Nous exigeons un moratoire sur l’exposition des objets dont on sait qu’ils ont été obtenus par le vol, le pillage, la conversion forcée, la menace ou l’extorsion.

Bravo à Mireille-Tsheusi Robert et Anne Wetsi Mpoma pour leurs interventions déterminantes lors du débat sur les ondes de la RTBF : Débats premières. On sent clairement que les arguments s’affutent et que le débat devient public. A un mois de la réouverture du Musée de Tervuren, il était temps que les prises de paroles sortent du huit clos des groupes internes du musée en charge de la rénovation. Le débat commence à prendre et on sent clairement une panique monter du côté du personnel du Musée. Mr Verbergt finit le débat en invitant tout le monde pour la réouverture en disant : « j’aurais préféré avoir cette discussion un mois après la réouverture ». Clairement, le directeur en charge des relations avec les publics craint que l’image lisse de la « rénovation » avec laquelle le discours marketing du musée entend attirer à lui de nouveaux publics ne soit brisée. Il ne faudrait surtout pas gâcher la fête. Nous sommes redevables à BAMKO-CRAN ASBL qui s’est approprié le débat sur la restitution et à Mireille qui a réussi à faire bouger les lignes et à recomposer le champ des positions autour de la « modernisation » du musée colonial. Et si on peut d’avantage parler de « modernisation » des infrastructures que de « décolonisation » de l’institution c’est d’abord parce que ¾ du budget alloué a été affecté à la rénovation des bâtiments.
Le dernier quart a été alloué à la scénographie et les experts issus des diasporas qui l’ont négocié ont été convoqué très tard dans ce processus, le choix des objets et la répartition des salles et des superficies ayant déjà été effectué par les scientifiques en huit clos. Il est intéressant de noter que le terme « décolonisation » – véritable signifiant vide dans le discours du musée – n’est apparu dans le langage de la rénovation qu’à partir du moment où les controverses avec les experts issus des diasporas subsahariennes ont émergé sans que ces controverses ne puissent trouver une expression publique et une dimension scientifique (les scientifiques du musée ont dans leur écrasante majorité refusé le débat et la discussion avec les experts issus des diasporas subsahariennes en charge de la décolonisation, préférant continuer de « faire science » dans leur coin, à distance des controverses). Le signifiant « décolonisation » dans le langage des équipes en charge de la rénovation sert ainsi à recouvrir les controverses.
Mireille Tsheusi Robert, quant à elle, donne un contenu nettement plus précis à ce terme de décolonisation : le respect du droit international, oser poser la question du recel et du blanchiment, une politique de la restitution, une politique de partenariat et une africanisation du personnel. Et de fait le discours sur la décolonisation du musée est un cache sexe pour masquer le racisme structurel d’institutions comme celle de Tervuren. L’exemple le plus frappant dans ce débat est celui de la salle « Histoire coloniale ». Anne Wetsi Mpoma explique qu’il n’y a eu qu’une seule réunion avec le groupe des 6 qui s’est très mal passée car la responsable de cette section voulait proposer une vision colonialiste en présentant les bienfaits de la colonisation. On touche ici à l’intérieur de la boite noire de la négociation et un exemple concret de ce supposé processus de “décolonisation”. Alors que la colonisation est considérée comme un crime contre l’humanité et que du point de vue de l’Assemblée générale de l’ONU nous sommes en pleine décennie internationale des personnes d’ascendance africaine (2015-2024), la section « histoire coloniale » proposée aux diasporas par le musée de Tervuren propage toujours un discours apologétique sur les crimes contre l’humanité commis par la Belgique durant la période coloniale. C’est un exemple concret qui montre comment se passe une « décolonisation » d’un musée colonial. Du coup, Mr Verbergt tente de noyer le poisson en nous expliquant que c’était sa première réunion mais que depuis, le musée s’est rendu au Congo, à développer des partenariats avec l’université de Kinshasa et que via des écrans le musée donnera la parole à des africains. Mais qu’en est-il de la négociation avec le groupe des 6 ? Ont-ils pu valider le contenu de cette nouvelle salle et inscrire leurs désaccords et propositions dans les dispositifs de mises en scènes muséographiques ? On n’en sera rien. Drôle de politique de négociation. En réalité le discours sur l’« Afrique contemporaine » sert ici d’alibi pour ne pas parler des controverses. Le musée de Tervuren n’est pas un musée sur l’Afrique car les africains n’y ont aucun pouvoir de décision. L’hégémonie du musée ne se manifeste jamais tant que dans son changement constant et frénétique de partenaires. Les 6 experts en charge de la négociation ont-ils pu visiter l’exposition avant l’ouverture du musée ? Ont-ils pu manifester leurs désaccords et propositions ? Que compte faire le musée des controverses ayant émergé durant la négociation ? Voilà autant de questions précises sur le prétendu processus de « décolonisation » auxquelles nous n’avons aucune réponse. Nous attendons toujours ces réponses à quelques semaines de l’ouverture. Elles sont importantes car c’est plus de 30.000 élèves qui viendront chaque année se confronter à la nouvelle propagande post-coloniale. Comme le rappelle avec insistance Anne Wetsi Mpoma, « les africains en Belgique sont là » et ils ont des exigences précises sur la décolonisation. Le discours sur l’« Afrique contemporaine » masque mal cette difficulté systémique à négocier et à partager le pouvoir. On voit mal comment construire un discours sur l’ « Afrique contemporaine » avec des objets acquis durant l’époque coloniale et dont la colonialité du savoir et du pouvoir dans laquelle ils ont été enrôlé a massivement socialisé la population belge au racisme négrophobe, au discours impérialiste, à l’esprit de conquête, d’exhibition, de spoliation et de mépris. L’épreuve décoloniale est et sera celle de la restitution. Pour ne pas faire des futurs visiteurs de l’exposition permanente des complices involontaires du blanchiment d’objets acquis par le crime, nous exigeons un moratoire sur l’exposition des objets dont on sait qu’ils ont été obtenus par le vol, le pillage, la conversion forcée, la menace ou l’extorsion.

 

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