Rémanences de la colonalité au cœur des processus de restitution des « restes humains »

Des Héréros et Namas à Lusinga (Allemagne-Namibie, Belgique-Congo)

La restitution des « restes humains » et des biens culturels pillés durant la période coloniale s’inscrit dans le cadre des « dettes morales et matérielles dues aux peuples africains » (Proclamation d’Abuja, 1993), c’est-à-dire dans le cadre d’une politique de la réparation. En effet, les revendications de restitution formulent un tort subi par la colonisation qui « (…) se manifeste douloureusement dans les vies mises à mal des Africains d’aujourd’hui (…), dans les économies mises à mal du monde africain » (Proclamation d’Abuja). Dès lors, la question de la restitution des biens spoliés, des trésors traditionnels et des « restes humains » est inséparable de la question du versement intégral d’indemnités sous la forme de transfert de capitaux et d’annulation de dettes.
La restitution d’ossements de Héréros et de Namas de l’Allemange à la Namibie si elle offre un précédant qui pourrait faire jurisprudence – au vu du statut quo ante tel qu’il se pose en Belgique (cf. article de Michel Bouffioux) – pose le problème de la désarticulation des enjeux de restitution et de réparation. Les ossements avaient été envoyés en Allemagne pour des expériences scientifiques à caractère racial, après le génocide de dizaines de milliers d’Héréros et Namas au début du XXe siècle. La plupart des dépouilles provenaient de la collection anthropologique de la clinique universitaire berlinoise de la Charité.

La cérémonie est pourtant critiquée par les représentants de ces deux communautés. L’alliance « Völkermord verjährt nicht » (un génocide ne se prescrit pas) a donc annoncé des manifestations à Berlin et Leipzig. En effet, Berlin refuse de payer des réparations financières et met en avant les centaines de millions d’euros d’aide au développement versés à la Namibie depuis son indépendance de l’Afrique du Sud en 1990. Fin juillet, l’État allemand a plaidé à New York l’annulation d’une procédure judiciaire lancée par les tribus Namas et Héréros. «Les restitutions ne sont pas la fin, ce n’est que le début», disait mercredi le militant héréro Israel Kaunatjike. Par ailleurs, les représentants des associations des victimes Héréros et Namas n’ont pas été convié à la messe commémorative qui a lieu ce mercredi à Berlin. Se pose ici le problème de la restitution comme action symbolique et morale lorsqu’elle est pensée sous le seul prisme de la relation d’États coloniaux à États anciennement colonisés. En effet, l’argument officiel des gouvernements des deux pays est que les deux ethnies seraient également représentées dans la délégation officielle namibienne. Il s’agit en réalité d’un déni des victimes et des violences historiques. En outre, les Héréros et Namas critiquent le fait que cette cérémonie se soit passée dans une église : « Ces êtres humains, dont les ossements ont été amenés ici, n’étaient pas chrétiens. Ils ont été assassinés et l’Église était impliquée ».
Les critiques formulées par les militants héréros et namas indiquent assez clairement les continuités et les conséquences post-coloniales de cette absence de relation épistémique issue de la colonisation, c’est-à-dire la profonde asymétrie qui balafre le processus de restitution lorsqu’il est mis en œuvre comme une action symbolique et morale. Le processus de restitution ne peut se faire sous la seule intention de la mauvaise conscience majoritaire, les anciens colons n’ont pas à définir eux-même les critères et les exigences de la réparation. Disons que ce qui se passe aujourd’hui en Allemagne et en France peut nous aider à nous rappeler que la restitution advient comme l’effet d’un long combat qui se mène contre le droit des vainqueurs et contre l’oubli. Les critiques formulées par les Héréros et Namas nous invitent à sortir de l’entre-glose de l’occident avec lui-même. C’est d’une importance vitale au moment où se pose en Belgique la question de la restitution du crâne de Lusinga.
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