMAN.

Le Comité P note encore que « le manuel détaille les effets possibles d’une balle et relève que la seule possibilité de freiner la course d’un véhicule et de l’amener à s’arrêter est de tenter de crever un ou plusieurs de ses pneus. Le manuel précise, schéma à l’appui, que la balle doit être tirée dans le flanc du pneu et non sur la bande de roulement, ceci impliquant que le véhicule de police se porte en partie à la hauteur du véhicule poursuivi. Il détaille ensuite les risques encourus. Parmi ceux-ci figure expressément le risque que la ou les balles tirées peuvent, après avoir perforé la carrosserie ou une vitre du véhicule, atteindre directement le conducteur ou des passagers éventuels. A cela s’ajoute le fait que la trajectoire d’un véhicule en mouvement, privé subitement de conduite (conducteur blessé ou tué) est totalement imprévisible et devient instantanément une source potentielle d’accident. »

Enfin, le Comité P relève ce point qui invitera à la réflexion au regard de la tragédie qui s’est jouée sur la E42 : « Le manuel traite des différents cas de fin de poursuite parmi lesquelles la décision de l’équipe ainsi que l’ordre donné par le CIC ou l’autorité qui exerce la direction opérationnelle. L’arrêt de la poursuite peut être décidé à tout moment dès que le danger que représente la poursuite est supérieur à l’intérêt qu’elle est censée protéger. »

Toutefois, et il s’agit-là d’une réserve notée par le Comité P qui a son importance pour la défense du policier qui a tiré : « Poursuite et interception de véhicules » s’adresse aux seuls spécialistes en maîtrise de la violence. La seule initiative prise pour le diffuser a consisté à le placer sur Portal (ndlr : site internet de la police) le 11 août 2015, dans un folder difficile à trouver… ». On notera cependant qu’un second document, nous l’avons évoqué plus haut, il s’agit de la note DGA/DAH de juillet 2015, déconseille lui aussi de tirer en cas de course-poursuite et qu’« il a pu être observé à l’occasion des rencontres de membres du personnel de la police fédérale de la route lors des panels constitués à la WPR Namur et à la WPR Hainaut que tant l’existence que le contenu de la note DGA/DAH leur étaient connus. »

Le Comité P rappelle ce que ce deuxième document explique aux policiers : « Il ressort des analyses d’incidents de violence lors desquels des fonctionnaires de police tirent sur des véhicules dans le cadre d’une poursuite et, plus spécifiquement encore, lorsqu’ils tentent de tirer dans les pneus, que ces actions ne permettent que rarement de procéder à l’interception immédiate du véhicule en fuite. La note DGAIDAH déconseille fortement l’action et ajoute qu’il est probable qu’elle ne rencontre pas les principes d’opportunité, subsidiarité et proportionnalité comme repris dans l’article 37 de la loi sur la fonction de police. La note relève ensuite diverses circonstances auxquelles peut conduire cette action et notamment le risque de toucher le conducteur et/ou un ou plusieurs passager(s). »

Ces documents font état de considérations qui relèvent du simple bon sens. Toutefois, le propos du rapport du Comité P, – ce n’est pas le nôtre non plus – n’est pas de préjuger d’une culpabilité de l’homme qui a tiré. Un processus judiciaire est en cours et il débouchera sur une vérité judiciaire au bout d’une procédure contradictoire.

« Harmonisation subtile »

Après la lecture du rapport du Comité P (voir ici la première partie de notre analyse), on reste sur sa faim. Ce n’est pas avec des enquêtes de ce type que l’on en saura beaucoup plus sur les circonstances précises d’un tir policier qui a tué une enfant de deux ans dans le cadre d’une opération Médusa. Outre de légitimes limitations dues à l’instruction en cours, ce rapport assez « plan-plan » – élaboré en huit mois ! – apporte peu de choses au regard de ce qu’avait déjà révélé l’enquête journalistique publiée ces dernières semaines dans Paris Match. Dans ce dossier où, en cause de divers représentants de l’Etat (fonctionnaires de police, magistrats), on n’a déjà que trop souffert d’actes et de décisions sujets à caution, des dysfonctionnements auxquels s’ajouta une communication chaotique, la cerise sur le gâteau serait qu’une commission de contrôle du Comité P fasse semblant d’avoir découvert la montre en or en résumant l’affaire Mawda, comme le lui suggère ce rapport, à des problèmes de communication radio et de diffusion interne de l’information contenue dans des manuels, renvoyant de la sorte toutes les questions délicates induites par des dysfonctionnement préoccupants vers l’instruction en cours.

Concluons cependant par une note positive… Dans une annexe du rapport du Comité P, page 55, le Commissaire général de la Police fédérale félicite les enquêteurs de l’organe de contrôle : « Merci pour l’envoi en pré-lecture du rapport précité. Merci également de nous avoir laissé le temps d’exprimer nos éventuelles remarques à ce sujet. J’apprécie également la méthodologie utilisée quant à la garantie du caractère contradictoire tout au long de l’enquête de contrôle et à la mise en harmonisation subtile avec l’instruction en cours. ».

 

Une « harmonisation subtile » ? Le dictionnaire Larousse définit l’harmonie en ce termes : « l’état des relations entre des personnes ou dans un groupe humain, qui résulte de l’accord des pensées, des sentiments, des volontés ». Tant qu’à faire, on ajoutera la définition du mot « plan-plan » que nous avons utilisé un peu plus haut dans ce texte : « Se dit de ce qui est fade, sans originalité. » Il y a quelques années) un journal de référence (Le Monde, 2 février 1983, p.14) critiqua un film en ces termes qui conviennent parfaitement à notre propos : « Les décors sont moches, la mise en scène est plan-plan, les acteurs suivent le fil de l’eau ».

Source

Lire Aussi : Mort de Mawda : la contre-enquête de Michel Bouffioux

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